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Un poème, c’est sûr

Il y a des personnages dont une jeune femme, Ada qui pourrait s’appeler Juliette. Il y a un narrateur sans nom mais qu’on identifierait à Roméo. Il y a au moins une famille comparable aux Capulet. Surtout il y a un destin inexorable, terrible. Alors, comme le prétend l’auteur, est-on face à un récit ?

En soixante douze pages, à la fois raisonnables et hallucinantes, Mathias Lair nous entraîne pas à pas dans la folie, celle d’Ada et celle, plus retenue de son amant. Il pourrait s’agir d’une histoire vécue — un récit, comme le précise l’auteur — mais l’on souhaite au fond de nous qu’il s’agisse de fiction. Au début, il y a une plage et deux adolescents que tout unit. Un jeune homme, qui deviendra écrivain, et une jeune femme, Ada, se perdent l’un en l’autre jusqu’à ce que seul l’un des deux survive. Une sorte de malédiction, le narrateur en a conscience : « c’était là sur la page (…) et sans doute nos doubles parcourent-ils toujours la plage, parlant d’une même âme… ». Ada est percluse de douleurs et de folies. Ses crises se succèdent et la déchirent. Bientôt la jeune femme ne maîtrise plus ses angoisses et son corps se raidit. Une mécanique absurde se met en route dont les rouages restent flous, à la fois héréditaires et sociaux. L’origine de cette folie, le narrateur l’attribue à la famille, à son attirance pour la psychiatrie et le drame slave. Mais comment expliquer que l’évaporation de la conscience se transforme en une crispation des mains, symptôme de dégénérescence nerveuse et de nécrose musculaire ?

Sous son masque de cire une lueur persiste - Mathias Lair - éditions L’Atelier du grand Tétras - 72 pages - 14 €.

Le narrateur se culpabilise : « Au-delà de mon intention de la secourir, aurais-je cultivé la folie d’Ada ? » Car entraîné par son amante, avec la tentation de la comprendre, n’a-t-il pas, parfois, répondu à la violence ? Mais pouvait-il se battre contre la fatalité ? Avant l’amour, avant le déroulement de la tragédie, tout était là mais ni le narrateur ni Ada ne pouvaient en avoir conscience. Oui, de la plage à la page, il y a les mots dits entre ces deux âmes, il y a désormais l’émotion intacte qui reste « noir sur blanc ».

Noir sur blanc, les mots sont là désormais, écrits. Pour échapper au naufrage, au sien autant qu’à celui de l’être aimé et agonisant, toujours agonisant, le narrateur se noie dans l’écriture, seule façon pour lui de sortir la tête de l’eau. Le lecteur n’est plus dans le récit, pas même dans la fiction mais dans la poésie pure. Les phrases déstructurées, tantôt longues et cisaillées, tantôt courtes et sèches le plaquent, l’envoient dans deux folies qui se répondent, celle individuelle d’une victime digne d’une tragédie grecque et celle collective d’une société sans âme. Un tourbillon d’images décrypte l’enfer d’une malade, l’enfer de celui qui l’accompagne et l’enfer de la prise en charge kafkaïenne de ceux qui ne sont pas assez dangereux pour être fous, pas assez vieux pour être impotents, pas assez fous pour être impotents, pas assez impotents pour ne pas être abandonnés à leurs souffrances, laissant les aidants ou les familles dans le plus parfait désespoir, si l’on peut affirmer qu’un désespoir puisse atteindre la perfection, un désespoir aussi parfait que celui du malade.

Un petit roman, un grand poème à lire absolument.

Présentation de l’auteur

Mathias Lair

Mathias Lair Liaudet est écrivain, philosophe et psychanalyste. Il a publié une trentaine de poèmes, romans et nouvelles, d’essais chez une trentaine d’éditeurs qu’on dit « autres ». On trouve ses chroniques dans les revue Décharge et Rumeurs ; également des notes de lecture et critiques dans diverses revues et divers sites.

Sous le nom de Jean-Claude Liaudet, il a publié des ouvrages de psychanalyse, et parfois de politique, chez L’Archipel, Fayard, Flammarion, Albin Michel, Odile Jacob.  

Depuis qu’il a créé, dans les années 80, le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte Contre le Racket de Édition) il défend le droit des auteurs. Il est actuellement élu au comité de la SGDL (Société des Gens De Lettres).

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