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Chantal Bizzini, Dioramas de l’enfance, (extraits)

Enchantés

Et tout cela dans le silence
d’un autre monde,
au cœur d’un août profond
où l’on est transporté,
et, n’étaient ces ombres belles,
signes du temps qui passe,
qui ne se croirait là pour toujours ?

Ne sommes-nous pas déjà
dans l’au-delà,
exilés, morts,
dans les limbes, chétifs,
relégués au fond du Temps,
désormais visités par le soleil seul,
enchantés par le merle,
gros pompon noir,
piqué de jaune,
qui se pose au coin du toit
et s’en va dans l’autre cour,
parmi ses hautes plantes.

Bientôt c’est la nuit,
celle des fêtes clandestines
que l’on donne,
rires,
conjurant
on ne sait quoi,
bris de verre,
son à fond, pour voir,
si les murs explosent,
ou pour le fun
et les rectangles brillants
ne quittent pas les mains
des amis,
autour du barbecue,
éclairent, déforment, bleuissent
les visages
de leur lumière surnaturelle.

 

Magie

Nous voici
aux confins de la terre
et du temps,
sur ces îlots isolés, divagants,
et nous ne regardons plus en arrière
où n’est plus rien que de détruit,
ni au sol noir et stérile ;
au loin, des vagues grises,
aux creusements verts, opalins,
- brume diffuse,
entre l’orange et le violacé,
nous nous perdons.
Et, plus haut, c’est le ciel, et tout l’espace
blanc, que l’on sait violé
- mais ça ne se voit pas.

Le futur est captif
de ce jour assombri.
La séparation,
où nous gisons sans souffrance,
est lente anesthésie.
Et peu importe,
puisque nous avançons encore,
amoindris, et persévérons,
lancés vers ce qui n’a plus nom
d’infini ou d’éternité.
Et quelle magie ! Nous voyons l’absence,
entendons le silence.

 

Présentation de l’auteur

Chantal Bizzini

Chantal Bizzini, poète, traductrice et photographe, vit à Paris où elle enseigne les lettres dans le secondaire, ainsi que comme tuteur à l’Université américaine de Stanford in Paris. Elle a publié des poèmes, ainsi que des traductions de poésie anglo-saxonne - notamment d’Ezra Pound, Hart Crane, W. H. Auden, Adrienne Rich, Denise Levertov, John Ashbery, Clayton Eshleman, Quincy Troupe, Henri Cole - italienne et portugaise dans plusieurs revues : Po&sie, Europe, Poésie, Action Poétique, Le Mâche-Laurier, Rehauts, Siècle 21, Fario. Elle a soutenu, en 2001, une thèse en littérature comparée portant sur les poètes Ezra Pound et Hart Crane, à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Elle a traduit les œuvres poétiques complètes de Hart Crane, ainsi qu’une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich. Ses poèmes sont traduits et publiés en anglais, en espagnol, en italien et en grec. Elle a composé également deux livres d’artistes, l’un avec le graveur Jacqueline Ricard, aux Éditions de l’émeraude, en 1992 : Nuit ocellée de la mémoire, l’autre avec le peintre Philippe Hélénon, aux éditions le bousquet-la barthe, en 2015 : Boulevard Magenta. Son recueil de poèmes : Disenchanted City/La ville désenchantée, est paru dans une édition bilingue (français / anglais) chez Black Widow Press, en 2015.

Chantal Bizzini tente également de saisir des yeux Paris, qu’elle parcourt et photographie ; elle a exposé ses photomontages à la Galerie Annette Huster (2009) : « Collages », à la Galerie IMMIX (2010) : « En attendant mieux », et ses photographies à l’espace Cargo 21 (2011), à l’Institut des cultures d’Islam (2011) : « L’autre hiver », ainsi qu’à la Maison de la Grèce (2012) : « Alonissos insolite », ses photographies et photomontages à la Galerie Annette Huster (2015) : « Choses délaissées, lieux fracassés ». 

Adresse de son site personnel : https://sites.google.com/site/chantalbizzini/

Elle a parallèlement entamé une réflexion sur le livre illustré de photographies, à partir de la première édition de The Bridge de Hart Crane et de Walker Evans (Colloque de Cerisy : 

« Carrefour Stieglitz », juillet 2010), puis des œuvres de Rodenbach : Bruges-la-Morte, Brassaï : Paris la nuit, et Walker Evans : Many are Called (Université Paris 4 – Sorbonne, avril 2011) et tout dernièrement du roman de Sebald : Austerlitz (NYU in Paris, octobre 2012). Ces interventions ont été publiées sous forme d’articles.

Une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich : Paroles d’un monde difficile. Poèmes 1988 - 2004, qu’elle a traduite et préfacée, est parue en 2019 aux éditions la rumeur libre.

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