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Jean-Watson Charles, Le chant des marées, extraits

Stivenson Magloire.

Comment vivre le monde quand je ne connais que Toi pour réalité
Mon bagne rêve sur tes genoux et d’un pays putréfié.
Combien de fois dois-je le crier
Que toutes les portes des villes soient à mes pieds
Que toutes les femmes soient des fruits mûrs pour La bonne récolte.
Que des villes et des terres lointaines
Se lèvent et marchent à poings fermés
Zafra Akkad Gorée Damas
Le temps n’est plus de la bonne semence
Mais souviens-toi que nous sommes des bohèmes

 

In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018

 

Le soir fondait dans tes yeux
Qui me parlaient tant de voyages
De ta souffrance et  tes désirs
J’ai si longtemps espéré la mer dans tes seins nus
Que parfois je rature le jour dans les contours
De tes orgasmes
Et dans la déchirure aux pieds du matin
Non je n’oublierai pas
Mes fantômes
Mes peurs
Mes envies et mon pays
Oui je n’oublierai pas
Puisque partir est un leurre
Pour oublier soi-même
Une porte ouverte du néant
J’ai peut-être souffert et fait souffrir le temps
Mais la mer ce long tissage qui ronge mon cœur
Pour qu’un jour elle t’appartienne
Comme un fruit maudit
Je voudrais parler ta langue, tes chansons
Pour dire à jamais que je t’aime
Je voudrais te dire tant de choses
Mais le cri du poète est une rivière qui pleure

 

 In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018.

 

Nasson, Cross In Arms.

Duval Carrie, Edouard crystal explorer.

 

Je t’écris pour te dire que mon cœur est une rivière
qui coule à ta rencontre. Et que chaque goutte est
un hymne à la terre, que chaque cri te dit la levée
du jour. Je t’écris comme ce vent qui passe et qui
m’emmène vers toi, pour te dire que mon cœur
Est à la dérive des continents

 

J’ai vécu dans le cœur des hommes la strangu-
lation. Le temps n’est plus à nos portes comme un cri
blessé ou nos yeux comblés de vent et de terres
maudites. Fini le temps des tam-tams et le chant du
soir, fini la plèbe et les jours testamentaires

 

In Le chant des marées, éd. Unicité , 2018.

 

 

 

 




Pierre-Louis Snayder, Poèmes

Pascale Monnin, Ma Chair et mes colibris.

 

Il faut transformer les mots
En intimité des autres
Pour écrire un beau poème

Il faut laisser coucher le soleil dans ta culotte à dentelle
Pour observer la beauté humaine

Il suffit de voyager à la file indienne
A travers des îles composées de questionnements
Pour inverser tous les bruits qui veulent pénétrer ta maison
De façon un peu précaire

Ma fille,
L`histoire est un petit son
Qui ne veut pas s`arrêter
Quand on dépoussière un ancien verbe

 

Ce liquide qui sort du bois de chêne
Est une rumeur publique
Sous l`emprise des voleurs d`espoirs

Il est beau
Comme un reflet qui ne fuit pas
Quand l`avenir est passager

Camarade
Partir ne peut pas inonder ce siècle,
Car les promesses ne sont que des symptômes d`excuses
Purement maléfiques

Il faut lutter
Jusqu`au fond de l`aube
Pour atteindre la lumière

 

Bitho faustin, La Musique en Liberté.




Dominique Bergougnoux, En bas dans le square…

En bas dans le square on entend
Des pétards
Des brisures
De voix et de verre blanc
Une flasque se brise
Les baisers ont roulé sous un banc sale
Canettes de bière tas de mégots 
La fête est finie

Dans l'écorce impassible
Un cœur brut
S'écorche

Sous le couteau rouillé
Des amours anonymes

 

 

* * *

 

 

Avant la cendre
Il y aura eu la pesée des bûches dans l’âtre
Le tango nu des flammes à talons ardents
L’ondoiement vif du rouge entre les plis
Des crépitements tendres
Des feulements souples
Et l’abandon hypnotique du bois
A sa chute moelleuse…
Destin de fumées, de poussière et d’écorces
Douceur du gris
Des cendres
Tout
Consumé

 

 

* * *

 

 

Oh ! être un oiseau bleu
Se blottir dans l’or fauve des feuilles
La tête dans le doux et la tiédeur des plumes
Fermer les paupières du jour

Oublier le froid qui mord
Le vent qui ploie
L’arbre et le nid

Etre
Un reposoir d’ailes à déployer
Un rêve d’ailleurs d’îles sous le vent
Une boule de vie duveteuse
Un atome léger et dense
L’esquisse d’un destin migrateur
Tracé dans la fulgurance du ciel

Un envol en suspens
Entre deux mondes…

 

 

* * *

 

 

flèche d’un vert cru
fend le matin morne et gris
– l’envol des perruches

 

 

* * *

 

 

Là, sous mon pied
Au clair de la lune improbable
Et d’un réverbère jaune
Dans un carré de vert urbain
Rencontre insolite
Métaphoriquement assortie
Un hérisson tout apeuré
Et mon chagrin en boule
Bardé de piquants.

Présentation de l’auteur

Dominique Bergougnoux

Domi Bergougnoux a toujours lu et écrit de la poésie.

Enfant, elle avait écumé tout le rayon poésie de sa bibliothèque municipale en région parisienne, des classiques jusqu’aux traductions de poètes du monde entier.

Elle a exercé plusieurs métiers, dont celui de professeur de lettres. Après des années consacrées au théâtre et au chant, elle est revenue à l’écriture pour tenir debout pendant l’hospitalisation de son fils en psychiatrie.

De cette période est né un premier recueil « Où sont les pas dansants » en 2017, auquel la revue Possibles a consacré un article en mars 2018.

Depuis 2016, ses textes sont publiés régulièrement dans des revues et des blogs : Lichen, 17 secondes, Le Capital des Mots, Recours au poème, L'Ardent Pays, Ornato, Dix Vins blog, Poésie Première... Elle a participé à des ouvrages collectifs de l'atelier de François Bon aux éditions Tiers Livre : « Dans les maisons inconnues » en 2016 et « La nuit » en 2018, de haïkus aux éditions Graine de Vent « L’Herbier » (2017) et « Empreintes » (2018) et plus récemment « Dans la clarté sombre des réverbères » aux éditions Jacques Flament.

Elle a publié en février 2020 un recueil « Dans la tempe du jour » aux éditions Alcyone.

Un livre d’artiste « Il faut apprendre à voler » a été imprimé par les éditions Al Manar au printemps 2020, en collaboration avec le cinéaste et plasticien Jean-Denis Bonan qui a réalisé des peintures découpées en lien avec des poèmes extraits d’un recueil à paraître en 2021.

 

 

 

Dominique Bergougnoux




Poèmes

EN FACE

 

 

 

Murs  translucides
Boites empilées
Trou noir le jour
Soleils ébréchés
De mes soirées                           

La vie défile

ET MOI JE ME TAIS

Tapie dans l’ombre, en face
Assise dans la pénombre

JE REGARDE

Ça s’illumine
Ça et là
À droite
À gauche
En haut
En bas

Simultanément
Alternativement

Ça raconte
L’histoire des ombres
La nuit

Les ombres
Petites grandes

Noires  raides
Souples voluptueuses

Ombre unique
Fenêtre unique

Deux ombres
Une fenêtre

JE RESTE SEULE
IMMOBILE
JE ME TAIS ET JE REGARDE

Une ombre marche vers la droite
Elle se déplace
S’arrête
Pivote sur sa gauche
Ouvre la baie vitrée
Sort sur le balcon

L’ombre a délaissé
La lumière
Son corps naît dans la nuit

Le temps passe

JE REGARDE

Un instant floue
L’image surgit
Nette tranchante

Une femme sourit
Et me dit :

BONSOIR

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

INONDATION

 

 

 

L’eau ruisselle sur les pans de la nuit
Elle rôde autour de la lune
Spectre glacé revenu d’entre les morts

L’eau s’infiltre dans les murs de ma chambre
Elle décolore mes rêves
Imbibe mes mots
Et renie ma vie

L’eau dessine des étoiles sur le plancher de ma chambre
Elle danse avec mes souvenirs
L’eau balaye les temps du monde

Elle détrempe nos corps ensommeillés
Elle s’insinue dans nos baisers
Elle est le froid de l’été
Le murmure incessant d’un oubli

L’eau glisse le long de nos bras
Le long de nos jambes
L’eau dissout nos bouches
Dissèque nos yeux
Enlace nos bras
Noie nos mains

Elle ruine nos larmes
Et renie nos prières

L’eau s’évapore au petit matin
Nous n’y pouvons rien

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

LA BOMBE

 

 

 

L’enfant ne peut pas dormir
La bombe est tombée près de sa maison
L’enfant hurle
Il n’entend plus rien
Ne voit plus rien
Seul couché dans le noir

Maintenant il habite le grand silence
Ni père ni mère
Ni frère ni sœur
Pas même le cri d’un oiseau
La nuit s’est emparée de lui
La lune s’est teintée  de noir

Son corps est là
Accueillant les larmes du ciel
Ivre des cris de la terre

Lui ne pleure pas ne crie pas
Il fait tout noir dehors

La nuit se fait linceul 

Le blanc de l’absence
Nul cri
Nul




Sommeil à Gaza

 

Fados, je dormirai comme on dort alors que les avions bombardent
Et que l’air se déchire
Comme de la chair vive
Je rêverai donc de trahisons
Comme on rêve en dormant... alors que les avions bombardent

A midi, je me réveillerai pour interroger la radio - comme tout le monde :
Y a-t-il une trêve ? Combien de morts ?

Mais la tragédie, Fados,
C’est qu’il y a deux catégories de personnes :
Celles qui jettent leurs souffrances et leurs péchés au milieu des chemins pour s’endormir
Et celles qui rassemblent leurs souffrances et leurs péchés en forme de croix qu’elles portent dans les rues de Babel, Gaza et Beyrouth
En criant : Encore !
Encore !

Il y a deux ans, j’étais dans les rues de la banlieue sud de Beyrouth à traîner une croix de la taille des immeubles
Mais aujourd’hui, qui soulage de sa croix un dos fatigué à Jérusalem ?

La terre : trois clous
Et la miséricorde : une matraque
Frappe, Dieu
Frappe avec les avions
Encore !

 

 

Extrait de Je me lèverai un jour, anthologie poétique
établie et traduite de l’arabe (Palestine) par Antoine Jockey