Arnaud Le Vac, Tenir le pas gagné

Par |2023-11-06T19:30:42+01:00 29 octobre 2023|Catégories : Arnaud Le Vac, Critiques|

À la lec­ture des pre­mières pages du recueil d’Ar­naud Le Vac,  je m’in­ter­roge. Le texte est ver­si­fié mais il a tout d’un essai. S’agit-il d’un essai sur la poésie ? Sur la lib­erté ? (Mais la poésie n’est-elle pas lib­erté ?). Un essai sur la réal­ité, l’apparence des choses ? Je pense à Novalis « Plus il y a de poésie et plus il y a de réal­ité ». Si, dans un pre­mier temps, l’auteur ne sem­ble pas écrire ce que com­muné­ment on nomme « poème », ce qu’il décrit cor­re­spond en tout point à l’acte poétique.

Passée la sur­prise du pre­mier con­tact avec l’écriture sin­gulière d’Arnaud Le Vac, je pour­su­is ma lec­ture et accom­pa­gne le poète dans un café de Paris. C’est une « journée comme une autre qui ne ressem­ble à aucune autre ». J’ignore encore que la dual­ité – voire le para­doxe – est au cœur de Tenir le pas gag­né. Je m’assoie à la ter­rasse d’un long poème qui s’écrit au présent dans un univers de con­tra­dic­tions qui n’en sont pas. L’auteur y est man­i­feste­ment à l’aise et je lui fais con­fi­ance. Il par­le de sa vie et à la fois de poésie parce que, dit-il, « la poésie est une man­i­fes­ta­tion de la vie ».

Quand on ouvre un livre, on devrait aban­don­ner toute idée pré­conçue afin de « lais­sez place à la ren­con­tre, à l’i­nat­ten­du. » J’ai com­mencé par l’inattendu. Au fil des pages, la ren­con­tre a lieu. Quant à la poésie, il suf­fit d’attendre un peu, de laiss­er venir les choses. L’auteur n’écrit-il pas que dans tout ce qu’il fait « les choses vien­nent d’elles-mêmes » ? Lente­ment, presque à notre insu, la poésie s’installe, par touch­es déli­cates dans le silence con­tin­ué des regards, dans « ce quelque chose qui n’en finit pas de cette ombre sur le mur et de la lumière qui vient. »

Une lumière qui jail­lit de la mul­ti­plic­ité des œuvres dont se nour­rit l’auteur, qu’il s’agisse d’art ou de lit­téra­ture. Les références foi­son­nent, Arnaud Le Vac invite à notre table Matisse et Picas­so, Apol­li­naire, Bre­ton, Butor, Artaud, Tzara… mais aus­si Ben­veniste, Baude­laire, Lautréa­mont, Rim­baud ou encore Vic­tor Segalen, Ossip Man­del­stam, Ezra Pound, Alain Jouf­froy, Marcelin Pleynet…

Arnaud Le Vac, Tenir le pas gag­né, Edi­tions du Cygne, 2023, 60 pages, 10 €.

Des noms du passé qui vivent avec ceux du temps présent, dans notre his­toire com­mune : « C’était il y a un siè­cle et c’est aujourd’hui même » écrit le poète.

Tenir le pas gag­né est un livre qui regorge de vie, un mot qui se répète à l’infini.

Je veux tout éprou­ver dans la vie :
la vie en toutes sit­u­a­tions. Vivre
inten­sé­ment tout ce qu’il y a à vivre
dans une vie. 

L’auteur, en prise avec le réel, vit chaque instant en poète, don­nant sa pro­pre déf­i­ni­tion de ce que sig­ni­fie « vivre en poète » :

Vivre en poète : celui
qui est capa­ble de don­ner aujourd’hui
une dimen­sion méta­physique et
anthro­pologique à la poésie. 

Il nous envoie un mes­sage plus fort que tous les slo­gans pes­simistes dont nous sommes assail­lis quo­ti­di­en­nement : con­tre le désir de mort sa voix s’élève comme une impul­sion de vie qui peut-être pour­rait bien éveiller la con­science, car « l’avenir n’est pas ce que l’on dit ». Il sait aus­si que les con­tra­dic­tions sont inhérentes à la con­di­tion humaine mais il sait aus­si que là est sa lib­erté : lib­erté d’en jouer, lib­erté d’en jouir.

Arnaud Le Vac a con­science que la poésie est capa­ble de mod­i­fi­er la rela­tion au monde alors il ren­verse les idées reçues et laisse libre cours à la sub­jec­tiv­ité et à la sen­si­bil­ité, prêt « à tout subir à plein vis­age ». Les temps s’enroulent dans un temps unique où se déroule une vie née de la poésie et qui elle-même génère la poésie. Le passé ne s’oppose plus au présent, l’innocence à la cul­pa­bil­ité, le dedans au dehors, la par­tie au tout, la sin­gu­lar­ité à la plu­ral­ité. Comme un ruban de Moe­bius la poésie (qui en serait la tor­sion) défie l’évidence pour nous ouvrir les yeux sur une autre réal­ité. Aus­si sommes-nous invités à aller de l’avant, à « tenir le pas gag­né » pour aller du con­nu vers l’inconnu, ou plutôt de l’apparence du con­nu vers la réal­ité de l’inconnu.

Présentation de l’auteur

Arnaud Le Vac

Arnaud Le Vac est né en 1978 en Ile-de-France. A pub­lié dans l’Anthologie Triages, les revues Ce qui reste, Paysages écrits, Pas­sage d’encres III, Réso­nance générale. Il dirige et ani­me la revue le sac du semeur. Revue le sac du semeur : https://lesacdusemeur.wordpress.com/

Bib­li­ogra­phie

Poésie

  • Tenir le pas gag­né, éd. du Cygne, 2023.
  • Reprenons les chemins d’ici, éd. du Cygne, 2019.
  • On ne part pas, éd. du Cygne, 2017.

Essai

  • Man­i­feste pour une poé­tique de la moder­nité vers Hugo, Baude­laire, Lautréa­mont, Rim­baud, Mal­lar­mé, Apol­li­naire, Bre­ton, Tzara, éd. du Cygne, 2021.

Publications dans des anthologies

  • « Présence éveil­lée », dans l’anthologie Triages, Voix unes & pre­mières, éd. Tara­buste, 2014.
  • « Place à la vie, place à la ville », dans Généra­tion Poésie debout, éd. Le Temps des Ceris­es, 2017.
  • « Les livres et les dis­ques », dans Le Chant du cygne, antholo­gie 2020, vingt ans de poésie con­tem­po­raine, éd. du Cygne, 2020.

Publications en revues

  • « Brève his­toire de la poésie [archive] », Ce qui reste, 2014.
  • « Ligne de partage [archive] », Paysages écrits n°22, 2014.
  • « Il n’en faut pas plus [archive] », Paysages écrits n°25, 2015.
  • « Ne pas suiv­re les voies ordi­naires [archive] », (Alain Jouf­froy), D’un corps d’é­coute [archive] : entre­tien avec Marcelin Pleynet, Paysages écritsn°26, 2015.
  • « Je devine et j’ose [archive] », inks, Pas­sage d’en­cres III, 2016.
  • « une vie humaine [archive] », Réso­nance générale n°9, L’Ate­lier du Grand Tétras, 2017.
  • « Une aven­ture intel­lectuelle vers une poé­tique du vivre en voix [archive] », entre­tien avec Serge Mar­tin, Le sac du semeur n°3, 2018.
  • « Une aven­ture poé­tique vers une parole épiphanique du temps » [archive] », entre­tien avec Pas­cal Boulanger, Le sac du semeur n°4, 2019.
  • « Pour une poé­tique de la moder­nité vers Baude­laire [archive] », Les Cahiers de Tin­bad n°8, éd. Tin­bad, 2019.
  • « De pas en pas vers un pas­sage de voix [archive] », Réso­nance générale n°10, L’Ate­lier du Grand Tétras, 2019.
  • « Hugo à l’œuvre : une moder­nité en action [archive] », Réso­nance générale n°11, Openedi­tion Hypothe­ses, 2020.
  • « Pour une poé­tique de la moder­nité vers Lautréa­mont [archive] », Les Cahiers de Tin­bad n°9, éd. Tin­bad, 2020.
  • « Une expéri­ence tou­jours nou­velle du lan­gage et de la vie [archive] », (Revue) Nu(e), n° 72, Serge Rit­man, 2020.
  • « Pour une poé­tique de la moder­nité vers Rim­baud [archive] », Les Cahiers de Tin­bad n°10, éd. Tin­bad, 2020.
  • « Le ciel dans la lumière de jan­vi­er et Quel sujet, quel corps [archive] », Poet­ry Sound Library, Zee Maps, 2020.
  • « Place de la Bastille [archive] », Le Génie libre n°1, 2021.
  • « Ta voix, ma voix [archive] » et « J’aime cette vie entre toutes », L’Or­eille voit n°1, 2022.
  • « Faire de ne pas faire [archive] », Notre sélec­tion de poèmes, Poèmes d’i­ci et d’ailleurs, Le Manoir des Poètes, 2022.
  • « À l’écart définif [archive] », Le Génie libre n°3, 2023.
  • « La ques­tion du sujet poé­tique et poli­tique [archive] » et « Dans une écoute vision du monde », L’Or­eille voit n°2, 2023.

Critiques[modifier | modifier le code]

  • « Tra­jec­toire déroutée [archive] », San­da Voï­ca, Poez­ibao, 2018.
  • « L’Impératif de la voix [archive], Serge Mar­tin, Poez­ibao 2019.
  • « Cet oubli main­tenant [archive] », Lau­rent Mourey, Recours au Poème, 2020.
  • « Itus et red­i­tus [archive] suivi d’un entre­tien avec Claude Minière », Tenir à son lan­gage, Le Club de Medi­a­part, 2020.
  • « L’In­time dense [archive] suivi d’un entre­tien avec Pas­cal Boulanger », Tenir à son lan­gage, Le Club de Medi­a­part, 2022.

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Irène Duboeuf

Irène Duboeuf, née à Saint-Eti­enne, vit depuis 2022 dans la Drôme, près de Valence. Elle est l’auteure des recueils Le pas de l’ombre, Encres vives, 2008, La trace silen­cieuse, Voix d’encre, 2010 (prix Marie Noël, Georges Riguet et Amélie Murat 2011), Trip­tyque de l’aube, Voix d’encre, 2013 (Grand prix de poésie de la ville de Béziers), Roma, Encres vives, 2015, Cen­dre lis­sée de vent, Unic­ité, 2017 (final­iste du prix des Trou­vères), Bor­ds de Loire, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers 2019, Efface­ment des seuils, Unic­ité, 2019, Vol­can, livre pau­vre col­lec­tion Daniel Leuw­ers, 2019, Un rivage qui embrase le jour, édi­tions du Cygne, 2021, Pal­pa­ble en un bais­er, édi­tions du Cygne, 2023. En tant que tra­duc­trice, elle a pub­lié Neige pen­sée, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum edi­tore, 2020, L’Alphabet du monde d’Amedeo Anel­li, Édi­tion du Cygne, 2020, Kranken­haus suivi de Car­net hol­landais et autres inédits, de Lui­gi Carotenu­to, Édi­tions du Cygne 2021, Hiver­nales et autres tem­péra­tures, d’Amedeo Anel­li, bilingue italien/français, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2022, Quatuors, d’Amedeo Anel­li, Libre­ria Ticinum Edi­tore, 2023, Des voix entourées de silence, Le Cygne, 2023. Ses tra­duc­tions de sept autres poètes ital­iens sont parues dans Babel, sta­ti di alter­azione, antholo­gie mul­ti­lingue d’Enzo Campi, Bertoni Edi­tore, 2022. Ses pro­pres poèmes sont traduits en ital­ien, espag­nol, arabe et chi­nois clas­sique. Site de l’auteure : https://irene-duboeuf.jimdofree.com
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