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Véronique Maupas,Passagère

Poème d’une résilience où le mouvement permet à la parole de vivre sans que les coutures craquent sous le « paquet à dire », lourd, compact. Écriture de l’ouverture, de la réappropriation à soi-même par la marche, nocturne, diurne, par la conquête d’un langage remis en ordre (car « les mots remis en ordre c’est presque déjà le corps remis en ordre. ») Poème du temps réapproprié. De l’être qui coïncide.

La quête est annoncée dès le départ : « Ouvrir bouche. Parler sens. Faire langue. » Formule que l’on retrouve à deux reprises dans un autre ordre, dont : « Ouvrir langue. Faire bouche. Parler sens. » C’est bien d’une quête de sens et de soi-même dont il s’agit dans ce recueil réparti en quatre ensembles : Corps au noir L’eau, le Temps Trajets Chemins, le mot « sens » en ouverture et clôture du poème, en sens inverse du voyage.

La poète-artiste, Véronique Maupas, qui a contribué au festival rouennais « Poésie dans(e) la rue », a l’habitude de dire ses textes à voix haute, notamment dans les cafés.

Elle livre ici une poésie sans fioritures, percutante, informée de l’intérieur par son propos, ses sensations. Succession de phrases courtes, nominales, comme notées au cours de la marche, ellipses (par exemple suppression fréquente du pronom sujet, des articles), syntaxe bouleversée, phrases suspendues, absences de virgules, accumulations lexicales, néologismes, jeu sur les sonorités (comme un écho à la liberté langagière de Valérie Rouzeau), on entend la langue de la « passagère », on respire son souffle, on suit la buée de son haleine à travers les rues, voix et corps en duo :

 

L’histoire d’un corps prendrait des années. Traces remuées 
prendraient. Là tout près sur la route muette. Je tâte le sol. 
Trouver les fissures où mes racines. 
(Page 14)

 

Dans le premier ensemble, on suit l’errance urbaine d’une femme, la poète, passagère de son « corps chagrin » et de la nuit « peau de rechange ». Passante qui s’immerge dans le noir, pour voir ce qu’il y a « sur l’autre rive », « corps au noir » comme il est dit « œuvre au noir ».

 

Ma nuit amie. Tant de choses à nous dire tant de mots inépuisés. (Page 14)

 

La douleur est là, vivace, tenace. Le « corps précaire, coupable, exposé » qui a bonne mémoire n’est pas toujours dans l’ordre lui non plus. Fragmenté, fatigué, douloureux, il se souvient de « l’offense ». Dès lors comment ne plus se sentir « comme une étrangère en visite » ? Comment habiter le monde, s’habiter soi-même, se réunir ? Ne plus être cette « passagère » enfermée dans les frontières de sa peau  mais créer ses lignes, ses marges, ses repères contre la dilution délétère, avec la nature, le paysage pour nourriture essentielle.

Le deuxième ensemble, versifié cette fois, sent la pluie, l’humeur grise dans « l’effilochade du jour ». Même la lumière devient liquide. Désir qui s’embue, nouvelle mue, sursaut ou bois flotté ? Le corps se laisse entraîner, à l’écoute du temps mobile :

 

je le tiens un instant
je commence à l’aimer (
page 47)

 

L’errance se poursuit dans « Trajets », marche solitaire, « chaussures à la main », entre mer, terre et air. Le corps puzzle suit dans « la matière inquiète du jour » à la recherche de son ancienne vie, d’avant « le coup bas ».

 

 /…/
je sais les pièges et les épines
quelle piste suivre
quel paysageæ

 je me nourris d’écorces
d’arbres mouvants
de sèves amères

 je me couche dans la bruyère
et m’endors sous les genêts

 

Les « Chemins » s’ouvrent à d’autres lieux : « touraine – plateau du neubourg – saint-léger – jumiège… » Temps de l’écriture, du silence, des sensations retrouvées, odeurs, couleurs, « la vie est partout présente »avec ce besoin qui bat dans la poitrine de rejoindre la source, « le temps le vivant ». Renaissance, « septième vie », tout s’apprivoise même le sentiment d’exister ici, maintenant.

 

ouest

 me laisse porter par le voyage
l’errance le mouvement
désencombrée
isolée flottée

 pluie ruisselle
non-stop
fines ficelles de pluie
mon corps éponge

me sens être
me sens continuée
traversée
de pistes possibles

suis-je toujours dans mon rêve

 

La langue fragmentée, bousculée du début se veut maintenant «langue qui / ne fait pas de bruit ». Il est temps pour la « passagère »  de soulever « la cloche de verre » du poème.

Présentation de l’auteur

Véronique Maupas

Véronique Maupas est une poétesse française.

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