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Lili Frikh, Un mot sans l’autre — dialogue avec Philippe Bouret

Attention, pas motus, et bouche décousue ! Un mot sans l’autre, paru chez Mars-A, est un livre fort, plus fort que le café le plus fort, mais en aucun cas fort de café. C'est un livre difficile à lire parce qu'il ne triche pas comme sait si bien le faire le genre humain entre autres en littérature et poésie.

Ac-couchée sur le divan du psychanalyste, mais aussi poète et écrivain, Philippe Bouret, Lili Frikh nous donne en un peu moins de cent pages les clés de compréhension qui ouvrent grandes les portes de ses travaux d'écriture et graphiques. Ici la confiserie poétique, cette perversité consumériste du système marchand, n'est pas de mise. Lili prévient : quand elle écrit c'est dans le vide. Il n'y a pas de chaise pas de table pas de papier pas de stylo...C'est aveugle. Et plus loin, lorsque sortant opportunément du retrait qu'il s'impose, Philippe Bouret pose la question écrire à partir de l'oralité ?elle précise : oui, j'écris à voix haute. Ecrire à voix haute, ce n'est pas lire ou relire à voix haute. J'écris avec la voix qui prononce, dans le souffle de l'oralité. Le passage de cette voix dans l'espace littéraire a été et reste une véritable traduction. Le papier fige la voix, l'embaume, le livre consacre sa mort, ou la renvoie dans la lecture performance où trop souvent la forme colonise le fond. Le livre est une amputation, un livre ça coupe, alors que parler, nous dit Lili, c'est pour tenir dans le vide, pas sur la page. Elle nous ramène au mystère de la création, ce viscéral besoin sans cause diagnostiquée de dépasser les normes, ces tue l'amour nécessaires dans toute leur effroyable dualité, parce que constate Philippe Bouret vous êtes plus une amoureuse qu'une artiste. Et l'artiste, surtout quand il se vend au genre contemporain en oubliant les mots perd pour Lili sa capacité de résistance et de souffrance ; l'obligation à verbaliser dans l'indicible, l'effondrement n'est pas plastique.

Lili Frikh, Un mot sans l'autre, Editions Mars-A, 15 euro.

Lili Frikh nous instruit de la jouissance de la voix d'avant les mots, fluide circulant dans.  l'espace du corps que la sortie en langue mortifie. Elle nous rappelle aussi la putasserie des créateurs de tendances qui vont faire un tour de bidonville pour détecter et s'emparer des trouvailles de la misère matérielle. Quand le fond humain est d'un côté et l'oeuvre de l'autre, le crime est parfait. Pour se guider, sur son chemin, l'auteure plaide pour le renouvellement de l'inconnu qui existe comme tel et fait partie de vivre, la plongée dans l'insoupçonné de nous-même car ça permet de laver les œuvres, et oui faut laver les œuvres pour qu'on ne les prenne plus pour des objets d'art. Il nous appartient de ne pas faire basculer les mots tout de suite dans la langue, ne pas les prostituer trop vite, les laisser parler avant de les égorger dans le miroir. 

Un mot sans l'autre est une œuvre de salubrité publique sur la misère d'écrire en poète. Le poète n'a jamais été celui qui veut être malheureux et crever de faim . La misère n'a jamais été une revendication, pas plus que la souffrance, seulement la conséquence d'une résistance. Pour changer la donne, il faudrait que le refus de, la liberté de, la résistance à , soient côtés en bourse. UN MOT SANS L'AUTRE est un cours de philosophie sans les afféteries absconses de trop de philosophes dont les antiennes séculaires n'ont rien corrigé de la nature humaine. Ainsi relève Lili Frikh, la déconstruction linguistique n'est chargée que de la part conceptuelle de la langue et passe totalement à côté du souffle analphabète qui traverse la totalité du langage et unit tous les mots de tous les pays de tous les hommes. Un mot sans l'autre est l'ouvrage indispensable pour comprendre comment échapper à la dictature du portrait sur la vérité du visage, savoir qui on est et où et coment on va en poésie. Enfin. Quand Rimbaud parlait de changer la vie, c'était pour plus de vie, pas pour moins de vie. Dont acte. 

Présentation de l’auteur

Lili Frikh

Lili Frikh fait des études de philosophie et oublie... Après "Lalala", album "CHOC" dans Le Monde de la musique réalisé par Jean-Claude Vannier chez Polygram Paris et sa Peinture sans Peinture Prix de l'Élan Créateur, elle publie en 2012 un premier livre, Bleu, ciel non compris avec une préface d’Alain Borer, éditions GrosTextes. Suivront Carnet sans bord2017(Mention spéciale du prix René Leynaud), Tôle froissée 2018 (Sélection SGDL) à La rumeur libre éditions et La vie monstre 2019, à La Boucherie littéraireExtrêmement sensible aux nouvelles données de création,  elle enregistre entre Écrire et Parler, un album d’ambiant électronique et poésie, Tu t’appelles comment. À paraître aux Éditions f4, Berlin 2022.

Après Lalala, album « Choc » dans Le Monde de la musique, réalisé par Jean-Claude Vannier, Polygram et sa Peinture sans Peinture Prix de l’Élan Créateur avec Virgin Kimono,  Elle commence un dialogue sans limite entre parler et écrire et publie un premier livre BLEU/ciel non compris, préface Alain Borer, éd. Gros Textes, 2012. En 2017, elle sort Carnet sans bord à La Rumeur libre éditions, Mention spéciale du Prix René Leynaud et Tôle froissée, sélection du Prix des Découvreurs en 2018. En 2019, elle prononce les conditions de l’écriture dans La Vie Monstre à La Boucherie littéraire. Extrêmement sensible aux nouvelles données de création, elle écrit sans support à travers un album d’ambiant électronique et poésie Tu t’appelles comment ? réalisé par Brieuc Le Meur. Une rencontre et un travail artistique suspendus dans le temps. À paraître aux Éditions f4, Berlin 2020.

 

Autres lectures




Lili Frikh, Tu t’appelles comment et autres poèmes

Textes tirés de l'album Tu t'appelles comment fait en collaboration avec Brieuc Le Meur.

 

 

Lili ?
Oui
C’est toi qui écris ?
Non
Alors c’est moi ?
Non plus

 Alors c’est qui ?
                                                                                                                      tu m’entends là ?
Personne en particulier quelqu’un en général
Tu t’appelles comment

Quand tu dis Je alors tu dis quoi ?

Je
non plus
Je
Je ça dit pas
Je ça fait dire

Lili à Montpelier en 2015 - Brieuc Le Meur

on avait dit Chiens

c’est les Chiens    qu’on est obligé de rencontrer
pour voir autre chose
voir autre chose
c’est toujours
c’est toujours les bêtes qui accompagnent les hommes
c’est jamais les hommes qui accompagnent les hommes
c’est toujours les bêtes les monstres
qui sont là

 où personne ne va chercher personne

ma vie, la vie

c’est ma disposition d’esprit quand je suis libre
quand je prends des trains et des avions
j’fais ça
je décide
que la vie c’est ça
et ça et ça et ça et ça tu vois
et
je suis comme ça au départ
et je trouve la vie
comme ça
une
je trouve la vie comme ça
ma vie
la vie

c’est la dedans que je suis le plus
le mieux le plus libre
capable justement de parler
en dehors de tous les clichés un homme et une femme ça baise ben non
pas toujours   
ça peut mieux faire

 

Présentation de l’auteur

Lili Frikh

Lili Frikh fait des études de philosophie et oublie... Après "Lalala", album "CHOC" dans Le Monde de la musique réalisé par Jean-Claude Vannier chez Polygram Paris et sa Peinture sans Peinture Prix de l'Élan Créateur, elle publie en 2012 un premier livre, Bleu, ciel non compris avec une préface d’Alain Borer, éditions GrosTextes. Suivront Carnet sans bord2017(Mention spéciale du prix René Leynaud), Tôle froissée 2018 (Sélection SGDL) à La rumeur libre éditions et La vie monstre 2019, à La Boucherie littéraireExtrêmement sensible aux nouvelles données de création,  elle enregistre entre Écrire et Parler, un album d’ambiant électronique et poésie, Tu t’appelles comment. À paraître aux Éditions f4, Berlin 2022.

Après Lalala, album « Choc » dans Le Monde de la musique, réalisé par Jean-Claude Vannier, Polygram et sa Peinture sans Peinture Prix de l’Élan Créateur avec Virgin Kimono,  Elle commence un dialogue sans limite entre parler et écrire et publie un premier livre BLEU/ciel non compris, préface Alain Borer, éd. Gros Textes, 2012. En 2017, elle sort Carnet sans bord à La Rumeur libre éditions, Mention spéciale du Prix René Leynaud et Tôle froissée, sélection du Prix des Découvreurs en 2018. En 2019, elle prononce les conditions de l’écriture dans La Vie Monstre à La Boucherie littéraire. Extrêmement sensible aux nouvelles données de création, elle écrit sans support à travers un album d’ambiant électronique et poésie Tu t’appelles comment ? réalisé par Brieuc Le Meur. Une rencontre et un travail artistique suspendus dans le temps. À paraître aux Éditions f4, Berlin 2020.

 

Autres lectures




Lili Frikh, Carnet sans bord, Tôle froissée, extraits

DANS LA GUEULE DE VIVRE

 

Tu dis qu’elle crève. Pas elle. La bête ne dit pas qu’elle crève. Elle ne 
sent pas comme ça. Elle se bat. Elle en bave et c’est pas tout. Elle a la 
gueule ouverte. Elle est à vif. Elle n’a plus de langue atta­chée. Elle a 
fait quoi toute seule ? Ça ne se dit pas ce qu’elle a fait. Ça se fait dans 
le manque. Ça se fait dans la bête. Ça se fait sans rien faire d’autre.
Détruire ce qui détruit. Elle est dans un sale état la bête. Mais… Elle a 
fini de ressembler. Elle fait peur. Elle a une sale gueule. Mais… C’est
gueule de respirer sans regarder. La gueule de vivre. La gueule 
d’aimer sans être aimé. La gueule d’écrire. La gueule de faire 
autrement. Cette gueule-là. Cet amour-là.

 

                                                                                      Posted at sea03:53
                                       Extrait Carnet sans bord/La rumeur libre éditions

 

 

 

CL-426-ZG
LE RECYCLAGE INFINI

 

Et tout ça à tel point que tu suspectes l’écriture d’avoir à voir avec la 
récupération des ordures la réclamation du corps le recyclage infini 
des yeux
… Tu suspectes mais tu condamnes pas.
Au contraire tu suspectes et tu défends.
Tu te défends de faire ça.
Tu le fais.
Tu fais parler l’éprouvé le grièvement blessé de toi de moi de tout ce 
qui n’est pas retenu pas désiré pas reconnu pas bien venu dans 
l’Camion.
Tu éprouves le mauvais état du Camion.
Tu sens l’empêchement.
Tu sens l’Camion de plus en plus lourd à avancer.
Tu fais parler l’empêché le rejeté loin l’abattu le mangé l’écrasé le 
broyé l’humilié la bête l’enfant l’analphabète l’infirme le découpé
… Les morceaux.
Tu fais parler les morceaux les fragments les bouts les lambeaux les 
miettes le sang le sable le vent mouillé.
Tu fais parler. Tu forces pas. Simplement tu écoutes.
Simplement écouter ça fait parler l’Camion.
Simplement tu l’écoutes.

 

                                           Extrait « Tôle froissée »/Ed La rumeur libre

 

JA-222-TP
QUI A FAIT ÇA ?

 

C’est qui lui ?
Lui c’est lui un garçon.
C’est lui un garçon qui fait pipi debout.
La vie aussi. La vie debout c’est lui un garçon.
Qui a dit ça ?
Qui a dit lui c’est lui et pas toi. Toi c’est toi et pas lui. 
Qui a dit un garçon c’est pas une fille une fille c’est pas 
un garçon.
Qui a dit ça ?
C’est qui lui et pas toi.
C’est qui lui le mur et pas le ciel. C’est qui lui la mer 
et pas le vent. C’est qui lui les étoiles et pas la nuit.
C’est qui lui la France et pas l’Afrique et pas la Chine et 
pas et pas et pas.
C’est qui lui le monde… Le monde et pas toi. Le monde 
de pas tout l’monde. Le monde et pas le monde entier.

C’est qui lui le monde de qui. Le monde pas fait pour toi.

Qui a fait ça ?

Qui a fait le monde pas fait pour toi. Le monde pas fait 
pour tout l’monde. Le monde pas bien dans l’monde. Le 
monde pas bien au monde. Le monde en danger. Le 
monde pas bien fait.

Qui a fait le monde pas bien fait pour la paix.

Qui a fait ça ?

 

                                                    Extrait « Tôle froissée », Ed  La rumeur libre

 

SENTIR

 

Une odeur de rose et pas de rose. Fin des pétales et des épines.
Une odeur de fleur et pas de fleur. Juste une odeur dans la 
bouteille. Version luxe un par­fum un flacon… Et tout comme 
ça c’est merveil­leux !
T’as plus besoin de la fleur pour sentir son parfum plus 
besoin de la voir plus besoin qu’elle soit là. T’as trouvé le 
moyen de la sentir partout où tu es. La fleur partout. La fleur 
idéale. La fleur pour tout le monde au même moment la 
même fleur. La fleur nulle part. La fleur en série… Et tout 
comme ça à ta merci c’est merveilleux !
Oui mais sentir… Tu veux plus sentir ?
Sentir l’insolence de sentir.
L’insolence charnelle de la fleur.
Sentir la cambrure des pétales la rupture des épines, l’éra­
-flure… Sentir l’éraflure… Sentir le trouble tu veux plus ? 
Sentir le trouble de sentir. Sentir le désordre du battement la 
grâce organique du rouge pri­maire. Sentir les abeilles qui 
coulent le miel dans la rotule… Sentir… Sentir l’existence… 
Tu veux plus ?

 

                                                                                   Posted at sea, 15 :19
                                      Extrait de Carnet sans bord, Ed La rumeur libre