Un poème, c’est sûr

Par |2021-10-21T13:21:02+02:00 19 octobre 2021|Catégories : Mathias Lair|

Il y a des per­son­nages dont une jeune femme, Ada qui pour­rait s’appeler Juli­ette. Il y a un nar­ra­teur sans nom mais qu’on iden­ti­fierait à Roméo. Il y a au moins une famille com­pa­ra­ble aux Capulet. Surtout il y a un des­tin inex­orable, ter­ri­ble. Alors, comme le pré­tend l’auteur, est-on face à un récit ? 

En soix­ante douze pages, à la fois raisonnables et hal­lu­ci­nantes, Math­ias Lair nous entraîne pas à pas dans la folie, celle d’Ada et celle, plus retenue de son amant. Il pour­rait s’agir d’une his­toire vécue — un réc­it, comme le pré­cise l’auteur — mais l’on souhaite au fond de nous qu’il s’agisse de fic­tion. Au début, il y a une plage et deux ado­les­cents que tout unit. Un jeune homme, qui devien­dra écrivain, et une jeune femme, Ada, se per­dent l’un en l’autre jusqu’à ce que seul l’un des deux sur­vive. Une sorte de malé­dic­tion, le nar­ra­teur en a con­science : « c’était là sur la page (…) et sans doute nos dou­bles par­courent-ils tou­jours la plage, par­lant d’une même âme… ». Ada est per­cluse de douleurs et de folies. Ses crises se suc­cè­dent et la déchirent. Bien­tôt la jeune femme ne maîtrise plus ses angoiss­es et son corps se raid­it. Une mécanique absurde se met en route dont les rouages restent flous, à la fois hérédi­taires et soci­aux. L’origine de cette folie, le nar­ra­teur l’attribue à la famille, à son atti­rance pour la psy­chi­a­trie et le drame slave. Mais com­ment expli­quer que l’évaporation de la con­science se trans­forme en une crispa­tion des mains, symp­tôme de dégénéres­cence nerveuse et de nécrose musculaire ? 

Sous son masque de cire une lueur per­siste — Math­ias Lair — édi­tions L’Atelier du grand Tétras — 72 pages — 14 €.

Le nar­ra­teur se cul­pa­bilise : « Au-delà de mon inten­tion de la sec­ourir, aurais-je cul­tivé la folie d’Ada ? » Car entraîné par son amante, avec la ten­ta­tion de la com­pren­dre, n’a‑t-il pas, par­fois, répon­du à la vio­lence ? Mais pou­vait-il se bat­tre con­tre la fatal­ité ? Avant l’amour, avant le déroule­ment de la tragédie, tout était là mais ni le nar­ra­teur ni Ada ne pou­vaient en avoir con­science. Oui, de la plage à la page, il y a les mots dits entre ces deux âmes, il y a désor­mais l’émotion intacte qui reste « noir sur blanc ».

Noir sur blanc, les mots sont là désor­mais, écrits. Pour échap­per au naufrage, au sien autant qu’à celui de l’être aimé et ago­nisant, tou­jours ago­nisant, le nar­ra­teur se noie dans l’écriture, seule façon pour lui de sor­tir la tête de l’eau. Le lecteur n’est plus dans le réc­it, pas même dans la fic­tion mais dans la poésie pure. Les phras­es déstruc­turées, tan­tôt longues et cisail­lées, tan­tôt cour­tes et sèch­es le plaque­nt, l’envoient dans deux folies qui se répon­dent, celle indi­vidu­elle d’une vic­time digne d’une tragédie grecque et celle col­lec­tive d’une société sans âme. Un tour­bil­lon d’images décrypte l’enfer d’une malade, l’enfer de celui qui l’accompagne et l’enfer de la prise en charge kafkaïenne de ceux qui ne sont pas assez dan­gereux pour être fous, pas assez vieux pour être impo­tents, pas assez fous pour être impo­tents, pas assez impo­tents pour ne pas être aban­don­nés à leurs souf­frances, lais­sant les aidants ou les familles dans le plus par­fait dés­espoir, si l’on peut affirmer qu’un dés­espoir puisse attein­dre la per­fec­tion, un dés­espoir aus­si par­fait que celui du malade.

Un petit roman, un grand poème à lire absolument.

Présentation de l’auteur

Mathias Lair

Math­ias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psy­ch­an­a­lyste. Il a pub­lié une trentaine de poèmes, romans et nou­velles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trou­ve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; égale­ment des notes de lec­ture et cri­tiques dans divers­es revues et divers sites. 

Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a pub­lié des ouvrages de psy­ch­analyse, et par­fois de poli­tique, chez L’Archipel, Fayard, Flam­mar­i­on, Albin Michel, Odile Jacob. 

Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Con­tre le Rack­et de Édi­tion) il défend le droit des auteurs. Il est actuelle­ment élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

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François Thiéry-Mourelet est poète, romanci­er, auteur de livres de jeunesse et d’un théâtre poé­tique (Zoé et la fumée, Les Cynophiles, Opa­line, etc.). Il a été reporter au Liban, nav­i­ga­teur, cri­tique aux Nou­velles Lit­téraires, respon­s­able de la com­mu­ni­ca­tion puis jour­nal­iste spé­cial­isé dans la san­té et l’écologie. Son dernier roman La langue de tamanoir, est paru aux édi­tions Sans Escale. Chez le même édi­teur, Brise dans le miroir suit les errances d’un marin : le poète racon­te la quête d’un « écri­t­uri­er » et de son dou­ble. 89 chants pour dire les douceurs d’un lagon, les galbes d’un corps, les désas­tres d’une guerre, l’inexorable fin des pas­sions, l’impossible renais­sance ou la dis­pari­tion d’un monde.

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