Cathy Garcia Canalès, la « Coupable responsable » de cette revue se voulant délibérément « délictueuse » nous prévient dès la première page, elle se trouve du côté des « poètes voyants, des poètes pythies, des poètes monstres. » Elle le reconnaît, néanmoins, « ce genre d’écriture n’est pas à la mode » quant au poète !
« Pauvre poète (…) s’il se tait, il devient fou ; s’il parle, on le prend pour un fou. Ce poète est excessif et peu vendeur (…) Il sait et il ne sait rien. Il est l’ignorant qui ne peut jouir de son ignorance (…) il est un vivant mort autant de fois qu’il aura fallu pour se dépouiller jusqu’à l’os (…) Il partage ses visions, se fait conteur, éclaireur, compagnon. » Car « Il s’agit de guérir » et de « briser les maléfices », de dénoncer ce qui nous fait du mal. C’est dire à quel point le ou la poète renversent la table du monde, permettant une « transvaluation des valeurs » pour parler comme Nietzsche. S’ils semblent excessifs dans leurs cris c’est qu’ils s’affrontent à un monde qui l’est, de fait, dans le mal.
Nouveaux Délits n°72,
Avril 2022, 7 €.
On ne sera donc pas étonné que la revue se termine par la recension d’un ouvrage d’Anouk Grinberg sur l’Art Brut, valorisé enfin par Jean Dubuffet et les poètes surréalistes : « Alors que la vie elle-même est démente, qui de nous peut dire où se trouve la folie ? » cette citation de Cervantès clôturant la revue comme les « poètes voyants » l’avaient ouverte.
Une mention particulière pour les textes de Michel Woelffle, inspirés par « la mort d’Isabelle », un parcours, une méditation autour de tout ce que peut inspirer l’absence, le silence, la présence, peut-être, d’une âme sans le corps. Et une très belle image, au terme de ce voyage intérieur, celle d’un nid contenant quatre oisillons dans la bouche ouverte d’un mort, lequel devient, peu à peu un arbre. J’ai rarement autant ressenti cette impression de liberté subjective qu’en lisant cette suite de textes, tantôt en vers, tantôt en prose, mais toujours tournés vers cette « autre » vie qu’est la mort. La poésie seule peut tenter non pas de percer, mais d’approcher ses mystères. Et dans la « bio » qu’il tente, Michel Woelffle avoue préférer « le silence propice à l’inspiration et écrire quand la paresse le (lui) permet. »
Cette revue appelle à la « justesse » d’une parole, moins à l’engagement pour de justes causes comme le sort des migrants que la mer engloutit, par exemple, même si Anne Marie Bernad en fait le thème central de sa contribution, qu’à ce dégagement du prosaïque quotidien pour cerner et dire l’Étranger essentiel. « Quotidien d’une étoile / Ma tâche accomplie / Je rentre chez moi / Le corps criblé de météores » (Jérémy Semet). Ou bien encore, cette vanité de la poésie, devant l’univers :
Défaite du poème
Il te faudra admettre finalement
que le poème n’est rien face à la Mer
(Vincent Calvet)
J’ai particulièrement aimé, dans cette revue, les « commentaires » au bas de chaque page, prolongeant, contredisant parfois le texte disposé en leur centre :
En voici un exemple :
« Maléfice
Aux portes des granges
Les chouettes clouées
Ailes écartées (…) »
(Odile Steffan-Guillaume)
Auquel répond en bas de page :
« Elle a décloué le hibou qui était sur la porte,
Remis en place ses os brisés
Lissé ses plumes,
Lui a fait reprendre son chant »
(Sandrine Davin)
J’aime la modestie du format, ainsi que celle des intervenants, comme Stéphane Mongellaz qui avoue « Aujourd’hui, à 42 ans, je commence à confronter le possible intérêt de mes textes à la réalité du lecteur ». Il y a toujours, dans ces textes, des moments d’intensité poétique étonnants :
Demain le raisin
jugulaires pleines
mordra son propre jus.
Moi
(…)
Lassé des cycles
que répète l’ivresse
j’assècherai ma gorge
d’un caillot de sang.
∗∗
Dehors existe, je l’ai vu
(Perle Vallens)
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