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Joël-Claude Meffre, Ma vie animalière suivi de Homme-père/homme de pluie et Souvenir du feu

J’ai fait ce songe. Il nous a consumés sans reliques 

St-John Perse Éloges

Une fois n’est pas coutume, commençons par la fin. Dans « Souvenir du feu », dernière section de ce recueil saisissant, nous pénétrons au cœur d’une image angoissante, celle de ce chariot qui semble aller seul, portant en lui un feu insatiable.

L’image est puissante, presque surréaliste, c’est un œil d’enfant qui l’observe, la symbolique en est fulgurante et terrible.

Il brûle par lui-même,
sans rien qui le nourrisse.
C’est le feu avivé
de mon rêve
ressurgissant dans mes nuits. 
(…)

j’ai peur que le même feu
ne consume le rêve 

Joël-Claude Meffre, Ma vie animalière suivi de Homme-père/homme de pluie et Souvenir du feu, éditions propos DEUX, 2023.

C’est que Joël-Claude Meffre, comme rarement auparavant, nous accueille chez lui, dans l’intimité de son imaginaire, mais encore dans sa famille. Son frère, son père, deux figures complexes, tutélaires et énigmatiques, deux fantômes n’ayant laissé nulle trace sauf dans le cœur de celui qui se les rappelle. Comme le dit fort justement Marilyne Bertoncini dans sa belle Préface, « Les quatre parties débordent, les souvenirs abondent -et l’organisation élémentaire se fissure laissant transparaître des éléments épars d’une biographie liée à la ruralité, aux activités mystérieuses et paradoxales, dans le monde du « comme si » de l’enfance, confrontée à la mort infligée par les adultes (…) » Ainsi, dans la section « Grives » est-il question des oiseaux, certes, mais surtout, du Grand Frère, l’oiseleur, tantôt évoqué à la troisième personne et tantôt à la deuxième, comme pour tenter un dialogue. Celui-ci a lieu, bien sûr, mais il demeure éphémère et, bientôt, s’interrompt.

L’homme-oiseau, l’oiseleur, regarde parfois
ce vide-là,
qui a le visage d’une absence (…)

Reste le chant.

Quelque part, ailleurs,
                 les hommes continuent à chanter
                 un langage de chants
                 sans qu’aucun mot ne se forme dans leur bouche (…)

Mais où est le pays de Joël-Claude Meffre ? Sans doute « Aux alentours d’un monde » comprenant le Ventoux, certes, mais, surtout, en ce chant qui « est un fleuve où les paroles communiquent avec leurs sources » selon la très belle citation de Jean Monod, insérée dans l’un des poèmes de « Grives » … D’ailleurs, dans « HOMME-PERE/HOMME DE PLUIE », il est question de « l’aval » et de « l’amont » de la « rivière », l’Ouvèze, jamais nommée. Le pays où nous nous trouvons n’en est ni la source :

dans la montagne
de la Chamouse 

ni l'embouchure

La rivière, à elle-même, elle est son propre chemin qui va
par-delà la plaine,
jusqu’au fleuve qu’elle vient rejoindre. 

Et cet entre-deux convient à l’évocation de ces figures absentes et singulièrement, celle du père :

Je pourrais peut-être retrouver l’image
                        de son visage,
                        celui de l’homme qui fait front à l’aval (…)
Je ne saurais imaginer
                        quel a pu être l’amont de sa vie,
                        l’amont le plus en amont de lui-même (…) 

Il y a, chez Joël-Claude Meffre, comme une frontière infranchissable, un au-delà, lequel pourrait bien être un en-deçà, en même temps suggéré et inaccessible. Mais n’est-ce pas le propre de la condition humaine que de nous retrouver perdus entre un amont et un aval inatteignables ?

Il faudrait beaucoup d’attention
                     pour réveiller en nous quelque mémoire
                      du chuintement de ces sources.

Cela même ne peut se dire
                    ni même sens doute se penser.

Les oiseaux seuls s’en souviennent peut-être. 

Présentation de l’auteur

Joël-Claude Meffre

Né en 1951, il est issu d’une famille de viticulteurs comtadins, il a passé son enfance en milieu rural et réside aujourd’hui près de Vaison-la-Romaine. Archéologue. Retraité. Ayant étudié la littérature et la philologie, il a aussi milité pour la reconnaissance de la langue et de la littérature occitanes. En 1978, les rencontres avec le poète Bernard Vargaftig puis, plus tard, avec Philippe Jaccottet, ont été déterminantes dans le développement de son travail d'écriture poétique.

Au début des années 1990, il découvre l'enseignement du soufisme. Il s'initie alors à la culture et la spiritualité du monde arabo-musulman. Puis il publie trois essais  : 1) sur l’enseignement  du soufisme aujourd'hui ;  2) sur le calligraphe irakien Ghani Alani ; 3) sur le saint soufi Mansur al-Hallaj. Cet engagement le conduit à des collaborations artistiques (avec Faouzi Skali), littéraires (avec Pierre Lory ) et spirituelles (avec l’islamologue Eric Geoffroy).

Il publie ses premiers livres aux Éditions Fata Morgana. Dans les années 2000, il noue des liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugier, Hubert Haddad, Joël Vernet, Claude Louis-Combet, Jean-Baptiste Para, Michaël La Chance. Il écrit des notes de lecture pour la revue littéraire Europe. Sa démarche à la fois spirituelle et poétique le conduit à dialoguer avec les poètes tels que Jeanine Baude, Pierre-Yves Soucy, le philosophe Laurent Bove, le physicien cosmologiste Renaud Parentani, et les compositeurs suisses Christian Henking et Gérard Zinsstag.

Joël-Claude Meffre s’intéresse à la peinture et les artistes : ses complicités avec les peintres tels que Albert Woda, Michel Steiner, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alberto Zamboni, Catherine Bolle, Bénédicte Plumey, Sylvie Deparis, Hervé Bordas, etc..., lui ont donné l’occasion de réaliser des livres d’artistes. À ces tirages limités, accompagnés d’estampes, il faut ajouter les productions monographiques de livres manuscrits à exemplaire unique ou tirages limités avec des inclusions de métal, de verre, de fibres2.

Joël-Claude Meffre est membre de la Maison des écrivains et de la littérature (Paris) ; il contribue régulièrement dans des revues : Détours d’écriture (dirigée par Patrick Hutchinson), Europe, Revue de littérature alsacienne, N4728 (cf. les no 9, 11, 18, 19), Revue de Belles Lettres Suisses, Propos de Campagne, Revue Sorgue, Moriturus (no. 5, 2005), Autre SUD, Conférence (no. 25, automne 2007), Nunc, L'Étrangère, La revue Nu(e), Triage, L’Animal, Faire part, Le Frisson Esthétique, Lieux d’Être, Osiris.

Outre ses lectures de poésies, il manifeste un intérêt pour les groupes Protocole Meta avec Jean-Paul Thibeau.

Il est consultant pour les éditions Les Alpes de Lumière.

Directeur de publication de la revue de photographie en ligne TERRITOIRES VISUELS https://emav.fr/revue-territoires-visuels/ 

Autres lectures

Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

« Je ne demeure dans aucun pays propice à la salvation ou à la sauvegarde » Divagations Les vingt-sept « Proses » que contient Aux alentours d’un monde approfondissent l’énigme d’une relation à soi-même et à [...]




Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

« Je ne demeure dans aucun pays propice à la salvation ou à la sauvegarde »

Divagations

Les vingt-sept « Proses » que contient Aux alentours d’un monde approfondissent l’énigme d’une relation à soi-même et à un pays. « Il est temps que nous ressentions en nous-mêmes combien nous sommes seuls, les uns avec les autres, mais debout en quelques confins d’univers, en nous laissant porter jusqu’à l’étrangement de nous-mêmes, sans inquiétude. »

Qu’on ne s’y trompe pas, même si les « confins d’univers » dont parle le poète existent bel et bien, se reconnaissent même, couvrent quelques kilomètres carrés et pourraient s’appeler « Dentelles de Montmirail et alentours », il est ici question de bien autre chose, d’un autre monde à l’intérieur même de celui-ci et permettant seul cet « étrangement », cette mise à distance de soi-même et des choses. Mais ce monde reste mystérieux, inaccessible, on l’approche seulement, on ne séjourne qu’en ses « alentours ». Là, pourtant, au plus près, peut s’entendre la singularité tragique mais tranquille des choses, des êtres, des instants et de soi-même.

Même si certaines proses sont écrites au « nous », la plupart narrent des aventures ou des découvertes personnelles, des avancées en des lieux difficilement civilisables ou qui le furent, des ruines, des vestiges, des traces de chemins, des sentiers de bêtes.

Le narrateur poète nous conduit en des endroits (des envers ?) secrets mais qu’il connaît bien et dans lesquels il (nous) découvre, avec gravité et attention, une étrangeté qui pourrait échapper à des regards moins clairvoyants. Il s’agit de glaner des moments et des lieux où se révèle, par exemple, la disproportion, même si quelque chose entend. « Il m’est arrivé de me rendre au pied de cette barre, là où la paroi est dressée à la verticale. Je m’approche au plus près d’elle et je lui murmure un message secret (…) A ce jour, aucun écho ne m’est encore revenu en guise de réponse. Peut-être le rocher mettra-t-il plusieurs siècles à livrer quelques mots déformés que d’autres vivants attentifs pourront intercepter. »

Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde, Librairie Editions tituli, 2020, 122 pages, 23 €.

Le texte parle de cela, de ces « malentendus », de ces rendez-vous improbables, inespérés, avec quelque autre chose, d’un autre ordre, qui tarde à venir ou bien est déjà advenu. Du texte suinte une ferveur brisée, un paganisme déçu, la matière est en même temps vivante et morte, quelque chose ne répond plus ; l’ouvrage parle surtout d’absences ou d’absents, le mûrier multi centenaire semble mort, mais « Cette « entrée dans le monde » c’est, pour nous, ici, l’entrée dans la sphère de l’arbre dont on pourrait ressentir avec beaucoup d’attention quelque mouvement de sève pouvant encore circuler au cœur de son bois… ». Comme si quelque chose de vivant allait pouvoir se découvrir dans la mort même de sa souche. Accepter ce mystère ? Ce scandale secret ?

C’est peut-être qu’il s’agit d’entendre le silence d’un monde, d’accueillir son énigme ou son effacement sans vouloir rien conclure ? L’un des textes les plus beaux du recueil parle avec bonheur des hêtres « tels qu’ils sont là », dans les hauteurs et le silence de leur pensée, « en tant que présence accomplie de leur espèce ». Le monde parle en silence, aux marges, encore un peu, comme le poète ; et on aurait presque envie de convoquer Nerval et ses Vers dorés :

 

Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? 

Sauf que la vie, dans ce monde-ci, a éclaté depuis longtemps, il n’en reste plus que des fragments… Dans ce pays en voie de disparition, le cimetière lui-même ne dit plus rien, les noms propres n’y évoquant que « l’Oubli. Mot tout rond qui ne désigne autre chose que le moment où l’ombre du temps s’estompe et se rétracte en un point unique. »

Texte profond, secrètement émouvant, essayant de rappeler à la surface, à la mémoire, ces sources oubliées, ces noms inutiles, les bribes de plus en plus ténues « de cette langue subsistante se concentrant parfois en noyaux mémoriels qui hésitent avant de rouler vers le silence. »

Présentation de l’auteur

Joël-Claude Meffre

Né en 1951, il est issu d’une famille de viticulteurs comtadins, il a passé son enfance en milieu rural et réside aujourd’hui près de Vaison-la-Romaine. Archéologue. Retraité. Ayant étudié la littérature et la philologie, il a aussi milité pour la reconnaissance de la langue et de la littérature occitanes. En 1978, les rencontres avec le poète Bernard Vargaftig puis, plus tard, avec Philippe Jaccottet, ont été déterminantes dans le développement de son travail d'écriture poétique.

Au début des années 1990, il découvre l'enseignement du soufisme. Il s'initie alors à la culture et la spiritualité du monde arabo-musulman. Puis il publie trois essais  : 1) sur l’enseignement  du soufisme aujourd'hui ;  2) sur le calligraphe irakien Ghani Alani ; 3) sur le saint soufi Mansur al-Hallaj. Cet engagement le conduit à des collaborations artistiques (avec Faouzi Skali), littéraires (avec Pierre Lory ) et spirituelles (avec l’islamologue Eric Geoffroy).

Il publie ses premiers livres aux Éditions Fata Morgana. Dans les années 2000, il noue des liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugier, Hubert Haddad, Joël Vernet, Claude Louis-Combet, Jean-Baptiste Para, Michaël La Chance. Il écrit des notes de lecture pour la revue littéraire Europe. Sa démarche à la fois spirituelle et poétique le conduit à dialoguer avec les poètes tels que Jeanine Baude, Pierre-Yves Soucy, le philosophe Laurent Bove, le physicien cosmologiste Renaud Parentani, et les compositeurs suisses Christian Henking et Gérard Zinsstag.

Joël-Claude Meffre s’intéresse à la peinture et les artistes : ses complicités avec les peintres tels que Albert Woda, Michel Steiner, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alberto Zamboni, Catherine Bolle, Bénédicte Plumey, Sylvie Deparis, Hervé Bordas, etc..., lui ont donné l’occasion de réaliser des livres d’artistes. À ces tirages limités, accompagnés d’estampes, il faut ajouter les productions monographiques de livres manuscrits à exemplaire unique ou tirages limités avec des inclusions de métal, de verre, de fibres2.

Joël-Claude Meffre est membre de la Maison des écrivains et de la littérature (Paris) ; il contribue régulièrement dans des revues : Détours d’écriture (dirigée par Patrick Hutchinson), Europe, Revue de littérature alsacienne, N4728 (cf. les no 9, 11, 18, 19), Revue de Belles Lettres Suisses, Propos de Campagne, Revue Sorgue, Moriturus (no. 5, 2005), Autre SUD, Conférence (no. 25, automne 2007), Nunc, L'Étrangère, La revue Nu(e), Triage, L’Animal, Faire part, Le Frisson Esthétique, Lieux d’Être, Osiris.

Outre ses lectures de poésies, il manifeste un intérêt pour les groupes Protocole Meta avec Jean-Paul Thibeau.

Il est consultant pour les éditions Les Alpes de Lumière.

Directeur de publication de la revue de photographie en ligne TERRITOIRES VISUELS https://emav.fr/revue-territoires-visuels/ 

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Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

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Joel-Claude MEFFRE, Trois poèmes (extraits)

L’HIRONDELLE ET LA TAUPE

 

Brodski  rapporte cette histoire russe,
celle d’une hirondelle et de son hôte, la taupe.  Cette histoire dit :
un vent de violence souffle sur la lande, et rabat
l’hirondelle sur le sol gelé. Elle sautille dans la neige, jusqu’à trouver
le trou de la taupe où elle vient s’abriter.  La taupe s’enfonce dans son trou
et l’hirondelle  alors s’endort. Elle a un lourd sommeil qui durera aussi  longtemps que la neige couvrira la terre. 
Telle est l’histoire russe.

Toi,  l’hirondelle, à quoi rêves-tu ? Iras-tu là-bas, au loin, reconnaitre  en ce pays au bout de l’air,
les fermes qui tremblent derrière les brumes, et les toits rouges des remises où tu pourras venir
bâtir ta maison de brindilles ?

Quand dirons-nous « visage », visage d’animal et gueule d’homme ?
Ainsi s’échangera toute douceur, de toi à moi, de moi au monde, du monde à toi,
en reconnaissance, de ce qui se pense, intimement, du rêve bactérien
au paradis simiesque.

Et toi, la taupe, dans quelles profondeurs t’enfonces-tu ? Tu creuses ta solitude
dans l’argile du sol. Tu avances dans  l’obscurité avec, au fond de tes yeux atrophiés,
une frêle lumière, comme de celles qui subsiste au creux d’une lanterne.

L’animalité, c’est ce qui illumine la mémoire des cris, les bruissements des ailes, nos ébats 
ininterrompus, l’écho des rugissements hérité des chasses révolues.

Dans la fraîcheur du temps resurgit « jadis » fondu dans maintenant où,
de mémoire, j’étais homme dans mon obstination à figurer avec le bout d’un charbon
tant de silhouettes et l’inflexible œil du lynx.

« Les hirondelles / Font des dentelles / Dans les étoiles. »
C’est ainsi que ma mère fredonnait cette comptine en regardant l’oiseau noir aux ailes blanches 
plonger et saisir de son bec un bout de laine  se tortillant sur le béton de la cour.

L’animal  ne  peut nommer, dit-on, mais l’innommable nomme l’homme quand l’animal, lui, 
en silence se terre à l’abri des haies.

Vieille taupe au pelage de soie tu viendras t’assoupir bientôt près des ailes aiguisées de l’aronde
qui s’est enfuie l’autre jour loin de la contrée délivrée de ses neiges.

Et les molaires de l’homme, décrochées de la mandibule, se dispersent 
une à une comme des graines piétinées sous les pas de l’ours.

 

Le loup, Le renard, le lièvre
...ronde éperdue

 

Ai vist lo lop, lo rainard, la lèbre
Ai vist lo lop, lo rainard dançar
Totei tres fasián lo torn de l’aubre
Ai vist lo lop, le rainard, la lèbre
Totei tres fasián lo torn de l’aubre
Fasián lo torn dau boisson folhat 

 ...Vieille chanson qui se chantait autrefois dans le Massif Central,
où trois animaux, le loup, le renard, le lièvre,
tournaient, tournaient autour de l’arbre.
C’était une danse folle qui ne s’arrêtait pas.

Ritournelle sans fin.

Et je me dis que tant qu’il y aura des hommes sur la terre
ils se prendront
à rêver de rondes d’animaux qui, d’ordinaire,
ne se rencontrent jamais.

Des rondes d’animaux étrangers les uns des autres,
entraînés par des rythmes étourdissants, par une mélodie ensorceleuse
dans une course folle autour d’un arbre,
dressé au fond d’une clairière.

Ces trois bêtes n’avaient pas été réunies par les hommes.
Et plutôt que de les croire envoûtées par une musique qui les subjuguerait
disons qu’elles se couraient après, de plus en plus vite,
dans le seul but
de s’attraper pour s’étriper,
sans jamais pouvoir y parvenir.

On sait, par tant de légendes
que le renard ne cesse de vouloir gruger le loup qui,
hargneusement,
n’a qu’une idée : faire sa fête au renard éternellement fûté et retors.
Quant au lièvre, lui,
il fuit le renard que poursuit le loup pour échapper
à la dent de l’un ou de l’autre.

Leur danse autour de l’arbre n’était donc qu’une fuite sans fin,
qu’une incessante course-poursuite
circulaire
faisant perdre haleine,
menant au vertige,
dissolvant dans l’indistinction les formes de ces animaux,
les réduisant à n’être plus qu’un mouvement éperdu
dans le temps terrestre.
Et on imagine mal comment cela pouvait cesser,
autrement que par l’épuisement du joueur de cabrette
ayant accéléré le rythme.

J’imagine aussi que des hommes
avaient pu attacher les trois animaux à une corde
pour les faire tourner autour d’un piquet
comme s’il étaient tenus en laisse.
C’eût été un manège, en quelque sorte,
une attraction de cirque.

Mais je préfère imaginer le loup, le renard, le lièvre,
et puis le blaireau, la belette, le daim, et puis d’autres et d’autres,
libérés de la ronde infernale,
se dispersant soudain, chacun de son côté,
et poursuivre leur errance à travers des territoires
sans limites.

De chacun d’entre eux, il nous reste les vivantes images
des symboles qu’ils représentent,
incrustés dans le temps des vieux mythes agraires,
d’où se dégagent des parfums de sauvagerie,
de mystère, de forces occultes,
des visions de crocs usés sous des babines humides,
d’oreilles ébréchées en constant éveil,
en constant mouvements de scrutation inquiète,
ou des fourrures luisantes, souillées, abandonnées sous les buissons.

Il est temps de rentrer chez soi !
Au fond de la clairière,
tandis que l’arbre seul s’épanouit dans le silence.

J’ai vu le loup, le renard, le lièvre
J’ai vu le loup, le renard danser
Tous les trois  faisaient le tour de l’arbre
J’ai vu le loup, le renard, le lièvre
J’ai vu le loup, le renard danser
Faisaient le tour du buisson feuillu. 

 

PIGEONS DE BAGDAD

 

Tous ces pigeons, dans le ciel de Bagdad,
qui tournent autour des minarets,
qui vont,
qui viennent au-dessus des toits,
dans la vieille ville,
nichant aux coins des fenêtres parmi les pots de géranium,
crient :  Haqq ! Haqq ! Haqq !

C’est qu’ils n’avaient cessé de tourner au-dessus du gibet
où Hallaj, martyrisé,
clamait vers les hommes et vers le ciel :
ANA HAQQ !
(Je suis la Vérité !)

Ces pigeons, ils ont toujours le cri d’Hallâj dans leur gorge
et répètent, jour après jour,
de siècle en siècle,
comme en écho :
Haqq ! Haqq ! Haqq !
(je suis la Vérité).

 

Présentation de l’auteur

Joël-Claude Meffre

Né en 1951, il est issu d’une famille de viticulteurs comtadins, il a passé son enfance en milieu rural et réside aujourd’hui près de Vaison-la-Romaine. Archéologue. Retraité. Ayant étudié la littérature et la philologie, il a aussi milité pour la reconnaissance de la langue et de la littérature occitanes. En 1978, les rencontres avec le poète Bernard Vargaftig puis, plus tard, avec Philippe Jaccottet, ont été déterminantes dans le développement de son travail d'écriture poétique.

Au début des années 1990, il découvre l'enseignement du soufisme. Il s'initie alors à la culture et la spiritualité du monde arabo-musulman. Puis il publie trois essais  : 1) sur l’enseignement  du soufisme aujourd'hui ;  2) sur le calligraphe irakien Ghani Alani ; 3) sur le saint soufi Mansur al-Hallaj. Cet engagement le conduit à des collaborations artistiques (avec Faouzi Skali), littéraires (avec Pierre Lory ) et spirituelles (avec l’islamologue Eric Geoffroy).

Il publie ses premiers livres aux Éditions Fata Morgana. Dans les années 2000, il noue des liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugier, Hubert Haddad, Joël Vernet, Claude Louis-Combet, Jean-Baptiste Para, Michaël La Chance. Il écrit des notes de lecture pour la revue littéraire Europe. Sa démarche à la fois spirituelle et poétique le conduit à dialoguer avec les poètes tels que Jeanine Baude, Pierre-Yves Soucy, le philosophe Laurent Bove, le physicien cosmologiste Renaud Parentani, et les compositeurs suisses Christian Henking et Gérard Zinsstag.

Joël-Claude Meffre s’intéresse à la peinture et les artistes : ses complicités avec les peintres tels que Albert Woda, Michel Steiner, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alberto Zamboni, Catherine Bolle, Bénédicte Plumey, Sylvie Deparis, Hervé Bordas, etc..., lui ont donné l’occasion de réaliser des livres d’artistes. À ces tirages limités, accompagnés d’estampes, il faut ajouter les productions monographiques de livres manuscrits à exemplaire unique ou tirages limités avec des inclusions de métal, de verre, de fibres2.

Joël-Claude Meffre est membre de la Maison des écrivains et de la littérature (Paris) ; il contribue régulièrement dans des revues : Détours d’écriture (dirigée par Patrick Hutchinson), Europe, Revue de littérature alsacienne, N4728 (cf. les no 9, 11, 18, 19), Revue de Belles Lettres Suisses, Propos de Campagne, Revue Sorgue, Moriturus (no. 5, 2005), Autre SUD, Conférence (no. 25, automne 2007), Nunc, L'Étrangère, La revue Nu(e), Triage, L’Animal, Faire part, Le Frisson Esthétique, Lieux d’Être, Osiris.

Outre ses lectures de poésies, il manifeste un intérêt pour les groupes Protocole Meta avec Jean-Paul Thibeau.

Il est consultant pour les éditions Les Alpes de Lumière.

Directeur de publication de la revue de photographie en ligne TERRITOIRES VISUELS https://emav.fr/revue-territoires-visuels/ 

Autres lectures

Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

« Je ne demeure dans aucun pays propice à la salvation ou à la sauvegarde » Divagations Les vingt-sept « Proses » que contient Aux alentours d’un monde approfondissent l’énigme d’une relation à soi-même et à [...]