Revue élé­gante de pure poésie qui paraît deux fois l’an, Voix d’encre, la revue de la mai­son d’édition éponyme qui pub­lie « aus­si bien les inédits de quelques grands aînés d’hier que ceux des alliés sub­stantiels du temps présent. Parce qu’il faut sans trêve agrandir davan­tage ce domaine où nous voulons respir­er, tout par­courir du monde comme des pos­si­bles, toutes les dimen­sions du jour comme les innom­brables ailleurs. »pro­pose plusieurs poèmes de huit ou dix auteurs d’aujourd’hui, de France et d’ailleurs, des textes en vers et en prose, tou­jours inédits qu’Alain Blanc, l’éditeur et fon­da­teur de la revue, fait dia­loguer, à chaque livrai­son, avec l’œuvre d’un artiste (les encres ont la part belle, évidem­ment, mais on y décou­vre égale­ment des pho­togra­phies, des pein­tures, des lavis, des dessins, des séri­gra­phies, des logogrammes, des cal­ligra­phies… (Rap­pelons qu’Alain Blanc a été, en 1993, l’un des pio­nniers de l’édition de cal­ligra­phie). Au fil du temps, la revue à la cou­ver­ture marine et let­tres d’argent (lorsque je l’ai con­nue dans les années 2000) a fait l’objet de plusieurs vari­a­tions dans sa présen­ta­tion s’enrichissant depuis 2016 de couleurs y com­pris à l’intérieur.

Ce nou­veau numéro est déjà, d’un point de vue visuel, par­ti­c­ulière­ment beau. Les pro­pres encres d’Alain Blanc y jail­lis­sent en arabesques de feu, de cen­dre et de lumière – ponc­tu­ant les textes de dix auteurs par­mi lesquels plusieurs grands noms de la poésie.

Dans l’ordre de lec­ture : le poète argentin Ale­jan­dro Crot­to, (traduits par Omar Emilio Spos­i­to), Pierre Dhain­aut, Irène Duboeuf et Max Alhau, tous trois « auteurs Voix d’encre2 »,  Michel Pas­sel­er­gue, Jean-Pierre Otte, Jacques Vin­cent, Isabelle Gar­reau, Abdel­latif Laâbi et Didi­er Pobel, tous poètes de l’intériorité « qui habitent la terre entre l’ombre et la lumière, entre le doute et l’espérance »3 dont les textes s’articulent, se ques­tion­nent. Par­ler de cha­cun d’eux dépasserait le cadre de cet arti­cle. Aus­si, je ne cit­erai que quelques vers que je n’ai pu m’abstenir de soulign­er au cray­on tan­dis que je lisais…

Sen­suels et mys­tiques sont ceux d’Alejandro Crotto

 

 

Voix d’encre n.64, Mars 2021, 64 pages, 12 euros

Imag­i­nons, cha­cun de nos corps
et le soleil à l’intérieur : un escalier d’or

 

On retrou­ve Pierre Dhain­aut et son écri­t­ure entremêlée de nature et d’enfance

 

L’enfant
reconnaît
la neige
qu’il n’a pas
vue
encore 

 

Les textes pub­liés appar­tenant aux lecteurs, je m’abstiendrai de citer mes pro­pres vers parus sous le titre Les guet­teurs de feu et pour­suiv­rai la présen­ta­tion de la revue avec cette phrase des Rechants noc­turnes de Michel  Pas­sel­er­gue, extraits de Un roman pour Ophélie :

 

Nous brûlions de même étoile.[…] Psalmod­iée d’une paume fer­vente, la lumière gag­nait chaque degré de nos corps éblouis, et la nuit allait se froiss­er, s’unir aux dernières ombres du silence, vive encore des promess­es prodiguées par sa robe main­tenant lacérée.

 

Puis il y a les vers de Jean-Pierre Otte :

 

Nous voilà sans reflet, sauf
dans les yeux des autres 

 

Ceux de Jacques Vincent :

D’il à elle
D’elle à il
Nul ne se penche à la fenêtre pour appel­er l’autre
ne s’attarde pour l‘écouter
ou éprou­ver la peau d’une caresse 

 

d’ Isabelle Garreau…

 

Pourquoi ai-je ce sou­venir ? c’était hier
peut-être. Ton amour était l’unique amarre
de ces avatars de mes vies antérieures 

 

et la trou­blante sim­plic­ité de ceux d’Abdellatif Laâbi

 

Entre, entre
poésie !
Ma maison
t’est tou­jours ouverte
Fais comme chez toi
et s’il te manque
la moin­dre chose
n’hésite pas à demander 

 

Enfin Didi­er Pobel, l’homme au « par­ler ordi­naire » qui « habite dans un patelin / Tout au bout d’un hameau / où galope le vent », clôt la revue en nous par­lant à sa manière (directe et le plus sou­vent tein­tée d’humour) du Covid, de la mort et de la vie, et en se deman­dant pourquoi il rit à gorge déployée :

 

Peut-être tout sim­ple­ment est-ce
Parce que je suis vivant sur la terre
C’est tout de même un sacré privilège
me disais-je
Hier en vis­i­tant un cimetière. 

 

J’ai volon­taire­ment omis de citer les vers de Max Alhau, les gar­dant pour la fin, peut-être parce qu’ils pour­raient bien être mon « coup de cœur » : je  les avais presque tous soulignés…  j’ai dû choisir… je ter­mine donc avec le poème Une voix qui s’efface, qui a don­né son nom au titre des extraits :

 

Une voix qui s’efface,
dis­sipée par le temps et le vent.

Demeurent les mots
qui ne fail­liront pas
et ranimeront le silence,
le feu tou­jours en veille. 

 

Si les  écri­t­ures dif­fèrent, une unité de fond émane de la présente sélec­tion, faisant de ce numéro de Voix d’encre, sinon un livre, du moins beau­coup plus qu’une anthologie.

 

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Irène Duboeuf

Irène Dubœuf est née à Saint-Eti­enne et vit dans la Drôme. Elle a pub­lié dans de nom­breuses revues et antholo­gies et est l’auteure des recueils Le pas de l’ombre, Encres vives 2008, La trace silen­cieuse, Voix d’encre 2010, (prix Amélie Murat, prix Marie Noël, prix Georges Riguet 2011) Trip­tyque de l’aube, Voix d’encre 2013, (Grand Prix de poésie de la Ville de Béziers) Roma, Encres vives 2015, Cen­dre lis­sée de vent, Unic­ité 2017, (final­iste du Prix des Trou­vères), Efface­ment des seuils, Unic­ité 2019, Un rivage qui embrase le jour, édi­tions du Cygne 2021 et de livres pau­vres pour la col­lec­tion Daniel Leuw­ers. Tra­duc­trice d’auteurs ital­iens, elle pub­lie Neige pen­sée du poète philosophe et cri­tique d’art Amedeo Anel­li (directeur de la revue inter­na­tionale Kamen’) aux édi­tions Ticinum (Ital­ie) en mars 2020 et L’Alphabet du monde aux édi­tions du Cygne (France) en juin 2020. En 2021 paraît, tou­jours aux édi­tions du Cygne, Kranken­haus suivi de Car­net hol­landais et autres inédits, du poète et cri­tique lit­téraire Lui­gi Carotenu­to. Elle col­la­bore avec les revues français­es « Terre à ciel », « Ter­res de femmes », « Recours au poème » et pub­lie en Ital­ie dans les revues Cor­so Italia 7, l’EstroVerso, Poeti e poe­sia, Malpe­lo, Le voci del­la luna etc. On peut l’en­ten­dre lire un de ses poèmes sur le site Poet­ry Sound Library de Gio­van­na Iorio https://poetrysoundlibrary.weebly.com/poets.html et des extraits de ses tra­duc­tions et de ses pro­pres pub­li­ca­tions notam­ment sur la chaîne Youtube du Pic­co­lo Pre­sidio Poet­i­co https://www.youtube.com/channel/UCs_qs3Z7lv-E8OwL6MsDUZg enreg­istrés lors du col­loque « La tra­duc­tion, hos­pi­tal­ité lin­guis­tique et dia­logue de cul­ture » (Tavaz­zano, le 24 octo­bre 2020) Site de l’auteur : http://www.irene-duboeuf.jimdofree.com