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Kayako Yamasaki, choix de poèmes

Traduit du serbe par Vanda Mikšić et Brankica Radić

 

 

Le sablier, la main                       ПЕШЧАНИК, РУКА

 

 

Nous tombons sans bruit. Nous sommes des grains de sable.                  
Nous tombons, rouges, pâles.

Le paradis et l'enfer sont enfermés
dans un récipient en verre.                                                                                          

Lorsque le dernier grain tombe,                
le paradis reste vide.

Notre silence, commencé en enfer,                                   
n'intéresse personne.

Mais, quand une main invisible
retourne le sablier,
le paradis et l'enfer
s'inversent immédiatement.                                   

Nous tombons vite, mesurons le temps              
enfermé dans du verre, s'écoulant 
vers l'enfer.

Nous tombons sans bruit, nous sommes des grains   
de sable fin.

 

 

 

 

L'escalier, deux anges             СТЕПЕНИШТЕ, ДВА АНЂЕЛА

                                   À Stefan et Daïana                                 

 

Nous sommes venus
pour
offrir un brin d'amour                                    
avec nos petites mains que   
nous avons ouvertes
le jour de notre naissance.                            

Avec des pleurs vigoure
Nous sommes venus
pour
offrir un brin d'amour 
avec nos petites mains que
nous avons ouvertes
le jour de notre naissance.                                  
                            

Avec des pleurs vigoureux,
avec un sourire silencieux,                
la vie s'appuie
sur
la vie :
nous montons
l'escalier.

Quand on nous enlève l'eau et
quand on nous
éteint la lumière
nous nous tenons 
les mains.                                                                     

La vie prête l'oreille
à la vie :
sans
voix nous
montons.

Ce matin, les anges                   
retournés
au ciel,
dans le noir brillent                         
les traces de petits pieds.                  

Aussi montons-nous
l'escalier
depuis lequel
ils
£se sont envolés.

 

 

 

 

 

 

UNE HISTOIRE DU BOIS                    ПОВЕСТ О ШУМИ

 

 

 

Notre maison disparaît.

La maison, qui a enduré une tempête                                 

de fer et un déluge

couleur de rouille.

La maison, qui n'a pas brûlé

dans le feu,

qui n'a pas été effacée

par l'eau.

 

Elle a resplendi sur nous                                           

d'une lumière verte.

Nous croyions,

comme des enfants, qu'elle

était là,

pour toujours.

 

Près du fleuve elle

se tenait

seule.

 

Sans jardin et

sans portail.

Elle n'avait

ni portes

ni fenêtres.

Ni murs, ni

toit. Dedans

il n'y avait pas

de foyer.

 

Construite des seuls

rayons de soleil :

elle nous abritait et

nous protégeait. Oui,

des fauves

des bois.

 

L'eau émeraude

coule à travers

le ciel

du soir,

 

comme

le conte de fée que

nous aimions tant.                                

 

 

La lecture d'un conte de fées.          ЧИТАЊЕ БАЈКЕ

 

« Déchire les journaux, froisse-les doucement
pour laisser suffisamment d'air,
entre les lettres.

Range le bois pour qu'il soit comme
des mains, jointes pour la prière.
Allume-le avec une allumette. » 

(Dans le poêle commencent à brûler
les photographies, les phrases
d'une publicité.)

« À présent, reprends ton souffle. Lis
un conte de fées, La flamme dans un coquillage,
par exemple. »

Ainsi notre père nous apprenait-il
à allumer le feu
et à maintenir la flamme.

Je ne savais pas que ce feu
brûlerait devant mes yeux,
à jamais.

La lecture d'un conte de fées est, en réalité,
un court répit pendant que tu allumes
le feu.

Lire un conte de fées, c'est se remémorer
ce qui n'a pas disparu
dans la flamme.

 

 

 

LES JOURS DE FROID          ХЛАДНИ ДАНИ

 

Choisir les légumes, le riz, la viande et
le poisson, préparer le repas pour la famille,
le servir.

Faire la cuisine, je médite sur cet acte quotidien,      

simple, mais parfois
très dramatique.

Je me souviens des journées froides, où 
il a été difficile de trouver un 
œuf, une pomme de terre.

Le choux coûtait plus cher
qu'un frigo, qu'une
tête humaine.

Les fruits d'alors, aujourd'hui invisibles,
je les pose dans mes paumes pour
évaluer leur poids.

Je veux juste sentir la lumière de la poire
des bois. Ce qui a nourri
nos enfants.

 

 

 

Les frontiÈres          ГРАНИЦЕ

 

Je ne veux être qu’un insecte lumineux
de ma vie nourrir une hirondelle
la femelle qui retourne dans le sud.

Rien que devenir
son rêve, et son
vol lointain,

où que je sois, 
dans
ce monde.

 

Présentation de l’auteur

Kayako Yamasaki

Born on September 14. 1956. in Japan. She has been living in Belgrade since 1981. She writes poetry and essays in Japanese and Serbian. She is a member of Serbian Literary Society.

Six of her poetry collections have been released in Japanese: Tori No Tameni(To Birds, 1995); Ubusuna, rodina(Homeland, Rodina, 1999); Bara, Mishiranu Kuni(Rose, Unknown Country, 2001); Hisoyaka Na Asa (Hidden Morning, 2004); Atosu, Shizukana Tabibito(Atos, Silent Travelers, 2008); Miohayami(Miohayami, 2010) and six in Serbian:Skriveno jutro(Hidden Morning, 2001); Rodina ubusuna(Homeland, Ubusuna,2004); Sanovnik, reka(Dream Book, River,2005); Olujni breg(Stormy Hill, 2008), Vodeni cvetovi(Flowers in water, 2015); Svetlosna obala(The Shore of light, 2016). She has translated works of many Serbian poets (Desanka Maksimović, Stevan Raicković, Miloš Crnjanski etc) and romans of Danilo Kiš: Rani jadi(Early Sorrows, 1995); Enciklopedija mrtvih(The Encyclopedia Of The Dead, 1999);Bašta, pepeo(Garden, Ashes, 2009). 

She has written the study Japanese Avantgarde poetry, (Belgrade, 2004). She is also the author of a few collections of essays in Japanese: Beogurado nisshi(A Poetry Diary from Belgrade, Tokyo, 2014) ; Pan to noichigo(Bread and wild strawberries, Tokyo, 2018).

She has won the Annual award for translation into a foreign language 1995/96. (Serbian P.E.N. Center, Belgrade), Yomiuri Prize for literature (Tokyo, 2015), the Milica Stojadinović Srpkinja Award for Serbian poetry (Novi Sad, 2015) and the Veselin Lučić Award for Literary work (Belgrade, 2017).

 

 

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