Les chemins du poème à partir de Contre-jours de Patricia Castex-Menier
1. Le chemin des ombres
Contre le jour, il y a la nuit, celle qui attend chacun et dont on ne revient pas. Dans « l’arasement des images », la poétesse fait le récit pudique et émouvant de la mort de l'être aimé avec la nécessité d’ancrer sur la page ses dernières traces de vie.
Quatre parties numérotées ouvrent des poèmes construits toujours de la même manière dans de nombreux livres de l’autrice : chaque vers se présente avec un premier et seul mot.
I. Ce qui subsiste encore de dérisoire est « de la plus haute importance ». Tenter de « déshabiller l'inquiétude » en même temps que le langage. Recueillir avec une infinie tendresse les paroles de l’aimé : « Fais / attention à toi » … « S'il te plaît / les oiseaux» ... « Tant pis / je m'en vais».
Empoigner la douleur. Retenir les moindres mots, les moindres gestes du quotidien.
II. À l'hôpital, tout est manque et la dépossession de l'aimé ne cesse de grandir. Méconnaissable, il a encore la force de murmurer : « Sois douce/ aide-moi» ... « C'est / fini » ... « On /attend».
Patricia Castex Menier oppose à l’insupportable du vécu la précision extrême d’un vocabulaire concret qui tente d’exorciser l’extrême de la douleur. « Quel/ délai ? // Renoncer / à l’arbre / Pour s'accrocher à cette branche-ci. » L'homme colère, l’homme révolté a disparu : « Tu / accueilles / ta / part de la misère commune. »
III. Le passage du cadavre à la poussière.
Ne pas se raconter d’histoires qui embellissent la mort. Des phrases nues pour affronter ce qui semble au-delà des mots.
« Ce / soir en vérité le ciel rougeoie /dans un grand autodafé de poèmes. »

Patricia Castex-Menier, Contre-jours, L’herbe qui tremble, 135 Pages, 17 €.
IV « On / m'a greffé ta mort ». Le monde continue, se réduit et « Il / n'y a personne / à la maison ». Seulement le silence. Le chagrin se nourrit de tout. Reste le mot ultime de l’aimé : « Merci » qui donne peut-être une minuscule lueur dans l’épaisseur du chagrin.
La belle postface de Pierre Dhainaut est d’une grande justesse. : « L’écriture à laquelle Patricia n’a pu se dérober est ce mouvement qui vient de l’amour et doit faire face à la mort : leur rencontre inspire le poème ».
La sobriété et la beauté des peintures de Shi Qi accompagnent avec délicatesse l’autrice dans ses chemins de nuit où cependant quelque éclat de lumière s’insinue.
Le titre du recueil Contre-jours renvoie à un terme utilisé en photographie : Éclairage d'un objet qui vient du côté opposé à celui d'où l'on regarde.
Patricia Castex-Menier dessine les contours sombres de son chemin de deuil, avec la silhouette de plus en plus évanescente de l’aimé qu’elle ne nomme pas. Un grand contraste se profile entre l’homme voyant, à l’œuvre immense, et celui qui se décompose sous ses yeux.
Les derniers mots si précieux de Werner Lambersy sont rapportés, comme une prise de vue sur la grandeur et la beauté de ses livres qui persistent et insistent.
N'est-ce pas dans l'arrachement que prend sa source le poème ?
Les mots du poème, disait récemment la poétesse, sont ceux du silence, ils en émanent, ils y retournent, les seuls authentiques parce qu'ils ne viennent pas de la volonté et ne s'ajoutent pas, ils révèlent.
Patricia Castex-Menier est parvenue cependant à écrire des petits bouts de phrases. Comment passer de notes prises au jour le jour à un recueil ?
On pourrait imaginer que le matériau premier s’est cristallisé, disloqué dans le fil de ce qui s’est détruit jour après jour, mais en dessous, il s’est reformé pour participer à la continuité d’une trame. Enjamber les blancs pour passer d’un mot à un autre, veiller, réveiller, ranimer. Un renversement s’est produit pour se rejoindre, rejoindre l'autre et tous les autres.
Le poème donne présence aux vivants et au morts. Présences qui s'offrent et se dérobent dans un appel à une mémoire commune. Avec un écart, le lecteur se rencontre lui-même dans des points évanescents mais vivants.
Il est urgent de noter les moindres choses, les moindres gestes du quotidien. Dans l’irrémédiable de la mort,
Le poème, à défaut d’une sorte de résurrection, d’une renaissance, ne permet-il pas une persistance, une insistance de lueur dans les ombres ?
Comme une nécessité d’en passer par les points obscurs du silence, du manque, de la violence du réel pour s y’opposer. Les mots utilisés sont simples, font partie pour la plupart d’un vocabulaire ordinaire. Mais ils sont détournés de leur banalité, ne conservant dans un démantèlement de la langue que ce qui lui résiste. L’insignifiant, l’anodin prennent une valeur ultime dans le poème.

Patricia Castex-Menier, avec une grande économie de moyens et de justesse porte le langage à sa plus haute intensité. Sa démarche n’est-elle pas comparable à celle d’Alberto Giacometti ? Ne pas amasser glaise ou mots, mais retrancher, défaire. La syntaxe semble suivre le processus de destruction. Ce qui échappe, ce qui se casse, donne rythme, mouvement aux phrases qui portent et emportent.
Le dénuement donne une grande valeur aux mots, aux rapports d’un mot à un autre, donne de l’air, une respiration. Un espace est donné à la vie, inséparable du manque et de la mort.
Dans les pas du chemin intime du poète, chacun peut marcher et trouver sa propre allure et respiration.
Bien qu’insaisissables, tous les temps sont convoqués : passé, présent, futur et même l’éternité. Les souvenirs ne sont retour en arrière que pour aller à l’avant du poème. La poésie de Patricia Castex-Menier a toujours été en avant et son évocation du passé n’est-elle pas sa manière de retrouver L’instinct du tournesol ?1
La langue poétique nous déplace hors du temps, vole un grain de sable, une parcelle d’air et de lumière.
Rester debout quels que soient les drames. La verticalité des poèmes de la poétesse nous y incite et déploie « un nuage de sens »2… Dernière page :
Merci,
as-tu dit,ce mot ultime
qui
sacralise les lèvres
Le poème a une dimension sacrée : il est plus grand que nous.
Il contient une réciprocité de mercis : ceux que nous avons reçus, ceux que nous donnons à notre tour et un merci à la vie qui va on ne sait où.
Patricia Castex-Menier écrivait, s’adressant à l’aimé : « le / poème sera toujours nous », mais aussi : « Un poème que tu ne liras pas // reste-t-il un poème ? »
Cependant, nous lecteurs, avons la chance de résonner à ses poèmes qui nous émeuvent, dans le partage de notre condition éphémère.
À l’impuissance, à l’inéluctable,
La poésie, parole vive, donne le sentiment, peut être illusoire, d’une résistance au temps et à la mort.
Je/ ne veux pas, / résolument/ de / cette pente toujours possible3.
Dans le noir, comme les arbres, nous tenir debout, comme les oiseaux, inventer des chants qui bougent nos ombres.
Dire, dit-elle, 2 : Partage de quelques poèmes de Bouge tranquille, de Patricia Castex-Menier, Cheyne éditeur, par Estelle Fenzy.
Pour dans le poème, continuer à donner présence à elle-même comme à celui qui a disparu, je propose à Patricia Castex-Menier de nous offrir des poèmes inédits :
La
brume a coiffé les monts
puis
glissé le lac au fond de sa poche
Une
disparition légère tout en délicatesse
comme
celle dont tu m’avais dit avoir rêvé
pour
m’épargner le poids du chagrin
Tu
as laissé tes derniers poèmes
dans
les poches de mon long manteau
de veuve
Et
quand mes mains gelées
cherchent un peu de réconfort
j’ai
si peur d’en froisser les pages
L’eau
des larmes ne fait pas écran
J’y
vois la mer
que
peut-être tu entends encore
Notes
- Patricia Castex-Menier, L’instinct du tournesol, Les Lieux-Dits éditions, 2020, 37 P. 7 €.
- Dans les clairs obscurs du poème, article de Gérard Mottet, Poésie Première, numéro 91.
- Patricia Castex-Menier, L’instinct du tournesol, Les Lieux-Dits éditions, 2020, 37 P. 7 €.
