1

Marco Geoffroy, SUR UNE ÎLE, IMMOBILE, et autres poèmes

Micro-moment
Une seconde
Ou deux
Tout ce qu’il me faut pour me faufiler
Entre tes mots
Une fraction
Entre lune et soleil
Un craquement de doigt

Du sud au nord de mon être
Le cul au neutre
Car ici on ne souffre pas
Le monde n’a pas encore corrompu ses eaux
Les poisons sont patients
Tout viendra

À la tombée de nous
Les yeux dans les ouvrages
Les sangles du livre
Laissant place à l’absence
Ce monde en couleurs
Épiant le soleil
À des kilomètres de tout

C’est un fait
C’est documenté
Une cymbale sait trancher une gorge

 

À JEAN-PAUL DAOUST,
POUR PARAPHRASER TON AMÉRIQUE ÉPINGLÉE D’ÉTOILES

 

La danse tributaire des Amériques
Transcendée dans l’oubli
D’un profond complot perdu sur la photo
de la Révolte mal armée
est exécutée sur les pavés de vos ruelles désertes.
(Jean Sioui)

À défaut de sang bleu
L’Amérique s’invente des dynasties
De pétrole.
(Jean-Paul Daoust)

 

Amérique Star-spangled banner
LAND
OF
THE
FREE
liberté maudite
Amérique pudique
ludique
Amérique compacte
tes disques roulent dans tous les lecteurs
Amérique parabole
tes symboles dans les printemps de nulle part
L’Amérique s’étend
se tentacule
méduse sans corps aux quatre coins cardinaux
elle agrippe mes testicules
les traîne dans l’amour
Amérique obscène tu peux me tutoyer de tes valeurs
m’inculquer tes rites
m’enculer avec tes cultes
d’une religion qui engraisse sans cesse
qui ajoute de la chair autour des os
d’une Amérique carnivore
du luxe au besoin
de l’opulence à la famine
stars anorexiques
vos défauts en caractères gras

On a érigé un dôme par-dessus les décombres
des souvenirs douloureux
on castre les blessures
dans les Opéra-Rock
les guerres à grand déploiement
levons nos verres Amérique saoule
qui voit double
à voile et à vapeur
America twin-enginebolides d’enfer
Toys-R-Us jouets de 
fer et barres à clous
baromètre de la Terre
jauge du Cosmos
mère de nos habitudes de nos secrets
et de tous nos vices
nos vies solitudes
Amérique Poor Lonesome Cowboy
And a long long way from home
Amérique blonde loin de notre noirceur

Nos vies américaines font la guerre
nous sommes victoires
nous sommes Amérique interrogatoire
Commission McCarthy
chasse aux sorcières
le devoir la bannière
Guantanamo Bay
Amérique militaire
John F. Kennedy Nineteen-sixty-three
Amérique Sniper
NRA - In Guns We Trust
le meurtre prospère dans cette Amérique révolver

Améri-K-K-K
les tuniques blanches
Amérique crucifix
croix de fer croix de feu
en fusion
Amérique sacrifice
la race suprême
l’Amérique plurielle
Amérique pirate
les os croisés tête de mort sur fond noir
Amérique Jolly Roger plein la gueule
la destruction massive
Amérique ogive
Amérique monochrome
de Speak White à White Power
de meurtre blanc à mort noire
une couleur une saveur
Ku Klux Klan Happy Hour
je m’en lave les mains qu’elles redeviennent blanches
putain d’Amérique Sold Out

Amérique exponentielle
Amérique obèse Supersize
duo Hamburger & French Fries
ton amazing graisse
coule et laisse des flaques arc-en-ciel
sur les trottoirs du Walk of Fame
le paradoxe d’une Amérique Hollywood
droite mince comme un Catwalk
qui rend le rêve possible
nos hommages à ton drapeau silicone
tes lignes rouges et blanches bien bandées
tes étoiles Fight For Freedom dans ton ciel bleu bien encadré
tes murs à mettre sur pied
il faut se protéger
Because on a absorbé tous les pays
recyclé toutes les guerres
on envahit la terre de notre propre paix
coup de poing coup de balai
la fin du monde est prévue pour le générique
Amérique Box-Office

America
tes symboles dans les printemps du Monde
Amérique pure
grandiose
armée jusqu’aux dents

 America the beautifool
HOME
OF
THE
BRAVE
Amérique
ton drapeau flotte là où je m’endors
Amérique barbiturique

 

 

 

 

LE NACRE DE LA DOULEUR

 

Ce baume est plus lourd que la blessure
le sang de l’amour bat le cœur des statues
la scène coule les têtes roulent
les arômes fendent les eaux
les musiques enfantent des refrains
dans la chair du silence
sur le bûcher les verbes tombent
comme des points d’exclamation

Sens contraire à son corps
une bonne-sœur éponge sa poésie
efface ces lignes blanches qui tachent nos moustaches
ces doigts qui s’attachent aux crevasses des mélodies
aux commandes de la vérité
les ordres sont les ordres
avides de bruits
les soldats piétinent la cacophonie automnale
des feuilles dans les courants d’air
dans un combat à finir
les tranchantes lames de cette douleur
ricochent sur nos peaux

La guillotine suit son cours
s’étendent les amours animales
les amours rasoirs
les amours normales
un visage sans langage vole l’espace
et ses silences mortels
il répand les combustibles
étale ses contraires partout
dans le vivant
dans le fond de boîtes à musique
s’étend un passé
drogué jusqu’aux ongles

Nus face aux astres
un masque à gaz dans un champ
dans la nuit blanche et bruyante
cette douleur est contagieuse

 

Présentation de l’auteur

Marco Geoffroy

Né en 1976 à Saint-Jean-de-Matha, Marco Geoffroy  reçoit en 2012 le Prix Alphonse-Piché de l’Université du Québec à Trois-Rivières pour la suite poétique Coma symphonique publiée la même année aux Écrits des Forges. Parmi ses publications subséquentes, on compte Radio Nuit blanche (2012) et Trames sonores (2016) chez Bouc Productions, ainsi que Album triple (2015), Bruits (2017) et Ne tirez pas sur le pianiste (2019) aux Écrits de Forges. Il a aussi collaboré à plusieurs revues littéraires (Moebius, Exit, Le Sabord).

Autres lectures