Paroles de poètes, poètes sur parole de Jean-Luc Pouliquen et Philippe Tancelin

Par |2021-07-06T16:55:29+02:00 5 juillet 2021|Catégories : Philippe Tancelin|

Cette cri­tique, une des toutes pre­mières de notre col­lab­o­ra­trice Ghis­laine Lejard, est parue dans le numéro 74 de Recours au poème, en novem­bre 2013.

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Jean-Luc Pouliquen et Philippe Tancelin échangent, au cen­tre de la dis­cus­sion entre le poète et le philosophe-poète, la Poésie ; ce qu’elle est et ce qu’on a fait d’elle en France plus particulièrement.

Alors que sur notre ter­ri­toire, elle ne représente que 1% des ventes, Jean-Luc Pouliquen rap­pelle qu’elle rem­plit des stades en Amérique Latine et en Corée du Sud,  nous sem­blons l’avoir oublié en France, mais la poésie est pop­u­laire : «  plus que tout autre expres­sion car elle est au cen­tre même du vivant en ce qu’il espère encore quand tout espoir l’a quit­té et qu’il ne reste plus que la magie brûlante des mots ». Il sem­ble qu’il y ait eu un cer­tain déficit ; la poésie est dev­enue trop insti­tu­tion­nelle et depuis le fes­ti­val d’Avignon dont René Char a été à l’origine avec Jean Vilar, un cer­tain esprit a dis­paru. Jean-Luc Pouliquen accuse les poli­tiques publiques d’avoir enfer­mé la poésie car on ne peut balis­er le ter­ri­toire poé­tique : «  Elles( les maisons de la poésie) créent des sanc­tu­aires dans lesquels rien de nou­veau ne peut éclore. »( p.18). les poètes peu­vent-ils s’épanouir à l’intérieur d’institutions ad hoc, maisons de la poésie, rési­dences, labels ?…Une phrase fait mouche et illus­tre son pro­pos : «  Tu imag­ines Rim­baud venir faire une lec­ture à la mai­son de la poésie de Charleville ou y pass­er quelques semaines en  résidence… »

Paroles de poètes, poètes sur parole de JL Pouliquen et P. Tancelin

Paroles de poètes – Poètes sur parole, Jean-Luc Pouliquen & Philippe Tancelin, Edi­tions L’Harmattan

On l’aura com­pris, pour eux, les chemins de la poésie, les ren­con­tres les plus mar­quantes, se trou­vent hors des sen­tiers bat­tus, la poésie ne peut être insti­tu­tion­nal­isée ! La poésie est et doit rester libre, rebelle, hors cadre ! Mais le poli­tique veut tou­jours la cadr­er, la recadr­er, l’encadrer car depuis tou­jours, il s’en méfie…

La poésie pour : « Vivre , choisir, s’engager », les inter­locu­teurs met­tent très vite l’accent sur la notion d’engagement qui est au cœur de l’écriture poé­tique ; un engage­ment indis­so­cia­ble du vécu. Être poète c’est déjà être engagé, c’est affron­ter une économie qui envahit tout et tue le plus sou­vent l’esprit créatif, vouloir être un créa­teur, c’est donc résister :

L’engagement poé­tique aux côtés des sans terre et des sans droits devient l’occasion pour le poète de replac­er la ques­tion de sa créa­tion au cœur de l’Histoire. Ph.Tancelin (p.32)

Engage­ment et émo­tion ne s’opposent pas, Pourquoi avoir voulu les opposer ?

Depuis quelques décen­nies, trop de poètes idéo­logues ont rejeté l’émotion que Reverdy con­sid­érait comme néces­saire à la créa­tion poé­tique : « L’émotion doit rester pre­mière(…) c’est elle qui va enclencher le proces­sus de créa­tion. » J .L Pouliquen( p.33 ). C’est cet esprit- là qui ani­ma les poètes de l’école de Rochefort. 

Le poète est aus­si témoin dans une dimen­sion col­lec­tive, hélas cette dimen­sion col­lec­tive de la vie poé­tique et artis­tique manque à notre époque depuis les années 80. Le col­lec­tif «  Change » et sa revue fondée par Jean-Pierre Faye est sans doute l’une des dernières traces de cet esprit col­lec­tif qui ani­mait les Décades de Pon­tigny ou les col­lo­ques de Cerisy.

Il faut descen­dre la poésie dans la rue, partager autour de l’œuvre sans final­ité sociale. C’est ce que Marc Delouze et Danièle Fournier ont ten­té avec les Parvis poé­tiques.

Le poète est témoin, mais il est aus­si médi­a­teur, à par­tir de son expéri­ence intime, sin­gulière il rejoint l’autre dans son humaine con­di­tion. La voix ou voie poé­tique est un moyen d’appréhender le monde, de se réap­pro­prier son expéri­ence par les mots ; c’est ce que ten­tent de faire les ate­liers de poésie ; mais « les chemins actuels de la parole poé­tique » se sont comme la société française com­plex­i­fiés. Le face à face direct et spon­tané avec la poésie se fait dans des espaces délim­ités et par l’intermédiaire de struc­tures, or la poésie est une parole nomade, d’où : « Le risque que représente pour le poème l’atelier séden­taire d’écriture… », n’oublions pas qu’une insti­tu­tion­nal­i­sa­tion du poé­tique tue le poème !

« Plus de poètes-paysans ou de poètes ouvri­ers mais des poètes-ani­ma­teurs d’ateliers d’écriture dans un réseau de médiathèques qui recou­vre l’ensemble du ter­ri­toire. » Mais atten­tion : «  Il n’y a pas de for­ma­tion poé­tique ni d’enseignement de la transgression,car l’état poé­tique est trans­gres­sif. » Ph. Tancelin ( p.75 )

Gar­dons ce qui était de règle, la sépa­ra­tion des gen­res : «  C’est ain­si que cela fonc­tion­nait aupar­a­vant, les poètes avaient une activ­ité pro­fes­sion­nelle et à côté la poésie dont ils pou­vaient s’occuper en toute lib­erté et indépen­dance. J’ai l’impression qu’elle ne s’en est pas trop mal portée. » J.L Pouliquen (p.76). Il faut vivre en poésie et non vivre de poésie. Elle ne sera jamais marchan­dise car elle n’est pas objet comme la pein­ture ou la sculp­ture. Elle est comme le dis­ait la revue Fontaine (N° mars-avril 1942) « un exer­ci­ce spir­ituel ».

On demande de plus en plus sou­vent au poète un partage à voix haute, renouant avec la tra­di­tion. Mais on demande dans des lec­tures publiques, ce que l’on demandait au comé­di­en, c’est un exer­ci­ce dif­fi­cile pour le poète qui a sou­vent l’impression de se livr­er à un exer­ci­ce d’impudeur, d’exhibitionnisme voire de nar­cis­sisme. Et pour­tant, pour s’accomplir la poésie a besoin du cou­ple écri­t­ure – oralité :

Écouter un poème, « un vrai poème », c’est faire l’expérience du car­ac­tère sacré du  lan­gage qui a enfer­mé dans ses mots les vibra­tions les plus secrètes et les plus pro­fondes du cos­mos et de l’être. » J.L Pouliquen (p.97)

Le poème pour dire le réel, c’est aus­si une ten­dance actuelle, mais de quelle réal­ité s’agit-il ? Le poète certes ressent cet appel à dire UN réel, mais non pas LE réel ; car comme le dit si poé­tique­ment Jean-Luc Pouliquen, pour attein­dre ce réel, « il fau­dra tra­vers­er le miroir » et il rap­pelle ce que lui dis­ait Hélène Cadou, le réel entre­vu n’est que l’envers d’une tapis­serie, pour la décou­vrir, il fau­dra attein­dre l’autre rive… Le moteur de la créa­tion poé­tique,  naît de cet écart entre : 

ce que le poète entrevoit et ce qui lui est per­mis de vivre véri­ta­ble­ment.  J.L Pouliquen (p. 101 )

Qui mieux que le poète est en mesure de par­ler de la poésie, les poètes ne doivent pas se laiss­er dépos­séder, ils ne doivent pas oubli­er  qu’ils ont aus­si charge de faire vivre la poésie des autres. «  Le poète est celui qui n’oublie ni les vivants ni les morts. » R G Cadou. Qui mieux qu’un poète peut écrire sur un autre poète, rédi­ger des pré­faces, com­men­taires, notes qui ouvrent les chemins de la poésie. Pour exis­ter, elle a aus­si besoin d’autres vecteurs , et d’être relayée par les médias, pas seule­ment les revues spé­cial­isées , elle devrait être plus présente dans les jour­naux comme c’est le cas dans les pays de l’Est ou les pays d’Orient, présente aus­si dans de grandes man­i­fes­ta­tions pop­u­laires comme en Amérique Latine…

Alors, pour que vive la parole poé­tique, les auteurs de cet ouvrage, souhait­ent qu’il y ait une « suite à cette parole », Philippe Tancelin à la fin de l’ouvrage appelle les lec­tri­ces et les lecteurs à pro­longer le dia­logue com­mencé par lui et Jean-Luc Pouliquen, il faut faire con­naître cet échange. Le lire, c’est s’interroger sur la place de la poésie et des poètes en France, en ce début du XXIe siè­cle ; c’est décou­vrir que l’artiste, le philosophe, le poète sont au ser­vice d’une vérité qui les dépasse. Un riche dia­logue qui illus­tre bien cette pen­sée de René Char :

Qui vient au monde pour ne rien trou­bler, ne mérite ni égard, ni patience.

Philippe Tancelin et Jean-Luc Pouliquen trou­bleront cer­tains poètes, cer­taines instances car ils inter­pel­lent, sec­ouent pour réveiller la belle endormie qu’est par­fois la poésie française con­tem­po­raine qui se con­tente beau­coup trop de sur­vivre grâce à des struc­tures institutionnelles.

 Souhaitons  que l’échange se pro­longe et que beau­coup répon­dent à l’appel de Phippe Tancelin :

par les moyens tech­niques mod­ernes (inter­net en par­ti­c­uli­er), selon les modal­ités à inven­ter dans l’esprit d’une con­ver­sa­tion inter­na­tionale, tran­scul­turelle sur les thèmes de prédilec­tion du peu­ple-poème dans l’histoire con­tem­po­raine. (p.117)

Présentation de l’auteur

Philippe Tancelin

Philippe Tancelin est né Le 29 mars 1948 à Paris. Doc­teur d’Etat en Philoso­­phie-Esthé­­tique. Il est l’auteur de nom­breux ouvrages dont :

  • Ecrire, ELLE 1998 ;
  • Poé­tique du silence, 2000 ;
  • Cet en-delà des choses, 2002 ;
  • Ces hori­zons qui nous précè­dent, 2003 ;
  • Les fonds d’éveil, 2005 ;
  • Sur le front du jour, 2006 ;
  • Poé­tique de l’étonnement, 2008 ;
  • Poé­tique de l’Inséparable, 2009 ;
  • Le mal du pays de l’autre ; 
  • L’ivre tra­ver­sée de clair et d’om­bre, 2011 ;
  • Au pays de l’in­di­vis aimer (…) éd. l’Harmattan, 2011. 
  • Tiers-Idées, Hachette 1977; En col­lab­o­ra­tion avec G. Clancy ;
  • Frag­­ments-Delits,  Seghers 1979 ;
  • L’été insoumis, 1996 ;
  • Le Bois de vivre, l’har­mat­tan, 1996 ;
  • L’Esthé­tique de l’om­bre, 1991 ;
  • La ques­tion aux pieds nus ; 
  • En pas­sant par Jénine, 2006 (éd. l”Harmattan) ;
  • Le Théâtre du Dehors, Recherch­es, 1978 ;
  • Manoel De Oliveira, Dis-voir I987 ;
  • Théâtre sur Paroles, Ether Vague 1989 ;
  • Entre­tiens avec Bruno Dumont, Dis-voir, 2002.

 

Philippe Tancelin

Autres lec­tures

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Ghislaine Lejard

Ghis­laine Lejard a pub­lié plusieurs recueils de poésie, dernières paru­tions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Hen­ry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a col­laboré avec 25 textes au livre de Bruno Roti­val Silence et Partage (ed Medi­as­paul, 2019 Lam­beaux d’humanité en col­lab­o­ra­tion avec Pierre Rosin ( ed Zin­zo­line). . Ses poèmes sont présents dans des antholo­gies, dans de nom­breuses revues et sur des sites. Elle col­la­bore régulière­ment pour des notes de lec­ture ou des arti­cles à des revues papi­er et des revues numériques. Des plas­ti­ciens ont illus­tré de ses poèmes, des comé­di­ens les ont lus. Elle organ­ise des ren­con­tres poé­tiques. Elle a été élue mem­bre de l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire, en 2011. Elle est mem­bre de l’association des écrivains bre­tons ( AEB). Elle est aus­si plas­ti­ci­enne, elle réalise des col­lages. Elle a par­ticipé à des expo­si­tions col­lec­tives en France et à l’étranger et a réal­isé des expo­si­tions per­son­nelles. Ses col­lages illus­trent des recueils de poésie. Elle col­la­bore avec des poètes à la réal­i­sa­tion de livres d’artiste http://ghislainelejard.com/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard Elle ani­me des ate­liers de col­lage. Elle pra­tique l’art postal, a réal­isé à Nantes et en région nan­taise des expo­si­tions d’art postal ; elle a ini­tié le con­cept de « rich­es enveloppes », asso­ciant col­lage et poésie, de nom­breux poètes y ont déjà participé.
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