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Arnaud Le Vac, Tenir le pas gagné

À la lecture des premières pages du recueil d'Arnaud Le Vac,  je m'interroge. Le texte est versifié mais il a tout d’un essai. S’agit-il d’un essai sur la poésie ? Sur la liberté ? (Mais la poésie n'est-elle pas liberté ?). Un essai sur la réalité, l’apparence des choses ? Je pense à Novalis « Plus il y a de poésie et plus il y a de réalité ». Si, dans un premier temps, l’auteur ne semble pas écrire ce que communément on nomme « poème », ce qu’il décrit correspond en tout point à l’acte poétique.

Passée la surprise du premier contact avec l’écriture singulière d’Arnaud Le Vac, je poursuis ma lecture et accompagne le poète dans un café de Paris. C’est une « journée comme une autre qui ne ressemble à aucune autre ». J’ignore encore que la dualité – voire le paradoxe – est au cœur de Tenir le pas gagné. Je m’assoie à la terrasse d’un long poème qui s’écrit au présent dans un univers de contradictions qui n’en sont pas. L’auteur y est manifestement à l’aise et je lui fais confiance. Il parle de sa vie et à la fois de poésie parce que, dit-il, « la poésie est une manifestation de la vie ».

Quand on ouvre un livre, on devrait abandonner toute idée préconçue afin de « laissez place à la rencontre, à l'inattendu. » J’ai commencé par l’inattendu. Au fil des pages, la rencontre a lieu. Quant à la poésie, il suffit d’attendre un peu, de laisser venir les choses. L’auteur n’écrit-il pas que dans tout ce qu’il fait « les choses viennent d’elles-mêmes » ? Lentement, presque à notre insu, la poésie s’installe, par touches délicates dans le silence continué des regards, dans « ce quelque chose qui n'en finit pas de cette ombre sur le mur et de la lumière qui vient. »

Une lumière qui jaillit de la multiplicité des œuvres dont se nourrit l’auteur, qu’il s’agisse d’art ou de littérature. Les références foisonnent, Arnaud Le Vac invite à notre table Matisse et Picasso, Apollinaire, Breton, Butor, Artaud, Tzara… mais aussi Benveniste, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud ou encore Victor Segalen, Ossip Mandelstam, Ezra Pound, Alain Jouffroy, Marcelin Pleynet…

Arnaud Le Vac, Tenir le pas gagné, Editions du Cygne, 2023, 60 pages, 10 €.

Des noms du passé qui vivent avec ceux du temps présent, dans notre histoire commune : « C’était il y a un siècle et c’est aujourd’hui même » écrit le poète.

Tenir le pas gagné est un livre qui regorge de vie, un mot qui se répète à l’infini.

Je veux tout éprouver dans la vie :
la vie en toutes situations. Vivre
intensément tout ce qu’il y a à vivre
dans une vie. 

L’auteur, en prise avec le réel, vit chaque instant en poète, donnant sa propre définition de ce que signifie « vivre en poète » :

Vivre en poète : celui
qui est capable de donner aujourd’hui
une dimension métaphysique et
anthropologique à la poésie. 

Il nous envoie un message plus fort que tous les slogans pessimistes dont nous sommes assaillis quotidiennement : contre le désir de mort sa voix s’élève comme une impulsion de vie qui peut-être pourrait bien éveiller la conscience, car « l’avenir n’est pas ce que l’on dit ». Il sait aussi que les contradictions sont inhérentes à la condition humaine mais il sait aussi que là est sa liberté : liberté d’en jouer, liberté d’en jouir.

Arnaud Le Vac a conscience que la poésie est capable de modifier la relation au monde alors il renverse les idées reçues et laisse libre cours à la subjectivité et à la sensibilité, prêt « à tout subir à plein visage ». Les temps s’enroulent dans un temps unique où se déroule une vie née de la poésie et qui elle-même génère la poésie. Le passé ne s’oppose plus au présent, l’innocence à la culpabilité, le dedans au dehors, la partie au tout, la singularité à la pluralité. Comme un ruban de Moebius la poésie (qui en serait la torsion) défie l’évidence pour nous ouvrir les yeux sur une autre réalité. Aussi sommes-nous invités à aller de l’avant, à « tenir le pas gagné » pour aller du connu vers l’inconnu, ou plutôt de l’apparence du connu vers la réalité de l’inconnu.

Présentation de l’auteur

Arnaud Le Vac

Arnaud Le Vac est né en 1978 en Ile-de-France. A publié dans l’Anthologie Triages, les revues Ce qui reste, Paysages écrits, Passage d’encres III, Résonance générale. Il dirige et anime la revue le sac du semeur. Revue le sac du semeur : https://lesacdusemeur.wordpress.com/

Bibliographie

Poésie

  • Tenir le pas gagné, éd. du Cygne, 2023.
  • Reprenons les chemins d’ici, éd. du Cygne, 2019.
  • On ne part pas, éd. du Cygne, 2017.

Essai

  • Manifeste pour une poétique de la modernité vers Hugo, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire, Breton, Tzara, éd. du Cygne, 2021.

Publications dans des anthologies

  • « Présence éveillée », dans l’anthologie Triages, Voix unes & premières, éd. Tarabuste, 2014.
  • « Place à la vie, place à la ville », dans Génération Poésie debout, éd. Le Temps des Cerises, 2017.
  • « Les livres et les disques », dans Le Chant du cygne, anthologie 2020, vingt ans de poésie contemporaine, éd. du Cygne, 2020.

Publications en revues

  • « Brève histoire de la poésie [archive] », Ce qui reste, 2014.
  • « Ligne de partage [archive] », Paysages écrits n°22, 2014.
  • « Il n'en faut pas plus [archive] », Paysages écrits n°25, 2015.
  • « Ne pas suivre les voies ordinaires [archive] », (Alain Jouffroy), D'un corps d'écoute [archive] : entretien avec Marcelin Pleynet, Paysages écritsn°26, 2015.
  • « Je devine et j'ose [archive] », inks, Passage d'encres III, 2016.
  • « une vie humaine [archive] », Résonance générale n°9, L'Atelier du Grand Tétras, 2017.
  • « Une aventure intellectuelle vers une poétique du vivre en voix [archive] », entretien avec Serge Martin, Le sac du semeur n°3, 2018.
  • « Une aventure poétique vers une parole épiphanique du temps » [archive] », entretien avec Pascal Boulanger, Le sac du semeur n°4, 2019.
  • « Pour une poétique de la modernité vers Baudelaire [archive] », Les Cahiers de Tinbad n°8, éd. Tinbad, 2019.
  • « De pas en pas vers un passage de voix [archive] », Résonance générale n°10, L'Atelier du Grand Tétras, 2019.
  • « Hugo à l’œuvre : une modernité en action [archive] », Résonance générale n°11, Openedition Hypotheses, 2020.
  • « Pour une poétique de la modernité vers Lautréamont [archive] », Les Cahiers de Tinbad n°9, éd. Tinbad, 2020.
  • « Une expérience toujours nouvelle du langage et de la vie [archive] », (Revue) Nu(e), n° 72, Serge Ritman, 2020.
  • « Pour une poétique de la modernité vers Rimbaud [archive] », Les Cahiers de Tinbad n°10, éd. Tinbad, 2020.
  • « Le ciel dans la lumière de janvier et Quel sujet, quel corps [archive] », Poetry Sound Library, Zee Maps, 2020.
  • « Place de la Bastille [archive] », Le Génie libre n°1, 2021.
  • « Ta voix, ma voix [archive] » et « J'aime cette vie entre toutes », L'Oreille voit n°1, 2022.
  • « Faire de ne pas faire [archive] », Notre sélection de poèmes, Poèmes d'ici et d'ailleurs, Le Manoir des Poètes, 2022.
  • « À l’écart définif [archive] », Le Génie libre n°3, 2023.
  • « La question du sujet poétique et politique [archive] » et « Dans une écoute vision du monde », L'Oreille voit n°2, 2023.

Critiques[modifier | modifier le code]

  • « Trajectoire déroutée [archive] », Sanda Voïca, Poezibao, 2018.
  • « L’Impératif de la voix [archive], Serge Martin, Poezibao 2019.
  • « Cet oubli maintenant [archive] », Laurent Mourey, Recours au Poème, 2020.
  • « Itus et reditus [archive] suivi d'un entretien avec Claude Minière », Tenir à son langage, Le Club de Mediapart, 2020.
  • « L'Intime dense [archive] suivi d'un entretien avec Pascal Boulanger », Tenir à son langage, Le Club de Mediapart, 2022.

Poèmes choisis

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