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Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes

D’Olivier Barbarant, on a pu lire chez Gallimard (hors ses forts recueils édités par Champvallon) les Odes dérisoires et autres poèmes, une anthologie publiée en 2015 dans la petite collection poésie. Ce poète frappe par une caractéristique singulière. 

Que pour moi résumerait de façon percutante ce haïku en métrique française 6/8/6 (le haïku japonais, c’est 5/7/5) intitulé « Écriture » (p.46) :

Du bout de son groin d’or
Le stylo cherche dans la neige
Une lumière noire

 

On dirait en effet qu’à l’inverse de beaucoup de poètes qui partent de la matière, obscure, constituée de lumière minérale intra-atomique mettons, pour des élans qui dévoileraient quelque intime, invisible architecture cosmique, Olivier Barbarant tente constamment d’atteindre avec les mots un univers matériel qui se dérobe. Il part de l’esprit pour tenter d’approcher la réalité de la matière, par un processus assez voisin du scientifique cherchant à vérifier une hypothèse en l’expérimentant sur l’univers matériel dont il voudrait rendre compte.

Olivier Barbarant, Séculaires, Poèmes , Gallimard, NRF, 130 pages.

Mais non pas un univers matériel « mort », sec, à l’exemple de la « craie de l’école », mais une matière organique, charnelle, vivante, qui puisse orienter notre façon de nous construire, grâce au détail des mots qui « donnent à voir » (Éluard), un monde qui ait une âme, entendons une « anima » au sens latin, un élan vital collectif à détecter à travers le palpable, le concret. En ce sens, le poète s’obsède de ce que j’appellerais le matériau vivant, cela qui recèle le mystère grâce auquel les êtres humains « font monde » à travers leur relation à ce qui est ; confèrent à ce qui est une existence qui se voudrait physique. Ainsi écrit-il (p.51) :

Mettons que je crie, que j’écris toujours comme à la craie pour tenter de retrouver,
dans celle des mots, la chair des choses.

 

Une démarche au cours de laquelle le langage poétique implicitement enregistre les indices d’un conflit entre le subjectif et l’objectif. Le paradoxe étant que plus ses mots visent à l’objectivisation du subjectif - retrouver la chair des choses -, plus la subjectivité du poète se reflète dans l’énoncé de son poème ! Plus la réalité dite apparaît fugace, plus dans les mots elle s’éternise. Désormais « séculaire », du conflit surgit alors une beauté insolite, qui ne se refuse rien (surtout pas ce que communément l’on jugerait apoétique) et dont les formules auréolent tel trait qui hypnotise (p.13) : 

[...] À ce moment je ne vois plus qu’un détail
Sous chaque aisselle révélée un bouquet de poils noirs qui retient le regard
Avec ce mélange de gêne et d’insistance cependant par quoi l’on se sent fasciné  
Cette tache animale faisant d’un coup passer la parfaite peinture dans le monde                               
                                                                                                                               [des corps
Comme le rêve dans la vraie vie

 

Cette dernière phrase étant typique de la quête de réalité d’un poète qui en quelque manière se sent comme en déficit de réel, et convoque le langage-en-poème pour y remédier, pour que son image peinte au miroir de la conscience rêveuse gagne en épaisseur concrète, en présence. Par ce même besoin de réaliser, le personnage de la compagne aimée passe de l’irréelle aisance de la beauté subjective à la réalité objective, rude, consommatrice d’énergie, à quoi les années peu à peu nous acculent (p.26) :

Dans les rues à mon bras je soutiens une beauté si évidente. 
                que nul ne comprend vraiment
comment la fraîcheur du teint l’éclat des yeux clairs s’allient
                à cette fatigue
et avec toi je fais semblant d’en rire

Nous marchons tous deux dans le parc à deux pas de notre maison
en avril tout y explose couleurs et bourgeons

            Tandis que nous passons naissent les apparences[...]

Il y a quelque chose en effet d’une beauté tragique dans cet effort d’assigner à la poésie la tâche de « s’encrer » dans une réalité qui semble évanescente, qui se dérobe dans sa substance profonde, sa texture concrète, je dirais presque : sa vérité. On en viendrait presque à parler de matérialisme métaphysique !

C’est ce qu’on voit également à l’oeuvre dans le lucide « Portrait à l’eau » qu’Olivier Barbarant fait de lui-même. Cette sensation d’un « moi » fluide, insuffisamment réel, qui cherche à travers la langue, à travers « la fruition du langage » (p. 51), sa transmutation en être de fermeté matérielle, que chaque sensation énoncée confirmerait, s’y montre clairement. Témoins, ces quelques extraits (pp. 34 & suivantes) :

Je suis parfois comme la pluie
Parfois comme l’ombre maigre que rogne midi au seuil des maisons[...]

[...]Immobile parfois je me crois comme lui [le jardin] tout parcouru d’oiseaux                   

[…]Et j’ai plus souvent semblance d’averse

[…]De tout cela j’avoue rien ne tient bien longtemps. 
      […]Tout passe et glisse  
            J’ai le coeur fait de flaques
               De l’une à l’autre le pied sautant[...]     

Si bien qu’on se demande d’un jour à l’autre comment    
            [composer quelque chose comme un  visage   
                Quand on n’est que variété
         Avec l’effroi que suscite toute photographie
                Vous présentant tantôt l’oeil mort et l’air inepte du poisson                                                
                    [sorti de l’eau par la cruauté d’une ligne    
        Tantôt une façon d’herbe agitée heureuse et verte sous le vent
               Quelquefois une silhouette d’enfant
                Et d’autres fois un court vieillard strié de rides et de rires
               En se disant qu’il est injuste d’avoir la tête de Voltaire quand
                     [on se prenait pour Rousseau

            Ne croyez pas d’ailleurs que le temps passant offre quelquefois        
                   [avantage                                                                                                                          

  [...]Si bien qu’on accepte ce tohu-bohu qu’on finit par l’appeler.  
                  Moi
                 Comme tout le monde
                 En s’en plaignant mais en priant
                 Tout bas pour qu’il ne cesse pas

 

Dans un texte définitif, Le goût de la craie, (p.47) avec quelques pages denses de récapitulation, le poète dévoile tout son attrait pour le davantage de cristallisation qu’offre à sa vie ce qu’il écrit, par la vertu propre du langage. Le livre s’ouvre ensuite sur une seconde section, qui se présente comme une anthologie au cours de laquelle des fragments de cette cristallisation, mise en pratique année après année, de 1981 jusqu’en 2019, sont prélevés dans des énoncés les moins lyriques possible. S’y trouvent remédités les visions, les croyances et les espoirs de la jeunesse, jusqu’à la borne miliaire du « millénaire »… Autant de poèmes brefs, jetés comme des galets qui ricochent d’année en années sur l’éphanie du fleuve temporel, et jalonnent ces dix-huit années de pierres blanches ou noires. L’image de ces concrétions, de ce cri à chair de craie – j’emprunte la formule même à Olivier Barbarant – se résumerait entre autre dans des vers qui me serviront ici de conclusion à ce livre de poèmes difficiles à oublier :

 

[...]C’était comme si chaque pierre était un sable cristallisé
un morceau du pays mêlé à l’intime mémoire[…]

En tant que lecteur, j’ai beaucoup apprécié de jouer les Petit Poucet, en remontant la piste semée derrière-lui par ce poète singulier.

                                                                      

Présentation de l’auteur

Olivier Barbarant

Enseignant, essayiste et poète, Olivier Barbarant après son bac en 1983 intègre les classes préparatoires au lycée Henri IV, avant l’agrégation de lettres modernes en 1989. Il est l'auteur d'une thèse sur Aragon, dont il deviendra un des spécialistes reconnus.

En 1992, il publie son premier livre, des poèmes, Parquets du ciel, chez Champ Vallon qui restera son éditeur. Il a dirigé la publication de l’œuvre poétique de Louis Aragon dans la Pléiade.

© Crédits photos Francine Bajande.

Bibliographie 

Poésie

  • Les Parquets du ciel, Champ Vallon,
  • Douze lettres d'amour au soldat inconnu, Champ Vallon,
  • Odes dérisoires et quelques autres un peu moins, Seyssel, Champ Vallon,  - Prix Tristan-Tzara.
  • Essais de voix malgré le vent (poésie), Seyssel, Champ Vallon,  - Prix Mallarmé.
  • Je ne suis pas Victor Hugo (prose), Seyssel, Champ Vallon, .
  • Élégies étranglées, Seyssel, Champ Vallon,
  • Odes dérisoires et autres poèmes (anthologie), Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2016.
  • Aurélien, Paris/poésie Saint-Omer, Éditions Les Venterniers.
  • Un grand instant (poésie), Seyssel, Champ Vallon, (ISBN 979-10-267-0765-3) - Prix Apollinaire.

Critique, essais

  • Temps mort: journal imprécis, 1986-1998, Seyssel, Champ Vallon,
  • Louis Aragon, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, édition d'Olivier Barbarant.
  • Je ne suis pas Victor Hugo, Seyssel, Champ Vallon,
  • Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Le Temps des cerises, 2011, préface d'Aragon (1930), postface et appareil critique d'Olivier Barbarant.
  • Le Paris d'Aragon, éditions Alexandrines, 2016.
  • J'entends l'histoire de moi-même - Trois visages d'Aragon (collectif : O.Barbarant, F. Eychart, D. Massonnaud), éditions de la Fondation Gabriel Péri.
  • La juste couleur- chroniques poétiques, éditions Champ Vallon, octobre 2021.
  • Séculaires, éditions Gallimard,

Poèmes choisis

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