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Margherita Rimi, Le voci dei bambini (Les voix des enfants)

Spécialiste de l’enfance, Margherita Rimi nous livre dans ce recueil une parole intime et bouleversante : celle des enfants victimes des adultes, à travers des mots recueillis sur une période de dix ans, de 2007 à 2017, qui s’élèvent dans un seul et unique cri.

Le livre s'ouvre sur un poème, le « dieu des enfants », qui tient lieu d'introduction et nous précipite dans l’enfer de l’enfance abusée, violée, opprimée, méprisée. « Ils disent qu’il existe un Dieu des enfants / Je suis sûre qu’il existe. » (p.5)

Suivent des voix croisées mêlées de rêves et d’effroi, des voix qui interpellent, questionnent. En toute simplicité et humilité, tout au long des poèmes regroupés en cinq parties qui portent des noms de couleurs en écho aux dessins des enfants, Margherita Rimi offre la parole à ceux qui ne l'ont pas, à ceux qui ne l'ont plus, à ceux qui ne l'ont jamais eu.  Des enfants dont le lecteur ne connaîtra rien d’autre qu’une silhouette, parfois un âge ou un prénom, rien de plus.

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini (Les voix des enfants), Éditions Mursia 2019, 84 pages, 15 euros.

Si l’on peut voir, dans ces portraits en creux, un respect de l’anonymat, on peut aussi y percevoir le peu d’importance qu’ont ces enfants aux yeux des adultes qui les exploitent, des enfants qui ne sont rien, dont certains sont réduits à un seul numéro de matricule « sans papiers d’identité / sans effets personnels » et avec lesquels la poète ébauche un dialogue : «  Nous allons raconter une histoire / un peu moi / un peu toi »  en leur faisant mettre des mots sur ce qu’ils dessinent, des mots arc-en-ciel telle une arche gigantesque qui prend sa source dans l'indicible d'ici-bas et se déploie pour atteindre « le Dieu des enfants ». Mais la présence du noir, insolite, nous ramène à la réalité : dans arc-en-ciel, il y a le mot « arc », arme de guerre et de chasse, un arc tendu dans la force du cri et que l’auteure utilise pour projeter les mots du poème comme autant de flèches transperçant les consciences, des flèches d’autant plus percutantes que les textes sont brefs, incisifs, violents et dont les mots sombres et sans détour, glacials et terrifiants, disent – sans pathos – le dégoût, l’horreur et la misère.

 

On a ramené un cadavre 
de sexe féminin
âge apparent 9 ans.

 Le corps de l’enfant pend à une corde et apparaît complètement suspendu.
Les pieds à une distance de 40 centimètres du sol, les bras le long du corps. 
(p.27)

 

Ils m’ont vendue
Mon père avait besoin d’argent (p.53)

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Il Dio del bambini.

 

Ainsi, dans cet étrange arc-en-ciel, le blanc devient symbole de la candeur bafouée, le noir celui de la guerre et de la mort, le bleu celui de l’exploitation économique, le rouge celui des mariages imposés et des grossesses prématurées etc. Quelles que soient les situations, la culpabilité est toujours transférée sur l’enfant, un enfant jamais écouté, jamais entendu, contraint au silence car sans cesse menacé :

 

 Ils m’ont dit de ne pas parler
de me taire  

 de toute façon ils me prennent pour un menteur » (p.67)

Ils vont me tuer si je dis ces choses (p.13)

 

Les mots de Margherita Rimi savent néanmoins se faire poétiques tout en restant au plus proche de ceux de ces enfants-objets, monnaie d’échange, victimes d’abus sexuels, exploités dans un total mépris de leur souffrance.

 

Il y a tant de vers 
qui mangent les couleurs

 il y a tant de vagues
hautes hautes

 si hautes qu’elles brisent le ciel

et si le ciel se brise
il n’y a plus le soleil
et la nuit 
(p.68)

 

La présence de l’auteure, discrète et respectueuse, nous laisse libre d’interpréter ces bribes de récits dont les vers espacés par de nombreux interlignes, parfois éclatés sur la page et dépourvus de point final, reflètent les phrases hésitantes qui restent en suspens, les cris étouffés de ces enfants dont le rêve de vengeance apparaît comme une justice permettant leur reconstruction.  

 

Quand je serai grand

je le tuerai  (p.21) 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Quasi un'intervista.

Ce nouveau recueil où l’ignoble côtoie l’innocence et le rêve témoigne, une fois de plus, d’une poésie engagée, porteuse d’une valeur sociale et éthique, luttant contre la maltraitance qui pour certains adultes est considérée comme une norme.  Bien après avoir fermé le livre, ces voix d’enfants, comme un cri d’alarme, résonnent encore longtemps en nous.

 

Le voci dei bambini 
Les voix des enfants
(extraits des pages 32 à 36)

 

Traduction Irène Duboeuf

 

 

 

Li ho sentiti piangere per tutta la notte
Sotto le macerie la mattina erano tutti morti

Come finisce la storia. Così: fine della storia

Ho gridato aiuto
Li ho chiamati – Abbas Mahmoud

Quando siamo arrivati lì c’erano tanti corpi a terra

Non posso guardare più
voglio diventare cieco 

Ho gridato. Nessuno ci poteva aiutare.

 

 

Je les ai entendu pleurer pendant toute la nuit
Sous les gravats, au matin, ils étaient tous morts

 Comment finit l’histoire. Comme ça : fin de l’histoire

 J’ai crié à l’aide
Je les ai appelés – Abbas Mahmoud 

Quand nous sommes arrivés il y avait de nombreux corps au sol 

Je ne peux plus regarder 
Je veux devenir aveugle

J’ai crié. Personne ne pouvait nous aider

 

Margherita Rimi, Le voici dei bambini, Bianco.

Abbiamo tirato fuori i miei fratelli

uno stava pregando

uno sorrideva

Erano così belli

 

Io ero ferito
non avevo paura però piangevo

Mia madre sopra di me era morta
mi ha salvato ma lei è morta

 

Adesso non voglio parlare più

 

Ci sono stati i bombardamenti
io credevo un terremoto

 

siamo usciti e non abbiamo visto più niente.

 

 I miei occhi
                              hanno fatto una foto
                              così mi ricordo

mia madre

 

 

 

Nous avons sorti mes frères

l’un était en train de prier

 l’autre souriait

 Ils étaient si beaux

 

Moi, j’étais blessé
je n’avais pas peur, pourtant je pleurais

 

Ma mère sur moi était morte

elle m’a sauvé mais elle, elle est morte

  

À présent je ne veux plus parler

 

Il y a eu des bombardements
je croyais que c’était un tremblement de terre

nous sommes sortis et n’avons plus rien vu

 

mes yeux
                  ont pris une photo
                  comme ça je me souviens 

de ma mère

 

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Verde.

Présentation de l’auteur

Margherita Rimi

Margherita Rimi vit en Sicile, à Agrigente. Neuropsychiatre pour enfant, elle mène une activité de premier plan contre les violences et les abus perpétrés sur les mineurs et les enfants porteurs de handicap. Elle fait partie de la rédaction de Quaderni di Arenaria et de FuoriAsse et collabore avec d’autres revues italiennes. Parmi ses recueils de poèmes, Per non inventarmi, (Pour ne pas m’inventer) préface de Mailena Renda (Kepos 2002), La cura degli assenti, (Les soins aux absents), préface de Maurizio Cucchi (LiettoColle 2007), Era farsi, autoanthologie 1974-2011 (C’était se faire, auto-anthologie 1974-2011)  préface de Daniela Marcheschi (Marsilio, 2012), Nomi di cosa – Nomi di persona, (Noms de chose, noms de personne), volet de couverture de Amedeo Anelli (Marsilio, 2015), Le voci dei bambini, poesie 2007-2017 (Les voix des enfants, poèmes 2007-2017), volet de couverture de Guido Oldani (Mursia, 2019).          

Elle a publié également La civiltà dei bambini. Undici poesie inedite,e una intervista  (La civilisation des enfants, onze poèmes inédits et une interview) aux éditions Libreria Ticinum Editore – CISESG, 2015 et Una lingua non basta. Contributi su poesia e infanzia (Une langue ne suffit pas. Contributions sur la poésie et l’enfance) aux éditions People&Humanities, 2018. 

Elle est présente dans des anthologies italiennes et étrangères : Antologia di poeti contemporanei, Tradizioni e innovazione in Italia (Antologie de poètes contemporains, traditions et innovation en Italie) collection dirigée par Daniela Marcheschi (Mursia, 2016), În corp de val (Roumanie) collection dirigée par Eliza Macadan (Eikon, 2017), Mille anni di poesia religiosa italiana(Mille ans de poésie religieuse italienne) collection dirigée par Daniela Marcheschi (EDB, 2017).

Ses poèmes ont en outre été publiés séparément dans des revues italiennes et étrangères parmi lesquelles «Poesia», «Il segnale», «Poezia. Revistă de cultură poetică», «Terres de femmes», «Exit». 

Parmi les prix reçus, on peut citer le « Piersanti Mattarella » (2017) et le « Dillo in sintesi » (2017) avec l’artiste Letizia Battaglia. Son travail poétique sur l’enfance a été reconnu par l’Unicef Italie en 2016.

 

Poèmes choisis

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