Revue Dissonances n°42, mai 2022

Si on ne connaissait pas les subtilités ou les choix radicaux de Dissonance, on s’étonnerait du présent numéro au style plutôt funéraire : fond noir et lettres dorées à l’appui. Une contre-illustration dans la lignée dissonante ?

Quoiqu’il en soit, les « sans-dents » et les «  fafs » sont aujourd’hui désormais  invités à boire le champagne pour l’anniversaire des vingt ans de cette revue, invités  à remplir la coupe sans préciser la marque du vin proposé cette vague de l’humour noir ? Sabrons donc sans sabre ! Après avoir également sabré le champagne et multiplié les extravagants alléluia, les auteurs de ce numéro 42 ont su abandonner leurs délires à l’écriture. La muse éthylique propose une belle cuvée ! Un bonheur à déguster avant l’ivresse. Les lecteurs éméchés participent au banquet. Pourquoi pas moi en lisant ?

Ainsi les chiens et les écrivains éthylisés (néologisme) « lapent » déjà  le champagne renversé sur le tapis - Etienne Michelet et Côme Fredaigue, découvrent la « neuro mâchoire inférieure vidée ou presque des dents du fond (..) des yeux noirs démentent aussitôt, regard abimé, vertige dans lequel, elle pourrait nous entraîner » (Côme Fredaigue). Les élucubrations plaisantes et débordantes d’excès sont agrémentées par les élégantes illustrations pointillistes d’Anne Mathurin, confortant le thème alcoolisé de la rédaction, le symbole du champagne : « la frontière s’estompe entre sa tradition, son image raffinée, son gout subtil et la vulgarité de l’excès, à la nôtre ! ». Brigitte Fontaine, elle,  décrit le « décorum voilé de noir et d’or (évocation de l’énigmatique couverture peut-être sans certitude qui s’appelle l’aurore) ».

Dissonances #42, Champagne, mai 2022, 56 pages, 7 euros.

Où sont les « profondeurs pétillantes où plus rien n’existe ? Hors de ces « profondeurs pétillantes » hormis, « le fameux péril jaune » selon Rigodon de Céline…

Traversant le rideau de mégots et de cendre, un auteur se souvient (Arthur Le Reste- Juliard) du discours tenu en 1974 par le poète Odysséas Elytis. Ce poète, coutumier du poète Brautigan, connu pour ses excès de bar, révèle à la fois son amour du champagne tout en lui opposant son animosité envers les buveurs, les invités réunis pour le Nobel, des « pompeux snobinards » ! ... Il est vrai que malgré les choix de cette médiocre année 1974 - Johnson et Martison - auront autant de place dans l’histoire de la littérature « que deux glaçons creux vers les courants chauds avec leur petite ombrelle en papier plantée dans le cul » !!! Et nous, lecteurs et lectrices, versons-nous vite une coupe de champagne pour la route ! Mea culpa au champagne !

Dissonances lance déjà le prochain thème du numéro 43 « trans ». Je transpire déjà, transpercée par l’urgence de rendre la copie trans avant la date-butoir du 24 juillet…  Il me faudra ingurgiter au minimum un jeroboam avant ; à moins que le moine bénédictin transsexuel… Dom Pérignon n’ épouse enfin la transgenre, une Veuve Clicquot  !!! Mumm !




Revue Dissonances n°42, mai 2022

Si on ne connaissait pas les subtilités ou les choix radicaux de Dissonance, on s’étonnerait du présent numéro au style plutôt funéraire : fond noir et lettres dorées à l’appui. Une contre-illustration dans la lignée dissonante ?

Quoiqu’il en soit, les « sans-dents » et les «  fafs » sont aujourd’hui désormais  invités à boire le champagne pour l’anniversaire des vingt ans de cette revue, invités  à remplir la coupe sans préciser la marque du vin proposé cette vague de l’humour noir ? Sabrons donc sans sabre ! Après avoir également sabré le champagne et multiplié les extravagants alléluia, les auteurs de ce numéro 42 ont su abandonner leurs délires à l’écriture. La muse éthylique propose une belle cuvée ! Un bonheur à déguster avant l’ivresse. Les lecteurs éméchés participent au banquet. Pourquoi pas moi en lisant ?

Ainsi les chiens et les écrivains éthylisés (néologisme) « lapent » déjà  le champagne renversé sur le tapis - Etienne Michelet et Côme Fredaigue, découvrent la « neuro mâchoire inférieure vidée ou presque des dents du fond (..) des yeux noirs démentent aussitôt, regard abimé, vertige dans lequel, elle pourrait nous entraîner » (Côme Fredaigue). Les élucubrations plaisantes et débordantes d’excès sont agrémentées par les élégantes illustrations pointillistes d’Anne Mathurin, confortant le thème alcoolisé de la rédaction, le symbole du champagne : « la frontière s’estompe entre sa tradition, son image raffinée, son gout subtil et la vulgarité de l’excès, à la nôtre ! ». Brigitte Fontaine, elle,  décrit le « décorum voilé de noir et d’or (évocation de l’énigmatique couverture peut-être sans certitude qui s’appelle l’aurore) ».

Dissonances #42, Champagne, mai 2022, 56 pages, 7 euros.

Où sont les « profondeurs pétillantes où plus rien n’existe ? Hors de ces « profondeurs pétillantes » hormis, « le fameux péril jaune » selon Rigodon de Céline…

Traversant le rideau de mégots et de cendre, un auteur se souvient (Arthur Le Reste- Juliard) du discours tenu en 1974 par le poète Odysséas Elytis. Ce poète, coutumier du poète Brautigan, connu pour ses excès de bar, révèle à la fois son amour du champagne tout en lui opposant son animosité envers les buveurs, les invités réunis pour le Nobel, des « pompeux snobinards » ! ... Il est vrai que malgré les choix de cette médiocre année 1974 - Johnson et Martison - auront autant de place dans l’histoire de la littérature « que deux glaçons creux vers les courants chauds avec leur petite ombrelle en papier plantée dans le cul » !!! Et nous, lecteurs et lectrices, versons-nous vite une coupe de champagne pour la route ! Mea culpa au champagne !

Dissonances lance déjà le prochain thème du numéro 43 « trans ». Je transpire déjà, transpercée par l’urgence de rendre la copie trans avant la date-butoir du 24 juillet…  Il me faudra ingurgiter au minimum un jeroboam avant ; à moins que le moine bénédictin transsexuel… Dom Pérignon n’ épouse enfin la transgenre, une Veuve Clicquot  !!! Mumm !




Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame

C’est la modernité de cette auteure mythique qui donne envie de tourner les pages de cet ouvrage. Il y avait en elle les prémisses d’une George Sand à vouloir vivre - en veuve - de ses œuvres, son écriture, ses mots.

Il y avait en elle l’invention d’un jeu de rôles sexué où elle emprunte d’abord celui de l’homme : « Je suis le servant / Je vous supplie humblement / Je n’ai d’autre plaisir… », avant de reprendre son costume féminin, puis de s’autoriser une incursion dans le dialogue amant-dame au moment même de leur séparation ou leurs retrouvailles. Il y avait en elle une ironie mathématique : cent ballades divisées en deux dont la moitié défend la loyauté en amour et l’autre la séduction (d’une certaine façon l’inverse). Il y avait en elle le goût taquin de l’anagramme (« Crestine » pour « en escrit y ay mis mon nom »).  Le regard – disons archéologique ! - que nous portons sur la traversée des siècles de cette auteure se réinvente au fil du temps. Une néo-lecture peut-elle réinventer dans la réinvention ?

Amusons-nous naïvement avec le titre, l’orthographe et le sens engendré. Aujourd’hui, le mot « balade » ( avec un seul L) correspond à une promenade ou une excursion, tandis que la « ballade » armée de deux L signifie une œuvre littéraire ou poétique.

Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame, Gallimard, 2019, présentation, édition et traduction de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, édition bilingue

De fait, en ancien français, le mot  « balade » avait alors la signification de notre actuelle « ballade », à savoir un certain cheminement de l’écriture poétique !  De quoi se perdre déjà dans le nombre de L. ! Laissons notre esprit baguenauder en jouant au baladin (ou à la baladin.e pour moi ! ) de l’intellect. Lisons ce recueil de Cent ballades d’amant et de dame en cherchant comment cette poétesse à l’art si particulier instaure une balade (cad fait déplace ses personnages de lieu en lieu, d’état en état, etc.) dans ses ballades. Bref, nous balade ( ! ) - t-elle au sens contemporain voire figuré du mot ?

Fouillons les cent ballades à la recherche de balades diverses et variées ! La distance entre les duettistes en amour peut simplement être concrète.  Il y a un « incessant ballet de séparations et de retrouvailles dû aux obstacles qui désunissent les amants », précise Jacqueline Cerquilini-Toulet, traductrice et présentatrice du recueil.

Cette séparation au quotidien peut ainsi être déplorée par l’amant : « J’ai perdu mon temps / plus d’un mois auprès de gens/qui me mènent obscurément / pour une pénible affaire » (ballade 81). L’homme craint cet éloignement réel des corps et des êtres : « Je meurs de douleur,(…) / Quand je vois qu’on éloigne de moi ma dame   /Hélas, que ferai-je si je vois qu’on l’emmène en Gascogne » (lieu de confrontation entre nobliaux au XVe siècle). Le départ en guerre engendre la distance la plus courante ressentie par un viril guerrier : « Je suis allé dans une contrée lointaine » peu aguichante : la nourriture est « rare », le logis « rude » et l’armure « pèse » (ballade 50).  La dame réplique en déplorant une « longue absence » de son « très doux ami » (ballade 55), absence qui la fait même « mourir » au sens figuré bien sûr, avec un esprit un tantinet comédien… L’amant revient de guerre ragaillardi, « joyeux et plein d’ardeur » (ballade 60). Dès lors, il ne craint plus rien « ni froid, ni chaud / ni assaut de château ou de tour / ni la mer » à traverser. Il attend carrément que « Dieu » le conduise au plus vite vers sa belle, ce « parangon de beauté » (répété quatre fois). A cette occasion, il réitère le souhait fébrile qui ponctue chacune des quatre strophes du poème : « Je désire tant vous voir ».

La «  ballade » pizanesque* peut aussi marquer la distance au figuré, cad spirituelle entre les âmes. Le mâle (en chaleur ? ) sollicite l’intérêt de sa comparse féminine qui est le refuge de son cœur : « Que l’attente n’en soit éloignée / car je ne peux plus, ni soir ni matinée, / supporter ce mal » (ballade 1). En réponse, la dame fort sérieuse révèle son ignorance en matière amoureuse, doublée néanmoins par la capacité d’y échapper par des pensées résilientes : « Jamais je ne sus ce qu’est aimer, (…) mes pensées sont ailleurs » (ballade 2).

Cependant après le temps de l’absence vient nécessairement celui de la présence et du rapprochement.  L’amant et sa dame se retrouvent ensemble, physiquement avant de narrer leur relation (ballade 80). Ce « retour » engendre la joie de la dame qui invite l’« ami » à venir « par la porte de derrière », réduisant de plus en plus la distance. Au demeurant, les deux amants manifestent le même élan : « Ne m’enlacerez-vous pas ? ». Ils ont néanmoins la volonté de rester cachés ou du moins discrets, « sans lumière » ! Mais la présence commune induit des attitudes et des perceptions, certes évidentes aujourd’hui.

La plus remarquable des ballades reste la 32, intitulée exceptionnellement La dame et l’amant et attribuant sans doute une priorité (?) au féminin.  Le dialogue croustillant de cette rencontre – comme au théâtre - abolit la distance entre lecteur et lecture, lui donnant une puissante vérité. Comment ne pas citer un passage (comme on cite aujourd’hui un dialogue d’Audiard) parmi d’autres : « - Mon doux ami, venez me parler. / -Très volontiers, ma dame, avec joie / -Parlez-moi sans rien me cacher. / - Que vous dirai-je, ma chère et douce dame ? / -Si votre cœur est greffé en moi ? / - Oui, entièrement, ma dame, n’en doutez pas. / - En vérité, le mien est en vous également. / - Grand merci, belle, aimons-nous bien. » Sont-ce des salamalecs ? Des expressions naturelles ? De l’humour (« En gardant mon honneur voulez-vous m’enlacer », sollicite la dame) ? Du raffinement courtois poussé à l’extrême ? Ici, le cœur de Madame d’abord « greffé » à celui de Monsieur se sépare et se fend pourtant « en deux » (Le lai de dame),  signant la fin des amours et de la vie.

 Il advient qu’une tierce personne s’introduise dans ce duo des cœurs. Voici que surgit le mari qui a des soupçons et se mue en « jaloux » (ballade 42). L’espace entre les époux diminue (alors que celui entre les amants augmente) en instaurant une triangulation : « Et le jaloux me tient/d’une laisse** si courte que, s’il ne me voit/il enrage de colère » ! Un tel souci masculin est le propre de nombre d’ « amants courtois » souffrant, comme cet amant en titre, de se séparer de sa « dame et maîtresse » (ballade 49).

La ballade conduit à ce point de non-retour qu’est la mort (ballade 3). L’amant, s’il perd son temps sans rien obtenir, lance – presque - des cris d’orfraie : « est-ce juste que l’on me frappe / à mort pour mon amour sans faille ? / Il faut que j’en meure / car c’est à la mort, à la vie ». Sa dame souffre déjà : « Ma mort cruelle, il est temps de mourir : / depuis près d’un an déjà, je suis dans ce martyre» (ballade 55).

Ainsi se termine notre promenade dans cet autre temps amoureux. La narration poétique se passe en plusieurs lieux (comme la rue, maison, messe, bal). Notre lecture – contrainte par les mots et leur succession -  rôde de la première à la dernière ballade, hésite et pioche ça et là une compréhension des vies et des relations qui ne ressemblent nullement à celles d’aujourd’hui. Une exploration des âmes libres à travers le papier ! Une balade, alors ?

Notes

 

* Pizanesque, néologisme autour de Pizan et non Pisan.

** Notons que la « laisse » - le lien pour toutou - est une image juste, proposée par la traductrice, pour expliciter l’adjectif « courte » qui aujourd’hui ne se suffit plus à lui-même.

Présentation de l’auteur

Christine de Pizan

Née à Venise vers  1364, Christine de Pizan passe son enfance à la cour de Charles V, où son père, Thomas de Pizan, est l’astrologue officiel. Elle reçoit une éducation soignée qui forme son goût pour les lettres. Mariée à un secrétaire du roi, Etienne du Castel, elle est veuve dès 1387. Pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, Christine entreprend d’écrire. Son talent lui vaut l’intérêt de Jean de Berry, de Louis d’Orléans, de la reine Isabeau de Bavière, et l'admiration de la Cour. Elle rédige des poèmes, des traités moraux, philosophiques, politiques, et même un traité militaire.
Elle devient la première femme française à vivre de sa plume. Connue pour sa prise de position en faveur des femmes, Christine de Pizan participe de manière active aux débats intellectuels de son époque. Elle s’illustre notamment dans le premier débat littéraire français, la Querelle du Roman de la Rose. Christine de Pizan semble avoir supervisé ou participé directement à la copie de manuscrits. Le nombre de témoins conservés et la richesse de leur ornementation attestent du succès de ses œuvres. Poète et moraliste, Christine de Pizan se consacre également à l'écriture de traités politiques, dans lesquels elle se révèle conseillère de princes et ardente avocate de la paix. En 1418, la prise de Paris par les Bourguignons la contraint à se réfugier dans une abbaye,  où elle meurt en 1430.

 

Source : https://gallica.bnf.fr/html/und/manuscrits/christine-de-pizan?mode=desktop

© Crédits photos Portrait of Christine de Pizan (British Library, Harley MS 4431 f. 4).

Poèmes choisis

Autres lectures




La revue Florilèges n°187

Y a-t—il des fleurs dans ce Florilège-là ? Le mot Florilège provient tout simplement de flos « fleur » et legere « cueillir, choisir ». Quelles fleurs vais-je donc y trouver ?  Me demandé-je naïvement. 

De fait, c’est une invitation pour moi. L’opuscule propose en ouverture une citation de Kundera à la recherche de la « mémoire de ce qui nous a émus » et qui donne à la vie « sa beauté ». Je plonge donc dans la lecture protégée par ce propos apaisant et en quête de ces fleurs secrètes tant attendues mais encore imaginaires…...    

A l’aube, je découvre d’abord « la captivante «  rose du matin » de Christian Amstatt, dont la couleur émerge après  une « nuit de torpeur » Une autre rose, apparait ailleurs, puissante, inspirée cette fois par « de la mignonne »  de Ronsard : cette« fleur de soleil »de Stéphane Mennessier est d’une éclatante beauté1. Elle révèle le magnifique baiser d’amour érotique d’un amoureux « médusé » par sa belle qui entre en une extase pourtant « pudibonde ».

Jean-Marie Leclerq évoque, quant à lui, « une fleur fanée » aux « pétales éplorés » sur un sol de pierre. L’ombre de cette fleur magnifique lui est néanmoins « comme un vêtement ».

Ce bouquet fleuri se disperse dans les pages à travers la pensée de Saint Pol Roux pour qui la poésie est l’art d’apprivoiser la « libellule de l’insaisissable ».

Revue Florilège n°187, Juin 2022.

Marie-Christine Guidone rappelle que la poétesse Marceline Desbordes- Valmore, « maudite » selon Verlaine,a soutenu les pauvres, les prisonniers, les déserteurs et les Canuts révoltés en 1831 et 1834. Précurseur – précurseuse ? – du romantisme, elle a en outre écrit Les roses de Saâdi. Ces roses-là débordent de sa ceinture « étroite » et se déversent en un « odorant souvenir ».

Et nous, quand on ferme le recueil, on a le sentiment d’avoir respiré – avec un doux plaisir – la fleur des mots.

Note

  • Ce poète a obtenu le second prix d’un concours de la maison de poésie Rhône-Alpes de Saint Martin d’Hères, poètes sans frontières : Dis-moi dix mots.




Armand Dupuy, Selfie lent

Un  sentiment inhabituel  émerge en consultant cet opuscule. L’auteur Armand Dupuy s’écoute  et se voit  écrivant et vivant. Comme si  une lecture à voix basse  par caméra mentale1 se déroulait page à page, en même temps que la nôtre. Il détaille ce qui constitue ses actions tous azimuts, ponctuées ça et là de repères personnels  - date, heure, minute -  respectant néanmoins l’ordre de Chronos. Telle est sa durée intérieure à la Bergson, autrement dit celle de son existence.

L’autoportrait de ce selfie  «  batailleur » (annoncé page 12) se dévide en miroirs à multiples facettes. Le  Selfie vraiment Moi – c’est à dire Lui -   se figera au terme d’un présent « suffisamment vivant pour être enjeu de lutte ». Ce pourquoi, sa démarche se mue et s’immobilise dans  le titre de « selfie lent ».

Ce qui s’agite en son esprit en alerte et en auto-observation démarre le 17 mars 2016 à partir de 4 heures 14. Il accrédite alors sa certitude d’être ce qu’il voit (« je suis » « ce que je vois »), l’agrémentant de jeux de sonorités : « je pense donc j’essuie » ou « j’essuie ce que je vois ». Sa vie jusqu’au 24 septembre est parfois clairement suggérée, parfois perçue dans le secret des lignes.  « Nous devenons fertiles d’une autre façon », confie-t-il. Autant d’écrits qui se chevauchent, de sorte que la lectrice n’a plus qu’à grimper sur une des lignes et se laisser emporter.

Ce moi en marchant, en s’écrivant, en se parlant ou écoutant la parole des uns ou des autres, poursuit sans doute la même élaboration  d’« archives de soi »  que dans son travail de peinture. L’auteur veut se préserver en enfouissant sa mémoire. Ainsi la présentation de soi en continu,« en un seul texte vivant, infini » de ce « journal-poème » renvoie à sa démarche picturale spécifique.

Armand Dupuy, Selfie lent, 110 pages, Ed. Faï fioc, 13€.

Lorsque l’auteur se décrit en tant que peintre, sa force créative participe de la destruction. « Créer et détruire », exigences jugées « contradictoires », se concilient ou se réconcilient en un seul tableau :  celui-ci se ravale, s’enfouit dans la pierre, se recouvre, se recommence.  La démarche de son Selfie se fabrique  tout en disparaissant, en s’éclipsant dans le langage et dans la description. Son texte se crée  avec des retouches et des repentirs ressentis au fil de l’ouvrage. Un défi sans doute, mais à quoi ?

*

Oui, mais la lectrice – moi -  a aussi ses caprices. Elle nargue l’ordre des pages. Elle décide de commencer l’ouvrage par la fin quitte à remonter vers le début de l’opuscule. Elle remonte le temps des pages d’un Moi qui joue son propre film psychologique et commence à l’envers par les radiographies insolites de Claire Combelles. Elles peuvent avoir un sens, car l’ombre envahissante capte l’ébauche de formes de plantes ou d’insectes.  Elles peuvent aussi ne pas en avoir, suggérant un  pourquoi pas ?  après le pourquoi ?

La lectrice s’arroge  le droit de fouailler parmi les auteurs cités de l’index et  d’y piocher des noms en toute autonomie.  Elle crée des chaînons imaginaires entre les arts : de l’écrit (Rimbaud, Jim Harrison) vers  la pellicule (Pasolini).  Rimbaud à 17h28, est  évoqué dans les « poteaux de couleurs » autres que celles de ses voyelles originelles (« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu »). Il n’y a ni jaune, ni mauve inscrit par le récit de A. Dupuy le 28 mars. Jim Harrisson traverse la modernité via Facebook : la mort lèche « sa doublure » sur une photo FB dont la lumière est rongée « par l’ombre, la lumière et les poncifs concomitants » (lesquels ne sont pas décrits dans ce zeugme). Pasolini, lui, se signale par une « phrase détachée » qui marche soudain en lui (« la langue de la poésie est celle où l’on sent la caméra »).

Un autre chaînon se noue dans le monde de la peinture, entre !e douanier Rousseau et Cézanne. Le premier (Rousseau)  s’exprime par un phrase : « Ce n’est pas moi qui peint, mais quelque chose au bout de ma main ». Le second,  Cézanne (22 janvier, 19h15), rappelle à propos de coupes et collures des images de film  qu’« ils sont tellement collés qu’il me semble qu’ils vont saigner ».  Quant à Durer,  pourtant présent page 60 sous forme d’un rhinocéros cuirassé tracé à la « pointe sèche », il n’est pas retenu dans l’index. De même que Millet  (18 janvier, 8h27) qui n’a pas cette chance malgré son Angelus.  « ce temps pendu des visages versant » (page 57) pour évoquer des « travellings citadins de H.L. » (nous n’aurons que les initiales).

Dans ce périple  de cet index, la lectrice émoustillée s’interroge sur un énigmatique P.B. (page 42) : cache-t-il un Pierre Bourdieu ou Pierre Bergougnioux (elle penche pour le second). Et enfin, elle cherche encore la réponse à une énigme (page 42) des toiles «  rouges bardent » … S’agit-il d’un vin Saint Emilion ou du mot « ardent » affublé d’une coquille (un «  b » suspect introduit subrepticement dans le mot). Autant d’audaces qui accompagnent l’audace de cette démarche épistolaire.

« Les souvenirs ont l’étrangeté de « choses plates » (page 8),  comme des blattes cafards et pans de tristesse recommencés. Plates comme les pages d’un livre, plates tant qu’on ne les secoue pas, qu’on ne cherche pas les ressources et qu’on prend même le risque d’inventer comme l’ose l’auteur ! « J’oublierai », songe A. Dupuy. Repoussant pourtant l’oubli, il cherche à capter tous les instants d’un bout de sa vie, rue du Garet.  Une sorte de défi.

Au reste, il s’écrit aussi un morceau de nos propres vies faites de ces milliers d’instants successifs. A la page 50 on est au 9-10 décembre, date et heures comprises. A la page 66, nous en sommes au 4, 5, 6 avril, etc. Des datations conduisant à une date ultime ?

Note

  1. A la Robbe-Grillet ?

 

Présentation de l’auteur

Armand Dupuy

Armand Dupuy est né en 1979 et vit à Saint-Jean-La-Bussière. Il a réalisé de nombreux livres d’artistes en tant qu’auteur, avec des plasticiens (Georges Badin, Jean-Marc Scanreigh, Jean-Michel Marchetti, Jérémy Liron, Joël Leick, Jephan de Villiers…) ou bien avec des auteurs, en tant qu’artiste, sous le pseudonyme de Aaron Clarke (Pierre Bergounioux, Dominique Sampiero, Antoine Emaz, Michel Butor...). Il est également fondateur des éditions Centrifuges.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Armand Dupuy, Selfie lent

Un  sentiment inhabituel  émerge en consultant cet opuscule. L’auteur Armand Dupuy s’écoute  et se voit  écrivant et vivant. Comme si  une lecture à voix basse  par caméra mentale1 se déroulait page à page, [...]




Gilbert Lascault, Petite tétralogie du fallacieux

Un pataphysicien n’est pas un métaphysicien, loin s’en faut. Il invente tout et n’importe quoi. Comme de toute façon le n’importe quoi est nécessairement dans le tout, le bon sens s’en sort ! Même mal.

Or Gilbert Lascault est justement « régent » de ces pattes-à-physiciens qui hantent - depuis Jarry - la culture contemporaine. Pour preuve, il apprécie effectivement  Petit Un, 1. Ce qui fait « l’exception » sur le plan terminologique, d’ailleurs plus termino que logique. Certes le « fallacieux » existe avant la propagation et la pratique du terme. Il faut néanmoins éplucher soigneusement son usage ordinaire pour être sûr de le valoriser à juste titre car il ne le mérite pas ! Petit Deux, 2. Une partition musicale semble en dériver peu à peu, au risque de nous casser les oreilles : fa-la-si-eux, fa-la-cieux, fa-la-scie- eux. Petit Trois, 3. Piocher un tel adjectif pour le glisser en  couverture de l’ouvrage surinsiste (!) dans l’exceptionnel. Pourquoi lui ? Fallacieux possède tant de synonymes qu’on se demande comment il  réussit à  évincer  le chimérique, le captieux, l’imposteur, le spécieux, le tartufe, l’insidieux, l’hypocrite, le mensonger, l’égarant, le fourbe, and tutti quanti.  On comprend plus aisément la mise à l’écart des antonymes : honnête, franc, loyal ou sincère… Ils  donnent autant envie d’ouvrir l’ouvrage que le mot « paix » de regarder un documentaire télé ! Notre cœur est pourri, on le sait.

Encore des preuves, SVP… Ceci dit dans le paragraphe précédent, rien n’est dit. Gilbert Lascault à plus d’une corde à son arc imaginaire. Il ne fait pas dans la dentelle fallacieuse en explorant sa  charmante « tétralogie », modestement décrétée « petite ». Une tétralogie capricieuse aux sommaires diversifiés, valorisant  hommes, personnages, lieu,  puis classée par ordre alphabétique, puis par désordre alphabétique. 

Gilbert  Lascault, Petite tétralogie du fallacieux, présenté par Eric Dussert, Editions de l’arbre vengeur, collection l’alambic, 366 p., 17 €.

Pas la peine non plus de comprendre la composition de ces sous-tétralogies qui jouent aux quatre coins : un monde miné autour d’un ilot tempéré, lors d’un voyage en automne et hiver, auxquelles s’ajoutent des héros détournés et choisis avec des trompe l’œil  et l’esprit, et des équivoques. Un régal. Des chapitres comme son appartement jonchés de pieuvres brodées, de squelette sculpté, etc. Un bazar pour rêveur.

1 Parmi ses fréquentations, des gnomes qui se fabriquent à Hong-Kong et creusent comme des taupes et sont même « naturalisés », et des rats et enfin une taupe « dans toute la vérité de sa nature », une taupe qui est ni plus ni moins lui-même. Les aventures sont farfelues : les chanteurs d’opéra de Mozart tombent dans un puits à Toulouse. L’un de ses sketches capricieux joue avec le son « gn ». Au demeurant la terre est aussi un « oignon » ! Qui veut connaître Féroce-Lagopède-Cubique, consulte la page 52 où il trouve également Prudente-Pintade-Octaédrique et Menteuse-Perdrix-Linéaire. Saint Gélase surgit 9 pages après à  la page 61. Chaque non-célébrité a finalement son clapier…

2 De saynète en saynète, Lascault nous introduit dans son univers. Son Panthéon de célébrités les capte toutes dans la fraîcheur de l’enfance. Ainsi il rencontre Sainte Thérèse d’Avila à 5 ans en 1520. La gamine ingurgite 3 verres de vin « presque noir ». Saoule, elle vit les prémisses de celle qui sera plus tard ivre de Dieu. Il découvre Pierre Corneille au même âge en 1611. Il finit les verres de cidre de sa tante et la regarde pisser debout en « soulevant légèrement ses jupes ». Einstein est un peu plus âgé, six ans en 1885. Sa grand-mère lui tricote des chaussettes grises. L’aime-t-elle ? « Elle répond qu’elle n’aime que Dieu » ! Jules Ferry, lui, a 9 ans en 1841. Il va chercher l’aloyau pour sa maman : il évite la rue dont une vieille épileptique a griffé le trottoir et la place où les gamins chapardent sa casquette.

Les femmes y sont bien vues et bienvenues. Des Alcaniennes placent des parties malades de leur corps dans un sac. Elles jaugent le pénis des hommes, portent des chapeaux dont la couleur s’impose au mâle accompagnateur. Féministe donc puisqu’il écrit du courrier aux femmes de Courbet et de Delacroix. Des dames à connaître. Sans doute pour une quinqua-pentalogie à fignoler en 50 lignes pour les plus de 5O ans!




Marie Etienne, Antoine Vitez et la poésie, La part cachée

Non, c’est juré. Ce n’était pas voulu. Ce livre là – Antoine Vitez et la poésie - s’est ouvert à l’envers. Il a simplement décidé d’être lu en commençant par la fin, comme si sa dernière page devait être ma première.

Et que moi, lectrice et intruse, devais reconstituer une histoire (celle du livre) pour établir un lien personnel. Car chaque ouvrage est une personne qui parle avec ses sourires ou ses larmes de papier, ses respirations typographiques parfois haletantes, sa couleur de peau blanche ou bis (jamais noire, pourquoi ?)…Arrêtons d’écumer les détails et relevons ce défi de lire autrement. Tant pis pour les platitudes, tant pis pour les redites. En se jetant à l’eau, on apprend à nager au risque de se noyer.

En parcourant l’ouvrage à rebrousse-poil, il  révèle un ensemble « Avant de se quitter » comportant les remerciements (aux filles d’A. Vitez),  une bibliographie sélective, la bibliographie et  biographie de Vitez, puis la liste de diverses lectures de poésie contemporaine « par l’auteur » confié  par Vitez à Marie Etienne1 qui croise les forces du théâtre et de la littérature, et enfin le traditionnel index. De cette remontée documentaire détaillée émane une attention aussi affectueuse que précise.

Antoine Vitez et la poésie, La part cachée, Marie Etienne, préface de Jacques Darras, Les passeurs d’Inuits, Ed. In’hui /Le Castor astral,  224 p, 12€.

De fait,  nous rôderons dans la part poétique, « cachée » ou non, suivie de la postface de Jacques Darras (Mes visites à Vitez, juillet 2018). Cela signifie-t-il que l’autrice propose des compléments informatifs ? qu’Antoine Vitez avance masqué ? Masqué démasqué ? Dans ce livre-puzzle, Marie Etienne redonne une vie culturelle posthume au fascinant metteur en scène en transmettant les documents à sa disposition, comblant les failles de notre ignorance. Sa part de dévoilement  commence par 1. L’ami grec, le poète Yannick Ritsos prisonnier des colonels grecs ; 2. Le temps d’apprendre à vivre et son périple théâtral à Marseille, Caen ; 3. La lecture au Récamier de « six poètes et une musique de maintenant ». Il est fait mention de l’intrigante question des « silences d’Antoine » ;  4. Les premières publications sur Aristophane, Claudel, Maïakovski et Sophocle ; 5. Les  lectures de poésie à Chaillot en « diction blanche » (Jacques Roubaud) ou « claire » (Vitez) des contemporains : Claudel,  Pasolini,  Ritsos, Maïakovsky qu’il a traduit,  Aragon qui lui est un interlocuteur. Pour  Vitez, la situation première de cette lecture est l’acteur qui lit : « c’est toujours moi devant vous ». La voix est comme « un corps nu » dont elle est « la trace dans l’air ». 6.  Le poète dramaturge, enfin. Pour Vitez, la poésie imbibe et domine en permanence ses pratiques théâtrales2. Sa mise en scène se heurte d’emblée « à l’impossible ». Comment ?  « Je fais du théâtre comme on écrit », précise-t-il avec une « irresponsabilité » similaire. Est-ce une façon d’affirmer son entrée dans le jeu théâtral comme un néo-auteur (et peut-être un lecteur) en pleine construction romanesque ? Il réécrit un livre/un texte en le jouant, sans doute en fignolant les préparatifs de prononciation ou de geste. Comme si le texte choisi se re-parlait et re-vivait autrement, prouvant ainsi (version U. Eco, L’œuvre ouverte) qu’il est bien inachevé.

Quelle relation intime s’instaure entre le metteur en scène et l’auteur concerné ? Il ne peut s’agir d’un dialogue ordinaire. Vitez « n’adapte pas mais réécrit l’œuvre ». Il ne se soumet pas simplement au texte, mais en propose une nouvelle version. Selon Marie Etienne, « chez lui, tout cohabite, ce qui le rend si déroutant », car il unit « des éléments distincts et distants ». Ses mises en scène sont  ni plus ni moins  qu’« un récit de sa vie ». Pour la cerner et donc pour se cerner, Vitez procède « par effraction » : « A travers les œuvres des autres, « il décline son parcours de vivant » et son propre « portrait ». Mais comment se vit-il ? comment se définit-il ? Par « la non-conformité à la norme et la perfection ». N’affirmait-il pas à ses élèves mués en enseignant qu’ils devaient « apprendre aux autres ce qu’il ne savait pas faire » ? Une telle ré-écriture le renvoie à lui-même.

La  mise en scène de Vitez est celle d’un être qui s’esquisse et se dessine lui-même à travers les œuvres des autres.  Pour se penser lui-même, au « centre » de lui-même, il explore ces écrits qui lui sont « un gigantesque texte écrit par tout le monde » et englobant passé et présent.

Ainsi en est-il de Grisélidis de C. Perrault, mariage d’un marquis et d’une bergère. L’époux la contraint à d’effroyables « épreuves ». Imbriquant la toile de Saint Georges et le Dragon et le film L’empire des sens, Vitez est frappé par sa propre mise en scène et « la mise à mort de l’époux par l’épouse ».  Ainsi explore-t-il à sa façon l’immense amour du poète Qays pour Layla, cette femme qui exalte son génie poétique. Elle n’est pas importante en tant que femme, mais en tant que muse. Le poète devient fou (Majnun) et meurt dans le désert.

Il se peut que la méconnaissance de la famille de son père Paul Vitez, le « secret » de cet ancêtre abandonné par sa mère Jeanne, l’ai poussé vers les autres. Sa vie commence au croisement de diverses douleurs : avec la perte d’un enfant de ses amis, avec le poème de Ritsos Forme de l’absence,  puis avec la découverte d’un chien « crevé, salé, ensablé » en Grèce en 1978. Mort sur la plage, il lui rappelle à la fois Pasolini et le chien de son enfance. Une scène qui préfigure la lutte de Vitez contre toutes les oppressions.

Au fond, l’autrice Marie Etienne  donne aussi par ses écrits successifs une « forme »  à l’absence du metteur en scène si estimé, une absence dont elle explore tous les recoins. Revivant ainsi à sa façon cette poésie de Vitez qui transcende sa mise en scène.

Notes

  1. Marie Etienne : Antoine Vitez, le roman du théâtre, 1978-1982, Balland, 2000 ; En compagnie d'Antoine Vitez, 1977-1984, Hermann, Vertige de la langue, 2017.
  2. Antoine Vitez, Poèmes, POL, 1997. Vitez, metteur en scène, administrateur de la Comédie Française en 1988, après  son mandat à la tête du Théâtre National de Chaillot.
  3. Dixit Yann-Joël Collin, Antoine Vitez, sa transmission,  théâtre  les Deschargeurs, 21 octobre 2018.

    Présentation de l’auteur

    Marie Etienne

    Après avoir passé son enfance et son adolescence en Asie du Sud-Est puis en Afriques noire, Marie Etienne s'est installée à Paris. EPoète, romancière et critique littéraire, elle fut la collaboratrice d’Antoine Vitez. pendant dix ans et participe à  "La Quinzaine littéraire" depuis 1985.

    Elle a reçu le prix Mallarmé en 1997 et le prix Paul Verlaine de l'Académie française en 2011.

    La Longe, Temps actuels, coll. « La Petite Sirène », 1981

    Lettres d'Idumée, précédées de Péage, Paris, Seghers, 1982

    Le Sang du guetteur, Arles, Actes Sud, 1985

    La Face et le lointain, Moulins, Ipomée, 1986

    Katana, dessins de Sandra Monciardini, Scandéditions, 1993 

    Anatolie, Flammarion, 1997, Prix Mallarmé

    Roi des cent cavaliers, Flammarion, 2002 

    Dormans, Flammarion, 2006

    Le Livre des recels, Flammarion, 2011, Prix Paul Verlaine de l’Académie française

    Poésie, prose

    Éloge de la rupture, pointe sèche de Christian Rosset

    Ulysse fin de siècle, Plombières-lès-Dijon, 1991

    Les Passants intérieurs, Virgile, Fontaine-lès-Dijon, 2004

    Les Soupirants, Virgile, 2005

    Haute Lice, Corti, 2011

    Cheval d’Octobre, Tarabuste, 2015

    Romans

    Clémence, Balland, 1999

    L'Inconnue de la Loire, La Table ronde, 2004

    Théâtre

    Antoine Vitez, le roman du théâtre, 1978-1982, Balland, 2000

    En compagnie d'Antoine Vitez, 1977-1984, Hermann, Vertige de la langue, 2017

    Antoine Vitez et la poésie, In’hui/Le Castor astral, « Les passeurs d’Inuits », 2019

    Histoire

    Sensò, la guerre, Balland, 2002

    L'Enfant et le Soldat, La Table ronde, 2006

    Cinéma

    Les Yeux fermés ou Les Variations Bergman, Corti, En lisant en écrivant, 2011

    Anthologies

    Dont elle est l’auteur 

    Poésies des lointains, Actes sud, Arles, 1995

    Cent ans passent comme un jour, 56 poètes pour Aragon, Dumerchez, Creil, 1997

    Dans lesquelles elle figure 

    Fabio Doplicher, Poesia della metamorfosi, Roma, Quaderni di Stilb, 1982

    Henri Deluy, L’Anthologie arbitraire d’une nouvelle poésie, 1960-1982, Flammarion, 1983

    Christian Descamps, Poésie du monde francophone, Le Castor astral/ Le Monde, 1986

    Robert Sabatier, La Poésie du vingtième siècle, Albin Michel, 1988

    Henri Deluy, Poésie en France 1983-1988, Une anthologie critique, Flammarion, 1989

    Eugen Helmlé, Résonances, Poètes français depuis 1960, Bavière, München Kirchheim, 1989

    Jorge Fondebrider, Poesìa francesa contemporenea 1940-1997, Buenos Aires, Libros de Tierra Firme, 1997

    Pascal Boulanger, Une « Action poétique » de 1950 à aujourd’hui, Flammarion, 1998

    Henri Deluy, Une anthologie de circonstance, Fourbis,1993

    Liliane Giraudon, Henri Deluy, Poésies en France depuis 1960. 29 femmes, Stock, 1994

    Michael Bishop, Contemporary French Women Poets, vol. II, Amsterdam, Atlanta, Rodopi, 1995

    Anne Struve-Debeaux, Petite Anthologie de poésie française francophone, Tokyo, Shichôsha, 2001

    Hoàng Hung, Les Nouveaux Poètes français des trois dernières décennies, l’Association des écrivains, Hanoi, 2002

    Yamily Yunis, Poesìa francesa hoy, una antologìa, Lima, Pérou, Jaime Campodonico, 2002

    Mary Ann Caws, The Yale Anthology of Twentieth-Century French Poetry, New Heaven, London, Yale University Press, 2004

    Yves di Manno, 49 poètes, un collectif, Flammarion, 2004

    Mohammad Ali Sepanlou, La Poésie contemporaine française, 1950-2004, Téhéran, Saless, 2005

    Waine Miller, Kevin Prufer, New European Poets, Minnesota, Graywolf Press, 2008

    Marilyn Hacker, Unauthorized Voices, Essays on Poets and Poetry, 1987-2009, Michigan, The University of Michigan Press, 2010

    Marilyn Hacker, A Stranger’s Mirror, New and Selected Poems, 1994-2014, New-York, London, W.W. Norton &Company, 2015

    Gérard Cartier, En Vivo, Una antologìa de la poesìa francesa actual, Buenos Aires, Leviatàn, 2015

    Valentina Gosetti, Andrea Bedeschi et Adriano Marchetti, Donne. Poeti di Francia e Oltre. Dal Romanticismo a Oggi, Italie, Giuliano Ladolfi Editore, 2017.

    Yves di Manno & Isabelle Garron, Un Nouveau Monde, Poésies en France. 1960-2010, Flammarion, 2017

    Donne. Poeti di Francia e Oltre. Dal Romanticismo a Oggi. Sous la direction de Valentina Gosetti, Andrea Bedeschi et Adriano Marchetti, Giuliano Ladolfi Editore, 2017 (ISBN 978-88-6644-349-0)

    Marilyn Hacker, Blazons, New and Selected Poems, 2000-2018, Manchester, Carcanet, 2019

    Jean-Yves Reuzeau, Nous, avec le poème comme seul courage, Le Castor astral, 2020

    Essais (ouvrages collectifs)

    « Antoine Vitez, professeur au conservatoire », in Les Voies de la création théâtrale, CNRS, 1981

    Les Poètes et la Prose, in Formes poétiques contemporaines, Paris-Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2006

    L’Embrasure et le Monde, The Doorway and the World, Women in Contemporary French-Language Poetry, traduction Dawn Cornelio, Beyond Frenh Feminisms, Palgrave Macmilan, USA, 2003

    Livres d'artistes

    avec les peintres Gaston Planet, Boulay, Bertrand Bracaval, Jean-Michel Meurice, Jacques Clauzel, Michel Mousseau

    Émissions radiophoniques

    La Distraction, par Christian Rosset et Marie Étienne, France Culture, 1996.

    Hamlet, par Marie Étienne, Les Nuits magnétiques, 1994, avec des entretiens et des extraits du spectacle monté par Antoine Vitez en 1982.

    La Nuit rêvée de Marie Étienne, France Culture, novembre 2012.

    Poèmes choisis

    Autres lectures




    L’Intranquille 19, revue de littérature

    J’aime le titre de cette revue  L’Intranquille. Il se peut  que l’adjectif, mué en substantif, illustre l’état le plus évident de mon esprit souvent en mouvement, parfois hagard, parfois heureux, parfois … parfois !

    Comment  cette revue de littérature inscrit-elle dans ses pages l’absence de calme, la pénurie d’immobilité, le refus d’être un roc figé, bref  l’angoisse ou  l’inquiétude positivée dans l’écriture ? 

    Des transformations naissent d’abord au niveau de l’oreille. L’écrivain Patrick Quillier, traducteur de Pessoa, valorise cette intranquillité comme moteur indispensable de la création. Il évoque sa propre « écoute sensible » à l’autre. Il en a tiré les «  voix éclatées »,  tragédie  d’un village en guerre qui est mué en véritable épopée du monde. Son attrait pour la musique dérive de sa « curiosité infatigable » pour les voix et les langues étrangères.  L’intérêt porté à leur sonorité est tel qu’il est même prêt à s’intéresser aux novlangues administratives ! 

    L’intranquille 19, revue de
    littérature, octobre 2020, 84
    pages, 18€

    Des mutations s’inscrivent dans l’histoire des traductions. Nathalie Barrié explore deux traductions de Joyce. La fluctuation entre les travaux de Morel et de Valéry Larbaud révèle en quelque sorte deux Joyce, dont l’un est plus moderne et plus vivifiant que l’autre. La seconde traduction semble plus conforme que la première  aux distorsions joyciennes de la langue anglaise. Ainsi celui qui pense être allé « au bout de l’anglais », invite de ce fait  traducteurs et commentateurs à aller au bout de la traduction.

    Des approches différentes  d’un bestiaire explorent la « révolution animale ». Elles peuvent signifier une transformation de l’intérieur.  Ainsi l’éclosion selon Adeline Baldacchino concerne  « toute chair qui s’apprête à se quitter elle-même pour donner naissance / à l’autre qui ne sera pas le même ». Elle est une « éternelle parturiente », un « bel animal a caresses à mémoire à parole, ébauche en tout d’une imparable perfection ».

    De telles transmutations conduisent à un processus de métamorphose, cette naissance à soi si chère  à Victor Hugo : elle fait « sortir des mots au moyen des mots : arracher le poulpe de son rocher, extraire le nautile de sa coquille, le poète de son milieu ».  Ainsi Marie-Claude San Juan, développe au fond d’elle-même son être animal : «  j’ai été escargot, j’ai eu l’âme de tortue, j’ai croisé un chat-guérisseur serpent ». A sa façon, Céline de-Saër esquisse le chemin de  la chrysalide « qui file le cocon, le transforme en caverne » Elle « tisse un mot après l’autre entre les silences qui gouttent à goutte ». Elle entend « le passage d’oiseaux et de mots migrateurs » en un murmure. Résultat de cet assemblage et de ces migrations l’invention de   mot-valise1, le « colicabri ».  Ce mot-valise est obtenu par le processus de condensation de deux termes. Dans le même élan, Albane Gellé  invoque  la baleine - muée en thérapeute -  dont le chant « vibresoigne ».

    Des modifications de signification surgissent pour preuve de mouvement et d’intranquillité d’esprit de l’auteur. Cédric Lerible met en  jeu les proximités sonores en détournant leur sens : « On prouve par des pieuvres. On juge sans pieuvres ». Il influence les mots pour leur attribuer un nouveau sens : « avoir le vent en poulpe, se coucher avec les poulpes, bouche en cul de poulpe » .…Il préfère le « cri du poulpe qui s’entend à la fois comme foule et peuple, son silence inquiétant et sous-jacent : sa vox polypi ». Selon le même mouvement ludique, Anne Recoura invente un jeu entre les mots et les bêtes : « le morse vache marine/mord les hommes. « En des temps loufoques », on imite le cri du phoque ! Le « gabian ne tolérera pas/les gabions2  militaires ».  Il trouve pour se nourri « des restes de kebab. 

     Modification parfois liée à une atmosphère parfois baroque, parfois insolite où l’artiste pénètre un autre monde. Il peut être plutôt baroque avec Aldo Qureshi : Les « paupières » du Livre des oiseaux s’écartent. Des flots de plumes s’en échappent et prolifèrent : de perroquet, de toucan, de barbican, de calao, de gobe-mouches, de souimanga.  Il peut inviter à un monde insolite avec Yekta qui rencontre un « Homme qui pèche dans les vents», découvre des « chiens portés par les brouillards », « des âmes qui aboient », «  un ossuaire caché des oiseaux tristes » et « une araignée suçant les soleils /piégés dans la toile », et « des loups blancs comme l’horizon ». Tel est son bel univers de « prières épuisées».

    Notes

    (1) Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient.
    (2) Gabion, cage recouverte de grillage.




    Florilège, revue trimestrielle, n°174

    Recevoir en bloc un florilège de Florilège peut surprendre : 5 numéros d’un seul coup, une année de cette revue à découvrir. Un tel privilège permet d’en saisir la logique et la continuité, tout en limitant les effets de hasard.

    Avec sa couverture brillante et épaisse en quadri et son look à l’ancienne, chaque exemplaire est en quelque sorte protégé par une citation, laquelle instaure une certaine communication. Cette dernière évoque les liens entre les arts ou les êtres,  le contenu d’un art ou l’âme d’un artiste : tantôt Léonard de Vinci (« La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir »), tantôt Matisse (« Un ton seul n’est qu’un couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie »), tantôt Baudelaire (« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie »), tantôt le psychanalyste jungien Guy Corneau  (« Lorsque nous mettons des mots sur les mots, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits »). A la une, un tableau contemporain marque sa quête trimestrielle : un remarquable trompe-l’œil-rébus de Bruno Logan illustre ainsi des « romans terrifiants à tomber dans les pommes » dont Bram Stoker, Lovecraft, Allan Poe, Shelley.

    Florilège, revue trimestrielle de création littéraire et artistique, 56 pages, du n° 174 (mars 2019) au 178 (mars 2020), 10€

    Chaque numéro conjugue les forces des « poètes de l’amitié » et des « poètes sans frontières » sous l’égide de deux auteurs-compositeurs-interprètes puissamment engagés (Jean Ferrat et Charles Dumont). Il montre que l’association participe systématiquement à des lectures dans les Ehpad et les maisons associatives ou à divers hommages à ses mentors. Une large part de la revue est réservée aux « créations » (une vingtaine de pages) avec un attrait spécifique pour les sonnets et les vers alexandrins et avec une ouverture discrète à la prose. Une poésie qui se veut un « subtil mélange d’un être qui sent, qui souffre, qui jouit, qui est vivant et qui veut dépasser ses propres ombres au nom d’une Lumière supérieure, celle du grand art », selon Michel Lagrange (n°177). Elle nous rend « plus ouverts au monde » (néanmoins sans nous apporter le bonheur).

    On sent de part en part le plaisir de chacun à se promener dans le jardin des mots. Une dominante générale lui donne une tonalité particulière où la simplicité se mêle au bon cœur. Quelle raison d’être du poème ?  Maurice Amstatt évoque la retraite, Gérard Mottet sa terre natale, Stephen Blanchard l’amitié… « L’écriture ne sert qu’à dompter la peur », affirme Adeline Baldacchino. Parfois le poète surprend par son goût de l’homonyme (même orthographe et/ou prononciation) « J’ai / Dit Gérard / un geai rare / Couleur / Jais », précise Jean Faux (n°175) qui, dans un autre poème, évoque « L’apprenti maçon / Qui taloche une cloison / S’est pris une taloche / Par son père décrépit / Qui décrépit un mur ».  Quant à Claude Dussert, il loue Baudelaire avec des acrostiches ou s’amuse à imaginer l’avenir de la poésie (très posthume!) après l’intervention de …l’intelligence artificielle.

    Pas de frontières pour les poètes. Ainsi on découvre les poètes tzantiques d’Equateur (dérivé de tzantza, tête réduite des Jivaros) qui rejettent radicalement « les valeurs bourgeoises dès 1962 (n° 178). Le très beau poème d’Euler Granda révèle cette créativité d’Amérique du Sud : « Ici Equateur / blessure de la terre, / os pelé / par le vent et les  /… Ici / la faim / Indiens battus à coups de pied comme des bêtes». Ainsi la revue participe à la Journée internationale des droits de l’homme. Dominique Simonet rappelle l’histoire de la photo d’Aylan, cet enfant noyé au bord de la mer Egée : « Aylan semblait dormir, allongé sur la plage / Bercé par une vague au sommeil de la mort ! »  Cet enfant syrien exprime à lui seul le destin de tous les migrants, ces « malchanceux perdus, cueillis en fleur de l’âge (…) Tous ont vu leur songe, au-delà de la mer : / Bonheur, richesse et paix dans les flots d’espérance. » (n°178). A côté, une photo du « tapis » exposé à Dijon  qui mentionne les noms des 17 306 personnes noyées en Méditerranée en tentant leur migration vers l’Europe. Rêve romantique des gitans de Jean-Claude Fournier: « Danse pour moi, fille de braise,/ Corps captivant, corps enjôleur,/ Joue-toi des flammes tout à son aise/ Mais ne joue pas avec mon cœur ! » (n° 177).

    Il se peut que la revue cherche l’universel dans les cœurs poétiques. Un poème de Victor Hugo, qui chante les « millions d’étoiles » de la Voie Lactée (extrait de Abîme, n° 176), illustre bien la profusion de cette quête de Florilège. Pour preuve, la revue rend hommage aussi paisiblement à Saint John Perse qu’à Maxime du Camp ou à Renée Vivien.




    DISSONANCES, Feux, n°38

    Les dissonances prennent « feux » ! Décidément ce numéro de la revue risque de s’enflammer et de finir brûlé comme dans Fahrenheit 451! On connaît l’originalité durable de cette revue. Choisir des poèmes pour leur qualité d’expression et non pour la gloire du nom de l’auteur/autrice (dont le nom est masqué aux sélectionneurs). Une extravagance à l’heure où les auteurs ou éditeurs connus sont une pré-publicité, donc méritent a priori une consécration.

    « Écrire est une pulsion », décrète Alexandre Gloaguen à la page 38 de la revue Dissonances. Je suis prête à le croire. Je l’ai toujours pratiqué. Ma « pulsion » m’incite aujourd’hui à m’interroger philosophiquement : « Peut-on dissoner dans la dissonance ? ». Un peu comme si je demandais : peut-on manquer de manque ? ou pire : quel est le néant du néant ? Dissoner dans la dissonance impose-t-il d’imposer l’harmonie… Être en accord avec le dissonant impose-t-il d’entrer dans le flux débridé d’une anarchie délicieuse ?

    Le dossier Feux m’incite à une promenade à travers les prénoms (puis les noms) des artistes-auteurs-autrices qui y ont collaboré : deux Aline (Robin et Fernandez) et deux Mathieu (Le Morvan et Marc) et deux Benoit (Baudinat et Camus) et deux Louis (Zerathe et Haëntjens), une seule Perle ou Miel. Une telle forêt de syllabes qui se croisent à Mauges-sur-Loire (domiciliation de la revue) me fascine sans porter à conséquence, même si j’ai déjà planché sur cette revue pour RAP en 2017.

    DISSONANCES, Feux, n°38, Revue pluridisciplinaire à
    but non objectif, Eté 2020, 48 pages, 5€,

    Les mots qui disent l’incendie (contre-feux, pyromane du business, brûlante question, flammes d’encre, etc.) dans l’édito de Côme Fredaigue sont naturellement plus impératifs que les mots « inondation, aération », etc... Comment échapper aux mots portant en eux des flammes ! Oui, mais quelles flammèches, réelles ou figurées ? En vérité, chacun se consume selon son propre feu dans ce Dissonance là,  tout comme jadis  régnait le « à chacun ses besoins2 ou selon son travail ». Aujourd’hui, c’est à chacun selon ses désirs brûlants dans notre monde  à la carte.

    Le feu est d’abord le feu réel, tout en flammes et en braises. Ainsi Lionel Lathuille estime « qu’il n’y a pas d’autre possibilité pour obtenir la chaleur que de mettre le feu à l’habitation ». « Méconnaît la nuit celui qui retire ses mains du feu » (…) « Méconnaît la vie celui qui retire son pied du feu » dit ce poète qui « emboîte le pas au feu qui nous traverse ». Pour un autre romancier Thierry Covolo, une autre maison brûlant pendant la nuit.  Le « prétentieux » manoir Hunter « construit pour les autres » « qui confère respectabilité et pouvoir ». Le propriétaire « carbonisé » est identifié grâce à ses plombages. A la fin de cette nouvelle à l’américaine, la narratrice allume une cigarette ! Il se peut qu’une voiture flambe en une « nuit Cheyenne » de Benoit Camus. Il se peut qu’une forêt flambe en Amazonie, « on éteint le feu qui arrache les poumons de la terre », précise Stephanie Quérité. Ce feu réel peut être celui – terrible - de la bombe atomique : ainsi le seul journaliste à Nagasaki, (cad William Leonard Laurence) est évoqué par Joseph Fabro. Il « marche toute la vie avec le feu et son mensonge,  (…) comme un cancer dans le ventre, comme un incendie à l’arrière de la pupille ».

    Le feu peut être celui de l’amour.  Ainsi Christophe Esnault qui décrit d’abord « une adolescence sans flamme (sans amour) sans vie ». Plus tard, il retrouvera autrement cette adolescence manquée : « C’est avec la peau et les baisers que l’on fait les feux les plus hauts ». Le feu de l’amour peut se transcrire en une version persane. Ainsi Clément Rossi évoque cette amoureuse qui l’enlace « si fort » qu’il sentira « des mois après le dessin de ses mains » sur ses omoplates et « le relief de ses omoplates »   sur ses propres mains. Et pourtant, « Lou va arriver et j’ai déjà hâte qu’elle reparte pour… rêver ». Voilà qui nous transporte chez le poète Qays-Madjoun et Leyla, conte où la Leyla rêvée est plus importante que la femme réelle. L’amour d’une femme est-il plus important que celle qui le suscite ? Cependant l’amour peut être un hymne de Miel Pagès à Médée, ce « volcan parmi les étourneaux », cette « petite-fille du soleil » : « Il m’a semblé qu’elle pouvait être belle si des flammes lui léchaient le fente ».

    Et il peut aussi être celui du langage, lorsqu’il est cet adjectif signalant  les décès : « Feux les exécutés » par Benoit Daudinat. Dans la liste des hommes exécutés au Texas, l’un Troy Clark qui écrivait des poèmes, a noyé une femme dans sa baignoire et disposait d’une arme à feu (22 colibris) ; l’autre Jeffrey est meurtrier révolté d’un agent de police : « tous ces bouffons de flics, assassins de gamins innocents ».

    Et puis j’ai une ferveur pour les  énigmatiques  les « en-allées » de Catherine Bedarida « éloignées / du feu des volcans /  les en-allées marchent pieds nus ». Sont-elles des mortes ?  Des braises ?  Des étoiles ou des laves ? Qu’importe d’ailleurs puisqu’elles s’en sont allées… sans disparaître de sa mémoire. Au matin, elle se lavent « dans un reflet de ciel », « elles marchent / hébergées par le vent le ciel l’horizon ». Je les rêve.

    Notes

    (1) 451 degrés, température où le papier s’enflamme version Farenheit, soit 232,8  degrés en version celsius.

    (2) Louis Blanc 1839, puis Marx 1875.