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Jean-Pierre Boulic, Enraciné

Le titre sonne comme un défi dans une société dite fluide.  Avec ce nouveau livre, Jean-Pierre Boulic partage la lumière qui l’habite.

Quand « Ton pas s’est arrêté / Au bord de ce banc » c’est à cet instant que « La vie balbutie », que le signe devient sens. Enracinement plus dans le temps que dans le lieu, de l’ordre de la veille, titre éponyme de la première partie. La veille permet d’entendre quand tout se tait, de voir dans la nuit. La veille permet d’atteindre le cœur du vivant, soit « les profondes entrailles du cœur intime », c’est-à-dire de s’ouvrir à la compassion, ainsi
ces lignes aux accents baudelairiens : « Tu le crois volontiers / Égaré / L’oiseau chu // La blessure saigne / A son côté // Transpercé. »

Enracinement dans le temps donc puisqu’à la « Veille » succède le « Matin » puis la « Fête à venir ». Le matin est ce temps neuf qui laisse « voir les événements / sous le voile de leur mystère », épiphanie par excellence. La tendresse en ses multiples occurrences révèle l’auteur en amoureux ébloui de la Création dans ses multiples manifestations - nuages, pommiers, mésanges, ruisseaux, graminées - : « Le cœur se glisse tout bas / Entre deux lignes bleues »,
« Merveille d’être créé / Et sans cesse de le dire. »

Comme « L’oiseau entend le soir / Lesté de couleurs », Jean-Pierre Boulic nous donne à entendre une symphonie de couleurs, à voir une palette de sons et de soies en un festival kinesthésique : « Les couleurs s’harmonisent / mettant l’âme en musique ». Avec « Hymne », l’auteur invite à prendre la mesure de l’homme face à « la démesure de l’océan » quand « Le ciel tendresse et miséricorde / Est au for intérieur ».

Jean-Pierre Boulic, Enraciné, La Part commune, 14 euros.

Et si « Vivre c’est partager la lumière » abordons une « Nouvelle genèse » car « c’est bel et bon ». Oui, le partage est bel et bon, celui de la beauté, celui de la parole, celui du cœur.

Présentation de l’auteur




François Teyssandier, La lenteur des rêves, Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures

François Teyssandier, La lenteur des rêves

Les poèmes de François Teyssandier « encrent » les mots en une terre où les rêves se dessinent, sa poésie prend sa source «  aux premières images de ce monde » ; un monde traversé de lumière, le mot lumière est présent dans  24 poèmes sur les 39 qui constituent ce recueil. Et, quand la lumière n’est pas nommée, très souvent son contraire l’est, car il n’y a pas d’ombre  sans lumière…

Ce recueil est une quête de la lumière que le poète « porte à bout de bras/ comme un soleil ouvert »

Le poète est un marcheur sur des «  chemins perdus » il traverse la lumière « comme un nageur fend la mer », il est aussi « comme un danseur dont les gestes / Auraient la lenteur des rêves » le dernier vers du poème p. 6 donne le titre au recueil.

Des poèmes de méditation où l’homme se confond avec les éléments. François Teyssandier emmène le lecteur en une promenade méditative, un retour à l’enfance et à ses rêves qui nourrissent ceux d’aujourd’hui. Le paysage se dessine à livre ouvert  sur les pages blanches ; plus que le paysage regardé c’est le paysage rêvé que nous donne à voir le poète comme le ferait un peintre : «  le poème est comme un jaillissement / de mots d’images et de couleurs sonores ».

L’auteur aspire à une libération et cependant l’écriture elle-même pourrait l’enfermer, tout comme la lumière peut mettre en évidence les ténèbres. Les mots donc pour traduire «  ce désir d’éternité », les mots pour «  ne plus être prisonnier ». En ces poèmes, le souffle et le vent comme métaphores de l’esprit qui habite et les mots et les paysages, et qui habite toute vie : « si légère que le vent/ Pourrait l’emporter/ Dès le premier signe d’orage. ».

François Teyssandier La lenteur des rêves, editions Les Lieux-Dits

L’auteure Charlotte Jousseaume à cette très belle expression : « C’est la lumière qui rend possible toutes choses nouvelles, qui leur permet de s’accomplir dans la réalité » (1) c’est bien cette lumière  qui fait des rêves et des mots de François Teyssandier des réalités nouvelles qu’il nous invite à parcourir dans la lenteur.

Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures

 

Dans sa préface  François Cassingena-Trévedy qualifie ce recueil de «  bréviaire » que le poète met à notre disposition, un poète qui fraternise avec la poète Marie Noël cette sainte et poète des «  petits riens ». Les mots que François Cassingena-Trévedy adressent à Jean-Pierre Boulic, peuvent aussi l’être à Marie Noël, car pour eux deux, «  Un rien enlumine les Heures pour celui qui a le cœur ouvert à la reconnaissance et à l’émerveillement. » ; la poésie est bien un exercice spirituel, tout en simplicité et spontanéité.

Comme il y a la liturgie des Heures cette prière quotidienne chrétienne, ce recueil est liturgie des heures en notre quotidien, une liturgie qui s’inscrit au cœur des lieux que le poète habite, un poète qui vit à l’orée de l’Océan et que cet Océan parcourt jusqu’aux moelles du corps.

Tout lieu est «  lieu de l’âme », il faut savoir regarder, se tourner vers un horizon qui s’offre et qui interroge.

Elève le songe vers ce qui t’échappe

………………………

Et la lueur qui traverse

Les songes de l’univers

Que tu ne saurais nommer

D’où vient-elle ?

En ces lieux la beauté offerte, toujours gratuite.

Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures, editions L’Enfance des arbres, 2022, 104 pages, 15€.

Si le regard est important, l’ouïe l’est tout autant, car près de l’Océan, le vent souffle et l’occurrence du souffle est constante dans la première partie du recueil : Lieux

Le souffle qui nait au large (Demeurer p.16)

Un souffle va et vient (sans titre p.20)

Le souffle de la glaise (Désir p.21)

Un souffle se pose là-bas (L’Estran p.22)

Ton vécu devient souffle (Vécu p.23)

Sentir s’en venir un souffle (Ainsi p.24)

Le souffle qui vivifie la terre : La terre vivifiée comme pleine de grâce (Nouvelle saison p.28), c’est le souffle de la création. Le poète est comme le potier, un artisan créateur ; le poète devient ce « potier de lumière ».

Chaque rencontre aussi minuscule soit-elle abrite la présence, l’Esprit est au cœur du silence et de la « lumière du vide » se révèlent les mots capables de traduire ce qui est enfoui.

D’un rien naît la lumière : «  l’étincelle d’un rien » pour entrer dans ce temps d’amour donné, un amour gratuit offert au monde et aux hommes.
La Résurrection silencieuse est au cœur de ce recueil, le poème Aller au cœur, annonce l’ensemble des poèmes de la partie L’étincelle d’un rien, mêmes images et même présence dans le poème Ne me retiens pas, celle qu’a rencontrée Marie-Madeleine au tombeau, à l’aube et cette parole énigmatique qu’elle reçut «  Noli me tengere », présence aussi de l’ange annonciateur. On entre alors dans un autre temps, un temps accompli, et le temps de la louange est venu, un vers du poème Voir (p.58) :

Un souffle….

Loue les biens de ce monde. » renvoie à un poète dont Jean-Pierre Boulic pourrait revendiquer la filiation, Les biens de ce monde le recueil testamentaire de René-Guy Cadou , son dernier recueil, publié quelques jours avant sa mort.

Un poète qui lui aussi a su célébrer cette communion étroite du poète avec tous ces riens, tous ces biens qui nourrissent et son écriture et sa vie spirituelle. René Guy Cadou lui aussi attiré par la figure christique ; tous deux le savent, la poésie transmue comme l’amour le mal quand la poésie est parole d’amour  et de paix, elle mène de la couronne d’épines à un cœur sans épines :

La poésie colombe
De la blancheur de ses ailes
Sur la branche de sureau
Porte un rameau d’olivier (p.60)

Le sureau renvoie à Judas le traite qui se pendit à l’une de ses branches, mais le temps accompli, de la trahison et de la mort, pourra naître la paix.

Dans ces images d’oiseaux et d’arbres, se cache l’étincelle de l’essentiel.

Dans le poème Mal aimé, l’oiseau s’abrite dans le sycomore, l’arbre de ceux d’en bas, l’arbre qui élève tout pêcheur et le présente à la bienveillance de Dieu, suit le poème Amour en résonance avec le texte évangélique aux corinthiens (13/4-8)

La multiplication des pains rappelle au poète cette faim qui habite l’homme, une faim que seul l’Amour peut rassasier. Cet amour a pris chair et lui seul désaltère, plus que l’eau du puits, la Samaritaine va le découvrir ; car au pied du puits, une rencontre et une demande qui feront « éclore l’âme ».

Le Christ toujours présent, le poète en témoigne, une Présence qui aujourd’hui comme hier nourrit, désaltère, car il est celui qui accueille toutes les blessures :

Le Christ dans la cuisine

…………………..

Souvent tu te retournes
Tu souffles tes blessures
Qui perlent au côté. ( p.70)

En la dernière partie Bénir le temps Jean-Pierre Boulic nous fait entrer dans le temps de l’Après, quand tout est accompli, le poète comme tout homme qui a rencontré la Parole, est envoyé en mission et doit selon la parole dans l’Evangile de  Matthieu : « Secouer de ses pieds la poussière » ; paroles que reprend le poète dans le premier poème de cette dernière partie.

Secouer la poussière, continuer à avancer, se tourner vers d’autres horizons, aller porter la parole.

Le poète doit lui aussi s’en remettre à celui qui sait et comme le pécheur qui cherche en vain le poisson, le poète est appelé à jeter ses filets alors seulement il trouvera en «  abondance les mots vivants. »

En ce recueil Jean-Pierre Boulic appelle à voir autrement le monde et comme Marie-Madeleine à se tenir au plus près de l’Amour dans le jardin, comme elle qui au matin de Pâques alors qu’il ne faisait pas encore jour, a cru voir le jardinier.

En ce jardin qui se fait cantique et louange, sans occulter la souffrance, les plaies, la souillure, savoir que «  chaque heure accomplit le temps » et se savoir comme Marie-Madeleine choisie pour bénir ce temps nouveau.

Grâce aux mots du poème, accueillir à l’infini le Nom inépuisable, le servir et le transmettre par la force vivifiante des mots que lui seul habite, que le poète accueille et nous transmet

Le poète Jean-Pierre Boulic sait plus que tout autre, comme le disait François Mauriac que «  La merveille est dans l’instant » ; Un instant accompli, habité et qu’il nous faut vivre.

L’expérience de l’Evangile n’est pas pour Jean-Pierre Boulic séparée de son expérience quotidienne. Il pourrait faire siennes les paroles de Jean-Pierre Lemaire : L’Evangile n’est pas pour moi séparé de mon expérience quotidienne. Je constate  que les images bibliques prennent une part croissante dans ma poésie. 

Le recueil est un hymne à la vie la plus ordinaire, il est le reflet d’un poète friand de la vraie vie et qui sait découvrir des pépites lumineuses dans les petits riens.

Notes 

1 extrait d’un article, La Vie 28-07-2022

Présentation de l’auteur

François Teyssandier

François Teyssandier est né en Gironde et vit à Paris. Après des études supérieures de langue et de civilisation italiennes, puis le conservatoire d'art dramatique de Bordeaux, il devient comédien, puis plus tard enseignant.

Bibliographie 

Publication de quatre recueils de poèmes : La Musique du temps (éd.P.J.Oswald), Livres du songe (éd.Belfond, prix Louise Labé), Paysages nomades (éd. Voix d’encre), Equilibre instable de la lumière (éd. du Cygne).

Publication de nouvelles dans les revues : Nota Bene, Brèves, Rue Saint-Ambroise, Moebius (Québec), PR’Ose, Les Tas de mots, Diérèse, Népenthès, Créatures, Muze, ainsi que dans deux recueils collectifs et quatre anthologies.

A publié également des poèmes dans les revues : Artère, Poésie 2000, L’Almanach des poètes, Vagabondages, Poésie1, Les heures, Glanes, Isis, Friches, Pyro, Arpa, Décharge, N4728, Voix d’encre, Le Coin de table, Revue 17 secondes, Recours au poème, Verso, Le Capital des mots, Convergences, Poésie/première, Nouveaux délits, Sipay, Escapades, Comme en poésie, Diptyque, Les Cahiers de poésie, Traversées, Phoenix, L’Arbre à paroles, Francopolis, A L’Index, revue Margutte (franco-italienne), Bleu d’encre…

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur




Fil autour de Jean-Claude Caër, François de Cornière, Jean-Pierre Boulic

 Quand on est poète, que dire d’un voyage qu’on a fait au Japon ? « Je n’ai rien à raconter », nous dit Jean-Claude Caër, retour du Pays du soleil levant. « Pas d’histoires, pas d’anecdotes/Seulement des sensations diffuses, des malaises,/Une solitude appuyée ». Car son nouveau livre, en effet, est un récit fragmenté (on se gardera bien de parler de carnet de voyage) à la manière des grands maîtres de la poésie japonaise. Jean-Claude Caër se met dans leurs pas, visite à leur manière les campagnes comme les villes et n’hésite pas à se rendre sur la tombe des plus illustres d’entre eux (Saigyô, Sôseki…). 

Jean-Claude Caër, Devant la mer d’Okhotsk,
Le Bruit du temps, 96 pages, 18 euros.

 

Et, au bout du compte, appréhende le monde comme ils le faisaient. Avec distance. Dans la contemplation des êtres et des choses. 

En allant à« l’étang du bas », au « jardin des mousses », au« mont Koya », « dans une barque », « à la petite cabane »… Mais, toujours, sans trop se faire d’illusion sur un monde qui est aussi, nous dit Jean-Claude Caër, « un enfer ». Et nous reviennent en mémoire ces vers de Kobayashi Issa : « Nous marchons en ce monde/sur le toit de l’enfer/en regardant les fleurs ».

Dans la lignée de cette « impermanence » soulignée par le bouddhisme,  Jean-Claude Caër nous dit encore que « tout nous échappe/Et file entre nos mains ». Et quand « la montagne fume après la pluie de la nuit », on a le sentiment d’entrevoir une estampe japonaise. L’esprit du haïku est là, aussi, quand il écrit : « 27°/Au bord de la rivière Kamo/On joue de l’éventail » ou encore ceci : « Une croix/sur un bâtiment gris/perdue dans Tokyo »

Mais au-delà de cette profonde imprégnation de la culture japonaise par l’auteur, il y a, ponctuellement, dans ce livre, un subtil va et vient entre deux mondes. Celui de l’Extrême-Orient où Jean-Claude Caër pérégrine et celui de cet Extrême-Occident où il est né (sur la côte sauvage du Nord-Finistère). Devant cette mer d’Okhotsk, au nord du Japon entre Sakhaline et Kamtchatka, à quoi pense-t-il ? A« la plage de Keremma/Couverte d’algues brunes en septembre ». Et quand il se rend aux « jardins de sable » du Daitoku-ji à Kyôto, « dans ce désert miniature à taille humaine »,  il pense à nouveau à cette plage de Keremma « quand la mer se retire à l’infini du sable ». A Keremma, comme devant la mer d’Okhotsk, une même sensation d’infini, de puissance brute de la nature et des éléments.

Ailleurs, voici l’auteur dans un temple où « dès l’aube quatre moines récitent  les sûtras » et « où les tambours résonnent dans le monastère » ? A quoi pense-t-il ? « A ces années de collège, où nous allions à la messe avant le petit-déjeuner ». Ici, dans ce monastère, la langue lui est « inconnue » comme l’était « le latin d’Eglise ».

Ce retour par la pensée à la « terre natale » le rattache à sa mère dont il évoque la figure à plusieurs reprises et qu’il croit découvrir un jour sous les traits  d’une paysanne japonaise au travail. « Je t’ai peut-être vue, penchée vers la terre,/Travailler ce matin dans les champs/Près d’Abashiri ou de Obihiro/Sous ton grand chelgenn/Dans la campagne paisible sous le soleil de mai » (ndlr : Chelgenndésigne une coiffe du Haut-Léon). Universalité du labeur paysan que l’on soit d’Abashiri ou de Plounévez-Lochrist, commune de naissance de Jean-Claude Caër.

« Mère, j’ai traversé des cercles de douleur/L’écriture et la vue de la mer me calment ». Devant la plage de Keremma comme devant la Mer d’Okhotsk

 

François de Cornière : Ça tient à quoi ? 

 « Mon émotion est toujours là./Je me demande/ça tient à quoi ?/ça tient à quoi ? » François de Cornière écrit comme il vit et vit comme il écrit. Dans la lumière des jours et parfois leur noirceur. Ses poèmes sont abonnés à la simplicité, à l’absence d’éloquence. Le poète dit « je » pour nous faire partager sa vie, mais il dit aussi « l’homme ».

 

Ce qui donne leur piment à ses textes, c’est cet inattendu et ce merveilleux qui se glissent dans l’ordinaire des jours et dont sait témoigner le poète. A partir d’un point minuscule, François de Cornière ouvre toujours des perspectives. Voici que, dans une salle de cinéma, il imagine (non pas la possibilité d’une île) mais la possibilité d’un poème qui serait « d’art et essai ». A un autre moment, c’est un feuillet qui glisse d’un livre de sa bibliothèque et le voici embarqué – nous avec – dans la découverte de son auteur (le poète Jean Rousselot). Comme François de Cornière le dit lui-même, il accorde sa bienveillance « à tout ce qui peut échouer dans un poème un jour » : sur une terrasse en Crête, lors d’un lever matinal, pendant une promenade nocturne, à l’écoute d’un disque de jazz… « Je poursuis ici, confie le poète,  le parcours qui a été toujours le mien : celui de la vie, traversée par des instants notés au vol parce qu’ils m’ont touché ».

François de Cornière, Ça tient à quoi ?,
préface de Jacques Morin, Le Castor
astral, 198 pages, 13 euros.

 

Mais voilà un poète aux allures de diariste ou de nouvelliste. A tel point qu’après une lecture de ses poèmes, une femme s’est approchée de lui pour lui dire : « Pendant que vous lisiez vos textes/je me suis plusieurs fois demandé/si c’étaient des poèmes/ou de très courtes nouvelles/vous voyez ce que je veux dire ? ». François ne sait plus ce qu’il a répondu mais il se dit sûr que ses poèmes ne sont pas « de vrais beaux/ou modernes comme il faut ». On n’y trouve pas, en effet, ces images poétiques (métaphores, métonymie, analogies… ) que l’on rencontre chez la majorité des auteurs. François de Cornière en apporte la démonstration à l’écoute enthousiaste de la bande son d’un film. « C’était formidable/sans les images j’avais tout vu/tout ressenti./Je m’étais dit qu’écrire ainsi de la poésie/sans ce qui fait la poésie/serait un sacré beau défi ». Beau défi qu’il relève depuis des années, nous faisant penser à cette belle remarque du poète palestinien Mahmud Darwich : « La prose est la voisine de la poésie et la promenade du poète. Le poète est perplexe entre prose et poésie » (Présente absence, Actes Sud)

Sans rechigner, partons donc  dans le sillage de ce Nageur du petit matin (La Castor Astral, 2015) qu’est François de Cornière, poète des sens en éveil, à l’écoute des battements de son cœur (surtout quand la mer est fraîche). Il témoigne, sans faillir, des « minutes noires comme des minutes heureuses », fidèle en cela à l’injonction du poète suisse Georges Haldas qu’il a eu le bonheur de rencontrer à Genève et donc il évoque, dans ce livre, la mémoire.

Avec François de Cornière, les questions, les remarques, les confidences ou les exclamations - celles qui ponctuent son livre et qui sont celles de tous les jours - ont une étonnante densité dans leur simplicité. C’est pour cela qu’elles nous touchent et peuvent, mine de rien, nous mener très loin. « Tu as vu la lune ? », « Il y a combien d’années déjà ? », « Je t’aime bien sur celle-là », « Tu crois que c’était où ? », « J’ai pas été trop longue ? », « Lui, tu le reconnais ? », « A ton avis, on a fait combien de kilomètres ? » « Cette nuit tu as parlé en dormant », « ça a passé vite », « Tu veux que je prenne le volant ?», « A quoi Tu penses ?… Eh ! Oui, tout cela « ça tient à quoi ? »

   

Jean-Pierre Boulic : Laisser entrer en présence 

 

Faire advenir, accueillir, se mettre à l’écoute : il y a dans la poésie de Jean-Pierre Boulic cette inlassable « quête de signes au cœur d’un monde qui  ne demande qu’à répondre » (Philippe Jaccottet). Le poète breton le manifeste dans un nouveau recueil où « joie » et « souffrance » se répondent, dans une tonalité parfois sombre quand sont évoqués l’hôpital, la maladie, la mort. Chaque fois qu’il voit « une âme livrée à la douleur ».

Mais on retrouve aussi dans ce recueil la toile de fond géographique – disons plutôt « cosmographique » - de l’œuvre de Jean-Pierre Boulic : ce pays d’Iroise, au bout du bout du Finistère, avec « le vaste grondement de l’océan », « l’haleine du large » et « les goélands parés de blanc ». Le poète est un homme du rivage, un homme du seuil, dans la lumière des saisons. Voici « l’automne écorché », « la fraîcheur d’avril », « l’été déchiré ». Et il nous dit : « Entre en présence/De ce silence/Où palpite la source/De l’inépuisable printemps ».

C’est sous ces cieux-là qu’il importe, nous dit-il,  de «Converser avec/les humbles choses muettes/Bleuets capucines ». De déceler « signes » et « traces » d’un autre monde dans le monde qui nous enveloppe.

Jean-Pierre Boulic, Laisser entrer en présence, 
La Part Commune, 107 pages, 13 euros

Et de se mettre à l’écoute de l’oiseau qui « grisolle »  comme de la voix qui « brasille ». Jean-Pierre Boulic aime les mots qui chantent pour mieux enchanter le monde. « Tu lèves les yeux/Vers un pays irrigué » et « Ce grand ciel est d’étoiles/Miettes sans tourments ».

Le malheur peut venir écorcher cette félicité. « Il tombe des cordes depuis des heures/On enterre la jeune morte/Au bout du chemin d’herbes et de pierres ». Ailleurs le poète nous parle d’une mère « qui vacille/De laisser partir l’enfant » ou de l’hôpital « où s’entend la souffrance ». Ce qui sauve ? « La salvatrice parole de l’amitié/ Plus incisive que celle d’un bistouri ».

Jean-Pierre Boulic nous laisse alors « entrer en présence » de figures charismatiques. Celles qui ont cultivé cette amitié féconde appelée fraternité. Voici la « sœur du réconfort/Parmi les chiffons de la ville immense ». Voici Thérèse, « Inépuisable auréole/Au cœur du présent ». Voici « Tibhirine/Cet étonnant visage/D’homme aux regards sans prises/Et le cœur sans entraves ».

Rapprochant en définitive l’écriture poétique de l’exercice spirituel (ainsi que l’a défini Gérard Bocholier), Jean-Pierre Boulic peut affirmer au bout du compte : ton poème « n’est point de toi/Il est ce que dit l’indicible/Du verbe créateur ».




Jean-Pierre Boulic

Jean-Pierre Boulic, né en 1944, vit en Pays d'Iroise Il est l'auteur d'une quinzaine de recueils de poèmes.




Jean-Pierre Boulic, IMPRESSIONS et autres textes

IMPRESSIONS

Le jour passe l’épaule
Le moineau gris
Sur le talus s’immisce

Le parfum des fougères
Ne gêne en rien
Le songe d’un vieux trèfle

Sur la dune et les champs
L’air est léger
Et son souffle invisible

Le présent est si beau
À la Saint-Jean
Dans l’élan du solstice

Je vis ces lieux aimés
De la lumière
Qui perle goutte à goutte.

                       *

 

CHEMIN

Sagesse des passereaux
Et louange des ombellifères
Humus aux parfums boisés
D’une allée où l’on trouve son âme

Lueurs des pierres
Et souffle de la création
Sous le regard du soleil

Mes lèvres s’ouvrent
S’accordent d’un cœur émerveillé
Au chemin de l’invisible.

                       *

 

ENVOL

Son plumage s’ébouriffe
Et de son pas étoilé
À l’instant de son envol
Il trace l’ordre des choses.

Non ce n’est pas la blessure
De la neige du jardin
Sous le dur soleil d’hiver
Mais le saut d’un rouge-gorge.

Retiens sa magnificence
Au point de faire silence.

                       *

 

DÉCRYPTAGE

Tombée du jour sur le port
Oiseaux à même les quais
Nos pas chuchotent, écoute
Les feux s’allument en mer.

À la barre d’horizon
D’un ciel sans convulsion
La lampe rouge du phare
Arrimé aux pierres noires.

Le temps semble s’échapper
Un signe nous est donné
Regarde et vois, seul demeure
Le beau silence incréé.

                       *

 

OISEAU

Oiseau gardant les yeux ouverts
Tu vas si difficilement
Sur le satin des jours des nuits
Par la forêt ses châtaigniers
Et les chuchotements de l’ombre
Parmi les landes et bruyères
La vaine terre les clairières
Des parcelles de vie.

 

 

 

EN PENSANT AU 26 JUILLET 2016

                                                    in Père Jacques Hamel

 

Offrant à jamais le sacrifice
D’un Christ relevé,
Avec une poignée de fidèles
Le vieil homme au regard émacié
A vu ses bourreaux
L’exécuter sans raison sinon
Celle cruelle sortant alors
D’un cœur de misère
Ignorant ce qu’il fait d’être ainsi.

Le sang du vieil homme
Vivante parole
Allant aux jointures et moelles
A coulé sur la légèreté
De cet été au pied de l’autel
Et sur les parvis de l’Éternel.

Depuis Abel jusqu’à Zacharie*((*Luc 11,51))
Et celui du mort au Golgotha,
Un lieu-dit sinistre,
Tous martyrs d’aimer sans renoncer
Le sang a coulé
De la plus petite pauvreté.

Le sang a coulé
De ceux qui ont vécu l’indicible
De la liberté
Dont certains veulent briser la clé.

De son sang versé
Le geste d’abandon du vieil homme
En toutes villes et les bourgades
Allume la lampe
Qui peut éclairer l’amour du monde.

 

                                           

 

 

 

 




Fil de lecture : Louis BERTHOLOM, Jean-Pierre BOULIC, Roland HALBERT.

 

 

« Avec les orties du temps » par Louis BERTHOLOM.

 

« Avec les orties du temps/tout s’en vient/tout s’en va ».   A la lecture de ces trois vers, on croit entendre la voix de Léo Ferré dans le dernier livre de Louis Bertholom. Constat, en effet, du temps qui passe. Mais c’est, ici, la voix d’un poète breton  (soixante ans d’âge) qui s’exprime en regardant – de ci de là – dans le rétroviseur.  Pas de nostalgie au rabais, plutôt le regard de quelqu’un qui nous dit (et redit ) tout devoir à ses racines. « Mousterlin/de ma naissance/tes laminaires sont mon ombilic/ma source élastique ».

Ainsi va le poète quimpérois (né natif du pays fouesnantais) dans son « cosmodrome » cornouaillais. Le temps file entre les doigts (sauf au cours de ces insomnies dont il est affecté) mais il garde profondément en lui la saveur et la profondeur des temps révolus. C’est sa vraie planche de salut. Bertholom chante un pays à la fois géographique et mental, « un pays au goût de mûres/de culottes courtes dans les ronciers » (…) « un pays de fontaines vertueuses/discrètes et patientes » (…) « Un pays où se cachent les chapelles/aux vitraux pleins de visages/qui chantent dans le silence/des liturgies paysannes ». Le Xavier Grall de Solo ou Genèse n’est pas loin. Parlant de la Mer blanche près de Mousterlin, Bertholom peut même écrire : « Ici est mon médicament/ma religion, mon cosmos/mon lieu ancestral/avec la parole enfouie de la tourbe».

Le poète se fait aussi, dans ce livre, l’apôtre de la lenteur, du silence, du lâcher prise. « Cueillir le fruit de l’instant », écrit-il, « le savourer jusqu’au trognon » (comme on le ferait de la plus belle des pommes des vergers fouesnantais) et «  regarder avec nonchalance s’énerver le monde », « Se rire sans vergogne de la grande bousculade/des cris, des palabres futiles, des compétitions ». Le poète préfère célébrer l’amitié et la fraternité. « Portez l’amour en boutonnière/allongez-vous sur des parterres odorants/respirez les sourires ». Il y a chez lui une forme d’hédonisme tranquille qui n’empêche pas quelques ruades quand il s’agit de défendre cette langue bretonne que « la République une et indivisible/persiste à vouloir enterrer comme jadis/soldats bretons dans la boue de Conlie ».

Mais le verbe, globalement,  s’est assagi. Cela se ressent dans son écriture: plus ramassée, plus elliptique, moins tentée par l’emphase ou l’ivresse (comme ce fut le cas, parfois, dans de précédents recueils). Bertholom élague. Il peut ainsi atteindre le noyau dur de sa démarche poétique: dire notre bonheur (et parfois aussi notre malheur) d’être au monde, ici et maintenant. Certes le temps file, mais il y a ce que nous sommes devenus dans ce « pays lyrique/qui se cueille sur les lèvres/des vivants et des morts ». Parole de « vieux » sage.

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Jean-Pierre BOULIC : « Ce pays comme univers »

 

 Un vrai poète ressasse toujours un peu les mêmes émotions intimes. Et pourtant chacun de ses livres a une tonalité différente du précédent. Un vrai poète se reconnaît aussi – d’emblée - au ton de sa voix, à sa respiration, à sa façon de poser les mots sur la page. Avec Jean-Pierre Boulic, poète breton du Pays d’Iroise, il n’y a pas de surprise. Sa poésie – forte en images et en symboles – s’ancre intensément dans un terroir, un pays, un microclimat émotionnel.

Ce territoire a la dimension d’un univers, nous dit aujourd’hui le poète dans un livret d’une petite vingtaine de poèmes. « Ce pays comme univers/D’un homme passant ». Un pays qui le fait passer, imperceptiblement, de la terre à la mer. Un pays avec sa « gorgée de paysages » et sa « mer insaisissable ». Juin est là avec « la fenaison des couleurs ». Juillet, bientôt, où « respire la nuit légère de l’été ».

Il y a ici, sous la plume de Jean-Pierre Boulic, une vraie ivresse des mots pour dire cette « gloire » qui le ceint de toutes parts. « On va sans bagage/Le cœur nu/Comme l’air égrène/Ses pizicatti ».  La nature, sans doute, mais aussi les hommes et les femmes dans leurs plus humbles gestes. « Elle allait glaner/Au temps où l’orge se moissonne/Buvant à la cruche des ouvriers/L’eau de sa soif ». La douleur aussi est là, la souffrance, quand « Sur tes doigts/Passe un vent frisquet/Femme brisée ».

Jean-Pierre Boulic nous parle « d’accueil, d’amour, de bonté ». Il élargit toujours  les horizons. Cela ne surprend pas de la part d’un auteur de livres aux titres évocateurs : Cette simple joie, Un petit jardin de ciel, En marchant vers la haute mer (aux éditions La Part Commune)…  Le chant bleu de la lumière (Minihi Levenez) et tant d’autres dans la même veine.  Si « Bretagne est univers », comme le dit le poète Saint-Pol-Roux, il y a mille façons de le décliner. Jean-Pierre Boulic le fait à sa façon. Vivre en ce pays, c’est ainsi parvenir, un jour, à « Tisser la louange/D’un brin fleuri de gypsophile ».

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Haïku et peinture : Le Toulouse-Lautrec de Roland Halbert

 

Quel rapport entre Toulouse-Lautrec (1864-1901) et le haïku japonais ? A priori aucun, car ce que l’on connaît du célèbre peintre se résume le plus souvent à sa taille (1,52 m) et à ses tableaux de danseuses de music-hall ou de scènes dans des lieux de plaisir parisiens. Mais Toulouse-Lautrec, nous rappelle aussi le Larousse, fut un « dessinateur au trait synthétique et fulgurant ». On ne s’étonnera donc pas que le poète et haïkiste nantais Roland Halbert ait porté un intérêt particulier à ce peintre (le haïku n’est-il pas l’art de la fulgurance exprimé en trois vers ?). Intérêt rehaussé – et ce n’est pas la moindre des choses – par les penchants japonisants de Toulouse-Lautrec lui-même.

Pour en parler, Roland Halbert nous propose un livre comme on n’en fait pas, associant à trente-six peintures du maître des notes de lecture et des haïkus (« le fouet verbal du haïku répondant au trait enlevé de Lautrec dans sa capture instantanée », écrit l’auteur). Le tout constitue, ajoute Roland Halbert, « un haïbun critique, consacré aux liens directs ou indirects, aux rapports flagrants ou discrets de Toulouse-Lautrec avec le Japon ».

Car – faut-il le rappeler – une belle partie de l’expression artistique à la jointure du XIXe et du XXe siècle est marquée par le japonisme. Lautrec connaît les estampes ou les encres sur papier réalisées par les grands maîtres du pays du Soleil-Levant. Il s’en inspire même, à l’image de cette encre de Chine au pinceau, datée de 1894, intitulée « Paysage japonais à la manière d’Hokusaï ». Le voici, aussi, peignant sur un éventail une aquarelle dont le papier est à armature de bambou. Le voici encore peignant des crapauds, des hiboux, des chevaux ou des samouraïs comme pouvaient le faire des peintres japonais. Le voici surtout, note Roland Halbert, « comme tout haïkiste, un météo-sensible toujours attentif à la saison, à l’heure, à la minute ». Toulouse-Lautrec « s’arrête tous les trois pas, sort de son filet un petit carnet, comme un haïkiste à l’affût du moindre souffle, du moindre tremblement, du moindre battement d’ailes ». Et quand Lautrec doit, en 1899, partir en cure de désintoxication dans une clinique de Neuilly, Roland Halbert ne manque pas d’évoquer le haïkiste japonais Santôka qui s’était réfugié dans un monastère pour faire son sevrage. Pensant à eux, il peut écrire ce haïku : « Maison de santé / le seul loisir du printemps / écraser les mouches. »

On peut parfois être désorienté par ce livre qui fleurit dans tous les sens au gré des tableaux de Lautrec, mais on s’incline devant la richesse de son contenu. Roland Halbert nous a habitués à des livres un peu hors normes, à l’image de son Parloir aux oiseaux, cinq chantelettres à François d’Assise ou de sa Petite Pentecôte de haïkus. C’est encore le cas ici.

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