1

Sabine Venaruzzo : Et maintenant j’attends & autres poèmes

ET MAINTENANT, J’ATTENDS

A Khojali, jeune soudanais rencontré à l’église de Vintimille

Et à Marc-Alexandre Oho Bambé

 

 

 

Je suis né dans un rouge paysage

Parfumé d’entrailles et de poussières

Où les balles se fondent dans les corps

Où les enfants jouent aux billes de plomb

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai écrit dans mes mains le nom de ma mère

Juste sous mon pied le jour de ma naissance

Et j’ai marché sur les chemins d’espérance

Tenu les mots qui se perdent dans le vent

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai quitté mon frère à la seconde où

Je suis parti sans le choix de rester

J’ai offert ma force au désert de sang

Pour chercher l’or au centre de la terre

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai sauté par-dessus une frontière

Dans un éclat de rire j’ai crié

Me voici l’oiseau de la liberté

Mais déjà les ailes se dérobaient

 

Et maintenant j’attends

 

Le regard encerclé de barbe-lés

J’ai souffert les coups de l’extrémisme

Fait saigner mes mains pour qu’elles se souviennent

Moi qui suis parti sur les chemins

 

Et maintenant j’attends

 

Que s’effacent les souvenirs d’un trait

Que mon corps s’allège de mon histoire

Pour que la vague m’emmène loin loin

Juste de l’autre côté du miroir

 

Et maintenant j’attends

 

J’ai caché mon corps dans la blanche écume

Retenu des mains et des pieds sans tête

Mais ne pouvais secourir l’autre moi

La mort fauchait sans faille les plus faibles

 

Et maintenant j’attends

Dans un verre de lait

Crucifié dans la main

Enveloppé de fleurs imprimées

Les pieds fondus dans le bitume

Je grève la faim

Dans une assiette en carton

Je n’ai rien recherché

Sinon la liberté

Ou un souffle de vie

Ou d’être humain sur terre

 

Et maintenant j’attends

 

Dans une folle mêlée

Je frappe le ballon

Et je joue au pays

Qui percera ma cage

Je n’ai plus qu’un rêve

Qui annule les souvenirs

Et qui vit dans le va-et-vient

De la nuit et du jour

Je brûle d’attendre

Comme je brûle de partir

Je suis un Noir cramé

Au bord d’un pays libre            

Où je ne suis pas né

 

Et maintenant j’attends

 

La liberté serait mathématique

Alors je retourne à mes études

Et j’observe la confusion de l’homme

Dans le microscope de la vie

 

Sous mon pied je tente d’effacer

L’empreinte matricule

Mais sur la carte aux trésors

Il n’est pas admis

 

Alors j’attends

 

Comme un Noir cramé

Dans un corps container

Au bord d’un pays

Qu’on appelle liberté

 

Arrêts sur image

 

Soudain

Soupirs courts

Petits pas reculons

 

***

 

A travers nuages

La vie m’éclabousse

Malgré elle

 

***

 

J’ai pris la main

D’un désir

Échappé du ciel

 

***

Auto dafe

Il n'y a plus de mots dans ma tête

Ils ont brûlé

J'avais laissé ma cigarette se consumer au bord de mes lèvres

 

***

 

J’ai placardé la solitude sous un toit

Avec vue sur le monde d’en face

 

***

Sens titre

 

Un caddy nomade chante sa solitude au balayeur de nuit

Le sens s'est endormi dans ses lettres

Et plus rien

Sauf peut-être

Le drap retient le dernier souffle

L'œuvre inachevée de l'employé du monde

Ramassant les rues dans ses couvertures

 

Foutu temps.

Les herbes sont folles.

La pluie les a rendues folles.

Et les pieds s’agitent dessus.

Mouillées elles rient follement.

 

Présidente

Président mon amour

Par ces mots adoucir

Toute la haine déversée

Sur les murs virtuels

Président mon chéri

Je te vois sous la pluie

Annoncer ton départ

Au pied d’un mur falaise

Président de ma France

Petit coeur République

A passé le temps dur

Va changer maintenant

Président mon amant

J'ai flirté politique

Et je crie à la craie

Les murmures d’une poésie

Bientôt Présidente.

 

Insomnie

Et le corps traversé de pluie

J'embrasse l'arbre orphelin

J'enterre quelques fleurs

Au pied d'un réverbère

Et j'avance sur l'avenue de lumière

Et je chante dans la nuit un air sauvage

Et je m'élance aux balcons éteints

En quelques mots remue ménages

La ville somnifère est lourde d'ennui

Et se berce de mes incantations à l'arche

Et je saute dans la flaque

A la croisée des feux de route

Des voitures feu follets

Et je lève les bras dans un cri de mouette

Qui me guide vers le port

Et je marche

Et j'avance

Et j'embrasse

Et je chante

Le coeur rouge dans la voix

Et je brume

Dans la ville

Sur un rythme végétal

 

Poème européen n°

Ich bin berlinerin

Walking en ballerine

Deposing my skin

Le long d'un mur

A court de rêve d'amour

 

 

Densité du squelette

Alles in ordnung

Pop corn

Bar at the corner

Populaire

Popul’art

Pop

Pipe

Piper dé hasard

Calme quiet

Couette miette seconde

Plume silhouette

Instant d’or

Corps mouvement

Sur la musique de la juke box

Ambiance

Errance

At midnight

Sièges flottants au bar

Bières titubant sur l’accoudoir

Populaire l’air de plaire à un gars

Regard lancé de côté

Comme une passe match

Essai raté

J’ai tourné la tête

Atterrissage dense chevelure

Notes emmêlées dans mes doigts stylo bic

Big bock à boire

Remplir l’âme au travail

Travailleurs, travailleuses

Du dimanche soir

Venus toutes et tous

Tous et toutes dire un au revoir

Signer un autographe à l’horloge

Demain est déjà là

Morgen matin déjà

Double sens en un seul point

Mot double trouble le

Trouble eye

Red pop corner

Red room

Murder pub

Killer de mots

La mâchoire se serre et la langue se tortille dans une bouche fermée

Pied congelé fixé dans la bottine

Accoudoir écorché vif

Âme vive de comptoir

Regard escape

Shape

Shame on me

Music juke box

Berceuse des temps modernes

Du temps que je vis ici

Pub Pub Pob Pubcorn

Pub de cul Cul de pub Cul de pute

Couille molle pendue au bar

Doigts glissant sur la joue de l’âme au travail

Pas de sujet

Pas de verbe

Complément d’objet

Complément d’instant

Une présence

Un être

Un dit

Un rien dit écrit

Un être cherchant midi à minuit

Bougie lumière d’une page qui se remplit et vide le glass full of Fassbier

Alles in ordnung

Keine Ahnung

Nung Jung Nouille Fluide Estomac Eye

I sleep in the bar comptoir

Et je dois payer ce temps passé

A écrire quelques mots ramassés

Dans mes tiroirs

Caisse

Cornes décorniquer dépop départ

Juke box repart

Moi dare dare je me barre

Y’en a marre de ces mots automatiques

Juke box tic

Tic tac music

Tic tac

Tic tac

Tic tac

Coup de feu

Start & go

Présentation de l’auteur

Sabine Venaruzzo

Sabine VENARUZZO est poète, performeur, chanteuse lyrique, comédienne et passeuse de poètes. En 2012, La Demoiselle et cætera devient la forme spectaculaire de sa poésie dans le sens où elle fait appel au théâtre, au chant, à l’image, au mouvement, à la musique et à la mise en scène. En 2016, elle lance un vaste chantier poétique Sur les routes avec l’ambition de poétiser le monde. Elle pose ainsi son P.P.F. (Projet Poétique Fondamental) en prise directe avec la réalité. En janvier 2017, Rémy Masseglia réalise un court métrage poétique L’humanité avant toute chose sur sa marche symbolique entre Vintimille et Nice. En septembre 2018, elle réalise la performance Mots Charte(r)s sur le site de l’ancien aéroport Tempelhof à Berlin. En 2020 elle propose avec son ami plasticien poète Daniel Fillod une performance poétique et plastique en réponse à son poème « A quoi ça sert ? »

Son premier recueil « Et maintenant j’attends » paraît en septembre 2020 aux Editions de l’Aigrette.

Autres lectures

Sabine Venaruzzo, Et maintenant, j’attends

Un titre qui interpelle. Se dessine une temporalité, "maintenant", mais avant ou après quoi, et un état de fait, "j'attends". Alors on imagine, et on regarde la couverture de ce recueil de Sabine [...]