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Pauline Moussours, J’étais là et autres poèmes

J’étais là

J’étais là et j’attendais.
Qu’il ne se passe rien.
Que cela continue.
N’ai-je pas toujours attendu ?

J’étais là, pour une fois. Je relevais les yeux. Une fille fumait à la fenêtre. La
fumée bleue de cigarette se mélangeait au souffle clair de sa respiration. Il faisait
froid. Tout me semblait au ralenti.
Elle se montrait du quatrième, je distinguais mal son visage. Je lui donnais des
traits d’après ce qu’elle s’offrait à moi. C’est-à-dire pas grand-chose. À peine un
bout de main qui dépassait de temps à autre.

J’étais là et j’espérais.
J’espérais devenir, une seconde ou deux, le filtre orange dans ses lèvres.
M’éteindre dans sa clope, sur le rebord en pierre.
Un mégot.
Mais pas trop.

          À l’angle un peu, je me cachais pour être sûre qu’elle ne me verrait pas, bien
          qu’elle ne regardait qu’en face. Certainement pas moi. Ses cendres éparpillées
          dessinaient dans les airs des flocons minuscules.
          J’étais là, je les imaginais,
          Modifier, colorier,
          La texture de la ville.

J’avais l’idée du temps qui défilait en m’évitant pour n’exister que dans son geste.
J’étais là, je frissonnais. La cigarette s’achevait.

          Puis un camion passa masquant sa vue de moi depuis le bout de rue.
          La fille était partie.
          Ce fût le début de la nuit.

Alors j’ai su,
Comme ça,
Que le monde au coin de la fenêtre,
N’irait plus s’abandonner.  

 

 

Excusez-moi

Excusez-moi 
j’ai égaré
l’étui de mes lunettes
entre la supérette
et le restaurant japonais.

Excusez-moi
je rêvais
d’une femme nue
dessinée sur un livre
qu’on ne lirait jamais.

Excusez-moi
les phrases humides
ont coulé dans ma bouche
quand j’avais le vertige
jusqu’à la fin du quai.

Excusez-moi
m’avait-on dit qu’il fallait dire
lorsqu’on voulait sortir
à l’angle d’un endroit
sans bousculer personne.

 

 

 

Blouson noir

ouais l’odeur de ta douche dans la serviette humide que tu n’étends jamais

la vie change un peu jusqu’à la cuisine
il faut laver le sol
je suis seule
ébauche encore de mi-journée

          dans les nuages gris
          je vois des moments de visages qui ne ressemblent pas au tien
          d’ailleurs en as-tu un ?
          oui
          mais bof

je repense à l’orage du pays d’avant-hier
il faisait nuit l’après-midi
alors c’est vrai
que pour mieux dire
j’invente des silences

peux-tu n’être personne ?
et pourtant le printemps
sans savoir de qui je parle
peu m’importe
je ne t’écris pas bien

          un morceau de papier dans la poche intérieure
          voilà que tes yeux clairs
          dans l’appartement sombre
          n’ont jamais existé

          il manque une pièce après la chambre
          pour t’inventer correctement
          aussi pour que le temps s’assoit lorsque l’on se regarde
          où que je l’envisage

finalement
tu n’as jamais été un blouson noir

 

 

 

 

Le blues du blues

Avez-vous des problèmes sur le trottoir gris bétonné
dans la fin de saison
espérant acheter les dernières mandarines 
il y a du vent
du vent sous les arcades
je pense à la ville rouge en Italie
qui proposait dans chaque pas
un certain parfum de cinéma
il fait froid sur les terrasses entre les tasses de café
c’est plutôt série B
j’aimerais voler tous les sucres
pour les jeter sur les murs de ces immeubles anciens
encore une fois la ville
devient l’humidité d’un papier peint
il y a les bandes blanches sur le goudron noir clair
les voitures les vélos la chaussure d’un enfant
qui n’attend plus sa mère pour traverser
pour traverser la vie le plus vite possible
en courant d’air et que ça dure longtemps
dans la fin de saison
il y a du temps
du temps sous les feux rouges
comme dans cette ville en Italie
je me suis perdue dans une allée unique
d’un marché trop petit
je voulais acheter les dernières mandarines
sucrées sans les jeter
sur les gens de l’arrondissement
encore une fois la vitre
vient nous stopper de tout
je regarde les vitrines
je ne suis plus cette fille-là qui n’osait pas
rentrer dans les magasins pour dévoiler les choses qui me plaisent
comme les mandarines et les vestes en velours
ce n’est plus la saison 

il y a encore du vent
il y a encore du temps
il y a la vie et puis
merci de patienter quelques instants sur le trottoir gris bétonné
le monsieur de la rue voudrait chanter le blues du blues.

 

 

 

J’ai peur la nuit de nos photographies

J’ai peur la nuit de nos photographies
Contre le mur du fond
Tout tremblant
D’une lenteur imprécise

J’ai peur la nuit de nos photographies
Dans le cadre en bois
Fissuré côté droit
Où je me suis coupée

J’ai peur que les photos
Se réveillent soudain
Pour s’en aller
Demain
Je veux garder ton visage
au-dessus de mon lit
Ton visage qui crie
Demain

J’ai peur la nuit de nos photographies
Qui racontent un peu trop
Les formes floues
De nos deux ombres
Quand nous étions hier
Des films noirs
Sur les pellicules en couleur

J’ai peur la nuit de nos photographies
Blotties côté billets
De mon porte-monnaie
Minuscule et sali

J’ai peur que les photos
Disparaissent
Demain
Pour s’en aller
Demain
Contre la porte ouverte
De la salle de bain

J’ai peur la nuit de déchirer
Cette photo de toi qui traîne
Sur le zinc d’un buffet.

 

 

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