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Continuer jusqu’à la fin, avec Mathias Lair

Du rythme, des ruptures mais aussi des harmonies, des liens, il y en a dans À la fin des fins, dernier recueil de Mathias Lair ; le dernier publié, pas forcément le dernier écrit ni le dernier à venir, même si le poète ne cesse de tourner autour de la fin, comme si la fin était un objet.

Une fin certaine de vie, certes, mais aussi une fin possible de désir, une fin possible d’écriture, une fin inconnue de fin. Cette recherche, il la triture encore dans les poèmes de Pourquoi pas / ne serai poète du même recueil.

Circulaire, l’objet, circulaire la fin. Oui, la fin est commencement. Et ce questionnement perpétuel rejoint l’inquiétude du poète face à son art, face à sa vie passée ou à venir, tout simplement. Mathias Lair pratique une poésie qui lui est propre, à la fois intime et universelle, écrite — transcrite pourrait-on dire — comme s’il s’agissait d’une partition musicale. On l’avait déjà compris dans Ainsi sois je (La Rumeur libre), Du Viet Nam que reste-t-y (Pétra) ou bien encore Écrire avec Thelonious (Atelier du Grand Tétras).

Quand ils sont écrits bout à bout, les mots ne donnent ni le tempo, ni la hauteur, ni la tonalité. Mathias Lair ajoute des espaces, des renvois, des italiques et supprime la ponctuation. L’ensemble force le lecteur à dire les poèmes, presque à les fredonner en allongeant les syllabes, en respirant autrement ou en s’amusant à des enjambements improbables.

Mathias Lair, À la fin des fins suivi de Pourquoi pas / ne serai poète, Éditions Les Lieux-Dits, Coll. Les parallèles croisées. 70 pages. 12 €.

J’ai eu la chance d’assister à des lectures publiques. C’était comme si les comédiennes chantaient. Le tintinnabulement des sonorités ou leurs désaccords apparents accompagnent la nostalgie d’une adolescence frénétique, l’effleurement pudique de la souffrance, la « force du noir » ou la « folie blanche ». Une façon de découvrir, naturellement, un autre sens. Car les images — peut-on parler d’image de la fin ? — changent évidemment de dimension.

 

La fin             s’allège

elle ne pèse                 plus alors qu’elle
s’annonce       comme déliaison
peut-être        on se voudrait
enfin               libéré du sort

 

Présentation de l’auteur

Mathias Lair

Mathias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psychanalyste. Il a publié une trentaine de poèmes, romans et nouvelles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trouve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; également des notes de lecture et critiques dans diverses revues et divers sites.

Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a publié des ouvrages de psychanalyse, et parfois de politique, chez L’Archipel, Fayard, Flammarion, Albin Michel, Odile Jacob.  

Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Contre le Racket de Édition) il défend le droit des auteurs. Il est actuellement élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

Poèmes choisis

Autres lectures

Mathias Lair, Écrire avec Thelonious

Mathias Lair est l’auteur d’une œuvre abondante, que ce soit dans le genre poétique (neuf recueils publiés à ce jour), dans celui du roman, de la nouvelle ou encore de l’essai. Sa création [...]

Un poème, c’est sûr

Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille [...]

Continuer jusqu’à la fin, avec Mathias Lair

Du rythme, des ruptures mais aussi des harmonies, des liens, il y en a dans À la fin des fins, dernier recueil de Mathias Lair ; le dernier publié, pas forcément le dernier écrit [...]




Un poème, c’est sûr

Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille comparable aux Capulet. Surtout il y a un destin inexorable, terrible. Alors, comme le prétend l’auteur, est-on face à un récit ?

En soixante douze pages, à la fois raisonnables et hallucinantes, Mathias Lair nous entraîne pas à pas dans la folie, celle d’Ada et celle, plus retenue de son amant. Il pourrait s’agir d’une histoire vécue — un récit, comme le précise l’auteur — mais l’on souhaite au fond de nous qu’il s’agisse de fiction. Au début, il y a une plage et deux adolescents que tout unit. Un jeune homme, qui deviendra écrivain, et une jeune femme, Ada, se perdent l’un en l’autre jusqu’à ce que seul l’un des deux survive. Une sorte de malédiction, le narrateur en a conscience : « c’était là sur la page (…) et sans doute nos doubles parcourent-ils toujours la plage, parlant d’une même âme… ». Ada est percluse de douleurs et de folies. Ses crises se succèdent et la déchirent. Bientôt la jeune femme ne maîtrise plus ses angoisses et son corps se raidit. Une mécanique absurde se met en route dont les rouages restent flous, à la fois héréditaires et sociaux. L’origine de cette folie, le narrateur l’attribue à la famille, à son attirance pour la psychiatrie et le drame slave. Mais comment expliquer que l’évaporation de la conscience se transforme en une crispation des mains, symptôme de dégénérescence nerveuse et de nécrose musculaire ?

Sous son masque de cire une lueur persiste - Mathias Lair - éditions L’Atelier du grand Tétras - 72 pages - 14 €.

Le narrateur se culpabilise : « Au-delà de mon intention de la secourir, aurais-je cultivé la folie d’Ada ? » Car entraîné par son amante, avec la tentation de la comprendre, n’a-t-il pas, parfois, répondu à la violence ? Mais pouvait-il se battre contre la fatalité ? Avant l’amour, avant le déroulement de la tragédie, tout était là mais ni le narrateur ni Ada ne pouvaient en avoir conscience. Oui, de la plage à la page, il y a les mots dits entre ces deux âmes, il y a désormais l’émotion intacte qui reste « noir sur blanc ».

Noir sur blanc, les mots sont là désormais, écrits. Pour échapper au naufrage, au sien autant qu’à celui de l’être aimé et agonisant, toujours agonisant, le narrateur se noie dans l’écriture, seule façon pour lui de sortir la tête de l’eau. Le lecteur n’est plus dans le récit, pas même dans la fiction mais dans la poésie pure. Les phrases déstructurées, tantôt longues et cisaillées, tantôt courtes et sèches le plaquent, l’envoient dans deux folies qui se répondent, celle individuelle d’une victime digne d’une tragédie grecque et celle collective d’une société sans âme. Un tourbillon d’images décrypte l’enfer d’une malade, l’enfer de celui qui l’accompagne et l’enfer de la prise en charge kafkaïenne de ceux qui ne sont pas assez dangereux pour être fous, pas assez vieux pour être impotents, pas assez fous pour être impotents, pas assez impotents pour ne pas être abandonnés à leurs souffrances, laissant les aidants ou les familles dans le plus parfait désespoir, si l’on peut affirmer qu’un désespoir puisse atteindre la perfection, un désespoir aussi parfait que celui du malade.

Un petit roman, un grand poème à lire absolument.

Présentation de l’auteur

Mathias Lair

Mathias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psychanalyste. Il a publié une trentaine de poèmes, romans et nouvelles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trouve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; également des notes de lecture et critiques dans diverses revues et divers sites.

Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a publié des ouvrages de psychanalyse, et parfois de politique, chez L’Archipel, Fayard, Flammarion, Albin Michel, Odile Jacob.  

Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Contre le Racket de Édition) il défend le droit des auteurs. Il est actuellement élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

Poèmes choisis

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Mathias Lair, Écrire avec Thelonious

Mathias Lair est l’auteur d’une œuvre abondante, que ce soit dans le genre poétique (neuf recueils publiés à ce jour), dans celui du roman, de la nouvelle ou encore de l’essai. Sa création [...]

Un poème, c’est sûr

Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille [...]

Continuer jusqu’à la fin, avec Mathias Lair

Du rythme, des ruptures mais aussi des harmonies, des liens, il y en a dans À la fin des fins, dernier recueil de Mathias Lair ; le dernier publié, pas forcément le dernier écrit [...]




Mathias Lair, Écrire avec Thelonious

Mathias Lair est l’auteur d’une œuvre abondante, que ce soit dans le genre poétique (neuf recueils publiés à ce jour), dans celui du roman, de la nouvelle ou encore de l’essai. Sa création poétique se nourrit vraisemblablement de ces différentes pratiques d’écriture.

Ainsi, Mathias Lair, qui a par ailleurs une activité de chroniqueur en revues, combine volontiers (mais peut-on faire autrement à partir du moment où l’on écrit ?) l’activité créatrice à la réflexion sur l’écriture, poétique en particulier, comme cela apparaît clairement dans Il y a poésie, recueil de chroniques issues de la revue « Décharge ». L’activité de psychanalyste qui est la sienne le conduit également, d’une manière générale, à ne pas se payer de mots.

Le recueil Écrire avec Thelonious, paru à « L’Atelier du grand tétras » en mars 2019, nous invite à saisir une connivence, à entrer dans un dialogue noué avec le musicien Thelonious Monk (1917-1982), dont on devine qu’il est l’objet d’une passion forte, sinon exclusive, pour le poète (terme que l’on emploie ici même s’il semble faire l’objet, pour l’auteur, d’une forme de mise à distance critique), qu’il l’accompagne partout, peut-être à la manière d’un double, et ce depuis fort longtemps, comme s’ils formaient les deux faces d’une même pièce. Il y a (donc) dialogue.

Mathias Lair, Écrire avec Thelonious, L’Atelier du Grand Tétras, 2019, 64 p.

 

La typographie choisie pour ce recueil, où alternent les italiques et les caractères romains, témoigne aussi, vraisemblablement, de cette dualité de parole — forme de polyphonie intérieure.

Très rapidement, après un début où la métaphore musicale se fait prégnante, assortie de conseils d’exécution (À plat les doigts en spatules / de canard ça s’fait pas en marteau / sur les touches il faut n’empêche / je pleure entre les notes / de quel bonheur confondu / je me souviens […], p. 5), comme si on assistait au début d’un récital, la préoccupation littéraire fait une apparition fugace : « Donc j’avais pensé / écrire comme Thelonious / là il y avait art / poétique sans nul doute / j’avais oublié // pourtant / après des années / y a d’ça » (p. 9). Le musicien apparaît donc comme un modèle à transposer dans le domaine de la création littéraire. Sans doute de manière facétieuse, car Mathias Lair nous a habitués à lire le fait poétique avec une intelligence critique (cf. Il y a poésie, éditions Isabelle Sauvage, 2016), l’expression d’« art poétique » empruntée aux grands genres et aux grands noms de la littérature du passé (Boileau, ou « De la musique avant toute chose… » de Paul Verlaine) résonne sans doute ici de manière solennelle, détone. D’où les apocopes et syncopes, qui sont aussi des termes musicaux, venant mimer une sorte de phrasé populaire et entendu. Ou comment considérer le fait littéraire avec dérision.

Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que ce recueil doit sans doute être lu comme une forme d’art poétique. La quête du musicien peut alors servir d’exemple au poète : « Gauche droite trop facile / la marche au pas de la basse / à l’aigu alors croise / gauche à droite de la droite / torse dévié doigts de guingois pour voir / ce que ça donne un autre toucher / un autre son main basse sur l’aigu / parfois bondit main gauche / à droite » (p.17). Mathias Lair nous semble vouloir fuir une certaine « facilité » du fait poétique, une facilité d’écriture fondée sur une certaine régularité, sur des cadences apprises et reproduites (Gauche droite trop facile). S’inspirant de l’art du musicien, de sa faculté d’improvisation, il multiplie les conseils (alors croise), les expérimentations (pour voir / ce que ça donne). Le poète semble désirer que quelque chose de ce qu’il écrit lui échappe, le surprenne : c’est la recherche « d’un autre toucher », même si, en fin de compte, « le torse dévié » de l’artiste manifeste l’inconfort de l’improvisation.

 

Thelonious Monk Quartet - Round Midnight.

Plus loin, cette affirmation, à valeur critique : « Toute sa musique ne dit / que cela il y a discord » (p. 32). Faisons un sort à ce vieux mot surgi sous les doigts du poète, synonyme de « discorde », mais aussi d’accord imparfait, de discordance, qui peut impliquer une forme de vision du monde. Si la musique « dit », cela implique qu’elle signifie, que le discord lui soit consubstantiel (la recherche de discordances), ou simplement factuel : il y a « discord » dans la musique (de Thelonious) et dans le monde, en général. Sans oublier que le mot « discort » (avec u « t ») renvoie aussi à un genre poétique ancien où se mêlaient des mots provenant de langues différentes — ici les termes musicaux issus du jazz.

Peu à peu la musique (du bruit qui pense) se voit ainsi investie d’une mission ou d’un sens dont les mots du poète sont souvent porteurs : « toujours / tu le grand secret on ne saura / ce qui monte à la musique / comme des bulles crèvent / la surface » (p. 33). Le poète nous invite à pressentir le surgissement d’un fait poétique, même s’il se défie par ailleurs de la posture traditionnelle du poète, mage ou prophète, issue en particulier du romantisme.

Les considérations techniques abondent de fait dans un recueil en quelque sorte expérimental.

 

Thelonious Monk, Don't blame me, live in denmark, 17-04-1966.

Le texte de la page 35, conduit une réflexion sur la notion de pulsation : « Avant tout la pulsation / que le rythme transmet / le poème est dans ce qui bat / organisé en mesures appelées / vers mais vers quoi aujourd’hui / court la ligne brisée / il y eut le galop / 1.2.3. 1.2.3. 1.2.3. 1.2.3. / ça fait douze qu’on peut alléger […] ». Le texte passe en revue ensuite quelques combinaisons rythmiques, passant du galop au trot, « plus léger moins impérial », que l’on peut « lui-même allég[er] » (ce qui semble ici être le maître-mot), aborde pour finir la question du vers libre, développe (brièvement) une vision de l’histoire poétique : « mais le cheval a disparu / la machine à vapeur (apparition / du vers libre) ni le moteur / à explosion ne nous transportent / sur un tempo reste la basse / du cœur utérin (un peu monotone) […] ».

L’auteur enregistre l’évolution nécessaire de la langue, corrélée aux évolutions techniques et sociales. Peut-on écrire véritablement au temps du moteur à explosion, de l’internet et des musiques modernes en respectant le bon usage des contemporains de Vaugelas ?

Le lecteur ne trouvera donc pas de lyrisme dans ce recueil, ni même de lyrisme revisité, mais une forme de réflexion critique, et poétique, mise à distance ; peut-être un essai, une tentative pour écrire de la poésie sans avoir recours aux canons traditionnels du poétique.

Le poète interroge par ailleurs le mécanisme de la création, sa part d’ombre, en quelque sorte, qu’il s’agisse de musique ou de création poétique : « Et si la musique n’était / qu’écriture d’une sensation / perdue d’avance comme / la pensée tourne autour / d’un vide ça n’est jamais / ça dans le mot un trou / d’absurdité on préfère l’oublier » (p. 43).

L’amateur de Thelonious Monk, et de poésie, trouvera dans cet ouvrage matière à réflexion et à interrogation. Saluons une entreprise poétique sans aucun doute novatrice, surprenante, non conventionnelle, où se lit toute la complexité de la démarche artistique : « Vouloir l’un et l’autre / ne pas fermer l’horizon / être d’ailleurs comme ici / pas besoin donc de bouger / mettre l’ailleurs ici » (p. 46).

Présentation de l’auteur

Mathias Lair

Mathias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psychanalyste. Il a publié une trentaine de poèmes, romans et nouvelles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trouve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; également des notes de lecture et critiques dans diverses revues et divers sites.

Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a publié des ouvrages de psychanalyse, et parfois de politique, chez L’Archipel, Fayard, Flammarion, Albin Michel, Odile Jacob.  

Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Contre le Racket de Édition) il défend le droit des auteurs. Il est actuellement élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

Poèmes choisis

Autres lectures

Mathias Lair, Écrire avec Thelonious

Mathias Lair est l’auteur d’une œuvre abondante, que ce soit dans le genre poétique (neuf recueils publiés à ce jour), dans celui du roman, de la nouvelle ou encore de l’essai. Sa création [...]

Un poème, c’est sûr

Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille [...]

Continuer jusqu’à la fin, avec Mathias Lair

Du rythme, des ruptures mais aussi des harmonies, des liens, il y en a dans À la fin des fins, dernier recueil de Mathias Lair ; le dernier publié, pas forcément le dernier écrit [...]