Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde

Par |2021-10-21T13:28:56+02:00 19 octobre 2021|Catégories : Joël-Claude Meffre|

« Je ne demeure dans aucun pays prop­ice à la sal­va­tion ou à la sauvegarde »

Diva­ga­tions

Les vingt-sept « Pros­es » que con­tient Aux alen­tours d’un monde appro­fondis­sent l’énigme d’une rela­tion à soi-même et à un pays. « Il est temps que nous ressen­tions en nous-mêmes com­bi­en nous sommes seuls, les uns avec les autres, mais debout en quelques con­fins d’univers, en nous lais­sant porter jusqu’à l’étrange­ment de nous-mêmes, sans inquiétude. » 

Qu’on ne s’y trompe pas, même si les « con­fins d’univers » dont par­le le poète exis­tent bel et bien, se recon­nais­sent même, cou­vrent quelques kilo­mètres car­rés et pour­raient s’appeler « Den­telles de Mont­mi­rail et alen­tours », il est ici ques­tion de bien autre chose, d’un autre monde à l’intérieur même de celui-ci et per­me­t­tant seul cet « étrange­ment », cette mise à dis­tance de soi-même et des choses. Mais ce monde reste mys­térieux, inac­ces­si­ble, on l’approche seule­ment, on ne séjourne qu’en ses « alen­tours ». Là, pour­tant, au plus près, peut s’entendre la sin­gu­lar­ité trag­ique mais tran­quille des choses, des êtres, des instants et de soi-même.

Même si cer­taines pros­es sont écrites au « nous », la plu­part nar­rent des aven­tures ou des décou­vertes per­son­nelles, des avancées en des lieux dif­fi­cile­ment civil­is­ables ou qui le furent, des ruines, des ves­tiges, des traces de chemins, des sen­tiers de bêtes.

Le nar­ra­teur poète nous con­duit en des endroits (des envers ?) secrets mais qu’il con­naît bien et dans lesquels il (nous) décou­vre, avec grav­ité et atten­tion, une étrangeté qui pour­rait échap­per à des regards moins clair­voy­ants. Il s’agit de glan­er des moments et des lieux où se révèle, par exem­ple, la dis­pro­por­tion, même si quelque chose entend. « Il m’est arrivé de me ren­dre au pied de cette barre, là où la paroi est dressée à la ver­ti­cale. Je m’approche au plus près d’elle et je lui mur­mure un mes­sage secret (…) A ce jour, aucun écho ne m’est encore revenu en guise de réponse. Peut-être le rocher met­tra-t-il plusieurs siè­cles à livr­er quelques mots défor­més que d’autres vivants atten­tifs pour­ront intercepter. »

Joël-Claude Mef­fre, Aux alen­tours d’un monde, Librairie Edi­tions tit­uli, 2020, 122 pages, 23 €.

Le texte par­le de cela, de ces « malen­ten­dus », de ces ren­dez-vous improb­a­bles, inespérés, avec quelque autre chose, d’un autre ordre, qui tarde à venir ou bien est déjà advenu. Du texte suinte une fer­veur brisée, un pagan­isme déçu, la matière est en même temps vivante et morte, quelque chose ne répond plus ; l’ouvrage par­le surtout d’absences ou d’absents, le mûri­er mul­ti cen­te­naire sem­ble mort, mais « Cette « entrée dans le monde » c’est, pour nous, ici, l’entrée dans la sphère de l’arbre dont on pour­rait ressen­tir avec beau­coup d’attention quelque mou­ve­ment de sève pou­vant encore cir­culer au cœur de son bois… ». Comme si quelque chose de vivant allait pou­voir se décou­vrir dans la mort même de sa souche. Accepter ce mys­tère ? Ce scan­dale secret ?

C’est peut-être qu’il s’agit d’entendre le silence d’un monde, d’accueillir son énigme ou son efface­ment sans vouloir rien con­clure ? L’un des textes les plus beaux du recueil par­le avec bon­heur des hêtres « tels qu’ils sont là », dans les hau­teurs et le silence de leur pen­sée, « en tant que présence accom­plie de leur espèce ». Le monde par­le en silence, aux marges, encore un peu, comme le poète ; et on aurait presque envie de con­vo­quer Ner­val et ses Vers dorés :

 

Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ? 

Sauf que la vie, dans ce monde-ci, a éclaté depuis longtemps, il n’en reste plus que des frag­ments… Dans ce pays en voie de dis­pari­tion, le cimetière lui-même ne dit plus rien, les noms pro­pres n’y évo­quant que « l’Oubli. Mot tout rond qui ne désigne autre chose que le moment où l’ombre du temps s’estompe et se rétracte en un point unique. »

Texte pro­fond, secrète­ment émou­vant, essayant de rap­pel­er à la sur­face, à la mémoire, ces sources oubliées, ces noms inutiles, les bribes de plus en plus ténues « de cette langue sub­sis­tante se con­cen­trant par­fois en noy­aux mémoriels qui hési­tent avant de rouler vers le silence. »

Présentation de l’auteur

Joël-Claude Meffre

Né en 1951, il est issu d’une famille de vitic­ul­teurs com­tadins, il a passé son enfance en milieu rur­al et réside aujourd’hui près de Vai­­son-la-Romaine. Archéo­logue. Retraité. Ayant étudié la lit­téra­ture et la philolo­gie, il a aus­si mil­ité pour la recon­nais­sance de la langue et de la lit­téra­ture occ­i­tanes. En 1978, les ren­con­tres avec le poète Bernard Var­gaftig puis, plus tard, avec Philippe Jac­cot­tet, ont été déter­mi­nantes dans le développe­ment de son tra­vail d’écri­t­ure poétique.

Au début des années 1990, il décou­vre l’en­seigne­ment du soufisme. Il s’ini­tie alors à la cul­ture et la spir­i­tu­al­ité du monde arabo-musul­­man. Puis il pub­lie trois essais  : 1) sur l’enseignement  du soufisme aujour­d’hui ;  2) sur le cal­ligraphe irakien Ghani Alani ; 3) sur le saint soufi Mansur al-Hal­laj. Cet engage­ment le con­duit à des col­lab­o­ra­tions artis­tiques (avec Faouzi Skali), lit­téraires (avec Pierre Lory ) et spir­ituelles (avec l’islamologue Eric Geoffroy).

Il pub­lie ses pre­miers livres aux Édi­tions Fata Mor­gana. Dans les années 2000, il noue des liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugi­er, Hubert Had­dad, Joël Ver­net, Claude Louis-Com­­bet, Jean-Bap­tiste Para, Michaël La Chance. Il écrit des notes de lec­ture pour la revue lit­téraire Europe. Sa démarche à la fois spir­ituelle et poé­tique le con­duit à dia­loguer avec les poètes tels que Jea­nine Baude, Pierre-Yves Soucy, le philosophe Lau­rent Bove, le physi­cien cos­mol­o­giste Renaud Parentani, et les com­pos­i­teurs suiss­es Chris­t­ian Henk­ing et Gérard Zinsstag.

Joël-Claude Mef­fre s’intéresse à la pein­ture et les artistes : ses com­plic­ités avec les pein­tres tels que Albert Woda, Michel Stein­er, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alber­to Zam­boni, Cather­ine Bolle, Béné­dicte Plumey, Sylvie Deparis, Hervé Bor­das, etc…, lui ont don­né l’occasion de réalis­er des livres d’artistes. À ces tirages lim­ités, accom­pa­g­nés d’estampes, il faut ajouter les pro­duc­tions mono­graphiques de livres man­u­scrits à exem­plaire unique ou tirages lim­ités avec des inclu­sions de métal, de verre, de fibres2.

Joël-Claude Mef­fre est mem­bre de la Mai­son des écrivains et de la lit­téra­ture (Paris) ; il con­tribue régulière­ment dans des revues : Détours d’écriture (dirigée par Patrick Hutchin­son), Europe, Revue de lit­téra­ture alsa­ci­enne, N4728 (cf. les no 9, 11, 18, 19), Revue de Belles Let­tres Suiss­es, Pro­pos de Cam­pagne, Revue Sorgue, Morit­u­rus (no. 5, 2005), Autre SUD, Con­férence (no. 25, automne 2007), Nunc, L’É­trangère, La revue Nu(e), Triage, L’Animal, Faire part, Le Fris­son Esthé­tique, Lieux d’Être, Osiris.

Out­re ses lec­tures de poésies, il man­i­feste un intérêt pour les groupes Pro­to­cole Meta avec Jean-Paul Thibeau.

Il est con­sul­tant pour les édi­tions Les Alpes de Lumière.

Directeur de pub­li­ca­tion de la revue de pho­togra­phie en ligne TERRITOIRES VISUELS https://emav.fr/revue-territoires-visuels/ 

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Alain Nouvel

1998, pre­mier recueil de poèmes : Trois noms her­maph­ro­dites, puis deux nou­velles : Octave Lamiel, dépuceleur suivi de Edouard et Alfred au val de l’eau. En 1999, suiv­ent His­toires d’ISLES, Con­tre-Voix, Mots ani­més recueil d’aphorismes, et, en 2000, Maux ani­maux, recueil de six nou­velles, aux édi­tions « L’Instant per­pétuel ». En 2001, pub­li­ca­tion aux édi­tions « La Chimère » créées pour l’occasion de D’Etrangère, puis Dames des trois douleurs en 2004, Vari­a­tions sur une femme don­née, et reprise en 2005, Con­tre-voies en 2008 et Nou­velles d’Eurasie en 2009. En 2014, il com­pose avec sa com­pagne des chan­sons qu’ils inter­prè­tent tous deux. Maud Leroy des « Édi­tions des Lisières », pub­lie Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, un recueil de sept nou­velles sur les Baron­nies provençales où il vit désor­mais. Une suite à ces sept nou­velles voit ensuite le jour avec pour titre Anton. Sur les bor­ds de l’Empire du milieu (texte sur la Chine où A. Nou­v­el a vécu qua­tre ans, de 1981 à 1985, longtemps resté inédit mais dont cer­tains extraits étaient parus dans la revue « Corps écrit », numéro 25, de mars 1988 : Vues de Chine), paraît pour la fête du Print­emps 2021. Les deux ouvrages aux édi­tions « La Chimère ». Il col­la­bore régulière­ment, désor­mais, à la revue « Recours au poème ». En 2020, les édi­tions « La Cen­tau­rée » à Rennes, ont pub­lié un pre­mier recueil : Pas de rampe à la nuit ? suivi, en 2021 de Comme un chant d’oubliée.
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