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Luca Ariano, Demeure de Mémoires (extraits inédits)

Voici une poésie que j’ai plaisir à traduire et à présenter parce que la nostalgie y est une force active : il ne s’agit pas en effet, dans l’univers poétique de Luca Ariano,  de cette attitude passive de déploration d’un passé supposé meilleur, mais d'une infinie tendresse pour les souffrances passées, les misères tues, les violences cachées, que l’Histoire balaie, ne gardant que le souvenir des Grands Evénements, bons ou mauvais, négligeant la petite histoire des humbles qui pourtant la constitue. 

Luca Ariano, depuis ses premiers recueils,  rend leurs voix aux oubliés, ainsi que le titre son dernier ouvrage, La Memoria dei Senza nome – s'y meuvent tous ces anonymes dont il incarne la parole, pour lesquels il trace ces silhouettes de paysans, de citadins, d’ouvriers des rizières, de jeunesse déclassée aux vaines espérances, de  filles violentées autant par le capitalisme que le patriarcat…

Ses souvenirs d’enfance teintés de mélancolie – odeurs, musiques, gestes du quotidien, fêtes de famille, lits défaits après l'amour – se mêlent à des bribes de souvenirs tels que nous en avons tous, qui nous traversent plus qu'ils ne nous appartiennent,  et ainsi nous unissent – tel air de musique marquant une époque, qui parfois nous revient, un drame dont on a parlé à la télé, la trame d'événements liés aux lieux où l'on vit... tout le kaléidoscope de la mémoire où tout se mêle, images et mots, faisant écho à la douleur actuelle d’un monde impitoyable à l’humain.

Luca Ariano parle depuis un lieu précis, la région située près du Pô, les alentours de Milan, de Parme, de Bologne - mais il parle de temps lointains qui sans cesse irriguent le présent : la région qu'il évoque est marquée depuis l'antiquité par des invasions, des guerres de conquête, des luttes politiques .évoquées au fil des poèmes .où se devine une identité de résistance et d'accueil à l'autre - cet autre toujours présent dans un jeu mobile de pronoms qui empêche l'identification de devenir identitaire, créant un réseau de communication, comme un rhizome ... et je ne peux m'empêcher de penser que cette implantation des textes dans une zone rizicole a quelque chose de prédestiné - le riz dit "sauvage" est en effet un bon patronage pour cette poésie humaine, de culture, et de lutte.

 

introduction et traduction : Marilyne Bertoncini

Quelle mattine – a casa da scuola

con la febbre, profumavano di latte

e miele, di terra d’orto portata

in casa con le ciabatte.

Rumore di vapore e ferro da stiro

tra vecchi film senza colori

e poi biciclettate in campagna

con l’odore di animali prima della pioggia.

Ancora non le conoscevi le nuove stagioni,

il fumo delle ciminiere bucare l’aria

e rotoli d’asfalto lucidi di afa.

Teresa seduta su una panchina piange

per quel gioiello rubato, i suoi piccoli

segreti violati ma domani – a San Giorgio,

passeggiando per le bancarelle il sole

asciugherà gli occhi e tra le mani

il profumo di una rosa da regalare.

Per te quel giorno è sempre il rimbombo

di spari lontani dietro le colline

e il vecchio sul viale alla stessa ora,

ha il volto di Parri e claudicante

cerca un filo d’ombra dietro grandi occhiali.

Ces matins à la maison – pas d’école

avec la fièvre,  ils sentaient le lait

et le miel,  la terre du jardin rapportée

à la maison sous les pantoufles.

Bruit de vapeur et de fer

parmi les vieux films en noir et blanc

puis balades à vélo dans la campagne

avec l'odeur des animaux avant la pluie.

Tu ne connaissais pas encore les nouvelles saisons,

la fumée des cheminées qui perce l'air

et les rouleaux d'asphalte brillants de touffeur.

Teresa est assise sur un banc et pleure

pour son bijou volé, ses petits

secrets violés mais demain – à San Giorgio,

se promenant parmi les étals le soleil

séchera tes yeux et entre tes mains

le parfum d'une rose à offrir.

Pour toi, ce jour est toujours le grondement

de coups de feu lointains derrière les collines

et le vieux sur l'avenue au même moment,

a le visage de Pâris qui claudicant

cherche un fil d’ombre derrière ses grandes lunettes.

*

L’Ada, donna d’un altro secolo,

a quasi novant’anni è l’ultima arzdora

che ancora fa la pasta in casa.

Moglie d’un marito dal nome garibaldino

– antica tradizione romagnola,

emigrato per fare le scarpe prima della guerra;

se n’è andato una sera di geloni

con ancora il brodo fumante.

Ammira la vetrina di quel pasticcere

e ritorna bambina: babà, cannoli,

pastiera, sacher e sfogliatelle …

ma la glicemia va tenuta sotto controllo

tra scatole di pillole e ricette.

Il suo vicino pasteggiava a broccoli e carote,

pomodori – ben cotti, insalate, omega tre

e the verde: è sbiancato quando il dottore

gli ha dato pochi mesi per una leucemia fulminante.

Osservi quel sensuale passo di jeans

ma a guardarlo bene potrebbe essere tua figlia

e hai voglia ad aspettare quella telefonata

tra quei primi fiocchi d’un inverno rinsavito.

Ada, femme d'un autre siècle,

à presque quatre-vingt-dix ans, est la dernière arzdora*

qui fait encore les pâtes à la maison.

Épouse d'un mari au prénom garibaldien

– ancienne tradition romagnole,

émigré avant la guerre pour faire des chaussures;

il est parti un soir d’engelures

la soupe encore fumante.

Elle admire la vitrine de ce pâtissier

et redevient enfant : babà, cannoli,

pastiera, sacher et sfogliatella…

mais la glycémie doit être contrôlée

entre les piluliers et les ordonnances.

Son voisin mangeait brocoli et carottes,

tomates – bien cuites, salades, oméga trois

et thé vert : il s’est décomposé quand le médecin

lui a donné quelques mois pour leucémie fulminante.

Tu observes la sensualité de ces jeans qui passent

mais si tu regardes bien, ça pourrait être ta fille

et tu as envie d'attendre ce coup de fil

dans les premiers flocons d'un hiver renaissant.

 

 

*ménagère – dialecte romagnole

*

Certo che quando l'Emilio iniziò

a tradurre versioni dal latino e dal greco,

a memorizzarsi l'atlante storico

non immaginava certo di star lì a ciondolare

in attesa di una telefonata: si vedeva professore

in qualche Università a decifrare il mistero

della lingua etrusca, a scavare nel Peloponneso

alla ricerca di nuove civiltà.

S'è alzata la via Emilia e la tua casa affonda

nella polvere però val sempre la pena

di vedere cupole e torri struccarsi di rosso

per le luci della sera.

Alla prima ombra davanti al Tardini

quei vecchi se la contano

su come andrà quest'anno il nuovo Parma

e ogni domenica c'è qualche poltroncina vuota

per un colpo di tosse troppo forte.

Tu c'eri quando Don Leandro e Don Lorenzo

predicavano in un angolo, te li ricordi pregare

anche per te e non sai s'è rimasto almeno

un po' di marmo s'un muro per Fausto e Iaio.

Quest'anno non hai visto le risaie gonfiarsi

e stai ancora cercando nell'orto le tue farfalle,

le conti e le riconti ma i colori non tornano.

Evidemment, quand Emilio a commencé

à traduire du latin et du grec,

à mémoriser l'atlas historique

il n'imaginait sûrement pas qu'il traînerait là

en attente d'un coup de fil : il se voyait professeur

dans une université pour déchiffrer le mystère

de la langue étrusque, fouiller dans le Péloponnèse

à la recherche de nouvelles civilisations.

La Via Emilia a  monté et ta maison s’enfonce

dans la poussière mais ça vaut toujours la peine

de voir des dômes et des tours se maquiller de rouge

aux lumières du soir.

Dès la première ombre devant le stade Tardini

les vieux se racontent

comment se déroulera le nouveau Parme cette année

et chaque dimanche une nouvelle place vide

à cause d’une toux trop violente.

Tu y étais quand Don Leandro et Don Lorenzo

prêchaient dans un coin, tu les revois en train de prier

aussi pour toi et tu ne sais pas s'il y a au moins encore

un peu de marbre sur un mur pour Fausto et Iaio*.

Cette année tu n'as pas vu se gonfler les rizières

et tu cherches toujours tes papillons dans le jardin,

tu les comptes et recomptes mais les couleurs n’y sont pas.

 

* Le 18 mars 1978, deux jours après l'enlèvement d'Aldo Moro, deux garçons de dix-huit ans sont tués à Milan, à quelques mètres du centre social Leoncavallo. Il s'agit de Fausto Tinelli et Lorenzo « Iaio » Iannucci, assassinés par trois tueurs à huit coups de feu.

*

A marzo nel chiostro di San Giovanni

lì dove studiò fra Teofilo, quel giorno

c'era una strana luce e Pilàr non sapeva

che i passi sarebbero stati frettolosi

come un bacio inatteso lontano dall'ombra.

Accanto al parco si vedono le mura,

crollate dopo l'Unità, antiche orme di battaglie,

di eserciti all'assedio a depredare tesori.

Vanni, uno di quei ragazzi del Trentasei,

partito per lottare nel POUM, da settant'anni

racconta di quel compagno scrittore, quello là famoso

della Fattoria e sua nipote s'è stancata d'ascoltarlo

e fresca di tatuaggio sulla schiena con un low cost

vola verso le Baleari profumata di cocco.

La ragazzina sa come farsi desiderare,

come strappare una sera in spiaggia d'ombrelloni chiusi

e bassa marea, e Gianni – a farsi la stagione per pagarsi

l'inverno – già agli amici pavoneggerà il suo sapore.

Lorena ha imparato presto che il suo nudo profilo

allo specchio vale oro e quei seni sono un girotondo;

passano rapidi i treni merci di notte in un unico sobbalzo

sul cuscino ma domani il tuo letto sarà d'un caldo silenzio.

En mars dans le cloître de San Giovanni

Là où étudiait frère Teophile, ce jour-là

il y avait une lumière étrange et Pilàr ne savait pas

que tout aurait été si vite

comme un baiser inattendu sorti de l'ombre.

À côté du parc, on peut voir les murs,

effondrés après l'Unification, trace d’anciennes batailles,

d'armées assiégeantes pour piller des trésors.

Vanni, l’un de ces garçons de 36

partis combattre avec le POUM*,  parle depuis 70 ans

de ce célèbre compagnon-écrivain, celui

de la Ferme**,  et sa petite-fille fatiguée de l'écouter

avec un nouveau tatouage sur le dos en vol low-cost

part vers les Baléares au parfum de noix de coco.

La jeune femme sait comment se faire désirer,

comment arracher une soirée sur la plage aux parasols fermés

à marée basse, et Gianni – qui “fait la saison” pour se payer

l’hiver – se fera gloire de ce qu’elle était bonne.

Lorena a vite appris que son profil nue

dans le miroir, vaut de l'or et que ses seins sont un manège ;

les trains de marchandises passent vite la nuit une seule secousse

sur l'oreiller mais demain ton lit sera silencieusement chaud

 

 

 

*Parti ouvrier d'unification marxiste qui a combattu durant la guerre d’Espagne contre le franquisme

**(Animals Farm – George Orwell)

Présentation de l’auteur

Luca Ariano

Nato a Mortara (PV) nel 1979, Luca Ariano vive ora a Parma. Ha pubblicato la raccolta di poesie Bagliori crepuscolari nel buionel 1999. Numerose sue poesie sono apparse su riviste, blog e siti letterari su internet. Collabora con le riviste «Atelier», «Racna» ed è redattore de «Le Voci della Luna». Nel 2005 è uscita una sua plaquettene La coda della galassia(Fara) e la sua seconda raccolta di poesie Bitume d’intorno, con la prefazione di Gian Ruggero Manzoni, per le Edizioni del Bradipo di Lugo di Romagna. Con Enrico Cerquiglini ha curato per Campanotto l’antologia Vicino alle nubi sulla montagna crollata(2008). Nel 2009 una parte della sua plaquette Contratto a termineè stata pubblicata ne La borsa del viandantecurata da Chiara De Luca (Fara). Sempre nel 2009 ha curato con Luca Paci l’antologia Pro/Testo(Fara). Nel 2010 per le edizioni Farepoesia di Pavia è uscita la plaquette Contratto a terminecon una nota di Francesco Marotta. Nel 2011 con Marco Baj per Officine Ultranovecento ha pubblicato il libro d’artista Tracce nel Fango. Sempre nel 2011 con Ultranovecento all’interno del cofanetto Mappeper un altroveha pubblicato Tempi sospesi - Temps suspesos(4 poesie di Luca Ariano, traduzione in catalano di Imma Puig Cuyàs e 1 Fotolitografia da originale pastelli su carta di Gabriella Di Bona) e 5 gradi prima del ritorno con Martino NeriNel 2012 per le Edizioni d’If è uscito il poemetto I Resistenti, scritto con Carmine De Falco, tra i vincitori del Premio Russo – Mazzacurati. Nel 2014 per Prospero Editore ha pubblicato l’e-book La Renault di Aldo Morocon una prefazione di Guido Mattia Gallerani. Nel 2015 per Dot.com.Press-Le Voci della Luna ha dato alle stampe Ero altrove con una postfazione di Salvatore Ritrovato e note di Ivan Fedeli e Lorenzo Mari, finalista al Premio Gozzano 2015. Nel 2016 presso la Collana Versante Ripido / LaRecherche.it è uscito l’e-book di Bitume d’intornocon una nota di Enea Roversi. Sue poesie sono tradotte in francese, spagnolo e rumeno.

 

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

Une épopée du quotidien : la poésie de Luca Ariano

Nouvellement réédité en Italie, Contratto a termine est le noyau central de la trilogie de Luca Ariano, qui sera développé dans les volumes successifs : Ero altrove et La Mémoria dei senza nome. La [...]




Luca Ariano : extraits de Contratto a termine

traduction Marilyne Bertoncini((texte original extrait de CONTRATTO A TERMINE di Luca Ariano, qudulibri, 2018))

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©photo mbp

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Sulla Via Emilia

 

Di cancelli serrati, di ciminiere

spente – ma senza viaggiare

troppo lontano: per sentire

il sapore delle zanzare sulla pelle

e il calore umido del riso.

Tra parrucconi aristocratici con

quelle erre che frustano le orecchie

e graffiano le corde, mentre lo sguardo 

delle rughe si scalda nel bicchiere

 

Oggi festeggi. Ancora nelle vene  

e sulle labbra ti accompagna ancora

il ricordo dei biscotti allo zenzero

e al cardamomo, che volevi danzare…

 

Non si sono incrociate le finestre

e ti porti sulla via Emilia una lunga

discussione da film, col nome uscito da un cartone,

in un’aria di neve che domani

impasterà le strade.

 

Sur la Via Emilia

 

 

Des portails fermés, des cheminées d'usine

éteintes – mais sans voyager

trop loin : pour éprouver

le goût des moustiques sur la peau

et la chaleur humide du riz.

Entre d'aristocrates barbons prononçant

ces erre fustigeant les oreilles

éraillant les cordes, tandis que le regard

des rides se réchauffe dans le verre

 

Aujourd’hui, c'est fête. Encore dans tes veines

et sur tes lèvres encore  t'accompagne

le souvenir des biscuits au gingembre

et à la cardamome, que tu voulais danser...

 

Les fenêtres ne se sont pas croisées

et t'amène, sur la via Emilia, une longue

discussion tirée d'un film, au nom de dessin animé,

dans un air niveal qui demain

empâtera les rues.

 

*

 

Miraggio

 

 

Frugare nella spezieria, fra moriscos

il sapore di quel bacio in Via Cimarosa

appena il cielo si svestiva della notte:

si mischiano le carte per trovare

quali dadi trarre e le tue preghiere

non sono servite. I tuoi consigli

per cavare versi e plasmare  

la dura pietra, lì in stazione.

 

Caduta la stagione

di camminare senza stringersi per mano:

i passi si fanno grevi, le parole

centellinate in un sorso di Dolcetto,

la dedica adolescente  nei pomeriggi

tra il Parco Ducale e le vetrine con Alice:

ancora ignoravi il suo nome.

 

Ora in centosessanta caratteri

hai lasciato sgroppare l’abbraccio

tardivo, lo schiocco delle labbra

che il treno dai finestrini battezza nel miraggio

che al crepuscolo filtri luce sulle pupille

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©photo mbp

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Mirage

 

fouiller dans l'épicerie, entre moriscos((terme dialectal péjoratif pour nommer les arabes))

et joueurs de cornemuse, pour éprouver de nouveau

le goût de ce baiser de Via Cimarosa

dès que le ciel se dévêtait de la nuit :

les cartes se mélangent pour trouver

quels dés tirer et tes prières

n'ont pas servi. Tes conseils

pour extraire des vers et modeler

la dure pierre, là à la gare.

 

Finie la saison

des promenades sans se tenir par la main :

les pas se font lourds, les paroles

savourées avec une gorgée de Dolcetto,

la passion adolescente des après-midis

entre le Parc Ducal et les vitrines avec Alice :

tu  ignorais son nom encore.

 

Désormais en cent soixante caractères

tu as laissé se dénouer l'étreinte

tardive, le claquement des lèvres

que, des fenêtres, le train baptise dans le mirage

qu'au crépuscule filtre la lumière sur les pupilles

 

*

 

Bambini

 

Bambini pedalano ai primi rossori,

gli ultimi rimasti sulla via

e tu ritrovi quei pochi minuti di ricreazione

in cortile: l’immensa fantasia

di giochi tra terra ed erba

ora sono visi eroinati nel parcheggio

del cimitero su una vecchia Peugeot.

Si rasano i prati spulciati da merli

e i tuoi capelli cadono sulle zampe

d’un cane che assalta il tremore

delle ginocchia:

in un altro iper di sabato pomeriggio

confondi il luccichio delle vetrate

al trillo d’una tasca, ai nuovi corpi

già spogliati di primavera.

L’Andrea si strafogherà in qualche bettola

di bestemmie per un’altra mano calata male

«Diu bel!» e il confronto tra Dio e Destino

nella preghiera delle sue pupille

«Se avrei vinto…» mentre ancora ansimi

sbattendo le imposte.

 

Enfants

 

Des enfants pédalent dès l'aurore,

les derniers restés dans la rue

et tu retrouves ces quelques rares minutes de récréation

dans la cour : l'immense fantaisie

des jeux entre terre et herbe

désormais les visages sont héroïnisés dans le parking

du cimetière sur une vieille Peugot.

On rase les prés épouillés de leurs merles

et tes cheveux tombent sur les pattes

d'un chien qui assaille le tremblement

de tes genoux :

dans un autre hypermarché le samedi après-midi

tu mêles la lueur des verrières

aux trilles d'une poche, aux jeunes corps

déjà dévêtus de printemps.

L'Andrea dans quelque gargote se répandra

en jurons pour une autre main mal abattue

"Diu bel!"((juron dialectal)) et la comparaison entre Dieu et Destin

dans la prière de ses pupilles

"Se avrei vinto.."(("si j'aurais gagné" (sic)) tandis qu'encore tu halètes

en claquant les volets.

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© photo mbp

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*

 

La strada che da Abbiategrasso

va fino a Pavia passando per Motta

e Bereguardo, gomiti, risaie

e cartelli divelti:

un contadino raccoglie i suoi coppi

– la tromba dell’altra sera

dove non c’è più la mezza stagione.

Lì per una laurea, forse l’ultima

mentre si chiude una porta e si sente

solo un brusio di fumo;

la candela smoccolata non brucia più

sulla pelle ancora fresca

e già hai messo virgole, punti e virgole

e punti alla fine della frase,

proprio quando sul colle infinito

si agita il bastone con un volto d’eremita.

Di nuovo poi sentire oli e vernici

di botteghe tra Borgo Tommasini

e via Nazario Sauro.

 

 

La route qui depuis Abbiategrasso

va jusqu'à Pavie en passant par Motta

et Bereguardo, coudes, rizières

et panneaux déracinés :

un paysan récolte ses tuiles

- la tornade de l'autre soir

où il n'y a plus de saison.

Là pour un diplôme, peut-être le dernier

tandis que se ferme une porte et qu'on ne  perçoit

qu'un bruissement de fumée ;

la chandelle mouchée ne brûle plus

sur la peau encore fraîche

et tu as déjà mis virgule, point et virgule

et point à la fin de la phrase,

juste alors que sur le col infini

s'agite le bâton avec un visage d'ermite.

De nouveau tu peux sentir les huiles et les vernis

des boutiques entre Borgo Tommasini

et via Nazario Sauro.

 

*

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©photo mbp

 

Panorama

 

Quel vostro bacio sfrontato

in un'atmosfera di fine galà

si sperde nell’aria putrida;

eccoli quei fili di ossa che si agitano

dove s’annida il tarlo del panico.

Sale il sapore ancora caldo di ricotta

e marmellata, dal vaso di gerani

stagnano zanze e mentre la madre

chiama la sua Bea – identici occhi di neve

che si squaglieranno,

ritorna alla mente il Peppino, l’ultimo

ranat, spazzato una sera sul suo Garelli

da un furgoncino della SIP;

l’estate era già di sedie sulla strada.

Sei invece lì a consumare una rapida

Carciofa da Pepen mentre lui lieto

con la preghiera in petto ritorna

da Santa Cristina.

In un panorama che gela le tonsille

distribuisci versi in quella quiete

come tuo nonno sparse scarpe

con la tomaia ancora calda di colla.

Panorama

 

Votre baiser effronté

dans une atmosphère de fin de bal

se perd dans l'air putride ;

les voici ces files d'ossements qui s'agitent

là où niche le vers de la panique.

Monte le parfum encore chaud de ricotta

et confiture, du pot de géranium

stagnent des zanze((moustiques)) et tandis que la mère

appelle sa Béa – les mêmes yeux de neige

qui s'écarquilleront,

te revient en mémoire Peppino, le dernier

ranat((chasseur de grenouilles, terme dialectal)), renversé un soir sur son Garelli

par une camionnette de la SIP((société de téléphonie));

l'été il était déjà de siège sur le trottoir.

Toi par contre tu es là à consommer une rapide

Carciofa((spécialité culinaire parmesane à l'artichaut)) chez Pepen tandis que lui heureux

la prière au coeur revient

de Sainte Christine.

Dans un panorama qui gèle les amygdales

tu distribues tes vers dans ce calme

comme ton grand-père semait les souliers

avec la semelle encore chaude de colle.

 

*

 

Trent’anni dopo

 

L’hai chiamata in quelle torride

sere la pioggia

ed ora è arrivata a scrosciare

sulle strade allagando cantine.

Ti hanno ritrovato quei capelli di lago

sorsi di sorrisi da versare

sulla tazza di petto:

sono tutte belle le donne,

e lo dici – appoggiato

ad una colonna pavese –

deglutendo boccate di fumo

o cavando dal fango ruote impantanate

in un’avida camporella.

Si squaglia il mascara sull’autostrada

e il tuo pezzo di cartone

è ormai buono solo come carta da bagno,

volto da emigrante del ventunesimo secolo.

Trent’anni dopo non puoi non pensare

a quel cuore scoppiato, spappolato fegato

nella cassa schiacciata,

negli istanti fracassati del corsaro

all’Idroscalo di Ostia:

le parole non erano ancora profezie

solo per i ciechi

ogni giorno muore un poeta.

 

Trente ans plus tard

 

Tu l'as appelée dans ces soirées

torrides la pluie

et maintenant elle est là qui tombe à verse

sur les rues et noie les caves.

Ils t'ont retrouvé tes cheveux de lac

gorgés de sourires à verser

sur la tasse de poitrine :

elles sont toutes belles les femmes,

et tu le dis – appuyé

à une colonne pavese -

déglutissant des bouffées de fumée

ou tirant de la boue des roues envasées

dans un petit pré avide.

Le mascara s'écaille sur l'autoroute

et ton morceau de carton

n'est plus bon désormais que comme papier toilette,

visage d'émigrant du vingt-et-unième siècle.

Trente ans plus tard tu ne peux pas ne pas penser

à ce coeur éclaté, écrabouillé le foie

dans la caisse écrasée,

dans les instants fracassés du corsaire

sur la plage d'Ostie :

les mots n'étaient pas encore des prophéties

réservées aux aveugles

chaque jour meurt un poète.((ce poème mêle des souvenirs personnels à celui de la mort de Pier Paolo Pasolini, assassiné sur la plage d'Ostie, près de Rome, dans la nuit du  1er au 2 novembre 1975.))

Pasolini vivant portant Pasolini mort, par Ernest Pignon-Ernest.
oeuvre du Mamac de Nice, photo mbp

 

*




Une épopée du quotidien : la poésie de Luca Ariano

Nouvellement réédité en Italie, Contratto a termine est le noyau central de la trilogie de Luca Ariano, qui sera développé dans les volumes successifs : Ero altrove et La Mémoria dei senza nome.

La voix d'Ariano est celle d'une épopée modeste, aux accents élégiaques et crépusculaires, une épopée peuplée d'anti-héros du quotidien, défaits et tragiques dans leur normalité.

L'histoire du 20ème siècle, toujours présente – parfois de façon concrète, parfois par traits fantomatiques – sert de décor, encore que peu, quand elle se reflète activement sur les vicissitudes des personnages, dont elle détermine le destin, avant de redevenir instantanément la structure des coulisses devant laquelle ces personnages récitent leur rôle de perdants. Parce que fondamentalement, pour Ariano, « Contrat à durée déterminée » définit la vie elle-même : un segment de l'être, à échéance, dont la fin (oubli ou mort) ne peut qu'être procrastiné.

Contratto a termine, éd. Qudulibri, collana "Fare voci", 80 p. 10 €
 

Mais il ne s'agit pas seulement de la fin : si toutes les vies se terminent, y compris celles des héros, il s'agit ici de l'échéance dont on jouit à chaque instant, dans la mesure où elle détermine nécessairement l'instant même, qu'elle imprègne de précarité, minant l'acte de vivre dès les prémices. Alors ? Où est la rédemption pour ces femmes et hommes qui construisent leur vie dans une trilogie de formation dont l'architecture pourtant se désagrège et se recompose de façon fluide, à la lumière des catégories du temps, catégories sur lesquelles Ariano travaille dur (et sur lesquelles nous reviendrons) ?

La rédemption est dans l'écriture pérenne du vers, dans l'acte de « chanter » de la façon épique qui immortalise l'homme « normal », et le fait non seulement dans sa grisaille, ce qui serait cynique, pour ne pas dire impitoyable, mais aussi dans la valeur intrinsèque de son humanité, Humain, trop humain, l'individu d'Ariano trouve sa raison d'être dans le sourire indulgent du poète, qui n'est pas exempt de quelque larme, et dans la pietas du lecteur.

Toutefois,  la relation entre le poète et ses personnages est plus profonde et ne se résume pas en simple sun-pathos : elle s’accomplit à l’intérieur de la structure narrative d’Ariano. Le poète-narrateur est un tiers, comme un dieu omniscient, pour lequel tout est déjà arrivé : il peut ainsi cueillir ses personnages en n’importe quel moment de la ligne du temps et l’entortiller comme il veut, retrouvant et expérimentant ainsi une relativité presqu’einsteinienne. Prenons par exemple un personnage A qui expérimente une sensation, une émotion, une action - cette expérience est racontée, ainsi que nous l’avons dit, par le poète-narrateur en tiers omniscient ; mais tout de suite après – ou  presque même en même temps – ce personnage A est transporté en un autre lieu, un autre temps, en vertu d’une analogie du sentiment ou de la pensée, comme par un effet de déjà vu ((en français dans le texte)). Il y est projeté pour y rester un moment, puis retourner d’où il est venu. Cette opération peut se faire indifféremment vers le passé ou le futur, jusqu’à faire chevaucher, superposer temps et espaces (internes ou externes), chargés de sentiments, débordant de souvenirs figés, de larmes et de sourires que le poète veut soustraire à l’oubli ; ce sont des descriptions qui superposent des couleurs provenant de l’extérieur (impressionnistes) à des couleurs provenant de la psyché (expressionnistes). Le résultat est un magma dans lequel les vers sont porteurs de sens provenant en égale mesure d’une réalité chargée de Soi, et d’une intériorité formée de la matière et de lumière. Le point de rencontre se trouve dans la lumière persistante et matérielle du moment qui est déjà souvenir (comme dans un petit Bonnard) ou qui ne s’est encore pas vérifié (comme dans une anticipation digne d’un voyageur du temps.) Ce n’est pas un hasard si, comme pour Bertolucci et Gian Carlo Conti (poètes de Parme – et Ariano, rappelons-le, a assimilé et respiré le milieu((en français dans le texte)) poétique de Parme et de son officine poétique), le vers d’Ariano est particulièrement sensible au changement de l'atmosphère et de la lumière ; mais si, pour Bertolucci et Conti le temps est essentiellement linéaire, avec ses bons flashbacks, bien entendu, chez Ariano il se chevauche plusieurs fois à la puissance enième, jusqu’au point de perdre ses propres coordonnées, ou devenir un flashforward. Si, pour Bertolucci – répétons-le : c'est avec Sereni, Caproni et Raboni, l’un des maîtres de cet encore jeune poète – le temps, l’instant, persiste dans son passage même (« lo spaniel invecchia sul mattone »((l’épagneul vieillit sur le carrelage)), écrit A.B), chez Ariano, il tourne comme une toupie, jusqu’à s’annuler dans une pérenne coexistence synchronique de faits, sensations, sentiments, dans la mémoire et l’esprit du poète. Ce n’est pas un hasard si, dans ce livre et les suivants,  les références autobiographiques sont très fréquentes. C’est le poète lui-même, en fin de compte, qui projette dans ses personnages son être propre, vivant,  revivant et se voyant vivre, en quelque sorte. Et c’est comme si le lecteur, en lisant Ariano, feuilletait les pages d’un album photographique, mais qu’à chaque page tournée, le poète déplacerait comme par dépit les photos précédentes et suivantes, de façon à faire sans cesse voyager le discours en avant et en arrière, contraignant le lecteur à le suivre avec une énergie renouvelée.

Ariano, comme nous le disions, choisit la muse crépusculaire – Mélancolie et Nostalgie frappent à sa porte – et même, sont de la maison – parce ce choix, par le biais des poètes déjà cités, lui permet de se bercer dans les plis du temps avec un plaisir à la fois littéraire et masochiste. Ariano, en somme, s’est créé un monde dans lequel il peut multiplier ses propres expériences biographiques et psychophysiques, comme dans un jeu de miroirs, créant et animant des personnages qui ne sont autres que des fragments de sa propre personnalité. Se regardant vivre à travers la littérature, il peut réfléchir, juger, arrêter le temps qui, autrement, lui échapperait irrémédiablement. Sa poésie a donc un vocation en dernière analyse cognitive, et non pas narrative, comme on pourrait le penser au début.

Mais il y a plus : Ariano n’est pas un poète engagé, comme il l’a cru un moment, et comme on le lui a dit. L’histoire sociale émerge, même de façon importante, ici et là, mais uniquement comme référence collective dans laquelle sertir les dimensions privées des petites vies de ses personnages, qui sont ce qui l’intéresse le plus. S’il était un poète engagé, il chercherait à peindre des fresques, invectiverait : Ariano, au contraire, est un poète en plein air ((en français dans le texte)), souvent distrait, essentiellement lyrique. Comme un lointain cousin de Pellizza de Volpedo ou de Delacroix, il cherche bien à peindre une foule de laquelle émergent visages et corps au premier plan. Mais les visages et les corps de ces deux grands peintres sont construits principalement et intentionnellement – et non sans une rhétorique bien adaptée au message du tableau – comme des types (et ceci bien que Pellizza, par exemple ait notoirement peint des personnes réelles et identifiées).

Pellizza da Volpedo, Il Quarto stato, 1901
Galerie d'art moderne de Milan

Eh bien, chez Ariano, les visages qui émergent ne veulent pas être des types ; ce  sont, malgré lui, des personnes bien caractérisées, et elles ont non seulement une identité précise, mais une histoire clairement articulée non dénuée d’allusions et références autobiographiques récurrentes. Je veux dire que, si Ariano se trouvait confronté à une exposition imaginaire de chef-d’œuvres du 19ème siècle, il traverserait à grandes enjambées les salles des peintres académiques, il s’attarderait peut-être plus volontiers quelques minutes, dans la salle où serait exposé «L’Enterrement à Ornans » de Courbet (qui atteint un réalisme intégral en faisant la synthèse du particulier et de l’universel), plutôt que dans celle où se trouverait « Il Quarto Stato » de Pellizza da Volpedo. Il irait ensuite, finalement à son aise, vers un Télémaque Signorini, très conciliant – et s’y arrêterait longuement.

Ariano, au fond, est un poète qui ne crie pas, mais murmure, bien que sans timidité. Je le vois davantage peindre un chemin de campagne, ou un quartier urbain (fréquemment de Parme, ceux-ci, et fort reconnaissables) plutôt qu’un cycle, une épopée. Davantage, en somme (ut pictura poesis) cette poésie authentique avec laquelle on vit mieux, et que plus volontiers on écoute.

(traduction Marilyne Bertoncini)