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Jacques Rancourt, Fragments du temps qui court, extraits

Renaissance                                                                                                   

Un matin comme celui-ci
l’eau revient du ciel
après des semaines d’absence

elle arrive sous forme de pluie
se mêle aux bruits
dissipe le gris sur la matière

un enfant passe en courant
il n’avait rien prévu du temps qu’il fait
il devient le temps qu’il fait

 

Évanescents                                                                                                   

C’est ainsi que nous passons
en discontinu
dans la vie les uns des autres

le soleil ni l’horloge
n’y trouvent à redire
sur le fond ni sur la forme

parfois les ascenseurs se croisent
on se souvient du futur ou du passé
on n’est que plume au vent

 

Retour

Ce jour de neige à Paris
ne ressemble à aucun autre
de mémoire récente

les platanes ont déjà feuillé                                                                            
les magnolias fleuri
presque les cerisiers

l’hiver est revenu sans prévenir
la tête à l’envers
il faut lui faire une place

 

Discrétion

Au moment de partir
il a voulu relire sa bible
et rembourser ses dettes

le toit était à refaire
et l’aspirateur à remplacer
il n’en a pas parlé

il s’est éteint tout seul
comme une bougie à court de cire
comme une âme à court de corps

 

Disparition                                                                                                              

Quel serait votre avis
sur un jour en train de déraper
vers son fac-similé ?

votre avis sur l’enfance
déplacée d’école en école
sans ses instituteurs ?

on dirait la pluie
en train de fuir au loin
sans attendre le vent

 

Recueillement

Je représente la nuit
ce qui reste de lumière en moins
sur mon ombre personnelle

la parole s’est assise
à côté du silence 
comme auprès d’un frère aîné

nous comptons les survivants
ils se comptent entre  eux
le compte n’est jamais juste

 

Absorption                                                                                                     

Le tu était souvent un je
énoncé en plus discret
pour n’effrayer personne

cela se passait en fait
à une époque lointaine
non encore révolue

vous versiez l’eau dans la bassine
et c’est l’eau
qui finissait par vous boire

 

Image de Une © Caroline Halazy, mai 2018.

Présentation de l’auteur

Jacques Rancourt

Né au Québec en 1946, il vit à Paris depuis 1971, est poète, traducteur et essayiste. À la suite d’une maîtrise de lettres sur la revue Le Pont de l’épée , d’un doctorat sur la poésie africaine et antillaise de langue française, ainsi que sa participation en 1973 à la rédaction de l’important panorama de Serge Brindeau La poésie contemporaine de langue française, il a publié nombre d’essais et anthologies consacrés à la poésie de langue française. Directeur du Festival franco-anglais de poésie et de la revue internationale de poésie et d’art visuel La Traductière de 1983 à 2014, il a par ailleurs traduit les poètes de langue anglaise John F. Deane (Irlande), Susan Wicks (Angleterre), Alex Skovron (Australie) et Toh Hsien Min (Singapour), les poètes latino-américains Néstor Ulloa (Honduras) et Alejandra Mendez (Argentine), de même que le poète israélien Amir Or et la poète japonaise Shizue Ogawa.

Comme poète, depuis La journée est bien partie pour durer parue en 1974, Jacques Rancourt a publié une trentaine de recueils de poèmes, livres d’artiste et recueils de haïkus. Il a reçu le prix européen de poésie Dante 2018 pour l’ensemble de son œuvre.
Comme essayiste, son dernier ouvrage, La traversée des langues – Essai sur le fonctionnement des langues à travers le monde, a paru aux éditions Armand Colin en 2023.

Bibliographie

POÉSIE
La journée est bien partie pour durer (Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1974)
L’eau bascule (RmqS, Méry-sur-Oise, 1974)
Le soir avec les autres (Paris, sept poèmes avec gravures sur bois d’Alix Haxthausen, G.D.,
1978)
Le pont verbal (Paris, SGDP, coll. « Poètes contemporains » , 1980)
Les choses sensibles (Montréal, l’Hexagone, 1989)
Les quinze apôtres (Paris, avec dessin de Michel Mousseau, 1989, réédité avec quinze
nouveaux poèmes en 1994 sous le titre Les trente apôtres)
L’eau (poème, H.C., avec sept lavis d’Yves-Marie-Heude, 1994)
La condition terrestre (Charlieu, La Bartavelle, 1995)
The Distribution of Bodies (choix de poèmes et traduction de John F. Deane, Dublin, Dedalus
Press, 1995)
Gravitations (édition bilingue, traductions de John F. Deane, avec eaux-fortes de Michèle
Dadolle, Paris, Signum, 2001)
La nuit des millepertuis (Montréal, Trois / Paris, le Temps des cerises, 2002)
L’instant prodigue (Amay, l’Arbre à paroles, 2003)
Comme un huart (poème avec gravures d’Atsuko Ishii, Paris, Transignum/Daniel Leuwers,
2004)
La pluie des pluies (Grenoble, le Pré carré, 2005)

Savoirs (deux poèmes avec dessins-collages de Claudie Laks, coll. « Eventails » Daniel
Leuwers, 2005)
Cicatrice (poème avec traduction de Jan Owen et cinq collogravures d’Irène Scheinmann,
Transignum, coll. « 5/5 », 2005)
Un amour isocèle (trois poèmes avec gravures d’Atsuko Ishii, Belgique, Tandem, 2005)
Les pièces du paysage (sept poèmes, dessins et collages de Sarah Wiame, traductions de Sarah
Wicks, Paris, Céphéides, 2006)
Sculptures sur prose (neuf poèmes, dessins de Wanda Mihuleac, traductions de Jan Owen,
Paris, Transignum, 2007)
Parbleu (poème, avec acrylique originale d’Erolf Totort, Paris, Transignum, 2008)
Sans partir du début (poème, avec et à partir d’œuvres graphiques de Wanda Mihuleac,
Transignum, 2010)
Veilleur sans sommeil (préface d’Henri Meschonnic, Montréal, Le Noroît / Paris, le Temps
des Cerises, 2010)
Paysages et personnages (Montréal, Le Noroît, 2012)
Quarante-sept stations pour une ville dévastée (Le Noroît, 2014)
Suite en rouge mineur (livre d’artiste, illustré par Wanda Mihuleac, Paris, Transignum, 2017)
Au sortir de l’eau (livre-coffret de quinze cartes postales au format A5, avec photographie au
recto, haïku et graphisme carte postale au verso, Paris, Transigum, 2019)
La vie au sol, haïkus et photographies, préface de Christian Noorbergen (Paris, Transigum,
2019)
Ailleurs est partout chez lui, haïkus avec encres de Marie Falize, préface de Zéno Bianu
(Montélimar, Voix d’encre, 2020)
Paysajes y personajes, traduction du recueil Paysages et personnages par la poète argentine
Marta Miranda (Buenos Aires, Leviatán, 2020)

TRADUCTIONS
La Brèche – Break-Through (édition bilingue, poèmes de Lindy Henny, Paris, SGDP, 1981)
« Quatre poètes américains d’aujourd’hui », dans la revue Poésie 88 : Robert Creeley,
Denise Levertov, Galway Kinnell et August Kleinzahler (Paris, décembre 1988)
« L’imaginaire irlandais », dans la revue Poésie 95 : poèmes de John F. Deane, Seamus
Heaney et John Montague (Paris, décembre 1995)
« Poésie - Ecosse », dans le Journal des poètes : Tim Cloudsley, Jeffrey Burrows, Richard
Burton, Stan Bell, Basia Palka et Alistair Paterson (Bruxelles, n° 3, avril 1996)
L’ombre du photographe, édition bilingue, poèmes du poète irlandais John F. Deane
(Vénissieux, Paroles d’aube, 1996)
Portrait d’une feuille comme oiseau – Portrait of a Leaf as Bird (édition bilingue, sept
poèmes de Susan Wicks avec dessins et collages de Sarah Wiame, Paris, Céphéides, 2007)

The Attic, édition bilingue, poèmes du poète australien Alex Skovron, PEN Melbourne, 2013
Le musée du temps, poèmes du poète israélien Amir Or, en collaboration avec Aurélia
Lassaque (Paris L’amandier, 2013)
Dans quel sens tombent les feuilles, édition bilingue anglais-français, choix de poèmes
poèmes du poète singapourien Toh Hsien Min (Paris, Caractères, 2016)
Los espejos de Carlos/Les miroirs de Carlos, poèmes de Néstor Ulloa, poète hondurien (Paris,
La Traductière, 2018)

ESSAIS
« Livre II, Québec », in la Poésie contemporaine de langue française (Paris, SGDP, 1973,
sous la direction de Serge Brindeau)
Poètes et poèmes contemporains - Afrique-Antilles (Paris, ACCT-Saint-Germain-des-Prés,
1980)
« La littérature québécoise du XX e siècle » et « La littérature négro-africaine de langue
française » in Histoire littéraire de la France (tome XII, Paris, Editions sociales, 1980)
La traversée du paysage, essai sur la poésie de Maryline Desbiolles (Victoria, Australian
Journal of French Studies, et Nice, Grégoire Gardette éditeur, 1997)
De la traduction à la traduction de poésie (Montréal, revue Liberté, février 1993)
The Ethical Dimension of Translation (Melbourne, revue Etchings n° 6, 2009)
Trait d’union, anomalies et caetera (ouvrage en collaboration, Paris, Climats/Syndicat des
correcteurs, 1991)
Le poète et sa langue (Montréal, revue Liberté n° 292, juin 2011)
La traversée des langues – Essai sur le fonctionnement des langues à travers le monde (Paris,
Armand Colin, 2023)

ANTHOLOGIES
Poésie du Québec : Les premiers modernes (Paris, Poésie I n° 35) et La nouvelle poésie du
Québec (Poésie I n° 36, 1974)
Poètes de l’identité québécoise, suivi de Les voix nouvelles (Paris, Poésie I n° 96-98, 1982)
La poésie érotique du XXe siècle (Paris, la Pibole, 1980)
French Poets of Paris (numéro spécial de la revue The Chariton Review, Truman State
University, Missouri, USA, juin 1996)
Figures d’Haïti - 35 poètes pour notre temps (Paris, le Temps des Cerises ; Trois-Rivières, les
Ecrits des forges, 2005)
Antilles-Guyane : anthologie de poésie antillaise et guyanaise de langue française (Paris, le
Temps des cerises, 2006)

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Jacques Rancourt, Suite en rouge mineur

Toute nostalgie est absente du dernier recueil de Jacques Rancourt, Suite en rouge mineur, évocation discrète des rites de passage de l’enfance à l’âge adulte.

 

Rien de trop appuyé dans ces scènes rétrospectives, présentées en français et en anglais et accompagnées des magnifiques tableaux de Wanda Mihuleac : ceux-ci forment un contrepoint visuel dont l’effet est de souligner le côté dramatique à peine suggéré par le texte. Plusieurs images défilent ainsi sous nos yeux, à la manière d’un lent traveling soutenu par la musique des mots. Ainsi l’éclat des images est-il constamment doublé, mis en sourdine, par le regard distancié du poète. Regard ironique ou tendre, rappelant les anecdotes de la vie courante, les premières amours ou l’éloignement des siens. Ici et là apparaissent les silhouettes de la mère et du père, celle du curé ou de la femme du maire. Jusqu’à la plongée en solitude qui se ponctue par ce constat : « Je n’étais plus que moi ». Expérience de la liberté qui se transforme en connaissance du monde. Cette suite joue avec brio des contrastes entre les propositions picturales et les tonalités plus douces du texte, ici décliné tel une envoûtante mélodie.

 

Jacques Rancourt, Suite en rouge mineur, poèmes, traduit par John F. Deane, peintures de Wanda Mihuleac, Éditions Transignum, 2017.

Jacques Rancourt, Suite en rouge mineur, poèmes, traduction de John F. Deane, peintures de Wanda Mihuleac, Éditions Transignum, 2017.