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Claude-Raphaël Samama, Les chants d’Eros

« […] L’Amour pris à la racine charnelle où il se complaît, invente, s’échappe et nous surprend. La modalité du « Chant » invite à une lecture différente et libérée, avec ses échos, ses reconnaissances, ses surprises musicales et enchantées […] »  In Préface de l’auteur

Ces « Chants » sont l’histoire d’un homme et d’une femme – comme au premier jour – qui s’éprennent lentement, d’un amour charnel, son idée et ses possibles déclinaisons : « Au commencement était la chair » est-il écrit à la première ligne du Prologue.

Pour sa forme, l’Eros sera ici plus un ange androgyne aux ailes déployées tel que remarquablement dessiné par l’illustrateur de plusieurs poèmes (Jacques Cauda), que le daïmon arbitraire de la tradition gréco-latine. Dans maints « chants », un dieu prête sa voix alternativement à l’homme et à la femme comme dans le Cantique des cantiques hébreu ; dans d’autres, plusieurs mythes ou traditions sacrées viennent se mêler au voyage : les helléniques, Dyonisos ou Pan, le dieu égyptien Râ, l’hindou Shiva, tous convoqués pour les amants au cours de leur « voyage » vers une sorte d’horizon absolu.

L’organisation et le mouvement du Poème ressortissent à un diptyque intitulé pour le premier volet, « Premiers chants », et pour le deuxième « Chants seconds », avec  quatre-vingt-trois « Chants » au total. Tous ont en commun un phrasé et comme un rythme concertant : trame serrée de deux ou trois lignes formant versets qui se suivent, chapitre après chapitre et « Chant » après « Chant ».  

Claude-Raphaël Samama, Les chants d’Eros, Illustrations de Jacques Cauda, 2021, éditions Baudelaire, 150 pages, 12 €.

Du premier volet du diptyque au second, la tonalité toutefois diffère quelque peu. A l’Allegro des 39 « Premiers chants » – alertes, enthousiastes et parfois oniriques – succèdent, plus méditatifs, avec une touche de nostalgie, les 44 suivants. Ce distinguo sur la tonalité m’est inspiré par le petit diptyque de jeunesse du poète anglais Milton au XVIIème siècle, L’Allegro et Il penseroso (ouvrage qui se trouvait, par l’un de ces hasards que l’on n’explique pas, juste à côté de la table où j’écrivais dans un coin de ma bibliothèque..).

A l’évidence, ces « Chants d’Eros » reflètent un changement d’état d’âme, sinon de tonalité, lorsqu’on passe de la partie I à la partie II.  Il n’est que de regarder les verbes : dans le premier volet, c’est ce qui a eu lieu, définitif, intangible, miraculeux, exprimé par le « perfect » (passé composé, passé simple) ; dans le second volet en revanche, c’est l’ « imperfect » (l’imparfait) qui se continue dans le présent et appelle l’interrogatif… Mais ne nous y trompons pas ! L’idée de l’Amour, son temps, ses métamorphoses, la portée, le statut des verbes n’intéressent que de haut, disons – de la lointaine Sirius la composition d’ensemble des poèmes qui tournent autour de leur secret. En dehors du Prologue, l’auteur ne nous livre rien des énigmes ou des choix de fabrication de son œuvre…Quelles sont la materia prima et aussi la secunda de ce texte fleuve qui se désigne comme un « roman-poème », une narration allusive avec ses personnages, son intrigue humaine et au-delà, en contrepoint poétique et un peu provocateur du genre établi !

Il serait fastidieux de passer en revue les nombreuses et savantes images – pour l’essentiel des métaphores ou métonymies charnelles, marines, célestes ou terriennes (…) – dont se nourrissent les cent cinquante pages du livre. Il y a ici un arcane que chacun peut chercher ou reprendre à son compte… « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » dit Baudelaire dans les « Fleurs du mal ». Ainsi, la materia prima de ces « Chants » serait, mutatis mutandis, « la chair des mots », le lancement d’images inédites et comme d’une substance sonore s’abouchant à « la chair de l’Amour », la faisant chanter. Imaginalement ! Là seraient cachées en quelque endroit une « pierre philosophale » et une poétique conquérante… J’en suggère l’apparition, la divine apparition, au Chant XXXXIV– chant sibyllin s’il en est – où surgissent Charybde et Scylla, ces deux écueils redoutés des anciens navigateurs, lieu de dangereux remous, mais lieu aussi où se réfugient la vie et la mort, ombilic irradiant en spirales dans plusieurs autres endroits du Poème. Le ton s’en fait alors prophétique mais suivant la modalité du passé, sa souvenance… « Qui, à une torchère d’or, allumait bien ces feux dans des ciels aperçus de nous seuls, laissait monter des chants sublimes aux orgues puissantes du concevable ? » / « Quel œil mental s’installait à ces balcons cosmiques (l’œil du lecteur aussi bien), d’où l’on apercevait sans faiblir les spectres rieurs de la mort ? »

Au-delà d’une lecture qui prend la forme d’une croisière lumineuse ou tourmentée, il serait difficile de ne pas voir dans ces « Chants » – dont certains appellent leur libre appropriation – la résonnance de l’une ou l’autre « tradition hermétique », à laquelle se mêle aussi un « inconscient » à l’œuvre, où la magie des corps délivrés convoque l’infinité de leur écho !

Présentation de l’auteur

Claude-Raphaël Samama

Claude-Raphaël Samama est un universitaire qui, outre ses travaux d’études et de recherches en anthropologie culturelle et en philosophie, a publié très tôt – en parallèle à d’autres ouvrages – des livres de poésie. Au poème isolé, individuel, circonstanciel, il a souvent préféré de larges compositions poétiques au service d’une grande thématique ou d’une visée élargie.

  • Désarmer la nuit aux Editions Saint- Germain-Des-Près, fondées par Jean Orizet et Jean Breton, est son premier recueil.
  • Savoirs ou les jeux de l’Oir, sous-titré Quantiques chez Galilée (1980), fut un livre remarqué de déconstruction sémantique et phonologique de la langue, mais pour forcer sa poéticité.
  • Le Livre des lunes,   Intertextes (1992) est un ouvrage de chants poétiques – précédés de Haïku pour saluer la lune – qui font écho au foisonnement symbolique lié à l’astre lunaire  et ouvrent à ce qu’une lecture poétique peut engendrer sur le registre de l’imaginaire, à partir d’un tel analogon et au-delà de ses métaphores  traditionnelles.
  • Les poèmes du soi - Variations sur le thème de l’unité, La Présence et l’Exil - Proses poétiques et En regard des jours (2012), tous trois chez L’Harmattan, Collection Poètes des cinq continents, ont suivi. Plusieurs des textes de ces derniers recueils ont connu d’abord une publication dans la revue Phréatique, où Gérard Murail, Georges Sédir et Maurice Couquiaud ont, tout au long, été attentifs au travail poétique de l’auteur. Jacques Eladan, critique de poésie et auteur d’une Anthologie des poètes juifs de langue française, où il figure, Courcelles édition (2ème édition, 2010), a souvent soutenu aussi sa démarche et son inspiration.     
  • Around circles. Autour des cercles, Editions Caractères (2000), écrit directement en anglais puis traduit en français pour servir à l’expérience d’un contrepoint de langue et de « tonalité », constitue un « exercice spirituel » de dépaysement et de découplage de la réalité entre ses composantes familières et son essentialité poétique.
  • 105 essais de Miniatures spirituelles, Maisonneuve et Larose (2005) se compose d’une série de textes courts extrêmement condensés – l’idée ayant d’abord été de concevoir des poèmes sur les poètes (…) – où l’écriture poétique est mise cette fois au service d’un « méta-discours » dont le thème est une œuvre et son auteur, poète ou non. Ces derniers se voient alors rapportés autant aux « images » laissées à une postérité, qu’à une complicité révérente ou critique avec chacun. On y trouve Valéry, Gongora, Donne, Auden, Rimbaud, Daumal, Borges, Keats, Stendhal, Laforgue, Perse, Dickinson, Proust, Pessoa, Basho ou Ibn’Arabi… Ce livre original, hors des sentiers battus académiques, reste dans l’attente d’une réception à sa hauteur. A son propos, Julien Gracq a pu déclarer : « …et peut-être cet essai ouvrira-t-il un chemin. ». D’autres « miniatures » ont été écrites depuis et paraissent parfois en revue, lire par exemple, Goethe in L’Art du Comprendre n°14, Giordano Bruno, in Europe n° 937, Octave Mirbeau, dans Poésie /première n° 61.

 

 

 

La poétique de Claude-Raphaël Samama a pu être qualifiée de « poésie métaphysique » et sa manière comme alliant la « densité » du sens à une visée de l’être, approfondi à partir de son infini questionnement. Son écriture, à contre courant des poésies trop attachées à la première personne, des textes portés à mettre à mal les structures de la langue, observe plutôt le respect de celle-ci en travaillant à sa beauté sonore (Mallarmé, Apollinaire, Reverdy…), sa profondeur cachée (Valéry, Char, Hölderlin, Trakl…), au dépaysement de la pensée (Novalis, Nerval, Perse, Ungaretti, Cavafy, Seféris, Brodsky, Szymborska…). La poésie aurait pour fonction de créer un espace réflexif et révélateur, une demeure hospitalière et emplie d’échos. Le poème, s’il aboutit, ouvre alors un chemin pour pleinement y accéder.

  Outre des articles et des nouvelles parus ces trois dernières années, Claude-Raphaël Samama a donné en 2015, chez L'Harmattan, un travail de recherche et d’intentions intitulé Le spirituel et la psychanalyse. Il  doit faire paraître prochainement la traduction de plusieurs dizaines de poésies de William Butler Yeats dont certaines sont inédites en langue française.

Son prochain recueil poétique s'intitulera : Ce qui là se trouve, où le poème, pour mieux exister, s’essaye parfois à des formes nouvelles de saisie dans une langue toujours tenue. Le poème comme récit éphémère de ce qui « est », la poésie comme condensation du sens, les deux libérant des lourds appareils du "romanesque".

La musique n’est pas étrangère à la quête poétique et l’environnement créatif de l’auteur, qui compose aussi.

Site : www.claude-raphael-samama.org

Autres lectures




Claude-Raphaël SAMAMA , L’Attente

 

 L’attente

 

Attendre, attendre, 
A la clarté du jour ou ses déclins,
Au gré des insomnies rebelles
Ou  la touffeur moite de ces matins 
Qui n’auraient rien à dire encore.
Aménager à force une patience
Où toute parole est renoncée,
Reporter, à un futur sans voix, 
Ce qui déjà s’avorte ou te récuse,  
Au nom des importances inégales.                       
Laisser s’effilocher les nuages, 

Regarder décroître la lune pleine, 
Suivre le  ballet muet des  étoiles
Et leurs pupilles, veillant dans le noir
Les hauts murs de la ville séculaire.                       

N’être plus qu’un bruit d’horloge,
D’heures vainement promises 
A un amant que ta porte imagine, 
Ou celui, plus souvent renoncé,
En raison d’impitoyables anathèmes.

 

                        *                

 

Pourtant la terre allait sa ronde,
Et revenaient à leurs moments,
L’hirondelle ou le souffle du vent,
Lui, le plus fidèle à son office
De sable et de rêves emportés.
La tribu des tiennes, en rond assise,
N’avait elle droit qu’à l’oracle 
De ceux qui, à leur guise dressés, 
Faisaient parler un autre ciel
Ou fixaient un statut rétréci à la rose ?

 

                         *        

 

Innombrables, vous patientiez sans  trêve
Le long d’une berge de nuit désertée,
Et les eaux charriaient des branches mortes
Sans risque pour elles d’embrasement 
Ou l’idée même d’un cours qui s’inverse.
Le rite s’imposait, ténébreux et morne,  
Perpétuant des chronologies anciennes,  
Le soupçon inique d’une engeance, 
Ta relégation et tes sœurs de pitié,
Dans une insupportable éclipse.
Le chemin était sans détours, 
Tout de peines et d’absentement,
Et, à un même point, revenait
Ta marche muette à pas forcés
Excluant d’autres allures.

 

                          * 

 

Ton visage restait sans visage,
Et tes yeux, à force, indifférents, 
Reflétaient la destinée cruelle 
Des regards absents ou, tournés
Vers des chemins de ronces.                      

Voilée était ta figure souveraine,
Sous les parements de la pudeur,
Silencieux rendu, ton principe initial,
En gage ton désir, sa quintessence tue,    
Et bannis, les secrets insignes de ta chair.   

Quoi pourtant de tes enchantements,
Des grâces dont  ta nature dispose,
Qu’ils voulaient mettre en cage,
Toi, au goût certain des paradis 
Sacrés qu’anticipe ton ombre ?

 

                            *

 

Il faudrait n’être qu’à toi seule, 
Plus sûre  que mille épousailles
Scellées d’une omission cruelle,  
Telle loi fixée à des destins rompus,
Et alors, interdites les noces véritables.        

 

                          *

 

J’ai mémoire de ta silhouette assombrie,
D’où s’était éloigné à la longue, l’augure  
Du  baiser de vie à ton front ou tes lèvres,
Elles, aux mots n’espérant plus des hommes,
Du soleil lui-même et du corps aboli.

– Que dit  l’attente qui plus rien n’attend, 
Et qui attend quand même au bout du compte ?
Faut-il ainsi nommer le désespoir ?

 

Présentation de l’auteur

Claude-Raphaël Samama

Claude-Raphaël Samama est un universitaire qui, outre ses travaux d’études et de recherches en anthropologie culturelle et en philosophie, a publié très tôt – en parallèle à d’autres ouvrages – des livres de poésie. Au poème isolé, individuel, circonstanciel, il a souvent préféré de larges compositions poétiques au service d’une grande thématique ou d’une visée élargie.

  • Désarmer la nuit aux Editions Saint- Germain-Des-Près, fondées par Jean Orizet et Jean Breton, est son premier recueil.
  • Savoirs ou les jeux de l’Oir, sous-titré Quantiques chez Galilée (1980), fut un livre remarqué de déconstruction sémantique et phonologique de la langue, mais pour forcer sa poéticité.
  • Le Livre des lunes,   Intertextes (1992) est un ouvrage de chants poétiques – précédés de Haïku pour saluer la lune – qui font écho au foisonnement symbolique lié à l’astre lunaire  et ouvrent à ce qu’une lecture poétique peut engendrer sur le registre de l’imaginaire, à partir d’un tel analogon et au-delà de ses métaphores  traditionnelles.
  • Les poèmes du soi - Variations sur le thème de l’unité, La Présence et l’Exil - Proses poétiques et En regard des jours (2012), tous trois chez L’Harmattan, Collection Poètes des cinq continents, ont suivi. Plusieurs des textes de ces derniers recueils ont connu d’abord une publication dans la revue Phréatique, où Gérard Murail, Georges Sédir et Maurice Couquiaud ont, tout au long, été attentifs au travail poétique de l’auteur. Jacques Eladan, critique de poésie et auteur d’une Anthologie des poètes juifs de langue française, où il figure, Courcelles édition (2ème édition, 2010), a souvent soutenu aussi sa démarche et son inspiration.     
  • Around circles. Autour des cercles, Editions Caractères (2000), écrit directement en anglais puis traduit en français pour servir à l’expérience d’un contrepoint de langue et de « tonalité », constitue un « exercice spirituel » de dépaysement et de découplage de la réalité entre ses composantes familières et son essentialité poétique.
  • 105 essais de Miniatures spirituelles, Maisonneuve et Larose (2005) se compose d’une série de textes courts extrêmement condensés – l’idée ayant d’abord été de concevoir des poèmes sur les poètes (…) – où l’écriture poétique est mise cette fois au service d’un « méta-discours » dont le thème est une œuvre et son auteur, poète ou non. Ces derniers se voient alors rapportés autant aux « images » laissées à une postérité, qu’à une complicité révérente ou critique avec chacun. On y trouve Valéry, Gongora, Donne, Auden, Rimbaud, Daumal, Borges, Keats, Stendhal, Laforgue, Perse, Dickinson, Proust, Pessoa, Basho ou Ibn’Arabi… Ce livre original, hors des sentiers battus académiques, reste dans l’attente d’une réception à sa hauteur. A son propos, Julien Gracq a pu déclarer : « …et peut-être cet essai ouvrira-t-il un chemin. ». D’autres « miniatures » ont été écrites depuis et paraissent parfois en revue, lire par exemple, Goethe in L’Art du Comprendre n°14, Giordano Bruno, in Europe n° 937, Octave Mirbeau, dans Poésie /première n° 61.

 

 

 

La poétique de Claude-Raphaël Samama a pu être qualifiée de « poésie métaphysique » et sa manière comme alliant la « densité » du sens à une visée de l’être, approfondi à partir de son infini questionnement. Son écriture, à contre courant des poésies trop attachées à la première personne, des textes portés à mettre à mal les structures de la langue, observe plutôt le respect de celle-ci en travaillant à sa beauté sonore (Mallarmé, Apollinaire, Reverdy…), sa profondeur cachée (Valéry, Char, Hölderlin, Trakl…), au dépaysement de la pensée (Novalis, Nerval, Perse, Ungaretti, Cavafy, Seféris, Brodsky, Szymborska…). La poésie aurait pour fonction de créer un espace réflexif et révélateur, une demeure hospitalière et emplie d’échos. Le poème, s’il aboutit, ouvre alors un chemin pour pleinement y accéder.

  Outre des articles et des nouvelles parus ces trois dernières années, Claude-Raphaël Samama a donné en 2015, chez L'Harmattan, un travail de recherche et d’intentions intitulé Le spirituel et la psychanalyse. Il  doit faire paraître prochainement la traduction de plusieurs dizaines de poésies de William Butler Yeats dont certaines sont inédites en langue française.

Son prochain recueil poétique s'intitulera : Ce qui là se trouve, où le poème, pour mieux exister, s’essaye parfois à des formes nouvelles de saisie dans une langue toujours tenue. Le poème comme récit éphémère de ce qui « est », la poésie comme condensation du sens, les deux libérant des lourds appareils du "romanesque".

La musique n’est pas étrangère à la quête poétique et l’environnement créatif de l’auteur, qui compose aussi.

Site : www.claude-raphael-samama.org

Autres lectures




Sept poèmes

 

Dedans

 

Entre nous, qui, quoi, fait son lit, se couche
Et puis s’endort ou bien réveille la maisonnée
D’intempestifs bruits  ou d’échos en accord,
Disposant à foison  des  miroirs exacts,
Ou fomentant mille rêves de semblants ?

 

                            *

Une boîte noire nous veut et nous agite,
Imposant ses lois à une lumière celée,
C’est d’elle qu’il s’agit à ton corps défendant
Que sa magie  opère du dehors ou en  toi.

                            *

Là sont  l’intime connaissance  et un  étrange  insu,
Où, au monde  multiplié, ton regard double accède,
Machine calme ou haletante qui subit,  recycle, invente
D’intérieurs soleils, des lunes insistantes,
Les spectres du réel, des fantômes de toi,
D’obscurs embrasements.

                            *

Cela seul à tenir, le reste à l’avenant,
Le visible supposé, l’invisible à la tâche.

 

 

 

Le cimetière d’étoiles

 

Tu avais appelé cette étrange traînée  
Sous nos pas, un cimetière d’étoiles.
On en voyait d’une blancheur laiteuse
A l’instar prodigue de leurs sœurs du ciel,

                            *

D’autres, roses  avec des tresses noires
A leurs branches, maintenant immobiles,
Vinrent après celles aux teintes d’huitre
Ou plus nacrées, leur  ventre à la renverse.

                            *

Elles s’égrenaient là par couples ou grappes,
Formant ce chemin endeuillé de dépouilles
Devant notre marche songeuse et recueillie.

                            *

Le sable déployait, autour de ces guirlandes 
Aux lampions éteints qu’avait laissés la nuit,
Le  linceul trouble d’un matin froid d’hiver.

                            *

Tu dis alors que leur interminable cortège
Aurait pu témoigner d’une agonie dérobée, 
D’une colère de la mer, secrète et sans merci.

 

 

 

La chasse

 

Vieux chasseur parlant aux dieux,
Il y aurait tes invocations patientes,
Ces flèches ou paroles décochées
Vers des proies vives de symboles,
Tes appeaux dans une nuit rebelle.

                        *

Pisteur d’étoiles et vaillant éclaireur
Sur les traces de centaures amènes,
Ou de plus revêches licornes,
Avec tant d’autres butins à satiété,
Voilà ton office depuis longtemps.

                        *

Il suffit de ton doigt décidé
Et se joue le destin  des palombes,
D’armes plus lourdes brandies
A l’enseigne de tes visées martiales,
Et nous répond ton nom.

                       *

Force dépouilles se tiennent là
Et à foison excitent ta faconde,
Tu t’engages ou t’avances encore 
Vers le tout des êtres à astreindre

Et d’allègres menées à ton avantage.

                       *

Le renard serait meilleur au fond
Qui suscite tant de cors à sa suite,
A l’exemple d’autres quêtes folles,
Et ces traces tenues du même sort, où
Avec ses chiens, l’homme se découvre.

                       *

Eclaireur, rendu taillable à merci,
Du désert à la ville, vendant à tous    
Sa chanson tel un trophée ultime,
Coure ce héros sans but ni maître
Sur des pistes arides et sans fin.

                       *

Ton temps compté au large
Te fait signe d’une autre urgence,
Tu  préfères les miroirs brisés
Dont s’est éprise ta face nue,
Et que s’efface l’envers des songes.

                       *

Ton récit, à tout cela ressemble,
Alliant la chimère à ses vicissitudes
Et le veneur en toi, à la meute attelé,
Tranche pour l’impitoyable  issue 
De gestes insoucieux qui acquiescent.

 

 

Les eaux amères

 

J’ai bu tes eaux amères
A leur aval sombre
Et la coulée des jours
A leur flot là, mêlés.

 

Ces eaux avaient le goût
De  leur plus bas étiage
Que l’océan dédaigne
Et laisse là stagner.

 

La source était tarie
Et ne cessait ma soif,
Tantale éconduit
De la tablée des dieux.

 

Ces eaux là s’offraient
D’une ordalie étrange
A ma barque enlisée
Sous ton regard absent.

 

Des oiseaux bleus croisaient
Au large de ta lagune,
D’ailleurs me faisant signe, 
Et de toi envolée.

 

 

La part d’ombre

 

Tu ne sauras pas ce qui te sait
En dépit de tant de calculs
Et tous les nombres d’or,
A distance prise de toi
Ou au cœur de l’intime.

                     *

Assures-tu que tu saches,
Rien, de la chose tramée,
Ni sa source abondante,
La teneur de ses eaux
Ou leur nature même.

                     *

Ici, là, farfadets des rêves,
Lutins de la lumière crue 
Ou adeptes sûrs de la nuit,  
Daignant peu à des traces,
Et moins encore de signer. 

                     *

Ainsi sont tenus le sachant et l’insu,
Accordés ou jaloux l’un de l’autre,
Corps à corps sans reste ni merci
Où cliquète à une chaîne invisible
La ribambelle sonore des mots.

                      *

Tu ne sauras pas ce qui te sait
Malgré le dictionnaire et l’archive
Le système de toi ou celui des étoiles,
A ce miroir pourtant des  mondes
Renvoyant un sarcasme et son secret.

 

 

 

L’absence

 

Il en est une fatale et qui te laisse
Appauvri et nu, relégué à toi seul
Et pour longtemps jusqu’à ton tour ;
Une sans merci ni remède,
Quoique tu dises ou veuilles encore,
Elle, l’ultime et qui tout emporte.

                     *

Il en est une autre plus apaisée,
Celle généreuse des souvenirs
Avec leur déversoir intime
Qui n’a pas dit son dernier mot
Et garde du temps des faveurs
Où perdure à sa façon ce qui fut.

                     *

L’absence a ses deux figures,
Hélas, parfois d’une douleur égale.

 

 

La lumière

 

Tu serais la plus nue
Et le vêtement du monde,
Corps sans fin distendu
A l'échelle de toujours,
De tout commencement.

                   *

Fais-tu voir ou es-tu vue,
Sans couleur, autant que toutes,
Source des mille naissances,
Ou bien, si à jamais tu t'absentes,
Greffière et scellés de la mort ?

                   *

L'ultime qui te concerne
Serait une présence impalpable
Nous laissant ignorants de toi,
Cause discrète du tangible
Que tu pourchasses à son insu.

                   *

Qui détient ton secret,
L'ardeur du feu qui ne pardonne
D’immatérielles clartés disposant de ta gloire,
De prolifiques soleils ou nos emprunts
Depuis, aux surprises célestes de la nuit ?

                  *

Gardienne de tes secrets
Cachant ta source et tes buts,
Consentante ou imprenable,
Voyageuse ou capturée,
Serais-tu le phare de l’infini ?

                  *

Il resterait ton dedans en nous
Laissant à la porte cent hypothèses,
Et ici, plus qu'ailleurs, ta métaphore,
Qui permet tout surgissement
A ton autre miroir consenti.

© ClRS