Dedans

 

Entre nous, qui, quoi, fait son lit, se couche
Et puis s’endort ou bien réveille la maisonnée
D’intempestifs bruits  ou d’échos en accord,
Dis­posant à foi­son  des  miroirs exacts,
Ou fomen­tant mille rêves de semblants ?

 

                            *

Une boîte noire nous veut et nous agite,
Imposant ses lois à une lumière celée,
C’est d’elle qu’il s’agit à ton corps défendant
Que sa magie  opère du dehors ou en toi.

                            *

Là sont  l’intime con­nais­sance  et un  étrange  insu,
Où, au monde  mul­ti­plié, ton regard dou­ble accède,
Machine calme ou hale­tante qui subit,  recy­cle, invente
D’intérieurs soleils, des lunes insistantes,
Les spec­tres du réel, des fan­tômes de toi,
D’obscurs embrasements.

                            *

Cela seul à tenir, le reste à l’avenant,
Le vis­i­ble sup­posé, l’invisible à la tâche.

 

 

 

Le cimetière d’étoiles

 

Tu avais appelé cette étrange traînée 
Sous nos pas, un cimetière d’étoiles.
On en voy­ait d’une blancheur laiteuse
A l’instar prodigue de leurs sœurs du ciel,

                            *

D’autres, ros­es  avec des tress­es noires
A leurs branch­es, main­tenant immobiles,
Vin­rent après celles aux teintes d’huitre
Ou plus nacrées, leur  ven­tre à la renverse.

                            *

Elles s’égrenaient là par cou­ples ou grappes,
For­mant ce chemin endeuil­lé de dépouilles
Devant notre marche songeuse et recueillie.

                            *

Le sable déploy­ait, autour de ces guirlandes 
Aux lam­pi­ons éteints qu’avait lais­sés la nuit,
Le  linceul trou­ble d’un matin froid d’hiver.

                            *

Tu dis alors que leur inter­minable cortège
Aurait pu témoign­er d’une ago­nie dérobée, 
D’une colère de la mer, secrète et sans merci.

 

 

 

La chas­se

 

Vieux chas­seur par­lant aux dieux,
Il y aurait tes invo­ca­tions patientes,
Ces flèch­es ou paroles décochées
Vers des proies vives de symboles,
Tes appeaux dans une nuit rebelle.

                        *

Pis­teur d’étoiles et vail­lant éclaireur
Sur les traces de cen­tau­res amènes,
Ou de plus revêch­es licornes,
Avec tant d’autres butins à satiété,
Voilà ton office depuis longtemps.

                        *

Il suf­fit de ton doigt décidé
Et se joue le des­tin  des palombes,
D’armes plus lour­des brandies
A l’enseigne de tes visées martiales,
Et nous répond ton nom.

                       *

Force dépouilles se tien­nent là
Et à foi­son exci­tent ta faconde,
Tu t’engages ou t’avances encore 
Vers le tout des êtres à astreindre

Et d’allègres menées à ton avantage.

                       *

Le renard serait meilleur au fond
Qui sus­cite tant de cors à sa suite,
A l’exemple d’autres quêtes folles,
Et ces traces tenues du même sort, où
Avec ses chiens, l’homme se découvre.

                       *

Eclaireur, ren­du tail­l­able à merci,
Du désert à la ville, ven­dant à tous 
Sa chan­son tel un trophée ultime,
Coure ce héros sans but ni maître
Sur des pistes arides et sans fin.

                       *

Ton temps comp­té au large
Te fait signe d’une autre urgence,
Tu  préfères les miroirs brisés
Dont s’est éprise ta face nue,
Et que s’efface l’envers des songes.

                       *

Ton réc­it, à tout cela ressemble,
Alliant la chimère à ses vicissitudes
Et le veneur en toi, à la meute attelé,
Tranche pour l’impitoyable  issue 
De gestes insoucieux qui acquiescent.

 

 

Les eaux amères

 

J’ai bu tes eaux amères
A leur aval sombre
Et la coulée des jours
A leur flot là, mêlés.

 

Ces eaux avaient le goût
De  leur plus bas étiage
Que l’océan dédaigne
Et laisse là stagner.

 

La source était tarie
Et ne ces­sait ma soif,
Tan­ta­le éconduit
De la tablée des dieux.

 

Ces eaux là s’offraient
D’une ordalie étrange
A ma bar­que enlisée
Sous ton regard absent.

 

Des oiseaux bleus croisaient
Au large de ta lagune,
D’ailleurs me faisant signe, 
Et de toi envolée.

 

 

La part d’ombre

 

Tu ne sauras pas ce qui te sait
En dépit de tant de calculs
Et tous les nom­bres d’or,
A dis­tance prise de toi
Ou au cœur de l’intime.

                     *

Assures-tu que tu saches,
Rien, de la chose tramée,
Ni sa source abondante,
La teneur de ses eaux
Ou leur nature même.

                     *

Ici, là, far­fadets des rêves,
Lutins de la lumière crue 
Ou adeptes sûrs de la nuit, 
Daig­nant peu à des traces,
Et moins encore de signer. 

                     *

Ain­si sont tenus le sachant et l’insu,
Accordés ou jaloux l’un de l’autre,
Corps à corps sans reste ni merci
Où cliquète à une chaîne invisible
La rib­am­belle sonore des mots.

                      *

Tu ne sauras pas ce qui te sait
Mal­gré le dic­tio­n­naire et l’archive
Le sys­tème de toi ou celui des étoiles,
A ce miroir pour­tant des  mondes
Ren­voy­ant un sar­casme et son secret.

 

 

 

L’absence

 

Il en est une fatale et qui te laisse
Appau­vri et nu, relégué à toi seul
Et pour longtemps jusqu’à ton tour ;
Une sans mer­ci ni remède,
Quoique tu dis­es ou veuilles encore,
Elle, l’ultime et qui tout emporte.

                     *

Il en est une autre plus apaisée,
Celle généreuse des souvenirs
Avec leur déver­soir intime
Qui n’a pas dit son dernier mot
Et garde du temps des faveurs
Où per­dure à sa façon ce qui fut.

                     *

L’absence a ses deux figures,
Hélas, par­fois d’une douleur égale.

 

 

La lumière

 

Tu serais la plus nue
Et le vête­ment du monde,
Corps sans fin distendu
A l’échelle de toujours,
De tout commencement.

                   *

Fais-tu voir ou es-tu vue,
Sans couleur, autant que toutes,
Source des mille naissances,
Ou bien, si à jamais tu t’absentes,
Gref­fière et scel­lés de la mort ?

                   *

L’ul­time qui te concerne
Serait une présence impalpable
Nous lais­sant igno­rants de toi,
Cause dis­crète du tangible
Que tu pour­chas­s­es à son insu.

                   *

Qui détient ton secret,
L’ardeur du feu qui ne pardonne
D’immatérielles clartés dis­posant de ta gloire,
De pro­lifiques soleils ou nos emprunts
Depuis, aux sur­pris­es célestes de la nuit ?

                  *

Gar­di­enne de tes secrets
Cachant ta source et tes buts,
Con­sen­tante ou imprenable,
Voyageuse ou capturée,
Serais-tu le phare de l’infini ?

                  *

Il resterait ton dedans en nous
Lais­sant à la porte cent hypothèses,
Et ici, plus qu’ailleurs, ta métaphore,
Qui per­met tout surgissement
A ton autre miroir consenti.

© ClRS

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