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Claude-Raphaël SAMAMA , L’Attente

 

 L’attente

 

Attendre, attendre, 
A la clarté du jour ou ses déclins,
Au gré des insomnies rebelles
Ou  la touffeur moite de ces matins 
Qui n’auraient rien à dire encore.
Aménager à force une patience
Où toute parole est renoncée,
Reporter, à un futur sans voix, 
Ce qui déjà s’avorte ou te récuse,  
Au nom des importances inégales.                       
Laisser s’effilocher les nuages, 

Regarder décroître la lune pleine, 
Suivre le  ballet muet des  étoiles
Et leurs pupilles, veillant dans le noir
Les hauts murs de la ville séculaire.                       

N’être plus qu’un bruit d’horloge,
D’heures vainement promises 
A un amant que ta porte imagine, 
Ou celui, plus souvent renoncé,
En raison d’impitoyables anathèmes.

 

                        *                

 

Pourtant la terre allait sa ronde,
Et revenaient à leurs moments,
L’hirondelle ou le souffle du vent,
Lui, le plus fidèle à son office
De sable et de rêves emportés.
La tribu des tiennes, en rond assise,
N’avait elle droit qu’à l’oracle 
De ceux qui, à leur guise dressés, 
Faisaient parler un autre ciel
Ou fixaient un statut rétréci à la rose ?

 

                         *        

 

Innombrables, vous patientiez sans  trêve
Le long d’une berge de nuit désertée,
Et les eaux charriaient des branches mortes
Sans risque pour elles d’embrasement 
Ou l’idée même d’un cours qui s’inverse.
Le rite s’imposait, ténébreux et morne,  
Perpétuant des chronologies anciennes,  
Le soupçon inique d’une engeance, 
Ta relégation et tes sœurs de pitié,
Dans une insupportable éclipse.
Le chemin était sans détours, 
Tout de peines et d’absentement,
Et, à un même point, revenait
Ta marche muette à pas forcés
Excluant d’autres allures.

 

                          * 

 

Ton visage restait sans visage,
Et tes yeux, à force, indifférents, 
Reflétaient la destinée cruelle 
Des regards absents ou, tournés
Vers des chemins de ronces.                      

Voilée était ta figure souveraine,
Sous les parements de la pudeur,
Silencieux rendu, ton principe initial,
En gage ton désir, sa quintessence tue,    
Et bannis, les secrets insignes de ta chair.   

Quoi pourtant de tes enchantements,
Des grâces dont  ta nature dispose,
Qu’ils voulaient mettre en cage,
Toi, au goût certain des paradis 
Sacrés qu’anticipe ton ombre ?

 

                            *

 

Il faudrait n’être qu’à toi seule, 
Plus sûre  que mille épousailles
Scellées d’une omission cruelle,  
Telle loi fixée à des destins rompus,
Et alors, interdites les noces véritables.        

 

                          *

 

J’ai mémoire de ta silhouette assombrie,
D’où s’était éloigné à la longue, l’augure  
Du  baiser de vie à ton front ou tes lèvres,
Elles, aux mots n’espérant plus des hommes,
Du soleil lui-même et du corps aboli.

– Que dit  l’attente qui plus rien n’attend, 
Et qui attend quand même au bout du compte ?
Faut-il ainsi nommer le désespoir ?

 

Présentation de l’auteur

Claude-Raphaël Samama

Claude-Raphaël Samama est un universitaire qui, outre ses travaux d’études et de recherches en anthropologie culturelle et en philosophie, a publié très tôt – en parallèle à d’autres ouvrages – des livres de poésie. Au poème isolé, individuel, circonstanciel, il a souvent préféré de larges compositions poétiques au service d’une grande thématique ou d’une visée élargie.

  • Désarmer la nuit aux Editions Saint- Germain-Des-Près, fondées par Jean Orizet et Jean Breton, est son premier recueil.
  • Savoirs ou les jeux de l’Oir, sous-titré Quantiques chez Galilée (1980), fut un livre remarqué de déconstruction sémantique et phonologique de la langue, mais pour forcer sa poéticité.
  • Le Livre des lunes,   Intertextes (1992) est un ouvrage de chants poétiques – précédés de Haïku pour saluer la lune – qui font écho au foisonnement symbolique lié à l’astre lunaire  et ouvrent à ce qu’une lecture poétique peut engendrer sur le registre de l’imaginaire, à partir d’un tel analogon et au-delà de ses métaphores  traditionnelles.
  • Les poèmes du soi - Variations sur le thème de l’unité, La Présence et l’Exil - Proses poétiques et En regard des jours (2012), tous trois chez L’Harmattan, Collection Poètes des cinq continents, ont suivi. Plusieurs des textes de ces derniers recueils ont connu d’abord une publication dans la revue Phréatique, où Gérard Murail, Georges Sédir et Maurice Couquiaud ont, tout au long, été attentifs au travail poétique de l’auteur. Jacques Eladan, critique de poésie et auteur d’une Anthologie des poètes juifs de langue française, où il figure, Courcelles édition (2ème édition, 2010), a souvent soutenu aussi sa démarche et son inspiration.     
  • Around circles. Autour des cercles, Editions Caractères (2000), écrit directement en anglais puis traduit en français pour servir à l’expérience d’un contrepoint de langue et de « tonalité », constitue un « exercice spirituel » de dépaysement et de découplage de la réalité entre ses composantes familières et son essentialité poétique.
  • 105 essais de Miniatures spirituelles, Maisonneuve et Larose (2005) se compose d’une série de textes courts extrêmement condensés – l’idée ayant d’abord été de concevoir des poèmes sur les poètes (…) – où l’écriture poétique est mise cette fois au service d’un « méta-discours » dont le thème est une œuvre et son auteur, poète ou non. Ces derniers se voient alors rapportés autant aux « images » laissées à une postérité, qu’à une complicité révérente ou critique avec chacun. On y trouve Valéry, Gongora, Donne, Auden, Rimbaud, Daumal, Borges, Keats, Stendhal, Laforgue, Perse, Dickinson, Proust, Pessoa, Basho ou Ibn’Arabi… Ce livre original, hors des sentiers battus académiques, reste dans l’attente d’une réception à sa hauteur. A son propos, Julien Gracq a pu déclarer : « …et peut-être cet essai ouvrira-t-il un chemin. ». D’autres « miniatures » ont été écrites depuis et paraissent parfois en revue, lire par exemple, Goethe in L’Art du Comprendre n°14, Giordano Bruno, in Europe n° 937, Octave Mirbeau, dans Poésie /première n° 61.

 

 

 

La poétique de Claude-Raphaël Samama a pu être qualifiée de « poésie métaphysique » et sa manière comme alliant la « densité » du sens à une visée de l’être, approfondi à partir de son infini questionnement. Son écriture, à contre courant des poésies trop attachées à la première personne, des textes portés à mettre à mal les structures de la langue, observe plutôt le respect de celle-ci en travaillant à sa beauté sonore (Mallarmé, Apollinaire, Reverdy…), sa profondeur cachée (Valéry, Char, Hölderlin, Trakl…), au dépaysement de la pensée (Novalis, Nerval, Perse, Ungaretti, Cavafy, Seféris, Brodsky, Szymborska…). La poésie aurait pour fonction de créer un espace réflexif et révélateur, une demeure hospitalière et emplie d’échos. Le poème, s’il aboutit, ouvre alors un chemin pour pleinement y accéder.

  Outre des articles et des nouvelles parus ces trois dernières années, Claude-Raphaël Samama a donné en 2015, chez L'Harmattan, un travail de recherche et d’intentions intitulé Le spirituel et la psychanalyse. Il  doit faire paraître prochainement la traduction de plusieurs dizaines de poésies de William Butler Yeats dont certaines sont inédites en langue française.

Son prochain recueil poétique s'intitulera : Ce qui là se trouve, où le poème, pour mieux exister, s’essaye parfois à des formes nouvelles de saisie dans une langue toujours tenue. Le poème comme récit éphémère de ce qui « est », la poésie comme condensation du sens, les deux libérant des lourds appareils du "romanesque".

La musique n’est pas étrangère à la quête poétique et l’environnement créatif de l’auteur, qui compose aussi.

Site : www.claude-raphael-samama.org

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