Valéry Zabdyr, Injures précédant un amour légendaire

Par |2024-02-06T13:46:11+01:00 6 février 2024|Catégories : Blog, Critiques, Valéry Molet|

Avec une colère ren­trée, pro­fonde et qui ne demande qu’à explos­er, avec un agace­ment pathologique, une sus­cep­ti­bil­ité exac­er­bée, une allergie au bruit, aux odeurs et à la con­ner­ie, un nar­ra­teur bien ron­chon tra­verse Paris. Il se heurte à la foule, aux couleurs, aux formes et chaque aspérité est inac­cept­able. Comme un sans abri aviné, il déverse un tombereau d’in­sultes, d’in­san­ités, de grossièretés et d’éruc­ta­tions. Un inculte par­lerait de syn­drome de la Tourette, sauf que l’homme est archicon­scient des énor­mités qu’il débite dans un flot ininterrompu. 

Le lecteur, moi, vous, nous sommes face à un texte énorme et poé­tique de la veine de Gom­brow­icz, Bloy, Céline ou Val­lès. C’est dire l’en­jeu ! Le lecteur, moi, vous, nous sommes pris par l’in­ven­tiv­ité et la musi­cal­ité, et nous finis­sons par nous appro­prier cette colère qui, peu à peu, nous appa­raît légitime. D’ailleurs, qui, aujour­d’hui, oserait accepter comme nor­males les pol­lu­tions sonores, les réflex­es panurgiens d’une foule partout présente, la sur­pro­duc­tion d’ob­jets inutiles et, surtout, celle de livres insipi­des ? Cette décla­ma­tion ter­ri­ble est une ode à la pen­sée qui n’ex­is­terait plus, une ode à un humain qui stu­pide­ment s’au­todétru­it, une ode à la poésie dans ce qu’elle a de plus pur et qu’il faudrait savoir recréer. Valéry Zab­dyr prou­ve par son con­traire que la beauté existe dans la fange.

“Quand je me lève, j’en dégueule, faces de rats trompés par des souris et mar­iés à des ragondins, vieux vikings vain­cus par le con­fort des chaus­sures d’agents immo­biliers, ô planètes étranges, inat­teignables comme vos trous de balle odor­iférants, salingues, cor­rom­pus, je me rue moins que je ne me tue en rai­son de votre salope saloperie de médi­ocrité. Un exter­mi­na­teur, je veux être. Je me sens bien en uni­forme, tirant au hasard, butant agneaux et pigeons humanoïdes. Le matin est atroce. La journée est igno­ble. La soirée ne vaut rien.”

Et, pour que la chose dite soit encore mieux com­prise, Valéry Zab­dyr l’il­lus­tre avec une enlu­min­ure du XVe siè­cle où il repère “net­te­ment cet enculé de Gas­ton Phébus et cette brêle de Jean de Grail­ly charg­er les Jacques et les Parisiens, ces mouch­es à merde de la révolte qui ten­tent de pren­dre la forter­esse du marché de Meaux où est retranchée la famille du Dauphin, le 9 juin 1358.”

Valéry Zab­dyr, Injures précé­dant un amour légendaire, Ed. Unic­ité, 2024, 110 pages, 14 €.

Si dans la pre­mière par­tie de ce petit roman, l’a­troce est érigé en sub­lime, la sec­onde par­tie mon­tre ce même nar­ra­teur dans un autre espace, un autre temps et donc une autre humeur. Bru­tale­ment, l’ex­cès s’in­verse et devient extase. Une face noire et une face blanche. De l’En­fer au Par­adis. Le promeneur-nar­ra­teur, sorte de Dante sans Vir­gile, se défait de son allure de clochard. Il est en Bre­tagne et a ren­dez-vous avec Nathalie. Dans les prémices de la ren­con­tre fatale, les trem­ble­ments, les doutes, les émois le ron­gent et le ravis­sent. Et ces sen­ti­ments sem­blent s’ap­puy­er con­tre les collines, les ruelles, les murets ou la flèche tor­due de la chapelle Saint-Gonery.

J’avais même pen­sé à l’immanquable et pas­sion­nante prom­e­nade au bord de la mer avec Nathalie, au dos si beau et mus­culeux de cette déjà bien-aimée ardente, que le sen­tier pro­longeait intime­ment, oubliant jusqu’à l’insipide bêtise de la répéti­tion des jours et des nuits, à quelques années-lumière des bagatelles de la vie sociale. J’avais envie de rede­venir niais grâce à quoi le cynisme rede­viendrait une école de pen­sée, ni plus ni moins.

Quel effet de bal­anci­er entraîne-t-il un même nar­ra­teur dans une telle bina­rité ? Com­ment peut-on pass­er d’un pes­simisme cynique à une forme de vénéra­tion ? La réponse, le nar­ra­teur nous la donne : par la force d’un amour démesuré où l’ob­jet du désir se fonde au paysage. Un amour fou dans un cadre idéal, idyllique.

J’avais envie de par­ler d’amour, du vrai amour, celui qui ne porte ni signe dis­tinc­tif ni ironie lit­téraire. Je ne con­nais­sais qu’un roman d’amour réus­si, celui de Mar­cel More­au, “Nous, amants au bon­heur ne croyant…

Celui qui est capa­ble de son­der aus­si pro­fondé­ment l’hu­main a le droit et le pou­voir d’at­tein­dre une sorte d’ivresse per­ma­nente, une béat­i­tude ter­restre, accrochée au ciel et à la mer. Et si Injures précé­dant un amour légendaire était unautre roman d’amour réussi ?

Présentation de l’auteur

Valéry Molet

Valéry Molet est né en 1968 à Beau­vais. c’est un écrivain et poète français.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

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François Thiéry-Mourelet

François Thiéry-Mourelet est poète, romanci­er, auteur de livres de jeunesse et d’un théâtre poé­tique (Zoé et la fumée, Les Cynophiles, Opa­line, etc.). Il a été reporter au Liban, nav­i­ga­teur, cri­tique aux Nou­velles Lit­téraires, respon­s­able de la com­mu­ni­ca­tion puis jour­nal­iste spé­cial­isé dans la san­té et l’écologie. Son dernier roman La langue de tamanoir, est paru aux édi­tions Sans Escale. Chez le même édi­teur, Brise dans le miroir suit les errances d’un marin : le poète racon­te la quête d’un « écri­t­uri­er » et de son dou­ble. 89 chants pour dire les douceurs d’un lagon, les galbes d’un corps, les désas­tres d’une guerre, l’inexorable fin des pas­sions, l’impossible renais­sance ou la dis­pari­tion d’un monde.
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