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Rouge contre nuit (1) : Béatrice Marchal, La Cloche de tourmente

Isabelle Lévesque offert cette rubrique à Recours au poème de novembre 2014 à novembre 2016.

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« La bougie brûlait, sa flamme se tordait, s’élevait dans une tension, un effort ininterrompus. »

 

Pour renouer

En italiques, des lignes en prose pour présenter celle qui apparaît comme origine. Tout commence « dans un silence troué de sanglots » où la jeune fille de quatorze ans voit sa grand-mère morte et, près d’elle, la flamme d’une bougie qui semble s’efforcer de monter...

Alors, le poème. Des vers longs d’abord comme cette flamme dans la nuit du chagrin, puis des vers courts, fragiles, suspendus qui malgré tout éclairent :

 

            Source du sourire
            fontaine de force
            forme de la joie
            lumière ! 

Dernier vers : chute sur une prière exaucée qui fait naître dans le présent une capacité à retrouver, à travers les mots, celle qui initia une forme de perception :

On m’a dit que tu passais à travers
les mots de ceux qui longuement contemplent
le monde […] 

Le vers, déployé sur une durée nécessaire, accueille le souvenir devenu « rose / après tant de bleu ». Vers le soleil et le ciel, entre terre et mer, une présence. Trait d’union d’un regard qui éclaire le puits (nul danger). Lumière, devenue anaphore sur le seuil des vers du poème IV, comme on appelle ou reconnaît ce qui, plus grand que soi, ne peut être réduit. Texte après texte, ronde autant que prière, le poème consacre cette présence « devenue invisible » pour un « chant perceptible », associant « lenteur » et « ferveur » dans un hommage à Glenn Gould.

Long vers, à l’escalade du ciel, « arbre » devenu inaccessible pour que de nouvelles feuilles sur « des branches plus rares » se nourrissent de cette lumière captive du ciel.

Charme du passé « où poudroient d’indestructibles pépites », un frère « troué de vide ». En automne, même les fruits arrondis et les dahlias entonnent leur propre chant « en adieu tranquille ». Nuages blancs, échos de neige, la couleur ou son absence et la lecture personnelle du monde : les feuilles d’érable et leur « taches noires », maladie qui les apparente aux « crêpes bien cuites ». Fête de partage et de saison, régal de vie où l’ombre présente son attrait dans un retournement qui fait percevoir une douceur malgré la menace.

Cela retrouvé en l’adulte qui se souvient de l’enfant qu’elle fut dans « le crépuscule d’automne ». Un autre enfant le lui rappelle (Gabriel), il réclame un poème d’automne qui réveille Apollinaire, Lamartine rejoignant « [t]ant de beauté fragile » ou « un poème comme une flaque ». Mélancolie douce et heureuse dans la lecture d’un reflet qu’elle offre : alors l’automne n’est plus l’adieu.

La Cloche de tourmente, qui est aussi le titre de l’un des poèmes proche de la fin du recueil, ne sonne plus la menace terrible, elle s’accompagne d’un instrument de vent qui secouait les ombres, fidèle au rôle à elle dévolu depuis le XIXème siècle. Elle guide celui (celle) qui, dans la tourmente, a perdu « tout repère », tel un phare pour les marins, elle « redonne force ». Ce repère, sonore, voisine le poème, le chant. Traverser les bourrasques, les tempêtes de neige, retrouver le nord ou l’âme, ce qui permit de percevoir la lumière pour encore.

chaque coup résonne
comme des mots d’homme
au secours de l’autre

et devient poème. 

 

Vertu protectrice d’un son clair de roche, La Cloche de tourmente. Tel est le sens du titre : après la traversée reste le repère – lumière ou son pour renouer avec la vie.

Présentation de l’auteur

Béatrice Marchal

Béatrice Marchal, née en 1956, a passé sa jeunesse dans les Vosges, qui ont marqué son imaginaire. Etudes de lettres, qu’elle a enseignées jusqu’en 2011, du collège aux classes préparatoires. Ses recherches sur Cécile Sauvage, la mère d’Olivier Messiaen, l’ont restituée dans sa vérité de femme et de poète.

Auteure de nombreux articles, elle collabore à différentes revues (Diérèse, Friches, Arpa, le Journal des poètes) et a rédigé plusieurs préfaces, dont celle du Poésie/Gallimard consacré, en 2015, à Richard Rognet.

Elle est présidente du Cercle Aliénor depuis janvier 2013.

 

 

Œuvre poétique :

Aux éditions Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu, Inquiétude de l’autre et des mots, 2020
Aux éditions Al Manar, L’ombre pour berceau, 2020
Aux éditions Le silence qui roule, Élargir le présent, suivi de Rue de la source, 2020
Aux éditions L’herbe qui tremble, Au pied de la cascade, 2019 ; Un jour  enfin  l’accès suivi de Progression jusqu’au coeur, 2018 (Prix Louise Labé 2019) ; Résolution des rêves, 2016, Aux éditions Delatour France, D’Absence et de lumière, 2016
Aux Cahiers de Poésie Verte, La Cloche de tourmente, (Prix Troubadours 2014)
Aux éditions Editinter, Équilibre du présent, 2013
Aux Editions de l’Atlantique, Une Voix longtemps cherchée, 2011, La Remontée du courant, 2010, L’Epreuve des limites, 2010
Aux Editions La Porte, La Baguette de coudrier (2010), Tant va le regard  (2007)

 

Livres d’artiste : 

Un poème extrait  D’Absence et de lumière, illustré par cinq gravures sur bois d’ Eva Gallizzi,
Buchgestaltung, Holzschnitte und Künstlerisches Konzept : Eva Gallizzi, Zürich 2010.
Où va la route, illustré par quatre gravures de Dominique Penloup, Le Galet bleu, décembre 2013.
La neige comme un appel, livre pauvre Béatrice Marchal/Dominique Penloup
Bannières de mai, Béatrice Marchal/ Dominique Penloup
Insaisissables messages, Béatrice Marchal/ Agnès Delatte, Revue Ce qui reste, janvier 2017
Quelque chose d’enfoui, Béatrice Marchal/ Sarah Wiame (éd. Céphéides, mai 2017)
Tout un monde, Béatrice Marchal/ Maria Desmée (octobre 2017)
Lumière préservée, Béatrice Marchal/ Dominique Penloup (éd. du Galet bleu, 2018)
Oser la chute, Béatrice Marchal/ Dan Steffan (Bandes d’artistes, Les Lieux-Dits, 2018)

 

Poèmes choisis

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