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Jean-Louis Bergère, un chanteur dans le silence

Chanteur poète, poète chanteur, Jean-Louis bergère côtoie les univers de la poésie et de la musique, autant dire celui de la chanson, mais pas seulement. Sa voix est déposée à côté de la musique, parfois dedans parfois juste comme une enluminure tout près discrètement amenée pour révéler simultanément la parole et la musique, dualité qui lorsqu'elles coexistent permet au silence d'affleurer, d'exister et d'ouvrir vers une multiplicité  de réceptions et d'émotions. Le plus difficile à entendre dans la musique c'est le silence, le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler répondit un jour à un journaliste à propos de ses interprétations de Beethoven : « Les autres chefs jouent les notes, moi je joue ce qu’il y a entre les notes. »

Jean-Louis Bergère a accepté de répondre à quelques questions.

Jean-Louis Bergère, vous êtes poète et musicien, ou musicien et poète ?  Vos mots sont de la musique ou vos compositions sont des mots ?
J'ai commencé à écrire de la poésie, puis de la musique, à côté, sans que ces deux modalités ne s'interpénètrent. Puis avec les années les deux se sont entremêlées. Mon écriture musicale s'est épurée, et est devenue très proche de mon écriture poétique. Ce phénomène a été possible aussi grâce aux lectures-concert que j'organise. Je me suis aperçu que c’est l’oreille du musicien qui est présente dans la poésie, c’est un rythme qui arrive dans les mots. La musique procède de la même manière, ce sont deux modalités qui se complètent. Maintenant avec les années ces deux formes se sont affirmées, ont évolué, sont devenues courtes, et denses, bien plus denses. Mes  chansons sont donc plutôt courtes maintenant, tout comme ma poésie, même si j’aime bien quand les climats se développent.
Quelle place occupe le rythme, dans le poème, dans la musique ?
Le rythme est primordial dans mon travail d’écriture. En musique souvent la première mouture vocale est du "yaourt" et j’écris sur ce squelette rythmique et mélodique qui  ouvre une ligne de chant, même si parfois il n'y a pas de texte. Ensuite  quand j’écris j’essaie de conserver ce que j’ai pu énoncer en terme de mélodie et de chant parlé, tout ce  que je veux absolument conserver. Je ressens cet ensemble de manière intuitive : un morceau et un texte forment un "tout" qui doit être en équilibre. C'est une question de rythme beaucoup, il faut que l'ensemble forme une globalité et je sais quand la chanson est finie, le morceau, le texte, car il n'y a plus aucune retouche à faire.  

Jean-Louis bergère, "Ce qui demeure" - extrait du nouvel album "Ce qui demeure", une vidéo proposée par Jean-Louis Bergère.

Lorsque vous chantez votre voix garde la trace d’une parole discursive. Vous vous situez entre ces deux univers que sont la forme textuelle de la poésie et la musique. C’est encore plus prégnant dans votre dernier album Ce qui demeure. Être face à la musique et louvoyer, jouer, tisser du sens qui alors apparaît dans les silences, il me semble que c'est de cet endroit que vous chantez. Le silence est-il ce qui permet de relier toutes ces modalités d’expression ?
Le parlé-chanté s’est affirmé au fur et à mesure des albums. Léo Ferré a ouvert la voie par rapport à ça. Il était moderne avant l’heure. Il y a beaucoup  de textes parlé-chanté dans la deuxième partie de son travail. Il a ouvert une voie royale pour travailler cette manière de poser la voix sur la musique. Ferré a mis en musique des poèmes d’Aragon, et il a dit "chez Aragon je mets en musique ce qui se révèle à moi de façon immédiate. Ça colle ou pas. Ce qui se révèle à moi de manière immédiate c'est l'émotion".
Pour ma part je place la musique et la voix en face à face. J'ai envie de chanter comme je pourrais murmurer à l’oreille de quelqu'un. Mon rythme préféré est la lenteur car je laisse beaucoup d’espace à la musique et au silence entre les chansons sur scène. C'est quelque chose dont j'ai besoin et le public se l’approprie. Me parler de silence est un compliment, car qu'il soit dans les espaces du morceau ou bien entre les chansons, il permet au public de recevoir la musique, de se l'approprier comme il veut et pas comme le musicien a décidé. Grâce à cette dualité il est accueilli et reçoit l’objet sonore librement.

 

 

Comment pensez-vous vos « Lectures/concerts » ?
Cette formule me permet d'alterner trois ou quatre chansons avec des lectures d'extraits de mes recueils, de mêler les chansons à la poésie, sobrement, simplement, sans théâtralisation ni mise en scène. J'associe musique et poésie en créant des ponts entre les chansons et les textes dans une construction neutre, sobre et fluide. Il n'y a aucune thématique particulière, je ne raconte pas d’histoires mais je traduis de l’émotion. Je suis un traducteur d’émotions.

 

Jean-Louis bergère, "Inouïe", extrait du nouvel album "Ce qui demeure", YouTube "Jean-Louis bergère".

Ça marche très bien, et le public est très ému. Je peux aussi grâce à cette formule réunir les deux versants de mes activités d'auteur et de musicien. Les retours unanimes me démontrent si besoin était que ces deux modes de création artistique sont complémentaires.

Qu’est-ce que la musique peut révéler du poème ?
Je ne sais pas si la musique peut révéler quelque chose du poème, elle accompagne le poème, la musique dans la chanson est une sorte de double effet qui se superpose à celui du texte. Elle permet de replacer le texte dans un autre panorama sensible. Il faut essayer de faire en sorte qu’elle soit le plus près du texte. Le plus difficile est de trouver le bon "assemblage". Pour moi une chanson est un objet sonore global qui intègre la musique, la voix et le texte. Ce sont ces trois vecteurs qui doivent être associés pour que ça fonctionne, et aucun d'entre eux ne doit être prédominant. J'essaie de retrouver dans mon travail ce que j’aime chez les autres, cet objet sonore global qu’on ne peut pas remettre en question, qui s'impose comme une évidence.

Vos textes mais aussi votre musique, vos chansons, sont l’expression d’une quête, de la recherche d’une transcendance, d’une évolution de l’homme vers lui-même. Est-ce ceci, l’Art, cette globalité comme expression métaphorique d’une humanité pacifiée ?
Je ne porte pas une parole engagée et ça ne m’intéresse pas de parler des rumeurs de l’époque. J’écris parce que c’est une manière d’apprivoiser ma propre inquiétude mais je ne souhaite pas écrire de texte sur un thème précis, ce qui vient s'inscrit, je ne peux gérer aucune contrainte en ce domaine. 

Je souhaite traduire ce que l’humain porte, c'est ça mon engagement, être au monde et transmettre cet état de fait, les émotions qui nous traversent. C'est recevoir et redonner, c'est traduire ces ressentis inhérents à cette condition d'être au monde, montrer cette voie vers ce que chacun peut ressentir, comme un paysage intérieur partagé. L’art c'est ouvrir des accès.
Le mot paysage je le ressens quand je compose comme une globalité. Les musiques que j’aime écouter sont celles que je peux écouter en voiture, qui accompagnent mon regard vers l’extérieur. J’adore écouter des musiques en voiture la nuit, des musiques qui habillent le paysage intérieur, qui le subliment. La musique sublime les paysages intérieurs. Elle sublime nos moments d’existence, elle garde l’état émotionnel du moment comme un parfum.

"Le sommeil des chevaux", titre extrait de l'album " Une définition du temps" - 2001. Images /réalisation /montage © Eregreb 2016 - Orage à Cordes-sur-Ciel (81) Écrit et composé par Jean-Louis Bergère.

Je suis un chanteur dans le silence. Ça signifie parler à l’intime des gens. Je le comprends maintenant. Il y a certaines de mes chansons qui résonnent tellement dans l’intime des autres que c’est quelque chose qui m’émeut beaucoup : être à ce point à la rencontre de l’intime de l’autre. C’est aussi la faveur de la musique par rapport au poème, cette faculté de pouvoir être présente ailleurs, même si la poésie on peut la relire longtemps comme on écoute une musique. On peut relire les mêmes vers sans jamais entendre la même chose. Il y a cette densité là c’est aussi le point commun entre chanson et poème, dans une forme courte avoir autant d’ivresse.

"Laissons venir", Jean Louis Bergère.

Présentation de l’auteur

Jean-Louis Bergère

Jean-Louis Bergère est un auteur (chansons, poésies et proses) et compositeur qui partage son activité entre scène et écriture. Il est l'auteur de recueils ainsi que d'albums qui mêlent la parole poétique à la musique.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Bibliographie : 

Masque et figure - Editions Potentille - 2015
Demain de nuits de jours/le livre - Editions Gros Textes - 2014
Jusqu'où serions-nous allés si la terre n'avait pas été ronde - Editions Gros Textes - 2009
Quelque chose d’infime - Editions Laïus - 2007 (Livre d'artiste objet/CD)
Mon corps Runbook -  2009 - (Livre d'artiste en devenir via le réseau des boîtes mails d'artistes et d'écrivains)
Avec mes yeux - Editions verlag Im Wald - 2007 (Ouvrage collectif)
Publications en Revues dans Motamorphose, N4728 (n° 13 ET 22), Gros Textes, Contre-allées, Dissonances

Discographie

Demain de nuits de jours - Catapulte/Wiseband - 2013
Au lit d’herbes rouges - Catapulte/Label Ouest - 2007
Bouches de silence - Catapulte (avec Memento Mori) - 2005
Une définition du temps - Catapulte - 2001

Poèmes choisis

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