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Georges de Rivas, La beauté Eurydice, Sept Chants pour le Retour d’Eurydice

La Beauté Eurydice, un titre qui place le recueil sous les auspices d’un horizon d’attente dense, très dense et habité par toutes les mythologies, celles qui ont traversé le temps et se sont chargées des historicités jusqu’à cette histoire d’Orphée, et d’Eurydice. Alors comment le poète gère-t-il cette référence ?

Est-ce une évocation dans la littéralité de laquelle il va placer ses propos, s’agit-il d’une lecture moderne du mythe, ou bien de prendre le contre-pied de ces imagos ancestraux ? C’est tout à la fois, et c’est ceci qui confère à ce livre un caractère exceptionnel. Georges de Rivas en virtuose joue de toutes les partitions avec une aisance que n’égale que la beauté des poèmes qui constituent cet ensemble. Est-ce cacophonique, est-ce un mélange arbitraire d’éléments épars ? Loin de là ! Tout est agencé de manière à révéler la richesse des références convoquées, non seulement dans une lecture des paradigmes, mais aussi dans la juxtaposition des voyages et adaptations du mythe. Et puis, surtout, nous entendons, enfin, après des siècles de mutisme, la voix d'Eurydice.

Georges de Rivas écrit une prose poétique tout à fait remarquable. Elle sert un dialogue entre Orphée et Eurydice, et grâce à la fluidité de cette poésie tissée comme une dentelle translucide et coulant comme une source de montagne toute la douceur mais aussi toute la puissance de cette femme à qui enfin on donne la parole est là, offerte, dans l’émotion de cette langue superbe.

 

Georges de Rivas, La Beauté Eurydice, Sept Chants pour le Retour d'Eurydice, Editions Alcyone, collection Surya, 2019, 82 pages, 19 €.

L’immense palette des sentiments évoqués grâce à cette prose poétique et la finesse d’analyse servent une thématique pourtant objet de tant de recueil, de livre, de tentatives pour en tracer la magnificence :  l’amour. La dédicace dit déjà ceci, ce cadeau d'aimer et d'être aimé/e : A ma muse, mon Eurydice retrouvée / Source d'eaux-vives d'où a jailli le fleuve / du poème aimanté par sa Présence-Absence. L'épigraphe d'œuvre souligne l'importance de ce sentiment, le plus haut qu'il nous soit donné de ressentir :

 

La beauté ne fait pas l'amour
C'est l'amour qui fait la beauté

Lev Tolstoï

 

Mais ici le poète parcourt toute l’étendue de ce sentiment. Il y a l’amour pour l’être élu de notre cœur, et il y a l’amour cosmique,  au sens spirituel, celui qui fait que l’on ouvre son cœur et que l’on accueille chaque parcelle de ce qui advient avec un sourire lumineux. Ces deux polarités d'expression de l’amour, individuel et universel, sont ce qui guide le dialogue entre les deux figures mythologiques du récit. La palette des sentiments est explorée avec ce point de vue éminemment spirituel qui lie le particulier au tout.

Eurydice enfin s’exprime. Elle porte la parole révélatrice de toutes les dimensions qu’elle a côtoyées. Elle parle pour ouvrir à la profondeur du silence. Elle est créatrice, femme unique et multiple. Et elle sait, et elle guide. Un paysage cosmique se révèle, une toile pure tissée par le regard spéculaire de l’homme sur sa condition d’être là, en vie, et sur les raisons de nos existences, aimer, bien sûr.

Ce long chant est aussi discours sur la poésie, chant sur le chant, et redécouverte d'un lyrisme revisité par la beauté de chaque mot déposé en juste place comme une pierre précieuse sur le diadème de la littérature.  Eurydice est cette femme muse et enchanteresse, elle est la poésie, aussi...

 

Orphée

Je vous ai reconnue, promesse et présence de la poésie
Cœur rayonnant de ce soleil dans la nuit
Et comme l'âme infinie
Ô beauté rue à ce seuil voilée sous l'arche des nuées
Mon cœur foudroyé sur ce duel instant vous a aimée !

 

Puissance de ceci, le mythe. Prégnance des universaux qu’il déploie. Et comme il est encore difficile d’en appeler à ces références qui demandent une croyance autre qu’en celle d’une immanence absolue d’exister. Encore faut-il croire en ce socle des humanités, faut-il y voir l’espace d’une communion possible. Loin bien sûr de toute obédience, encore faut-il désirer interroger les représentations qui à notre époque fleurissent partout, sur tous les écrans. Celui de notre imaginaire aura tout intérêt à fréquenter La beauté Eurydice, car la richesse et l’épaisseur sémantique du mythe, donc de l’humanité, y sont offertes, données à voir, à comprendre et à ressentir dans toute la puissance des émotions à jamais présentes dans la poésie qui ici révèle l'immanence de ces socles universaux présents dans chacune de nos respirations.

Présentation de l’auteur

Georges de Rivas

Georges de Rivas est né dans une famille d'origine andalouse. Ses deux langues maternelles sont l'espagnol et le français. Son œuvre s'inscrit dans le sillage du lyrisme épique habité par  le thème de l'exil et le souci d'une poésie de l'élévation voire de la révélation. 

Il a publié : «  La Rose circumpolaire » « Jubilé de l'Exil » «  Ce que la Colombe dit à la Rose » « Orphée au rivage d'Evros » aux éditions du petit Véhicule en 2017  ainsi que « Orphée, Zéphyr en Azur » aux éditions Bibliotheca Universalis

Sa dernière œuvre : «  la Beauté Eurydice »  publiée en Avril 2019 aux éditions Alcyone a reçu  le Prix Orphée-Eurydice .

Un Essai sur la poésie : «  La Poésie au péril de l'Oubli » a été publié en 2014 aux éditions de L'Harmattan. Le sous-titre de l'Essai est le suivant : « Neuf poètes levés dans la poussière d'or de la Nuit » . Le poète évoque dans cet Essai les grandes figures de la poésie universelle Hölderlin, Novalis, Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Saint-John Perse, René Char et Salah Stétié.

Invité spécial au Festival international de poésie «  Letras en La Mar » à Puerto-Vallarta ( Mexique) en 2017 il a reçu la plus haute distinction -El Caracol de Plata – L'escargot d'Argent-  

Le mystère orphique est sa source d'inspiration et sa Conférence inaugurale était intitulée :

« Orphée au rivage de l'Hèbre ou le mystère de l'échophanie » 

Invité par l'Université de Saint-Denis de la Réunion pour le Bicentenaire de la naissance du poète Leconte de Lisle, il a donné le 9 février 2018 une Conférence intitulée :« Leconte de Lisle dans son rapport à Orphée » Sous-titre   « Le chant qui n'étant plus est toujours entendu ». ( extrait du poème Khirôn de Leconte de Lisle )

Il est également l'initiateur du Printemps des poètes -Festival international Poésie-Monde qui se déroule tous les ans au Château de Solliès-Pont dans le Var.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Autres lectures




Georges de Rivas, Eurydice, la Voix du silence, table-ronde du printemps des poètes 2019

Eurydice, Ecoute et Voix du silence, Muse de la poésie orphique

  La Quête d'une langue du Paradis

 

Je veux ici poursuivre ma réflexion esquissée au cours du Printemps des poètes 2019, dans le cadre de la Table-ronde que j'ai organisée au Château de Solliès-Pont sur le thème : « Eurydice ou la Voix du silence ».

Cet article fait aussi écho à ma dernière œuvre poétique parue aux éditions Alcyone ( Avril 2019 ) sous le titre «  La Beauté Eurydice ».

Alcyone est la plus importante des sept étoiles – les Pléiades- Elle signifie la paix et n'est pas sans lien avec la vocation d'Orphée, chantre du sublime amour, de l'harmonie et de la beauté qui par la grâce de son chant finira par charmer non seulement les Furies mais aussi le maître des Enfers Hadès et son épouse Perséphone.

« La Beauté Eurydice » procède de la même source d'inspiration que mes œuvres précédentes :  « Orphée au rivage d'Evros »  publiée aux éditions du Petit Véhicule en 2017 et Orphée, Zéphyr en Azur publiée en français et roumain aux éditions Bibliotheca Universalis en 2018.

Quelle magie pouvait incarner ce chant mythique du prince de la dynastie des poètes qui s'en alla jusqu'en enfer pour ramener son épouse Eurydice à la lumière du séjour terrestre ?

Galerie de l’Or du temps N°69 : Georges de Rivas, Orphée au rivage d’Evros, Editions du Petit véhicule, 2017.

Le Grec antique pour qui la mort était une hantise adhérait à cette vision du poète porté par le souffle de l'inspiration orphique : il vénérait les grands poètes nimbés du sceau cratylique, ceux qui accordaient leur souffle à la beauté d'une langue portée par les ailes d'un ample souffle rythme périodique. 

Revisitation de la légende d'Orphée,« La Beauté Eurydice » s'inscrit dans cette filiation littéraire, mythique et spirituelle .

Son originalité me paraît résider en un dialogue permanent entre Orphée et Eurydice, liés l'un à l'autre comme la parole au silence.

La beauté de cette œuvre m'apparaît inspirée par une vision orphique du monde et le souffle retrouvé d'une langue où la poésie et la musique, renouant leur alliance originelle déploient au-dessus du néant les ailes d'un lyrisme flamboyant.

J'espère que mes lecteurs seront sensibles à la veine poétique et musicale del' œuvre, à son ampleur imaginative et à sa profondeur harmonique .    

Eurydice se révèle ici comme la source d'eaux-vives d'où jaillit le poème aimanté par sa Présence-Absence . Le silence d'Eurydice est le philtre d'amour qui opère la magie enchanteresse d'Orphée. Ce chant est puisé à même l'essence du Logos, poème orphique en résonance avec le Verbe, l'Origine. Et peut-être Eurydice, haute voix du silence qui prend la parole, faisant écho au poème de Leconte de Lisle intitulé Khiron, a-t-elle voulu nous révéler, mystère demeuré mystère «  Le chant qui n'étant plus est toujours entendu » ?

 

Eurydice est à la fois l'Ecoute et la Voix du silence murmurant à l'oreille d'Orphée qui égrène la plainte de son chant sur le rosaire de son absence. La quête d'Orphée et l'élévation de son chant naissent de l'aiguillon de sa part divine, éternelle, l'ange invisible de l'amour intangible qui l'attend par delà les brumes fongibles du néant …

Orphée et Eurydice ne forment qu'une seule et même entité, portés depuis l'éternité par le souffle de l'Androgyne Primordial. Comme le Logos et le silence, ils baignent dans une seule et même substance d'amour. Et Eurydice précède Orphée comme l'Ecoute, la parole…

Matrice féconde, insondable mystère, elle est telle l'Alma Mater, la source inépuisable de son vers : l'origine de sa quête et de son chant tissé de désespérance et d'espérance. Elle est la primordiale voix du silence d'où émane le verbe des mondes.

Réverbération de la musique des sphères où vibra la lumière incréée, elle est la muse inspiratrice, le souffle de la nuit antérieure qui résonne dans l'ouïe intérieure du poète, l'oreille du cœur par laquelle Beethoven, dans le silence de sa surdité percevait les émotions du grand opéra de l'univers..

 

Gustave Moreau, Orphée.

Et n'est-il pas avéré que l'Opéra est né avec l'Eurydice de Giulio Cassini et Jacopo Peri en 1600, précédant l'Orfeo de Monteverdi en 1607 ? «  La lumière a un âge, la nuit n'en a pas » écrit René Char, aphorisme qui révèle métaphoriquement la nature du rapport d'Orphée à Eurydice.

Quant à l’œuvre initialement évoquée « la Beauté  Eurydice », il s'agit à la fois du livre de la présence-absence et de la lumière-amour dont est tissé la parole orphique : oraculaire, prophétique.

Evocation de l'éternel amour, poème où Muse de la poésie orphique, Eurydice sort de son silence et s'adresse à Orphée revenu sur terre, depuis  cet au-delà où elle séjourne encore !

Et comme l'augure l'une des acceptions étymologiques de son nom  «  Grande Justice », son apparition ne peut avoir lieu qu'en une fin des temps - Apocalypse qui verrait la transfiguration de l'Histoire  ou en ce pur instant d'éternité – petite apocalypse et révélation de la beauté dans la foudre enchantée du poème.

Souffle éthéré du silence d'où jaillit la poésie, La Beauté Eurydice s'accorde à la parole de René Char : «  Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot, mais il le prononce à voix si basse que nul ne l'entend jamais » .  La voix qui murmure derrière le mur d'éther silencieux où l'ont recluse les dieux, c'est la voix de la Muse de la poésie orphique, la voix d'Eurydice ressuscitée, Grande Justice réapparue derrière les closeries du plus haut silence !

Eurydice est la voix  du silence, l'ange tutélaire d'Orphée.« Ange, ce qui tient en nous ,à l'écart du compromis religieux, la parole du plus haut silence » écrit René Char

Elle est la  muse de la poésie orphique, miroir où se reflète l'Âme du monde, la source d'inspiration déjà évoquée de ce « chant qui n'étant plus est toujours entendu .

Par Elle,  la lumière de la parole est réverbéréeen l' âme d'Orphée.  Lumière de la parole dont la substance est l'Amour, Lumière- amour du Logos d'avant la lumière sensible, vibration du verbe dans le cristal du silence primordial. Et dans le jardin de son silence imprégné d'une pure substance d'amour, est perpétuellement éclose la rose d'une nouvelle parole sur l'Homme et le cosmos, née des noces de l'Eros et du Logos !

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II. Quête d'une Langue du paradis, mystère d'amour et présence du Logos.

 

Orphée et Eurydice forment avec Dante, seule figure ici de poète dont l'existence est attestée comme sa muse inspiratrice Béatrice un quatuor à cordes angéliques dont les fibres de l'âme résonnent de la traversée des cieux et des enfers.

Orphée et Eurydice, figures mythiques issues du ciel pré-chrétien,  de la Grèce antique vivent leur chemin initiatique comme descente aux Enfers, catabase à laquelle répond l'Anabase, ascension finale de Dante guidé par Virgile et Béatrice au livre III vers le Paradis. Or le mythe d'Orphée comme la Divine Comédie sont animés par la quête d'une langue du Paradis, marche dans l'indicible, élévation et aimantation de l'âme vers la lumière de l'impossible amour.

 

Orphée comme Dante figure de l'incarnation de la poésie orphique vivent le deuil irréparable et la quête de cet impossible amour. Seule une langue divine, un chant de l'Origine s'avèrent capables de délivrer cette parole magique, enchanteresse où les dieux et les hommes conversaient dans le Paradis . Au Chant 23 de la Divine Comédie Dante l'exprime avec lucidité . « et à la lumière vive transparaissait/la substance brillante, si claire/dans mon regard qu'il ne pouvait la soutenir. » Et elle (Béatrice) me dit : «  Ce qui t'abat/ est une force à quoi rien ne résiste./ Là est la sagesse et la puissance/qui ouvrit la voie entre ciel et terre,/dont jadis le monde eut un si long désir. »

Dante nous dit : «  ainsi mon esprit dans ce banquet/devenu plus grand, sortit de soi-même/et ne sait plus se souvenir de ce qu'il fit. »

..Si à présent résonnaient toutes les langues/que Polymnie fit avec ses sœurs/les plus nourries de leur lait si doux/pour me secourir/On n'atteindrait pas au millième du vrai, en chantant le saint rire,/et comme la sainte lumière le rendait pur ;/ainsi en décrivant le paradis/ le poème sacré doit faire un saut,/comme celui qui trouve la voie interrompue. » (Le paradis , p.219 ) .

Au seuil de cette parole impossible,  parole du plus haut silence se sont heurtés tous les grands poètes, « marche forcée dans l'indicible » pour  Char et Rimbaud s'écriant : « je n'ai que des mots païens » ne pouvant révéler son expérience intérieure au seuil d'une vision supra-sensible.  

« Les mots manquent » écrit encore Hölderlin qui se consume  dans le feu de son intuition ayant perçu le Logos comme l'origine de toutes choses !                          

René Char a saisi l'essence de ce mystère, l'identité narrative du Logos devenu langage, qui se déploie et se connaît lui-même dans le poème ! Sur un ton prophétique il dit la venue imminente du poème et sa vocation éminente : «  Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux ».

Dante a aussi éprouvé cette impuissance à évoquer par son verbe  cette splendeur de la Beauté que la poésie a vocation à dévoiler :« Il me sembla que son visage flamboyait, et elle avait les yeux si pleins de joie/qu'il me faut passer outre  sans en parler (p.217 . Ed Gallimard).

Georges de Rivas, La beauté Eurydice, extraits dits à deux voix.

Aussi devrions- nous nous tourner vers les fragments d'Héraclite : « A l'âme appartient le Logos qui grandit par lui-même » ou bien « Car le Logos est le bien de l'âme et prend en elle de la force ». Puissance du commencement est le mystère de l'Amour ,substance divine où s'origine le Verbe, la lumière de la parole poétique !

L'âme humaine et le Logos à jamais liés l'un à l'autre, prédestinés!L'âme humaine où brûle et s'embrase l'étincelle du Logos originel et éternel ! Quand retentit le dernier écho du Verbe, le Logos fait une place dans l'âme pour un monde nouveau, capable d'engendrer un commencement. Ce commencement, ce principe c'est le Logos prenant conscience de lui-même . Eurydice est la muse inspiratrice, l'écoute et le silence, l'absence où s'aimante l'origine de la parole : semaison et moisson de sons inouïs qui s'élèvent et fulgurent dans la nuit de l'âme poétique. Le regard de l'âme revient à l'origine et contemple le Logos dans son principe . La lumière de la parole résulte de ce commencement primordial. Et cette lumière de la parole qui apparaît et résonne dans la poésie émane de l'Origine ; elle est lumière invisible dont la substance est l'Amour. C'est là l'essence de la vision de Novalis  : «L'amour est le commencement et la fin de l'histoire du monde, l'amen de l'univers ».

Il ne s'agit pas de la précieuse et vitale lumière du jour, la lumière visible saisissable par les sens, en premier lieu par le sens de la vue, mais bien de la lumière numineuse de l'Origine. Il s'agit de la lumière de l'âme perçue par l'ouïe intérieure où se reflète l'âme du monde. C'est la lumière qui vibre dans la nuit où chemine Eurydice. Et cette lumière d'or qui auréole l'âme du poète est réverbération du Verbe des origines, émanation d'une pure résonance du Logos en l'âme du poète.

 

 

C'est que l'amour, la tombe, et la gloire et la vie,
L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie,         
Tout  souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix que le dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un immense écho sonore.

 

Victor Hugo au cœur de cet immense écho sonore, est l'image des poètes qui parlent la langue des échos, poètes échophones vibrant en ce pays de poésie que nous pouvons appeler Echophonie ! Et Victor Hugo nous précise sa vision : «  Car le mot, qu'on le sache est un être vivant, c'est le Verbe et le Verbe c'est Dieu ». Le poète dans sa nuit d'exilé porte en lui le souvenir de sa patrie spirituelle,  il en perçoit l'écho, celui d'un son  qui va l'éveiller à sainte réminiscence et le mettre en résonance avec cette vibration de la parole des origines, en cette singulière et double expérience échophonique et échophanique ! Et sur l'autel nuptial du silence et de l'éclair poétique, du son et de l'image lequel se voit investi de la préséance dans la fulguration du poème ? Chez les poètes orphiques, comme l'atteste Victor Hugo c'est cette expérience de l'immense écho sonore qui impose sa prééminence ! C'est dire que l'apparition de l'image, du poème écrit rendu visible  procède de cette vibration du verbe, cette résonance échophonique ;

René Char dévoile un pan de ce mystère poétique par ces paroles : «  Il faut que les mots soient pourvus de cet écho antérieur qui fait occuper au poème toute sa place, sans se soucier de ce réel dont il est la roue disponible et traversière ».Il s'agit bien de l'expérience «  d'un son levé avant nous ». Les mots sont investis d'un contenu de connaissance et d'une puissance de révélation ! Ils sont investis d'une charge affective-émotionnelle de pure essence cosmique. Parole tissée d'amour, le poème orphique se révèle comme l'accord renoué entre poésie et musique, telle qu'imaginée en cette Origine qui est le Verbe.  L'ouïe intérieure vibre à la musique des sphères ! Poésie et Musique sont en vérité unies comme le dit Jorge Borgès dans son  Essai sur la Poésie : « Nous avons mentionné le fait que dans la musique on ne saurait dissocier la forme et la substance et que c'est en fait  lamême  chose. Il y a lieu de penser que dans une certaine mesure le même phénomène se produit en poésie »

Pour Borgès, les mots ont été à l'origine des métaphores, échos de  la nuit antérieure,sonorités cosmiques originelles devenues images dans le langage de Poésie. Cette imagination poétique irriguait la vie des peuples de tradition orale, tels ceux du Nord de l'Europe. « Quand ils entendaient le mot Thunor, ils entendaient à la fois le sourd grondement dans le ciel , voyaient l'éclair et pensaient au dieu. Les mots étaient chargés d'un pouvoir magique » dit Borgès.

Gaston Bachelard déplore quant à lui la perte de la parole vivante : « En lisant les mots, nous les voyons, nous ne les entendons plus »

Ainsi devons-nous faire retour au sens originel de la Parole qui est  le sens du mystère, du Moi humain, du Moi d'autrui et du monde. Le Verbe, le chant de l'univers fut au commencement, avant l'écrit et Orphée est le poète inspiré par l' Ether, le messager de la Beauté conçue dans l'existence prénatale, le chantre en qui résonnent les grandes émotions de l'Univers . Il est réminiscence et présence du Logos, lumière-amour du chant, magie de la poésie qui enchanta les Furies de l'Enfer . Il incarne l' Espérance-Poésie au cœur tourmenté de l' Homme assiégé par les puissances du mal aux marches tragiques de l'histoire...Il garde intacte la flamme de l'amour qui ne fut pas emportée par Prométhée, héros de la liberté.

Il est l'espérance invincible de l'âme aux marches du temps et sa harpe divine berce sous les arches de l'éternité le grand dessein de la beauté qui sauvera le monde

Ainsi est-t-il le chantre de la dynastie des sons et des mots éclos au sein de ce cosmos originel où apparût le Logos essaimant ses déclinaisons harmoniques d'éternité en éternité dans le mystère de l'unité consubstantielle de la musique et de la poésie.

Ainsi est-t-il à jamais traversé par le grand souffle de l'amour où vibre sa voix-lyre qui aimante le vaisseau-terre chargé d'histoire sur l'océan du devenir.

 

Carolyne Cannella et Georges de Rivas.

Et son cœur qui palpite à l'unisson des émotions de l'univers et des passions humaines est la demeure de l'âme du monde où résonne l'écho de la nuit antérieure et son cortège de chants inouïs apparus  pour apaiser les tourments des Furies qui dévastent l'Histoire.

Dans son livre « Les Dieux antiques » paru en 1880, Max Muller trouve que le nom d'Orphée découle de l'indien Ribhu et Mallarmé s'en fait l'écho : « Ribhu paraît avoir été donnée, à une époque très primitive, au soleil. On l'applique dans les Védas à de nombreuses déités. « Le sens primitif d'Orphée » semble avoir marqué l' énergie et le pouvoir créateur. » (Mallarmé, O.C, p.1240) Ceci nous ramène à l'essence de la vision orphique du monde qui voudrait que l'univers apparu dans ses formes visibles ne soit que la cristallisation de vibrations sonores émanées du Verbe originel. De sorte que toute forme terrestre serait une vibration, une onde musicale comme ensorcelée dans la matière. C'est là l'idée de Maya avancée par la tradition hindoue pour désigner le monde apparent , dans le sens d'une réalité phénoménale issue de l'impulsion originelle du Verbe ou de présences numineuses.

Nomen, Noumen, mystère du rapport de l'invisible et du visible, Du Nom à son essence. Et le soleil est le lieu d'émanation de cette musique des sphères, de même qu'Orphée est voix-lyre descendue des hauteurs suprasensibles de l'univers pour enchanter le cœur de l'homme et toutes choses sur la terre.  Et c'est là sans doute le message des Védas. Les textes védiques évoquent la notion de « Shruti » mot qui signifie en Sanscrit le fait d'entendre. Et c'est le nom qui fut donné à la Révélation par les sages, les sept Rishis de l'Inde védique. D'où le sens de texte entendu ou texte révélé. Car il s'agit bien d'une connaissance intuitive, d'une audition intérieure ! Shruti est un mot composé signifiant à la fois oreille, audition et connaissance révélée. Texte-Parole saisi par illumination du cœur, par l'ouïe intérieure, c'est à dire l'oreille du cœur ! Orphée inspiré par sa muse, Eurydice, car ici encore elle est l'écoute, la clairaudience de l'âme de pure nature suprasensible.

 

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III. Orphée sous le regard de Leconte de Lisle

 

Or c'est là le message essentiel transmis par le poème de Leconte de L'Isle intitulé Khirôn où Orphée rend visite au Centaure. Car voici précisément ce que Khirôn qui s'apprête à quitter le séjour terrestre dit à Orphée sous forme d'éloges.

Ainsi divin Orphée, ô chanteur inspiré,
Tu déroules ton cœur sur un mode sacré.
Comme un écroulement de foudres rugissantes,
La colère descend de tes lèvres puissantes ;
Puis le calme succède à l'orage du ciel ;                            
Un chant majestueux qu'on dirait éternel
Enveloppe la lyre entre tes bras vibrante ;
Et l'oreille attachée à cette âme mourante,
Poursuit dans un écho décroissant et perdu
Le chant qui n'étant plus est toujours entendu.

Le Péléide écoute, et la lyre est muette !
Altéré d'harmonie, il incline la tête :
Sous l'or de ses cheveux, d'une noble rougeur
L'enthousiasme saint brûle son front songeur ;
Une ardente pensée, en son cœur étouffée,
L'oppresse de sanglots ; mais il contemple Orphée       
Et dans un cri sublime il tend ses bras joyeux
Vers cette face auguste et ces splendides yeux                
Où du céleste éclair que ravit Prométhée
Jaillit, impérissable une flamme restée ;

 

 

C'est Eurydice qui est l'ange gardien de cette flamme impérissable jusqu'à la fin des temps. Ainsi porte-t-elle son nom et sa vocation de Grande Justice pour l'accomplissement du grand Dessein de la Terre : l'Amour !

C'est l'écho du Verbe des mondes, la musique de la nuit antérieure qui résonne en l'ouïe intérieure ;  «Et du céleste éclair, jaillit une flamme restée » : il s'agit bien du feu que Prométhée a ravi aux dieux au nom de la liberté et au prix d'une terrible expiation! Mais en Orphée demeure une flamme impérissable et le mystère de la parole, de la création poétique dont il est dépositaire garde toutes ses chances, sa vocation à subsumer le malheur et à réenchanter le monde.

Et la poésie en son essence n'est-elle une sortie hors du champ  étroitement littéraire, cette échappée belle de la parole antérieure à l'écrit ? N'est-elle pas la vocation originelle d'Orphée, cette voix-lyre capable de subsumer le malheur et de transfigurer le chaos du monde par la beauté du Chant ?

 

Comme si le destin eût voulu confier
La flamme où tous vont boire et se vivifier
Au fils de Kalliope, au Chanteur solitaire
Que chérissent les Dieux et qu'honore la Terre. 

 

La voix-lyre d'Orphée demeure l'espérance du salut du monde , car à l'inverse de Prométhée, le fils de Kalliope est chéri des dieux et honoré par la terre . Orphée apparaît à la fois comme messager des rois et des dieux. Son pouvoir est dans sa voix et le Chantre le précise à Khirôn :

 

Cinquante rois couverts de brillantes armures
Attendent que ma voix te conduise jusqu'à eux ;
Tous m'ont dit :«  Noble Orphée, aux paroles de miel
De qui la lyre ardente enchante et la terre et le ciel
Va ! Sois de nos désirs le puissant interprète.

 

C'est tout son être au monde ,qui vibre dans sa voix indissociable de son écoute.  Tout n'est-il pas dit dans les vers déjà évoqués :

 

Et l'oreille attachée à cette âme mourante poursuit dans un écho le chant qui n'étant plus est toujours entendu.

 

C'est bien là l'écho de « l'invincible Nuit de silence chargée » la vaste nuit antérieure perçue par l'ouïe divine, l'oreille du cœur.

Leconte de Lisle dans une ultime résonance à ce mystère du Verbe décrit le départ d' Orphée «  ce même Etranger que nul n'oublie,/ Et qui marche semblable aux Dieux ! Son pas est tourné vers l'Olympe, et d'un pied souverain/ Il foule sans le voir le sentier qui serpente. »

Ainsi Orphée n'use pas de son regard humain pour marcher, c'est son ouïe qui le guide,« son front serein est tourné vers l'Olympe. » Khirôn accueille Orphée dans son antre et le salue par ces paroles :

 

Ta parole, mon hôte, est douce à mon oreille,
Nulle voix à la tienne ici-bas n'est pareille.

 

Leconte de Lisle salue dans les derniers vers le fils de Kalliope « à la belle voix » à l'instant où le chantre de la Thrace disparaît à la vue du peuple à qui il vient d'adresser  ses dernières paroles :

 

Il dit et disparaît. Mais la sublime Voix
Dans le cours de leur vie entendue une fois,
Ne quitte plus jamais leurs âmes enchaînées ;
Et quand l'âge jaloux a fini leurs années,
Des maux et de l'oubli ce souvenir vainqueur
Fait descendre la paix divine dans leur cœur. 

 

Ainsi la voix d'Orphée est-elle gravée comme souvenir inoubliable et immarcescible dans les âmes humaines, elle est immémoriale et demeure à jamais entendue. Elle est pure harmonie accordée par l'âme du monde aux âmes humaines qui baignent dans sa lumière. Cette lumière de l'âme chère est le sanctuaire où descend la « paix divine » Car l'âme est dépositaire du souvenir impérissable de «  la sublime voix entendue une fois ».

Et cette paix est l'aurore de nouveaux liens dans des cœurs unis dans l'amour divin car Orphée a vaincu pour tous le mal et l'oubli ! L'aurore que Mallarmé voulait voir dans des mots pareils à Euros, comme le mot Eurydice, la muse inspiratrice du soleil orphique, cette aube du jour éternellement nouveau dont les peuples anciens ne savaient pas au crépuscule du soir si elle serait là le lendemain ! Ainsi vit encore le poète «  flamme restée »de l'Origine en attente du poème où viendra filtrer la lumière de son âme aux persiennes de cette nuit plus ancienne que le jour et les ténèbres de l'Histoire !

Invincible nuit de silence chargé, silence qui pour la première fois fois a parlé et chanté, et qu'a entendu le Péléide, Achille, demi-dieu stupéfait se tenant  aux pieds de la voix-lyre d'Orphée, la voix dont Leconte de Lisle dit que «  la lyre est muette ».

Et le Centaure Khirôn dont la sentence de mort a été proférée par les Dieux se tourne encore vers Orphée :

Mais Hélios encor, dans le sein de Nérée,
N'entrouvre point des dieux la barrière dorée ;
Tout repose, l'Olympe, et la Terre au sein dur.
Tandis que Séléné s'incline dans l'azur,
Daigne, harmonieux roi qu'Apollon même envie,  
Charmer d'un chant sacré notre oreille ravie,
Tel que le noir Hadès l'entendit autrefois
En rythmes cadencés s'élancer de ta voix,
Quand le triple Gardien du Fleuve aux eaux livides
Referma de plaisir ses trois gueules avides,
Et que des pâles morts la foule suspendit
Dans l'abîme sans fond son tourbillon maudit !

 

Orphée et Eurydice, Auguste Rodin.

Le Centaure Khirôn est puni par les dieux pour avoir critiqué leur conduite, et il vient de perdre son statut d'Immortel. C'est à Orphée qu'il se confie car il incarne à ses yeux l'avènement de l'homme au statut divin.

Khirôn veut s'arracher au joug des dieux en proie aux passions  fantasques et aux jugements arbitraires. Il s'écrie :

 

Mais d'où vient que les Dieux qui ne mourront jamais/Les Rois de l'Infini, les Implacables Maîtres/En des combats pareils aux luttes des héros,/De leur éternité troublent le sûr repos ? Est-il donc par delà leur sphère éblouissante ? Une Force impassible, et plus qu'eux tous puissante,

 

Khirôn,le sage se confie au prince des poètes : il va payer comme Prométhée le lourd tribut de la liberté et de l'intuition morale du Bien et du Mal. Et s'il se tourne vers Orphée c'est parce qu'il est sûr que « la Beauté sauvera le monde » fût-ce à la fin des temps ! Et c'est ce que suggère comme nous l'avons déjà évoqué le nom de sa nymphe, muse et éternelle épouse Eurydice : Grande Justice ! Celle-ci ne pourrait devenir effective qu'en raison d'une finalité morale et spirituelle, une sorte d'apocalypse ou de fin des temps.

Orphée chantre de la Beauté la porte toute entière dans son être et cela a été perçu par le jeune Achille au bord des sanglots. La lyre était muette et le Péléide l'entendait, comme si elle émanait de la lumière de l'âme du Chantre de la beauté dans le temps et  l'éternité ! Comme si le chant qui venait d'outre-monde rayonnait par la seule présence d'Orphée.  Et c'est dans cet événement intérieur qu'est le poème, mythique et spirituel de Leconte de Lisle, un pur moment d'initiation,un nouveau commencement de l'Histoire de l'âme et de l'Âme monde. Le poème dit ce recommencement possible du mythe, où l'âme humaine inspirée par l'âme du monde vient à chanter à travers Orphée, présence de la Beauté immatérielle sculptée dans la forme admirable du poème où exulté des sonorités et du rythme de la parole, l'invisible se donne à voir dans le miroir de l'âme. C'est là un grand moment d'initiation où Orphée apparaît comme le vivant principe moral-spirituel de la création, comme le modèle humain divin de civilisation face à toutes les formes de la barbarie.

Ce principe de civilisation a pour nom la Beauté de l'âme et pour  boussole morale l'éthique de la vérité. La poésie est réminiscence et métamorphose de la clairvoyance originelle de l'Humanité et en tant qu'épopée de la langue vernaculaire de l' Ether de la lumière et du son, en tant qu épopée du Verbe, elle est unité de la beauté et de la vérité ! Elle est traversée du Léthé, Aletheia ! Elle est résonance au Aleph primordial dont Dieu ne s'est pas servi pour la création du monde : autrement dit il s'agit d'une sonorité en réserve, un son du silence de la nuit originelle qui s'anime dans le chant d'Orphée, dont on entend l'écho réverbéré dans l'éternité momentanée du poème. Tout est ici lié à l'Ecoute. Le son précède la vision, l'image sur l'autel nuptial du langage orphique.  Et cette sonorité originelle est celle de la voix du silence, c'est la voix même d'Eurydice qui murmure à l'oreille d'Orphée ! « Ecrire commence avec le regard d'Orphée » nous dit Maurice Blanchot, mais c'est un regard tourné vers le passé où Orphée voit Eurydice disparue comme une fumée emportée par le vent, un regard épouvanté qui se changera en ouïe guettant l'écho céleste du silence où s'est évanouie sa Bien-Aimée ! Et si Orphée a perdu à ce moment d'impatience son Eurydice, c'est parce que s'est produit en lui une défaillance de l'Ouïe. Orphée n'a pas su demeurer à l'écoute des pas légers d'Eurydice murmurant sa présence fidèle et déjà la joie de la sortie vers la lumière du Jour ! Et désormais seule son ouïe divine recouvrée peut compenser son incapacité à percevoir par ses yeux, la présence d'Eurydice, muse inspiratrice recluse dans les closeries de son silence cosmique !

Poésie naît de la nuit tourmentée d'Eurydice, de son silence habité comme de l'ouïe réenchantée d'Orphée. Cette ouïe intérieure vibre à jamais dans le poème orphique ; les sons de la lyre ont filtré par les persiennes de cette nuit où veille Eurydice, l'éternelle Bien-Aimée,  muse du poète Orphée qui est, comme Marcel Destienne en a fait mention dans son livre «  l'écriture  d'Orphée, cette «  voix qui ne ressemble à aucune autre » .

 

C'est Orphée qui engendre la lyre,  une lyre-voix qui «  jaillit comme une incantation originelle » et«  se raconte dans ses effets davantage que dans son contenu.

 

Et ce divin contenu, au pouvoir magique, nul ne l'a jamais entendu  et pourtant chacun peut croire un bref instant s'en être souvenu !.. Comme s'il écoutait aux portes de l'âme du monde où bat depuis toujours le cœur silencieux d'Eurydice !

 

Présentation de l’auteur

Georges de Rivas

Georges de Rivas est né dans une famille d'origine andalouse. Ses deux langues maternelles sont l'espagnol et le français. Son œuvre s'inscrit dans le sillage du lyrisme épique habité par  le thème de l'exil et le souci d'une poésie de l'élévation voire de la révélation. 

Il a publié : «  La Rose circumpolaire » « Jubilé de l'Exil » «  Ce que la Colombe dit à la Rose » « Orphée au rivage d'Evros » aux éditions du petit Véhicule en 2017  ainsi que « Orphée, Zéphyr en Azur » aux éditions Bibliotheca Universalis

Sa dernière œuvre : «  la Beauté Eurydice »  publiée en Avril 2019 aux éditions Alcyone a reçu  le Prix Orphée-Eurydice .

Un Essai sur la poésie : «  La Poésie au péril de l'Oubli » a été publié en 2014 aux éditions de L'Harmattan. Le sous-titre de l'Essai est le suivant : « Neuf poètes levés dans la poussière d'or de la Nuit » . Le poète évoque dans cet Essai les grandes figures de la poésie universelle Hölderlin, Novalis, Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Saint-John Perse, René Char et Salah Stétié.

Invité spécial au Festival international de poésie «  Letras en La Mar » à Puerto-Vallarta ( Mexique) en 2017 il a reçu la plus haute distinction -El Caracol de Plata – L'escargot d'Argent-  

Le mystère orphique est sa source d'inspiration et sa Conférence inaugurale était intitulée :

« Orphée au rivage de l'Hèbre ou le mystère de l'échophanie » 

Invité par l'Université de Saint-Denis de la Réunion pour le Bicentenaire de la naissance du poète Leconte de Lisle, il a donné le 9 février 2018 une Conférence intitulée :« Leconte de Lisle dans son rapport à Orphée » Sous-titre   « Le chant qui n'étant plus est toujours entendu ». ( extrait du poème Khirôn de Leconte de Lisle )

Il est également l'initiateur du Printemps des poètes -Festival international Poésie-Monde qui se déroule tous les ans au Château de Solliès-Pont dans le Var.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Autres lectures




Georges de Rivas : La Beauté Eurydice (extraits inédits)

 

Orphée à Eurydice

 

Je t'ai reconnue, Eurydice vêtue de ta robe éthérée

A tes lèvres de rubis et tes joues d'aube empourprée

Comme l'enfant prodigue entend l'angélus des prés

Dans les trilles d'un oiseau accordés à un Agnus Dei

Je t'ai reconnue plus vivante que la Diane des nuées

A la pomme de tes joues qui tel un feu de Poméranie

Illuminait l'éther du poème au regard du Dieu Agni

 

Je t'ai reconnue promesse et présence d'altière poésie

En cette mer pourpre où frénésie ourlée de hautes lames

L'Amour versa ce vin d'or scellant l'union de nos âmes

A son vaisseau qui voguait au gré d'une sainte fantaisie !

 

Et d'une amphore où rêvait à fond de cale ce pur diadème

Dont tu fus parée, reine du ciel de cristal et grâce du poème

Tu arbores, amour à toute rive la couronne à la lumière d'or !

 

Ô femme aimée, mon totem tatoué au vélin de la louange

Nue- parure et fleur du ciel au phare de ton regard d'ange

Tu vis au dessus de cette fange où naissent les nénuphars

Et t'élèves plus haut, fleur de lotus qui veille sur les eaux !

 

Tu es pureté du corps et de l'esprit,  âme très limoneuse

Tu règnes, seule plante levée au dessus des eaux boueuses

 Eblouissante sortie du fleuve insomnieux de la Nuit

Lotus sur les marais, lotus et luth vibrant de beauté inouïe !

 

Je suis habité par ta haute présence, oriflamme de l'Absence

Tu es autel sacré à sa divine flamme où s'allume ma flamme

Et l'éclat de la lumière-amour, c'est dans la nuit de tes yeux

Que je l'ai vue, Soleil de Minuit réverbérant le silence des cieux !

 

Les augures de la Montagne d'or avaient prédit

L'amour sorcier ou l'amour fou et sa rose inédite

Semée pour ceux que le mystère a choisi d'aimer

La Rose de l' Eden exhumée des cendres de l'Oubli

Qui n'est pas née de l'écume ni du sein d'Aphrodite

 

Or voici que tu t'es endormie aux rives du futur

Voici que tu demeures rêvant parmi les limbes

Muse nimbée de neige et d'un cortège d'augures

Et mon cœur a suivi cette route pavée d'oracles

Où rendu aveugle par les rayons ardents de l'Amour

J'ai vogué hors du temps et je suis devenu Voyant

O puits du divin silence, quelle étoile guide ma nuit ?

 

C'est l'étoile de l'Amour d'où s'élève cette ode nuptiale

Car Alphée ne suis-je poursuivant la nymphe Aréthuse

En forêt de Symphale, mais Orphée en quête de sa Muse

Eurydice, nymphe des forêts et Dryade à la grâce royale

Et l'étoile où Apollon me plaça, otage de son divin refuge

A neigé plus de larmes qu'il n'en fût aux eaux du Déluge !

Colombe immaculée, mon amour, vole vers l'arche de Noë !

 

Ode tissée de haute lice, ma lyre aux volets d'une onde pure

Et ses visions vermeilles mieux que le violet en l'iris de Suse

Chante aux violons d'une langue dont ta voix d'ange est l'épure

Or Alphée ne suis-je chassant Aréthuse aux portes de Syracuse

Mais Orphée, appelant Eurydice, son épouse et éternelle Muse

Et j'ai rêvé d'une aile d'or qui m'emportait vers cet autel nuptial

Où sanctifié notre amour laissa trace de sa grâce immémoriale  

 

Noétique est la voix des amants élevée en cette nuit chaotique

Elle est celle de l'Âme du Monde qui tranche le nœud gordien

De ténèbres qui fermèrent leur ouïe au chant de l'ange gardien

Or j'ai trempé mes lèvres dans le fleuve aux ondes chamaniques

Et je bois à ces eaux lustrales où tu nageais, naïade talismanique !

 

John Roddam Spencer Stanhope - Orpheus and Eurydice on the Banks of the Styx

Eurydice

 

J'ai vu la Mort à face de carême, son visage blême aux yeux de marbre de Carrare qui descendait depuis l'Anneau d'Oort sur son carrosse macabre rempli de spectres glabres et blafards comme l'aura des lunes hivernales !

 

J'ai vu la Mort au crâne de céruse qui voguait sur son coursier aux crinières de cendres guidé par des candélabres nimbés de nuit, leurs sept yeux troués par les sept sceaux des ténèbres !

 

La Mort et son cortège de ruses, ravie jadis de voir la couronne d'épées au front du tyran de Syracuse

la mort qui laissait échapper de sa Bouche d'Ombre des myriades de voix de Cassandre

Et leur timbre strident de striges, pareil à l'effet torpide du curare, plongeait dans une profonde sidération les neuf Muses pétrifiées en leur haute Constellation !

 

J'ai vu la Mort en son apparat de ténèbres ouvrant leurs yeux d'or  trompeur et sans carat dans les cieux vides

la mort surgie sur son traîneau de plomb où traînaient des plumes de palombes calcinées et ses yeux de sabre marbré où pleuvaient des larmes de sang jaillies aux orbites nues des Pleureuses et des flocons de neige noire aux orbes de sphères sans mémoire !

 

Et sur la vaste ellipse d'un astre aux apsides anoxiées deux foyers vides comme des pupilles de mort en coma

Et d'autres astres troyens exorbités exhibant encore la poussière d'une apocalypse à leur chevelure de trichoma !

J'ai vu un cortège d' astéroïdes troyens  échevelées qui, propulsés par l'ire de titans resurgis,  hélitroyaient des tyrans aux masques de démons fomentant des séismes et des autodafés !

Et d'autres entités qui hantaient depuis la nuit des temps le seuil d'éternité où se cache la Beauté

Sombres divinités au service du Malin qui troublent les mânes des morts, telle la sorcière qui dans l'opéra Orlando Furioso vole les cendres de Merlin !

 

J'ai vu encore depuis la Voie lactée une route lointaine encombrée d'ombres pensives qui tenaient conseil avec le peuple des elfes et l'Esprit des forêts

Et tous appelaient depuis l'héliopause où s'initiait de très grands souffles oraculaires

Tous appelaient le retour d'Orphée, le poète inspiré par l' Ether !

 

J'ai vu une âme couleur fleur de pécher guidant la nuée de génies   et voyants qui pressaient le pis d'or vermeil d'une étoile naissante à peine sortie de sa couche embrasée.

Et veillant avec Hölderlin sur l'alphabet divin, Rimbaud chaussé des cothurnes de foudre qui dansait sur les feux des novas ayant trouvé  la langue divine où se révèlent toutes choses au monde

 

J'ai vu Rimbaud exhaussé aux portes du firmament, arborant la grâce de la beauté en son âme nimbée du lys blanc, et son cœur très ardent saisi par l'éclair du pur amour où embaumait la rose rouge qui l'appelait depuis la Terre !

 

Orphée

 

Ô Génie de Rimbaud, en tes abysses encore vertes fuyant l'ennui des villes et des salons littéraires au fond d'obscures Abyssinies

Enfant des froides Ardennes parti pour le golfe solaire d' Aden où tu rêvas dans ta solitude abyssale d'ange déchu à l'Eden que le siècle te déroba !

Et depuis ton trépas, tu es devenu, âme très rebelle, un enfant de Marseille que la Vierge sur les Hauteurs pleura deux fois à ton entrée dans le port

Car tu portais à tes membres le poids de ta ceinture d'or et dans ton cœur de Voyant, le rosier arborescent du chant éternel, la merveille des Voyelles ! 

Ô Poète, nous avons vu ta ferveur de comète incandescente muée en iceberg des nuées et neiger des larmes de glaciers à tes joues halées d'un rayon lumineux

et nous t'avons suivi génie aux semelles d'or sur la route embrasée du crépuscule cheminant vers l'étoile de l'Amour, lumière incréée où le Christ au sourire t'attendait !

 

Eurydice

 

J'ai vu près de la mort au regard irisé de marbre et aux pupilles  d'albâtre, la splendeur d'une lumière épousant le fleuve de la Voie lactée constellée d'un cortège d'âmes qui voguaient sur les violons de vents solaires

Leurs cordes stellaires vibraient au souffle du zéphyr, archet gréé d'un air très pur à nos paupières closes et notre ouïe enneigée !

 

Or la mort livide pareille au sang où infuse le curare contemplait muette le passage rituel de berceaux sidéraux nimbés de nobles idéaux où exultait le rire angélique d'enfants, tels les rayons du nouveau soleil levant  

La mort aux orbites trouées d'abîmes où couvait la braise d'un feu ancien, regardait, comme saisie d'hypnose l'Espérance du monde voguer vers la terre, en ces âmes d'enfants vêtues de leur tunique d'or, leur unique corps de lumière !

 

 

 

Récitants : Carolyne Cannella et Georges de Rivas