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L’arbre de vie de Tomaz Salamun

Tout vrai poète est un monstre

Tomaz Salamun

 

 

Il convient de saluer chaleureusement la naissance d’une aventure telle que celle des éditions franco-slovènes, emmenées par Zdenka Stimac avec l’aide de Christine Maillet. La maison est née en février 2012 sur la base d’un constat que l’éditrice expose ainsi : « (…) c’est après avoir sollicité souvent en vain les éditeurs français pour leur présenter tel ou tel auteur inconnu qui écrit dans cette petite langue qu’est le slovène, et n’est donc publié nulle part – ni en France ni dans quelque autre « grande langue » –, et regrettant de ne pouvoir offrir au lecteur francophone la possibilité de le découvrir, que je décide un jour avec l’enthousiasme de qui ne sait pas quelles difficultés l’attendent de me lancer dans l’aventure de l’édition et crée les éditions franco-slovènes & cie ». Effectivement, se lancer sur les chemins de l’édition est une aventure, une des plus belles qui soient d’ailleurs. Le projet est beau, ici, par nature : faire découvrir un monde qui nous est en grande partie étranger, bien que situé à… quelques encablures de Paris. Mais le cerveau français est très particulier. La maison d’édition se donne donc pour projet (avec comme maîtres mots le plaisir et la liberté) de faire découvrir la prose et la poésie slovènes, contemporaines et classiques, ainsi que certains pans des littératures de l’ancien bloc de l’Est. Nous ne nous en rendons pas bien compte de ce côté ci du rideau de fer mais l’ancien bloc, eh bien, cela pèse encore à l’Est.

Les éditions franco-slovènes viennent donc de faire paraître leurs premiers ouvrages. Un roman (Balerina, Balerina de Marko Sosic) et deux recueils de poèmes de Tomaz Salamun (Ambre ; L’arbre de vie).

L’arbre de vie est une anthologie composée à partir d’une vingtaine de recueils de poèmes du poète slovène Tomaz Salamun. Le poète n’est pas inconnu des lecteurs de Recours au Poème puisque l’on peut découvrir son atelier dans nos pages. Salamun est né à Zagreb en 1941 mais a grandi à Ljubljana du fait des aléas politiques du régime totalitaire. Jeune adulte, la poésie lui est en quelque sorte « tombée dessus » ainsi qu’il aime à dire, et le poète s’est rapidement retrouvé à la tête de la revue Perspectives, revue qui déplaisait en grande partie au pouvoir d’alors. Du reste, Salamun a connu l’emprisonnement suite à la parution de son poème Douma 1964. Libéré suite à une action internationale, en particulier dans le New York Times, en une époque où l’intelligentsia française chantait des louanges au camarade Mao, il a échappé à la peine de 12 ans de prison dont on le menaçait. Puis, peintre autant que poète, il a beaucoup voyagé, et vit et enseigne maintenant la plupart du temps aux Etats-Unis. Son œuvre est publiée par les plus grands éditeurs américains, espagnols et allemands, elle est aussi très lue aujourd’hui en Chine.

Lire L’arbre de vie permet de découvrir la force, la richesse et la diversité de l’œuvre poétique de Tomaz Salamun. Une poésie qui mêle un rythme (parfois) endiablé, comme un chant au rythme contemporain (Garçons morts), et une écriture sereine : « les pierres du repos, les allées de l’espoir ». Cette poésie raconte aussi des histoires, autour du quotidien, de l’amitié, des relations difficiles entres êtres humains, de la colère, par moments, devant l’extraordinaire capacité d’acceptation des hommes/masse (Où êtes vous, multitudes excitées). Avec en toile de fond aussi la présence de ce « fantastique » (du moins, de ce que nous appelons ainsi en nos contrées) propre aux anciens pays de l’Est (Le 11 novembre 1954).

Et ce poème qui donne son titre à l’anthologie :

 

 

Je suis né dans le blé en claquant des doigts
Une craie blanche a traversé un tableau vert.
La rosée m’a posé par terre.
Je jouais avec des perles.

J’ai appuyé les champs contre mon oreille et les plaines.
Les étoiles gazouillaient.
Sous un pont, j’ai ciselé une inscription : je ne sais pas lire.
On lavait les usines avec de l’eau salée.

Les cerisiers étaient mes soldats.
Je jetais mes gants dans les ronces.
On mangeait du poisson avec un couteau à pain en or.
Dans le lustre au-dessus de la table toutes les bougies ne brûlaient pas.

Maman jouait du piano.
J’ai grimpé sur les épaules du père,
Marché sur des champignons blancs, regardé des nuages de poussière.
De la fenêtre de la chambre touché des branches.

 

 

La poésie de Salamun, porteuse de l’expérience de la vie à l’Est et de celle de l’exil, propose aussi un regard intériorisé sur l’homme, ce qui est le propre d’ailleurs de toute poésie authentique. Elle se fait alors humaniste :

 

 

Quand il n’y a plus
conflit entre le mot
et la vérité,

nous nous trouvons au point
d’équilibre. Il n’y a nulle
différence entre

les étoiles
et notre entendement.
Le corps se

déplace librement,
nage. Il est offert sans
aucune ombre.

 

 

Tomaz Salamun est un poète à découvrir en langue française.