« L’on ne sort pas des arbres par des moyens d’arbres »
Francis Ponge
Beau petit ouvrage au format carré de 15 cm par 15 cm, au papier raffiné qui graine sous la main et composé de cent poèmes tous commençant par le mot « Mots », cet énigmatique recueil fait des mots son sujet en même temps qu’ils sont sa matière. Le moyen et le but. Ce seul mot : « Mots », nu, sans déterminant, en tête, chaque fois du poème, en appelle aux autres, appelle les autres et, ce faisant, les désigne pour ce qu’ils sont, des mots.
Or tous ces mots chahutent, se contredisent, s’opposent, tantôt victimes tantôt bourreaux, tantôt préservés, tantôt exposés, tantôt passifs tantôt actifs, tantôt des pièges tantôt des solutions, tantôt fuyants tantôt collants, mots qui séparent, mots qui réparent, parfois dans du formol, parfois en liberté, parfois « insoumis » et parfois « pris au piège ».
Bref, toute la vie, la truculence, la tendresse, les limites et la force des mots sont ici, en désordre, afin que dans le cent-unième poème, lequel est une dédicace :
A ces mots venus me renifler
Et me dévisager
A ceux qui
Courageusement
M’ont fait face
paraisse enfin celle dans laquelle et par laquelle vivent ces âmes animales.
Marine Gross, Détachant la
pénombre, Tarmac éditions,
octobre 2020.
C’est que ce recueil nous rend complices de cet écaillement du réel que les mots produisent :
Mots par petits morceaux
Jonchent au sol éparpillés
Juste après le grand continuum informe du Déluge.
Ainsi soit illisible
Le monde d’après
Nous voici à déchiffrer non plus le monde mais les mots, ces mots qui l’ont découpé en écailles, ces éclats qui brillent et se font écho et ne sont que des leurres. Nous nous mirons en leurs reflets et nous comprenons bien qu’on n’y échappe pas plus que Narcisse n’échappe à lui-même, qu’on ne sort pas de l’homme avec des moyens d’hommes. On y tourne en rond comme un hamster dans sa cage ?
Et s’éclaire et s’obscurcit en même temps le titre du recueil : « Détachant la pénombre » puisque les mots sont à la fois ce qui fait tâche et ce qui détache dans tous les sens de ce verbe, ce qui enlève la tache et ce qui permet de séparer. Eclairent-ils la pénombre, ces mots, ou, au contraire, en découpent-ils la forme énigmatique ? Il n’y a pas à choisir. Les mots sont notre destin et notre horizon.
Un recueil à lire et relire comme le manuel poétique de celle ou celui qui croirait aux mots sans trop, par force. On y sent la tendresse amusée et désabusée de celle à qui les mots ne la lui font plus mais qui se laisse tout de même aller à eux, en toute conscience, puisqu’on ne peut agir autrement. Ainsi s’entend la phrase si facétieuse et si tragique de Bernard Noël mise en exergue « (…) la langue tombe, mais cette chute la remet dans la bouche, toute humide de salive périssable »
Présentation de l’auteur
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- Tristan Felix, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles - 21 octobre 2022
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- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 2 juillet 2022
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- Louis Adran, Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin - 19 mars 2022
- Revue Mot à Maux Numéro 19 - 1 mars 2022
- Voix d’encre numéro 65 - 1 janvier 2022
- Joël-Claude Meffre, Aux alentours d’un monde - 19 octobre 2021
- Sabine Dewulf et Florence Saint-Roch, Tu dis délivrer la lumière - 6 octobre 2021
- Karina Borowicz, Tomates de septembre - 5 avril 2021
- Marine Gross, Détachant la pénombre - 21 janvier 2021
- Roland Chopard, Parmi les méandres, Cinq méditations d’écriture - 21 décembre 2020
- Gérard Bocholier, J’appelle depuis l’enfance - 6 décembre 2020
- Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond , Chambre avec vues précédé de Arguments pour un graveur (mythographies) - 26 novembre 2020
- Lambert Schlechter, Je n’irai plus jamais à Feodossia, Proseries, Le murmure du monde / 9 - 6 juin 2020
- ( Avant-)dernier cri de Patrick Argenté - 15 octobre 2019