François Teyssandier, La lenteur des rêves, Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures

Par |2022-10-06T09:08:12+02:00 6 octobre 2022|Catégories : Critiques, François Teyssandier, Jean-Pierre Boulic|

François Teyssandi­er, La lenteur des rêves

Les poèmes de François Teyssandi­er « encrent » les mots en une terre où les rêves se dessi­nent, sa poésie prend sa source «  aux pre­mières images de ce monde » ; un monde tra­ver­sé de lumière, le mot lumière est présent dans  24 poèmes sur les 39 qui con­stituent ce recueil. Et, quand la lumière n’est pas nom­mée, très sou­vent son con­traire l’est, car il n’y a pas d’ombre  sans lumière…

Ce recueil est une quête de la lumière que le poète « porte à bout de bras/ comme un soleil ouvert »

Le poète est un marcheur sur des «  chemins per­dus » il tra­verse la lumière « comme un nageur fend la mer », il est aus­si « comme un danseur dont les gestes / Auraient la lenteur des rêves » le dernier vers du poème p. 6 donne le titre au recueil.

Des poèmes de médi­ta­tion où l’homme se con­fond avec les élé­ments. François Teyssandi­er emmène le lecteur en une prom­e­nade médi­ta­tive, un retour à l’enfance et à ses rêves qui nour­ris­sent ceux d’aujourd’hui. Le paysage se des­sine à livre ouvert  sur les pages blanch­es ; plus que le paysage regardé c’est le paysage rêvé que nous donne à voir le poète comme le ferait un pein­tre : «  le poème est comme un jail­lisse­ment / de mots d’images et de couleurs sonores ».

L’auteur aspire à une libéra­tion et cepen­dant l’écriture elle-même pour­rait l’enfermer, tout comme la lumière peut met­tre en évi­dence les ténèbres. Les mots donc pour traduire «  ce désir d’éternité », les mots pour «  ne plus être pris­on­nier ». En ces poèmes, le souf­fle et le vent comme métaphores de l’esprit qui habite et les mots et les paysages, et qui habite toute vie : « si légère que le vent/ Pour­rait l’emporter/ Dès le pre­mier signe d’orage. ».

François Teyssandi­er La lenteur des rêves, edi­tions Les Lieux-Dits

L’auteure Char­lotte Jousseaume à cette très belle expres­sion : « C’est la lumière qui rend pos­si­ble toutes choses nou­velles, qui leur per­met de s’accomplir dans la réal­ité » (1) c’est bien cette lumière  qui fait des rêves et des mots de François Teyssandi­er des réal­ités nou­velles qu’il nous invite à par­courir dans la lenteur.

Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures

 

Dans sa pré­face  François Cassin­ge­na-Trévedy qual­i­fie ce recueil de «  brévi­aire » que le poète met à notre dis­po­si­tion, un poète qui frater­nise avec la poète Marie Noël cette sainte et poète des «  petits riens ». Les mots que François Cassin­ge­na-Trévedy adressent à Jean-Pierre Boulic, peu­vent aus­si l’être à Marie Noël, car pour eux deux, «  Un rien enlu­mine les Heures pour celui qui a le cœur ouvert à la recon­nais­sance et à l’émerveillement. » ; la poésie est bien un exer­ci­ce spir­ituel, tout en sim­plic­ité et spontanéité.

Comme il y a la liturgie des Heures cette prière quo­ti­di­enne chré­ti­enne, ce recueil est liturgie des heures en notre quo­ti­di­en, une liturgie qui s’inscrit au cœur des lieux que le poète habite, un poète qui vit à l’orée de l’Océan et que cet Océan par­court jusqu’aux moelles du corps.

Tout lieu est «  lieu de l’âme », il faut savoir regarder, se tourn­er vers un hori­zon qui s’offre et qui interroge.

Elève le songe vers ce qui t’échappe

………………………

Et la lueur qui traverse

Les songes de l’univers

Que tu ne saurais nommer

D’où vient-elle ?

En ces lieux la beauté offerte, tou­jours gratuite.

Jean-Pierre Boulic, A la cime des heures, edi­tions L’Enfance des arbres, 2022, 104 pages, 15€.

Si le regard est impor­tant, l’ouïe l’est tout autant, car près de l’Océan, le vent souf­fle et l’occurrence du souf­fle est con­stante dans la pre­mière par­tie du recueil : Lieux

Le souf­fle qui nait au large (Demeur­er p.16)

Un souf­fle va et vient (sans titre p.20)

Le souf­fle de la glaise (Désir p.21)

Un souf­fle se pose là-bas (L’Estran p.22)

Ton vécu devient souf­fle (Vécu p.23)

Sen­tir s’en venir un souf­fle (Ain­si p.24)

Le souf­fle qui viv­i­fie la terre : La terre viv­i­fiée comme pleine de grâce (Nou­velle sai­son p.28), c’est le souf­fle de la créa­tion. Le poète est comme le poti­er, un arti­san créa­teur ; le poète devient ce « poti­er de lumière ».

Chaque ren­con­tre aus­si minus­cule soit-elle abrite la présence, l’Esprit est au cœur du silence et de la « lumière du vide » se révè­lent les mots capa­bles de traduire ce qui est enfoui.

D’un rien naît la lumière : «  l’étincelle d’un rien » pour entr­er dans ce temps d’amour don­né, un amour gra­tu­it offert au monde et aux hommes.
La Résur­rec­tion silen­cieuse est au cœur de ce recueil, le poème Aller au cœur, annonce l’ensemble des poèmes de la par­tie L’étincelle d’un rien, mêmes images et même présence dans le poème Ne me retiens pas, celle qu’a ren­con­trée Marie-Madeleine au tombeau, à l’aube et cette parole énig­ma­tique qu’elle reçut «  Noli me ten­gere », présence aus­si de l’ange annon­ci­a­teur. On entre alors dans un autre temps, un temps accom­pli, et le temps de la louange est venu, un vers du poème Voir (p.58) :

Un souf­fle….

Loue les biens de ce monde. » ren­voie à un poète dont Jean-Pierre Boulic pour­rait revendi­quer la fil­i­a­tion, Les biens de ce monde le recueil tes­ta­men­taire de René-Guy Cadou , son dernier recueil, pub­lié quelques jours avant sa mort.

Un poète qui lui aus­si a su célébr­er cette com­mu­nion étroite du poète avec tous ces riens, tous ces biens qui nour­ris­sent et son écri­t­ure et sa vie spir­ituelle. René Guy Cadou lui aus­si attiré par la fig­ure chris­tique ; tous deux le savent, la poésie trans­mue comme l’amour le mal quand la poésie est parole d’amour  et de paix, elle mène de la couronne d’épines à un cœur sans épines :

La poésie colombe
De la blancheur de ses ailes
Sur la branche de sureau
Porte un rameau d’olivier (p.60)

Le sureau ren­voie à Judas le traite qui se pen­dit à l’une de ses branch­es, mais le temps accom­pli, de la trahi­son et de la mort, pour­ra naître la paix.

Dans ces images d’oiseaux et d’arbres, se cache l’étincelle de l’essentiel.

Dans le poème Mal aimé, l’oiseau s’abrite dans le syco­more, l’arbre de ceux d’en bas, l’arbre qui élève tout pêcheur et le présente à la bien­veil­lance de Dieu, suit le poème Amour en réso­nance avec le texte évangélique aux corinthiens (13/4–8)

La mul­ti­pli­ca­tion des pains rap­pelle au poète cette faim qui habite l’homme, une faim que seul l’Amour peut ras­sas­i­er. Cet amour a pris chair et lui seul désaltère, plus que l’eau du puits, la Samar­i­taine va le décou­vrir ; car au pied du puits, une ren­con­tre et une demande qui fer­ont « éclore l’âme ».

Le Christ tou­jours présent, le poète en témoigne, une Présence qui aujourd’hui comme hier nour­rit, désaltère, car il est celui qui accueille toutes les blessures :

Le Christ dans la cuisine

…………………..

Sou­vent tu te retournes
Tu souf­fles tes blessures
Qui per­lent au côté. ( p.70)

En la dernière par­tie Bénir le temps Jean-Pierre Boulic nous fait entr­er dans le temps de l’Après, quand tout est accom­pli, le poète comme tout homme qui a ren­con­tré la Parole, est envoyé en mis­sion et doit selon la parole dans l’Evangile de  Matthieu : « Sec­ouer de ses pieds la pous­sière » ; paroles que reprend le poète dans le pre­mier poème de cette dernière partie.

Sec­ouer la pous­sière, con­tin­uer à avancer, se tourn­er vers d’autres hori­zons, aller porter la parole.

Le poète doit lui aus­si s’en remet­tre à celui qui sait et comme le pécheur qui cherche en vain le pois­son, le poète est appelé à jeter ses filets alors seule­ment il trou­vera en «  abon­dance les mots vivants. »

En ce recueil Jean-Pierre Boulic appelle à voir autrement le monde et comme Marie-Madeleine à se tenir au plus près de l’Amour dans le jardin, comme elle qui au matin de Pâques alors qu’il ne fai­sait pas encore jour, a cru voir le jardinier.

En ce jardin qui se fait can­tique et louange, sans occul­ter la souf­france, les plaies, la souil­lure, savoir que «  chaque heure accom­plit le temps » et se savoir comme Marie-Madeleine choisie pour bénir ce temps nouveau.

Grâce aux mots du poème, accueil­lir à l’infini le Nom inépuis­able, le servir et le trans­met­tre par la force viv­i­fi­ante des mots que lui seul habite, que le poète accueille et nous transmet

Le poète Jean-Pierre Boulic sait plus que tout autre, comme le dis­ait François Mau­ri­ac que «  La mer­veille est dans l’instant » ; Un instant accom­pli, habité et qu’il nous faut vivre.

L’expérience de l’Evangile n’est pas pour Jean-Pierre Boulic séparée de son expéri­ence quo­ti­di­enne. Il pour­rait faire siennes les paroles de Jean-Pierre Lemaire : L’Evangile n’est pas pour moi séparé de mon expéri­ence quo­ti­di­enne. Je con­state  que les images bibliques pren­nent une part crois­sante dans ma poésie. 

Le recueil est un hymne à la vie la plus ordi­naire, il est le reflet d’un poète friand de la vraie vie et qui sait décou­vrir des pépites lumineuses dans les petits riens.

Notes 

1 extrait d’un arti­cle, La Vie 28-07-2022

Présentation de l’auteur

François Teyssandier

François Teyssandi­er est né en Gironde et vit à Paris. Après des études supérieures de langue et de civil­i­sa­tion ital­i­ennes, puis le con­ser­va­toire d’art dra­ma­tique de Bor­deaux, il devient comé­di­en, puis plus tard enseignant.

Bib­li­ogra­phie 

Pub­li­ca­tion de qua­tre recueils de poèmes : La Musique du temps (éd.P.J.Oswald), Livres du songe (éd.Belfond, prix Louise Labé), Paysages nomades (éd. Voix d’encre), Equi­li­bre insta­ble de la lumière (éd. du Cygne).

Pub­li­ca­tion de nou­velles dans les revues : Nota Bene, Brèves, Rue Saint-Ambroise, Moe­bius (Québec), PR’Ose, Les Tas de mots, Diérèse, Népenthès, Créa­tures, Muze, ain­si que dans deux recueils col­lec­tifs et qua­tre anthologies.

A pub­lié égale­ment des poèmes dans les revues : Artère, Poésie 2000, L’Almanach des poètes, Vagabondages, Poésie1, Les heures, Glanes, Isis, Frich­es, Pyro, Arpa, Décharge, N4728, Voix d’encre, Le Coin de table, Revue 17 sec­on­des, Recours au poème, Ver­so, Le Cap­i­tal des mots, Con­ver­gences, Poésie/première, Nou­veaux dél­its, Sipay, Escapades, Comme en poésie, Dip­tyque, Les Cahiers de poésie, Tra­ver­sées, Phoenix, L’Arbre à paroles, Fran­copo­lis, A L’Index, revue Margutte (fran­­co-ital­i­enne), Bleu d’encre…

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Présentation de l’auteur

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Ghislaine Lejard

Ghis­laine Lejard a pub­lié plusieurs recueils de poésie, dernières paru­tions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Hen­ry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a col­laboré avec 25 textes au livre de Bruno Roti­val Silence et Partage (ed Medi­as­paul, 2019 Lam­beaux d’humanité en col­lab­o­ra­tion avec Pierre Rosin ( ed Zin­zo­line). . Ses poèmes sont présents dans des antholo­gies, dans de nom­breuses revues et sur des sites. Elle col­la­bore régulière­ment pour des notes de lec­ture ou des arti­cles à des revues papi­er et des revues numériques. Des plas­ti­ciens ont illus­tré de ses poèmes, des comé­di­ens les ont lus. Elle organ­ise des ren­con­tres poé­tiques. Elle a été élue mem­bre de l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire, en 2011. Elle est mem­bre de l’association des écrivains bre­tons ( AEB). Elle est aus­si plas­ti­ci­enne, elle réalise des col­lages. Elle a par­ticipé à des expo­si­tions col­lec­tives en France et à l’étranger et a réal­isé des expo­si­tions per­son­nelles. Ses col­lages illus­trent des recueils de poésie. Elle col­la­bore avec des poètes à la réal­i­sa­tion de livres d’artiste http://ghislainelejard.com/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard Elle ani­me des ate­liers de col­lage. Elle pra­tique l’art postal, a réal­isé à Nantes et en région nan­taise des expo­si­tions d’art postal ; elle a ini­tié le con­cept de « rich­es enveloppes », asso­ciant col­lage et poésie, de nom­breux poètes y ont déjà participé.
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