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Jean MAISON, A‑Eden

L’exergue « annonce » un abécédaire et le recueil s’ouvre sur Pirus Malus, j’ai donc cherché vainement cet abécédaire. Sans doute, suis-je conditionné par des siècles et des siècles de formes fixes. A moins que Jean Maison veuille dire la diversité du monde ? 

Dès le poème liminaire, je relève ce vers : « Le doute de la connaissance » (p 7). Pirus Malus, faut-il le rappeler, est le pommier, l’arbre de la connaissance du Paradis terrestre ? Le sens s’échappe sans cesse, il n’est pas énoncé  a priori. Reste alors à relever les indices qui viennent éclairer le sens : « Le jardinier approche le buisson » (p 19) est parmi ceux-ci (le jardin évoque le buisson, le buisson ardent) ; «  Sa soif de miséricorde » (p 29) parmi d’autres indices : il fait penser à la miséricorde divine.  Etc…

La deuxième suite, intitulée « La dernière belle », est apparemment plus sereine, plus laïque : je dis bien en apparence ; la troisième suite, la plus longue avec ses quinze poèmes, intitulée « La soif charnelle », est marquée par la volonté du poète de se défaire du monde (p 59) ; 

Jean Maison, <em>A-Eden</em>Ad Solem,
éditions, 102 pages, 10,90 euros. En librairie
ou sur commande sur catalogue.

mais ce projet est vain ce que semble indiquer un tacite acquiescement. Les indices réapparaissent : l’onction (p 67) ; mais la dispute a lieu : « La patience amoureuse / Illumine les corps » (p 69). Maison paraît être à la recherche de « La fêlure introuvable de l’amour » (p 71) : divin (?) ou corporel  (?). Il faudrait citer intégralement le poème de la page 79… La quatrième suite, qui a pour titre  « Nudité obscure », opère un retour à l’abécédaire : « Je lis sur la mantille / L’alphabet du débutant » (p 89) : innocence du poète ?  L’antépénultième poème projette un retour aux femmes. Le poirier (p 93) fait son apparition après le pommier de la page 9…

Ad Solem est une maison de spiritualité chrétienne, ce qui fait que j’ai sans mal lu le recueil de Jean Maison. Mais si c’est l’histoire de l’homme et de la femme, de l’amour charnel et de sa raison d’être à tout, alors j’ai bien lu ! Car ce recueil est une ode à l’amour sous toutes ses formes : Jean Maison pense dans ce livre que l’amour n’est pas seulement divin mis qu’il peut aussi être charnel…

Présentation de l’auteur

Jean Maison

Textes

Jean Maison partage sa vie entre une activité de producteur négociant de plantes médicinales biologiques et l'écriture poétique.
Très marqué par Chateaubriand, Cendrars, Reverdy, il adresse ses premiers poèmes à René Char avec qui il liera une forte amitié jusqu'à la mort du poète.
Ses dernières publications incluent Consolamentum (Farrago/Léo Scheer, 2004), Hommage à Jean Grosjean (Gallimard/NRF, 2007), Araire (Rougerie, 2009), Le premier jour de la semaine (Ad Solem, 2011).

Autres lectures

Jean Maison, Araire

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Jean MAISON, A‑Eden

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Jean Maison, Araire

Avec Araire, Jean Maison nous offre l'une de ses plus belles et de ses plus importantes paroles poétiques. Parole poursuivant l'exploration en même temps que la fondation d'une demeure dont les deux précédents recueils, Consolamentum et Terrasses stoïques, furent publiés chez feux les éditions Farrago/Léo Scheer. L'excellent Rougerie, éditeur d'une pléiade d'éminents poètes contemporains doit être ici remercié pour son travail aux marges d'un monde littéraire tenu par les exigences d'une rentabilité terrorisante. Ainsi, 400 exemplaires d'Araire ont été tirés, 400 objets livre, 400 personnes seulement gagnées par la chance d'en posséder un exemplaire dans sa bibliothèque, à l'heure de la littérature de masse. Un miracle.

Araire, mot étranger à l'économie du langage contemporain, qualifie un instrument de labour, un outil fruste à dimension de main d'homme et de licol bovin servant à scarifier la terre pour l'y préparer à l'accueil des semailles. La demeure poétique de Jean Maison charrie donc la terre qui est le propre de l'homme, la terre du Verbe, terre natale et nourricière qui demande soins, attention, jachère, culture en vue des possibles récoltes. Et chez Jean Maison, il ne peut y avoir récolte sans effort, sans amour, sans une profonde connaissance des rythmes internes et souterrains de cette terre en dehors de laquelle il n'est nulle nourriture possible, au risque de mourir de faim.

Araire, c'est ainsi un cycle de saisons lancées à la vie, une terre d'encre, un sentier de nuit ou l'instrument qui scarifie le Verbe est seul guidé par l'espérance tellurique des sources appelées à sourdre pour étancher la soif. La soif d'être au monde quand l'insensé contemporain délie l'homme et la vie, délie le verbe et le cœur de nos existences.

Cette parole, faite de la plus extrême attention aux paradoxes séminaux d'une vie intérieure en volonté, non pas de pleine conscience d'elle-même, mais de respiration sereine, charrie dans le sillage creusé par son araire des correspondances entre la langue et la terre, entre racines terreuses et bulbes étymologiques, tout simplement car il en est ainsi de l'être de l'homme. La parole de Jean Maison contient le suc des ferments souterrains permettant à la voix de percer la carapace des champs nocturnes afin de s'élever, verticale défiant la pesanteur, vers la lumière ou elle devient chant.

Pas de confusion : Maison est le continuateur de Char, de Grosjean, de Reverdy. Il a connu les deux premiers,  qui étaient ses amis intimes. Il est, par sa poésie, un acteur fondamental de notre époque. Il dit et disant, il recentre l'homme sur son essence originelle, matérielle et spirituelle. La poésie, à ce degré de virtuosité, devient un sésame pour nos vies nocturnes, y faisant apparaître, étincelant, l'or silencieux de nos constellations.




Jean Maison, Chaque jour qu’un désir surprendra et autres textes

D'où viens-tu, saveur, sur mes lèvres
Palper les paroles indicibles ?
Est-ce le souvenir du dimanche des Rameaux
Où la pluie traversait les glycines, le sablier du temps ?
- Mon corps serré de votre absence -

Depuis un long sommeil partagé
Jusqu'au bonjour radieux
J'éprouve le cœur du monde.

Fragment de miroir - fragment de vide

La pauvreté se lie tous les matins. L'hémorragie du dehors laisse nos jours inachevés. Lessive, mémoire et présence ne laissent que quelques rumeurs s'amenuiser sans cesse. Ainsi sommes-nous transportés dans un au-delà grotesque, gauches et apeurés.

Vous êtes assise, visage éternellement beau près d'un bassin de pierre, le corps saisi dans un linge d'armoisin. Je marche vers vous dans le ciel comme dans la haute neige.

Le Boulier cosmique, extraits

 

Il fallut quitter la bonne maison et sortir aux heures les plus matinales, pressé par le vertige de l’or, le corps sabré de vertus, de promesses non tenues, de désordres. Il était temps d’arracher les victoires à leurs béances crédules et de risquer tout parmi les vivants. La préhistoire pouvait enfin approcher dans sa beauté première, avec ses cromlechs, ses vasques douloureuses, ses martyrs aux yeux désaxés, ses épuisantes sablières. La lumière trouverait chacun à sa place, avant de reprendre l’ordre de la vie.
Je partis le soir même pour le Nouveau Monde.
 
∗∗∗
 
Ô fleuve ! Regarde la masse du rauquement des chairs contre les brise-lames. Regarde ! Je flotte dans la nuit décisive, la remontée des abîmes. J’ai projeté vers toi l’élan mélancolique, effondrant les barges, les bras couverts de sable et de varech. Dans la friche des grands viaducs abandonnée aux airs, j’écume la charge neuve des eaux multicolores et la chance de ta source élevée. L’injonction des doubles garde la masse des jonquilles, ce coteau tremblant vert où la variante beauté des herbages couvre tous les degrés du temps.
 
∗∗∗
 
 Quel profil pour ce sentier gravide, et combien de drames parlent au bord du bassin. L’enfant accroupi compte les osselets, les billes de terre crue, ses mains colorées posées au fil de l’air. Il faut écraser l’herbe tressée contre une pierre du Hoggar, inhaler son arôme immédiat pour guérir. Sur le sang des phrases battues où se jette la mer, la danse s’étendra jusqu’au charron. Les conquérants sortiront de l’histoire pour parcourir les quelques mètres de gloire qui les séparent de l’anonymat.
 
∗∗∗
 

En réponse aux pontons aveugles, je demeure attentif au carreau de faïence bleue que respire la mer. Les comptoirs éclairés s’essoufflent dans l’âtre, tranchent la sécheresse amère, la coutume du voyage. Nous imposons des routes, groupant sous l’asphalte le prodige des coquillages et des oiseaux fossiles. L’arc nu charge d’embruns la cime des nordmanns.

 

∗∗∗
 
 J’ai marché sans vous à mes côtés. Vous étiez l’impatiente attente qui sauve, la mère de mon amour. J’ai attendu dans l’agitation des gares la place qui me serait faite. J’ai dormi sur des bancs, dans l’humidité froide d’un destin. Je n’ai jamais renoncé à votre parole. Quelle beauté était la vôtre. Côte à côte au long de ces promenades de tendresse, votre châle serré sur vos épaules, vous étiez la douceur même.
 
Que peut-on établir de cet étirement du temps, de l’universalité des rues à travers les coutumes, les rites, les retrouvailles ? Votre main éloignée dans l’eau, votre haleine née à l’aube du visage. Ce demain porte l’esprit en sa raison profonde. Nous ne possédons rien que le dialogue de cet amour avec notre langage.
 
 
 
Extrait de Le boulier cosmique, parution septembre 2013, éditions Ad Solem