Sophie Loizeau, Les Moines de la pluie, Tom Buron, Les cinquantièmes hurlants

Faces, pièges voire attrape-nigauds par Sophie Loizeau

D’un oiseau l’autre, d’une poésie à la narration, le « Je » de Sophie Loizeau - la si bien nommée - se métamorphose – par exemple – en effraie : « J’enfile une tunique alourdie de mousses, de lierre, de fleurs, et un loup en plumes blanches et or. Le costume en soi ressemble à un amoncellement de déchets verts – pas comme le loup qui est luxueux. Le masque du printemps dans toute son ambiguïté ».

Et c’est ainsi qu’entre récits, contes, poèmes toute une volière humaine mélange ce qui s’agite en érotisme, fantasmagorie, un peu d’horreur et beaucoup de magie (verbale – mais pas seulement). Entre une « Vieille femme dans le berceau » et « Vulves » tout vagabonde d’un château l’autre comme écrivait Céline. Mais de tels édifices vont bien ici. Tout se répond dans ce monde forestier : mouettes, biches, renardes, moines de la pluie permettent (même si ce ne sont pas les seuls permettent des rencontres même si elles n’ont pas lieu face-à-face merveilleux mais des miracles renaissent.

Sophie Loizeau puise dans l’ici comme dans les mythes une manière ludique e(t humoristique pour entrer en  esprit d’animaux plus ou moins grâce à la densité d’une langue qui va sa liberté dans ce livre présenté habilement en chapitres.

Out va au lecteur qui voyage entre diverses tensions et tentations là où la poésie donne au besoin des frictions à la fiction. Mais le tout reste homogène sans oublier les plaisirs de la mise en abime du réel que celui de la langue. Et qu’importe les mares où elles s’ébroue pour invoquer au besoin disparu(e ) ou fantômes allongés (parfois sur la narratrice-auteure) ou debout. Parfois le jeu des corps fonctionne, parfois – évrit l’auteure – « la synchronisation déconne ».

Certes ici la vie est un ensemble de gains et de pertes sans que le lecteur s’en plaigne. Il souffre au besoin d’un pil, mais le plaisir imbibe son cerveau par les massages mentaux et stylistiques d’une telle fée des songes.

Sophie Loizeau, Les Moines de la pluie, Éditions Le Pommier, 2024, 213 p., 18 €.

Chacun d’un texte à l’autre espère sa venue même si parfois (telle une séditieuse) abuse de l’ellipse. Mais comment lui pardonner et qu’importe les dénouements d’une telle créatrice manipulatrice parfois jusqu’à l’hurluberlu. Nous rêvons de roder autour d’elle maitresse femme accomplie nous en sommes aussi d’un autre genre qu’elle : l’hurluberlué.

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Aux sandales du voyant

Tom Buron creuse une place pour le silence intérieur puisqu’en chacun de nous veille l’enfant à la langue tue. L’enfant à qui - afin qu’il ne voit pas la souffrance - on a toujours si mal bandé les yeux. L’auteurs à l’inverse reste le voyant.

Dès lors pas besoin de prendre la pause en un  tel livre. Laissons-nous aller. Le monde éclate il n’a pas de frontière : mais se barattent les ténèbres. Toutefois pour Buron  ce qui ne pouvait s’accepter mais qui demeure et ne finit pas. Le monde avait donc perdu sa mesure même si l’enfant rêvait de s’arracher au temps.

Chaque lecteur veut toutefois les mots, on espère jusqu’à la prochaine émotion – joie ou douleur, jusqu’au prochain silence même si l’écriture qui n’accomplit jamais mais elle a besoin d’espérance sauf retourner jamais

Demeure l’inconnu. Il permet de révéler l'obscur noyau d'un secret  Nous n’en saurons ne saura rien sinon quelques indices, quelques traces. Comprendre simplement que les corps ne font plus corps Mais Buron les remet en cause parce qu'il demeure la chair de l’être en exhiber les stigmates, les énigmes -  matière inavouée dans ses points de fuite.

Il faut donc la laisser parler sa langue obscure. Elle joue toujours à l'extrémité d'une représentation qui avance à tâtons dans l'inconnu loin du poids immense des livres, des Talmud et des Bible et même de Blake.

Cette aube-crépuscule appelle sans cesse  ce que les mots repousse en croyant la parler. Impossible de penser la poésie autrement là où elle est arrosée par le sang du mystère  qui en nous privant parfoi  de repères nous offre un nécessaire saut dans le vide. 

Tom Buron, Les cinquantièmes hurlants, Collection Blanche, Gallimard, 2025, 17 €.

Nous pouvons le comprendre au mieux on peut entendre ses échos.  La carapace de l’être éclate. Quelque chose peut surgir : de l'ordre de la joie, une dernière attente : “ qu’en sera-t-il de nous ? ”  reste une question ouverte.

Et la poésie  demeure la sentinelle égarée qui tente chaque fois le saut dans l’impossible. Ombre et lumière se mangent là où ne subsiste que la folie du croire, du croire voir. Folie de la couleur parcimonieuse aux échancrures de noir.

 

Présentation de l’auteur

Sophie Loizeau

Née en 1970, Sophie Loizeau est poète, elle écrit également des récits. Elle vit à Versailles.

Ses trois premiers livres, écrits entre 1998 et 2004 (Le Corps saisonnier, La Nue-bête, Environs du bouc) sont marqués par la présence de la nature. Une nature qui fraye avec le fantastique et le mythologique, avec le désir et la sexualité. Les livres suivants (La femme lit, Le roman de Diane, Caudal), écrits entre 2004 et 2013, forment une trilogie autour du mythe de Diane et tentent une féminisation systématique et radicale de la langue.

© Crédits photos Adrienne Arth

Bibliographie

  • Le Corps saisonnier, Chaillé-sous-les-Ormeaux, Le Dé bleu, 2001 (BNF 37711847), édition bibliophilique numérotée enrichie de lithographies de Jacques Vimard, Éditions Barbova, 2009.
  • La Nue-bête, Chambéry, Comp'Act, 2004.
    Prix Georges Perros 2006.
  • Environs du bouc, Chambéry, Comp'Act, 2005.
    Avec une quatrième de couverture de Bernard Noël. Réédition en 2011 aux Éditions de L'Amandier, Paris, augmenté d'un entretien avec Pascal Quignard paru en octobre 2008 dans le n°5-6 de la revue Passages à l'Act (BNF 42606899). Prix Yvan Goll en 2005.
  • George Sand, Daniel Arsand (suite), Céline Minard (suite) et Sophie Loizeau (suite), Albine Fiori : roman inachevé de George Sand ; avec trois suites de Daniel Arsand, Céline Minard, Sophie Loizeau, Chambéry, Éditions Comp’Act, 2005.
    Roman inachevé de George Sand avec 3 « suites ».
  • Sophie Loizeau et Claude Panier (frontispice), Anima mundi, Clamart, Les Cahiers de la Seine, 2005.
  • Bergamonstres, Chambéry, L’Act Mem, 2008.
    Nouvelle édition réunissant La Nue-bête et Environs du bouc.
  • La Femme lit, Paris, Flammarion, 2009.
    Ce livre a bénéficié d’une bourse du CNL en 2005.
  • Son appendice, caudal, Montluçon, Contre-allées, 2010.
    Réalisé dans le cadre du 6e festival de poésie contemporaine Poètes au potager.
  • Caudal, Paris, Flammarion, 2013. Ce livre a été publié avec une aide de 900 € du Centre national du livre.
  • Lys, Fissile 2014 avec des dessins de Bernard Noël.
  • Ma maîtresse forme : Naturewriting, Champ Vallon, 2017.
  • La chambre sous le saule, PU Rouen, 2017.
  • Les Loups, José Corti, 2019.
  • Les Épines rouges, Le Castor Astral, 2022.

En anthologies

Des œuvres de Sophie Loizeau figurent également dans plusieurs anthologies, dont :

  • Passeur de mémoire, collection Poésie / Gallimard, 2005,
  • Couleur femme, Castor Astral, Le Printemps des poètes, 2010,
  • La poésie à plusieurs voix, Armand Colin, 2010,
  • Éros émerveillé, collection Poésie / Gallimard, 2012.

Participations

  • « Originaire », Regards croisés sur la carrière Chéret, Conservatoire d'espaces naturels, 2011. 

Théâtre et performances

  • Un spectacle poétique : Le plus clair du temps je suis nue, mis en scène par Claude Guerre, créé à La Comédie de Reims en 2005 et repris à la Maison de la Poésie de Paris en 2008.
  • Écriture et chorégraphie : Pleine peau, textes écrits à partir d’un travail chorégraphique de Maria Donata d’Urso, créée au Cent Quatre à Paris en 2010.
  • Des lectures-performances à la Maison de la poésie de Paris, Arkhéon, mai 2011. Conception : Wilfried Wendling / mise en scène : Sophie Loizeau.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Tom Buron

Tom Buron est né en 1992 en banlieue parisienne. 
Auteur de poèmes et de nouvelles, il se taille tout d’abord une réputation dans l'underground littéraire parisien par les lectures publiques de son poème-fleuve souterrain et convulsif Le Blues du 21e Siècle dont une première version est publiée en 2015 dans la revue Le Cafard Hérétique. Le webzine Bookalicious salue alors « la musicalité et le rythme » du texte : « un voleur de feu qui préserve la flamme de la poésie ».

Dans le même temps, il commet quelques traductions de textes courts d’auteurs anglophones pour des revues et publie quelques uns de ses poèmes traduits dans de nombreux fanzines en Angleterre et en Irlande, tout en réalisant quelques piges sous son nom et sous pseudonymes. En 2016, il préface l’édition britannique du roman initiatique Blossoms and Blood de l’écrivain américain Mark SaFranko dont il est la voix française lors de sa tournée dans l’hexagone un an plus tard.
En 2017 paraît son deuxième ouvrage, Nostaljukebox, imprégné de jazz et dont les poèmes s’articulent autour d’un chant central, oscillant entre la bourlingue des bas-fonds urbains et la quête spirituelle. Dans sa préface, le poète beat Jack Hirschman ne tarit pas d’éloges : « Buron représente la contemporanéité de demain, ce par quoi nous serons tous saisis dans les jours à venir de la poésie ». Il est à cette occasion sélectionné parmi les jeunes poètes prometteurs lors de la Nuit des Nouvelles Ecritures de la Biennale Internationale de Poésie du Val de Marne. L’ouvrage est salué par la revue culte Les Lettres Françaises, par le quotidien belge Le Soir, et le comédien Jacques Bonnaffé en lit un extrait sur France Culture.

Début 2018, lors de sa résidence d’auteur à Metz proposée par L’Atteinte et dont France 3 tire un reportage, il réalise un spectacle musical autour de Nostaljukebox avec le musicien Jean Sébastien Grunfelder.

Bibliographie 

NOSTALJUKEBOX (préface de Jack Hirschman), bookleg #135, Editions MaelstrÖm, 2017
LE BLUES DU 21e SIECLE, bookleg #124, Editions MaelstrÖm, 2016

Participations aux revues & magazines : Souffles, Le Cafard Hérétique (original), Traversées, Les Nouveaux Délits, Comme en Poésie, Microbe, Festival Permanent des Mots, On Peut Se Permettre, Schnaps, Le Zaporogue, Paper & Ink, Mange Monde, Spered Gouez, etc.

Participations aux anthologies : Dehors (Editions Janus – Prix Ribot 2016), Revolutionary Poets Brigade (#3 & #4), 50 Poètes Sémaphoristes (Maison de la Poésie de Quimperlé, 2017), L’Arcane de la Force (MaelstrÖm, 2017), zOOdiac Cosmosophies (MaelstrÖm, 2018), etc.

Trois de ses poèmes ont également été publiés sous forme de petits livres conceptuels par la micro-édition californienne PoemsForAll : Sinkin Ship (#1368) en 2015, 100mph (#1451) en 2016 puis Rehabilitation of the Sun (#1823) en 2018, ainsi que sa traduction en anglais d’un extrait du « Hie » d’Arthur Cravan (#1450).

Poèmes choisis

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