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Tristan Felix, Grimoire des foudres

Devenu chardon, il entra dans la gueule de la chèvre. Il connut là le chant profond de la meule et le craquement de l’os … (P.46)

Les Surréalistes le savaient, Jacques Hérold, Hans Bellmer, Max Ernst, René Magritte, Oscar Dominguez et tous les autres, nous portons - tels un remords, un regret, un espoir, une promesse - des formes inédites, des monstres délectables, des chimères fugaces, fragiles, inéluctables et pourtant inquiètes d’avoir été si peu de chose dans l’évanescence de nos rêves.

Le Grimoire des foudres de Tristan Felix est dans la lignée de ces grands découvreurs d’altérités. Comme tous les vrais chercheurs, celles et ceux qui partent errer hors des sentiers battus, sur des terres que rien, sauf le battement de leur cœur ne balise, le poète en appelle, tout d’abord, à des chiffres :

« 36 contes magiques », « 21 poèmes composés de trois tercets d’ennéasyllabes », et enfin un « grimoire en 21 passes, chacune structurée en trois parties : « un cauchemar », suivi d’une « formule magique en italiques », et enfin d’un « miracle » … Le chiffre trois est essentiel puisque l’ouvrage est composé comme un triptyque, mais le neuf (trois fois trois ou trois plus six) l’est également peut-être parce que tous les chiffres, au fond, sont « neuf(s) », pourvu qu’on leur prête une âme ? Comme le dit le poète, à condition qu’ils aident à « délivrer l’ombre farouche », ils ne sont plus seulement « contraintes obsessionnelles » mais deviennent promesses de formes nouvelles. Bien entendu, comme tout organiste est appelé à le faire avec les basses chiffrées, cette numérologie est là afin d’être elle-même « dé-chiffrée » au sens très précis de ce verbe et, in fine, « réalisée » en pure musique. Et puis, il faut bien qu’il y ait, au départ, de la mesure pour mieux se mesurer, ensuite, au démesuré.

Voilà pourquoi ce « Grimoire », si hanté par la mort, est tout de même habité par un à venir. Il élabore un univers imaginaire qui serait très proche d’un retour à une enfance adulte, assumant de tourner le dos à la réalité maussade par une créativité tous azimuts. 

Tristan Felix, Grimoire des foudres, PhB éditions 10 euros ISBN 979-10-93732-72-5.

Renoncer à sa forme afin d’en essayer bien d’autres ? Les « 36 contes magiques » sont autant d’extraits, sensiblement de même taille, de « fragments sans queue ni tête qui donnaient soif de mort » et dans lesquels prévaut « l’inquiétante étrangeté. »

Foin de la grise raison raisonnante, on célèbre la sensation pure, la sensorialité, la sensualité impérieuse de l’enfance, dans les « 21 nocturnes » suivants :

(…) l’âme s’en revient dévitrifiée
rendue aux dunes mouvantes pâles
lors, qu’on y abandonne ses mains !

et son grain de peau au cœur du quartz
ses grains de folie aux trous de l’orgue
épars et noués en rubans d’algues (…) 

Et qu’il me soit permis d’évoquer le « petit miracle » que fut pour moi la découverte du court-métrage onirique Sortilèges (à retrouver sur le site tristanfelix.fr), lequel reprend certains textes du deuxième volet du Grimoire intitulé « L’orgue de Dominique Preschez » et dans lequel l’on peut entendre la musique improvisée de cet organiste (et je serais bien curieux de connaître le nom de l’instrument qui a été touché). Pour moi, l’orgue fut et reste non seulement un prodigieux instrument de musique, mais encore, une incomparable boîte à rêves. Que mon imaginaire se fane un tant soit peu, il suffit que je pense à un orgue, que j’écoute de l’orgue, que je monte à un orgue, pour que, tout soudain, mon intérieur, de nouveau, bourgeonne. Alors, d’avoir rencontré à la lecture de cet ouvrage « une sœur » en « organité », voilà un cadeau bien inattendu de la vie.

Quoi qu’il en soit, ce « pervers polymorphe » qu’est l’enfant à venir, joue avec toutes les formes possibles. A cet égard, on voit bien que Tristan Felix n’est pas seulement poète avec les mots, mais qu’elle crée en dessinant (l’ouvrage présente quatre gravures de l’auteur), en réalisant des films (comme ce court-métrage dont nous venons de parler), et par bien d’autres biais. Et si j’ai donné les noms, au début de cette recension, de grands plasticiens surréalistes, c’est que les œuvres visuelles de Tristan Felix m’ont fait penser à eux.

de l’haleine retrouvée du chant
s’en viennent de drôles d’oiseaux verts
acides aux ailes épineuses »
(…)
jusques aux trompes de Saint-Eustache 

Les synesthésies se mêlant aux jeux sur les mots, elles bousculent nos sensations et leur font dire du neuf. Et nous en trébuchons de rire. Même si nous sommes toujours dans la problématique surréaliste.

Il est certain qu’un ouvrage si haut perché (et en même temps si proche de nos fragilités), voit au-delà des limites humaines. Il y est donc question de mort, bien entendu, d’os, de squelettes, de « camarde en rade ». Pour que des métamorphoses adviennent, il faut que les formes révolues périssent : « l’ancienne cendre de vies cramées »

Mais

des fissures de touches s’extirpe
un insecte blanc presque invisible
comme un voleur il se sauve intact »

Les mots en fusion ouvrent la voie à ces créatures à venir, peut-être tout simplement à un regard nouveau sur l’étrange beauté de la vie ? Il me semble que tout ce bel univers poétique est à relier à cet INEXPLORÉ dont parle Baptiste Morizot, un regard « neuf » sur le petit peuple des êtres, insectes, herbes, cette humilité grouillante des choses qui permet à nos existences de s’épanouir. Comment apprendre à aimer l’inhabituel, « d’autres grands debout qui n’auraient pas l’habitude de l’habitude » ? L’ouvrage de Tristan Felix a le mérite de suggérer quelques réponses, mais surtout de poser la question.

Présentation de l’auteur

Tristan Felix

Tristan Felix est née au Sénégal et demeure à Saint-Denis. Poète polyphrène et polymorphe, elle décline la poésie sur tous les fronts. Elle publie en vers comme en prose, chronique et, pendant douze ans, a codirigé avec Philippe Blondeau La Passe, une revue des langues poétiques. Elle est aussi dessinatrice, photographe, marionnettiste (Le Petit Théâtre des Pendus), conteuse en langues imaginaires et clown trash (Gove de Crustace). Elle donne des spectacles dans des théâtres, des galeries-musées, des médiathèques, salons, instituts culturels ou scolaires, festivals. Elle expose ses dessins et photographies. Elle organise des lectures-prouesses sur scène ou à la radio, des Troquets Sauvages, des ateliers de calligraphie et des conférences animées sur la manipulation, à Paris comme en province. Elle enseigne parallèlement les lettres, à sa façon, au pied de la Goutte d’Or, à Paris.

En 2008, elle fonde avec le musicien compositeur Laurent Noël L’Usine à Muses, pour la promotion des arts vifs et de la poésie, et fabrique des courts-métrages avec son complice nicAmy, cameraman. Elle cultive l’échange, l’étrange, le brut et le ciselé. Ses créatures venues d’ailleurs tentent de guérir qui s’y frotte. Son univers onirique est inquiétant et jubilatoire, entre théâtre de rue intérieure, cabinet de curiosités et cirque poétique.

© photo Isabelle Poinloup

 

Recueils

Heurs, Dumerchez, 2002.
Franchises, avec Philippe Blondeau, L’Arbre, 2005.
À l’Ombre des Animaux (poèmes et photographies), L’Arbre, 2006.
Coup Double, (poèmes et photographies), avec Ph. Blondeau, Corps Puce,  2009.
Ovaine (contelets et dessins), Hermaphrodite, 2009.
Gravure, V.Rougier éd. 2011 (pour Pile de Proverbes de C. Kaïteris)
Journal d’Ovaine, L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Triptyque des Abysses (dessins) ; Quatuor à fils (dessins/poèmes), L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Volée de Plumes (dessins à 2 plumes avec Gabrielle B. Peslier), L’Atelier de l’Agneau, 2013.
Trois ouvrages collectifs chez Corps Puce.
Aphonismes et Avis de Recherche, Flammarion, 2013, 2015 (collectifs).
Les Farces du Squelette (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2014.L’Ivre de Bords (textes de M. Mourier, dessins de T. Felix), Caractères, 2014.
Sorts, poèmes, Henry, 2014.
Bruts de Volière (textes et dessins, avec M. Mourier), L’Improviste, 2015.
Zinzin de Zen (textes et photographies), Corps Puce, 2016.
Pensée en herbe du XXIe siècle (aphorismes de collégiens), Corps Puce, 2016.
Observatoire des extrémités du vivant (textes et photographies), Tinbad, 2017.
Alphabête, (dessins, poèmes et collages, avec Laure Missir), Les deux Corps, 2017.
Aphonismes (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2017.
Tarots Tarés (mini livre-boite d’artiste, 18 tarots dessinés et écrits), Venus d’Ailleurs, 2018.
Ovaine, La Saga (contelets) Tinbad, 2019.
Laissés pour contes (chronique d’un quartier populaire), Tarmac, 2020.
Faut une Faille (fabrique de création), Z4 éd, 2020.
Tangor (poèmes et dessins), PhB éd, 2020.
Rêve ou crève (poèmes et photographies) Tinbad, 2022.
Les Hauts du Bouc (nouvelles), Aéthalidès, 2022.
La Forêt, une Pensée Brûlante (dessins et aphorismes d’élèves de 12 ans), PhB éd., 2022.
Testicul (parodies et dessins), Tinbad, 2023.
Grimoire des Foudres (poésie, dessins), PhB éd. 2023

Revues

La Passe, Diasporiques, Diérèse, Dissonances, Sarrazine, Traction-Brabant, Comme en Poésie, Poésie Première, Contre-allée, Décharge, Le Grognard, Empreintes, L’Igloo, L’Intranquille, Ecrits du Nord, Arcane 18, L’Ampoule, Cahiers Tinbad, Journal de mes Paysages, La Moitié du Fourbi, le FPM, TK-21, Chroniques du çà et là, Apulée, Diasporiques, LPB, EaN…

CD 

- Je, îl(e) déserte, prod. L’Usine à Muses, 2011 : 16, rue des Ursulines, 93200 Saint-Denis. Itv oniriques de six poètes (Jude Stéfan, Maurice Mourier, Samy Abdelazim, Dismas Clapier, Philippe Blondeau, Ivar Ch’Vavar). Musique originale de Laurent Noël.

- La Mort se fait la belle, avec Arsène Tryphon, des et aux éd. Venus d’ailleurs, 2021.




Tristan Felix, Augures (extraits inédits)

à la vie, imprévisible 

 

 

 

En sous-titre de chaque poème,
une concrétion littérale des poèmes eux-mêmes, en italiques.

 

L’augure est l’alibi du poème 
son identité transfuge
Gwen Dhu
L’Albatroce

 

 

 

elle tenta la figure de l’oiseau
percutant le ciel

perdant tout d’elle
par morceaux
à genoux dans le vide
où tournoyaient des ailes

sans corps

(civid)

 

 

pris d’un doute
le vigile crève l'alvéole noire
d'un coup d'ergot, tac

 

qui demeurerait en sa larve
à touiller un sang d’encre ?

aussitôt elle s’envole, hilare
vers une cime d’air
avec sa mort acrobatique

(meurhil)

 

 

la pulpe d’horizon
une fois seule

s’ouvre à chair

aux hébétudes aussi
des berges où court un demi-chien
vêtu-vif

combien de bris de vie qui courent
ras la tranche
à demi vêtus-vifs !

(ubris)

 

 

flanque ta voix dehors

claque entre les pavés
où le sabot gelé trébuche
ton écho d’insomnie

quand ta viande ne pourra plus arquer
te viendra une mouche
brailler tes humeurs frelatées

des gueules de fleurs
figent en suc mortel
la sueur de la nuit

flanque ta voix dehors

(guehors)

 

 

elle est tu
d’une maison tout en paille

sous la grand’nuit d’été à respirer
trois fois les bois huants

prête à brûler quand midi
brandira la sentence

légère adossée contre un semblant
elle est têtue

(fédoss)

 

 

sans appui que l’air
la marche d’un cheval de biais

qu’en foraine idylle on surprendra
l’âme pincée

alors ne pas
dégringoler de l’arçon

revenir à tâtons
au point ferré d’oubli

(dydoubl)

 

 

dans l’antre aux aurochs

si cru de son corps
que dedans le roc
se griffe et récidive
en dix doigts écarlates

l’os pariétal cogne
se fêle et se brise
qu’il sache dedans lui
qui l’a orné de cornes

lui l’aurochs   le chantre

(rocorn)

 

 

au nœud des terres meubles
j’enfonce inexorablement

et loque à loque ruisselantes
défilent les Absentes  les Inouïs
et les Proies de la soif

que ralentisse la mort
couchée dans notre loup !

le bleu des écorces au crépuscule
quitte les bois et hisse aux cimes
une lumière prochaine

être loin de soi
où nuiter !

(rupucim)

 

 

 

revenue du pont suspendu
où l’insecte blanc se lançait dans l’éclair

e d’une poudre d’enfant
à la lisière de son incandescent suaire

un clown vague en sa grime

un vagabond assis par la stupeur

(nefansu)

 

 

— pourquoi tuer cet oiseau si petit ?

— il chantait dans les dunes, il frôlait de ses ailes l’écru du sable

— il n’avait pas le droit d’identifier ton désir de le savoir vivant ?

— son chant n’avait presque plus d’air, ses ailes que l’ombre pour agiter sa fin

— un oiseau t’a tué et tu ne sauras où il t’a échoué

— j’aurai donc dormi tant et tant

— à tire d’aile

(ombaile)

 

 

de ses yeux l’enfant-carbon tire
une colle noire

pâte à souiller les genoux
sculpter l’informe

il passe la nuit au bloc de sa falaise

et tout tombe au fond de soi
enraciné par les cheveux

(olloc)

 

 

on a froid vert
contre la pierre d’église

les fougères tiennent leurs crosses

et les vents de prière
paissent à mi - mots

la tiédeur de nos assassinats

(piross)

 

 

poisse et mouise en besace
tout luit hors du visible champ défécatoire

comment dire pétunia, courroux, mica

courir écervelée là-bas
brouiller sa forme
se perdre au mot

desserrer l’étreinte des joies feintes ?

(poinia)

 

 

un quart d’assise
un demi-ponton
un revers d’équilibre
cent fois la ligne de flottaison
moins la coque

la reine abyssale n’a pas quitté son roc
ni sa robe ôtée   elle pense dessous

invisible soit-elle
morte peut-être

notre hésitation juste
dans l’axe du corps défait un mystère

(ortyst)

 

 

Face
l’empreinte acéphale d’un lézard

Pile
la crête d’un roi

l’Idiot retrouvera une écaille de sa tête
entre ses doigts frotteurs d’écus

il en mourra de rire

(fadio)

 

 

entre les œillères brûlantes
sa tête cogne à sa carcasse

remorque de phrases d’abattoir
qui sonnent à cloche-fêlée

un âne blanc, hi ! la carriole pleine de têtes, han !
traverse la place à grand fracas

« cherche poète à main nue
pour taire un peu tout ça »

(pharriol)




Tristan Felix, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles

« Que sait-on du mystère animal à travers la terre ? »

Il est facile de parler pour parler. Mais laisser se balbutier la vie, dans sa naïveté et selon ses méandres, laisser dire le moins disert, c’est à la fois délicat, passionnant, singulier et … d’une urgence absolue quand on y pense. Comment faire en sorte qu’un chien, la foudre, un chêne, sept canetons, une abeille, puissent prendre la parole ?

Comme on prendrait la Bastille, ou la mer ? Eh bien, il se trouve que cette parole, d’avoir été prise dans et par le végétal ou l’animal, n’en ressort pas indemne. Et c’est tant mieux. Il est vrai que ce livre n’est pas d’un abord facile, mais une fois qu’on en a apprivoisé l’écriture, on en redemande. Comment,  après avoir lu ce livre, après avoir bégayé, voyagé immobile à la vitesse de la lumière, dans un autre univers, pourrait-on sans honte revenir au bavardage, à « l’inférieur clapotis quelconque » qui bruite si uniment, si platement nos vies d’individus parlants ? Quelque chose nous happe, pourvu qu’on se laisse faire, dès le début de la lecture de cet ouvrage, sans qu’on sache bien quoi. Ce n’est pas seulement un style, c’est une façon d’être, étonnante, attentive, singulière, nécessaire. Une attention au petit, une parole pour ce qui n’en a pas. Nous passons en d’autres dimensions que celles fréquentées à hauteur d’homme.

Ainsi, dans la nouvelle « Transport d’ange » :

Une abeille.

Oui, une abeille toute menue, fraîchement issue de sa ruche et sans doute d’un trop court sommeil d’hiver. 

Alain Nouvel, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles, de Tristan Felix éditions Æthalidès, avril 2022, 122 pages, 17 €.

Or, nous voici, ici, parmi des hommes et des femmes ordinaires, mais pour qui la vie de ces insectes importe : « Il découpe dans un vieux carton de salades enfoui sous son fatras arrière la surface d’une langue de bœuf. Puis il s’en sert comme d’un tapis volant sur lequel il essaie de faire atterrir l’abeille. » (…) « Une feuille de hêtre au bout d’une main tendue glisse sous le corps de l’insecte pour le haler jusqu’à la rive. »

D’une abeille à l’autre d’une rive à l’autre, deux abeilles dans une mémoire. Deux sauvetages de vivants éphémères. Sollicitudes.

C’est que les personnages de ces nouvelles ne sont pas seulement humains, ou plutôt, leur humanité dépasse l’homme. « Au bord du laminoir écarlate, que sait-on de la stupeur animale ? » (…) Ainsi, la nouvelle intitulée « Le gland » raconte-t-elle comment un chien foudroyé donne naissance à un chêne et comment l’un et l’autre cohabitent dans un même espace durant la vie de l’un, la mort de l’autre, la mort des deux.

« Il y a des figures sur la terre qu’il faut rencontrer à la fin de l’été, au bout du jour quand la lumière de la mer a enfin largué ses cinq paquets de vérité : l’éternité, la liberté, la solitude, Dieu et les épaves. » Peut-être cette injonction résume-t-elle à elle seule l’un des desseins profonds de ce recueil ?

Peu à peu, au fur et à mesure de la lecture des nouvelles, nous pénétrons l’infiniment petit, l’infiniment énigmatique, les arcanes silencieux et pourtant familiers de la vie et nous voici, avec les dernières nouvelles : « FIN DE LA TERRE » sur les rivages de Bretagne et de Normandie, non loin de l’océan et de sa sensorialité. Infiniment petit et infiniment grand, indissociables.

Mais ce qui fait la grande originalité de ce texte c’est la façon dont nos représentations y sont décentrées : des temporalités sans rapport avec les durées humaines, des espaces oniriques, étranges, énigmatiques, selon des mesures autres. Un bouc prend la parole pour se plaindre d’une étrange malédiction. La narratrice lui répond, par devers elle, et se parlant à elle-même : « Tu aurais pu être une chèvre, une de ces anciennes qui empêchent de tomber au bas de la falaise mais, derrière les ajoncs, une autre pente t’attire qui se détache du territoire. »

Et on se laisse déstabiliser avec bonheur. Plus de séparations entre les diverses formes de vie et de pensée. Forcément solitaires, mais solidaires.

Présentation de l’auteur

Tristan Felix

Tristan Felix est née au Sénégal et demeure à Saint-Denis. Poète polyphrène et polymorphe, elle décline la poésie sur tous les fronts. Elle publie en vers comme en prose, chronique et, pendant douze ans, a codirigé avec Philippe Blondeau La Passe, une revue des langues poétiques. Elle est aussi dessinatrice, photographe, marionnettiste (Le Petit Théâtre des Pendus), conteuse en langues imaginaires et clown trash (Gove de Crustace). Elle donne des spectacles dans des théâtres, des galeries-musées, des médiathèques, salons, instituts culturels ou scolaires, festivals. Elle expose ses dessins et photographies. Elle organise des lectures-prouesses sur scène ou à la radio, des Troquets Sauvages, des ateliers de calligraphie et des conférences animées sur la manipulation, à Paris comme en province. Elle enseigne parallèlement les lettres, à sa façon, au pied de la Goutte d’Or, à Paris.

En 2008, elle fonde avec le musicien compositeur Laurent Noël L’Usine à Muses, pour la promotion des arts vifs et de la poésie, et fabrique des courts-métrages avec son complice nicAmy, cameraman. Elle cultive l’échange, l’étrange, le brut et le ciselé. Ses créatures venues d’ailleurs tentent de guérir qui s’y frotte. Son univers onirique est inquiétant et jubilatoire, entre théâtre de rue intérieure, cabinet de curiosités et cirque poétique.

© photo Isabelle Poinloup

 

Recueils

Heurs, Dumerchez, 2002.
Franchises, avec Philippe Blondeau, L’Arbre, 2005.
À l’Ombre des Animaux (poèmes et photographies), L’Arbre, 2006.
Coup Double, (poèmes et photographies), avec Ph. Blondeau, Corps Puce,  2009.
Ovaine (contelets et dessins), Hermaphrodite, 2009.
Gravure, V.Rougier éd. 2011 (pour Pile de Proverbes de C. Kaïteris)
Journal d’Ovaine, L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Triptyque des Abysses (dessins) ; Quatuor à fils (dessins/poèmes), L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Volée de Plumes (dessins à 2 plumes avec Gabrielle B. Peslier), L’Atelier de l’Agneau, 2013.
Trois ouvrages collectifs chez Corps Puce.
Aphonismes et Avis de Recherche, Flammarion, 2013, 2015 (collectifs).
Les Farces du Squelette (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2014.L’Ivre de Bords (textes de M. Mourier, dessins de T. Felix), Caractères, 2014.
Sorts, poèmes, Henry, 2014.
Bruts de Volière (textes et dessins, avec M. Mourier), L’Improviste, 2015.
Zinzin de Zen (textes et photographies), Corps Puce, 2016.
Pensée en herbe du XXIe siècle (aphorismes de collégiens), Corps Puce, 2016.
Observatoire des extrémités du vivant (textes et photographies), Tinbad, 2017.
Alphabête, (dessins, poèmes et collages, avec Laure Missir), Les deux Corps, 2017.
Aphonismes (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2017.
Tarots Tarés (mini livre-boite d’artiste, 18 tarots dessinés et écrits), Venus d’Ailleurs, 2018.
Ovaine, La Saga (contelets) Tinbad, 2019.
Laissés pour contes (chronique d’un quartier populaire), Tarmac, 2020.
Faut une Faille (fabrique de création), Z4 éd, 2020.
Tangor (poèmes et dessins), PhB éd, 2020.
Rêve ou crève (poèmes et photographies) Tinbad, 2022.
Les Hauts du Bouc (nouvelles), Aéthalidès, 2022.
La Forêt, une Pensée Brûlante (dessins et aphorismes d’élèves de 12 ans), PhB éd., 2022.
Testicul (parodies et dessins), Tinbad, 2023.
Grimoire des Foudres (poésie, dessins), PhB éd. 2023

Revues

La Passe, Diasporiques, Diérèse, Dissonances, Sarrazine, Traction-Brabant, Comme en Poésie, Poésie Première, Contre-allée, Décharge, Le Grognard, Empreintes, L’Igloo, L’Intranquille, Ecrits du Nord, Arcane 18, L’Ampoule, Cahiers Tinbad, Journal de mes Paysages, La Moitié du Fourbi, le FPM, TK-21, Chroniques du çà et là, Apulée, Diasporiques, LPB, EaN…

CD 

- Je, îl(e) déserte, prod. L’Usine à Muses, 2011 : 16, rue des Ursulines, 93200 Saint-Denis. Itv oniriques de six poètes (Jude Stéfan, Maurice Mourier, Samy Abdelazim, Dismas Clapier, Philippe Blondeau, Ivar Ch’Vavar). Musique originale de Laurent Noël.

- La Mort se fait la belle, avec Arsène Tryphon, des et aux éd. Venus d’ailleurs, 2021.




Tristan Felix, Aphonismes

La somme du dedans et du dehors égale zéro : Tristan Félix donne le branle au rêve

 

Tristan Félix, une voix obsédante, venue du fond de l’âge, une voix ravageuse et musclée, musicale, embarque le monde dans un dé à coudre. Au tout début, rien, l’univers tient dans un dé à coudre. Et Tristan Felix se tient là, au bord, à la périphérie de rien, au centre décalé de la poétique.

Poète et pas seulement. C’est à dire tout. Tout est poète et Tristan Felix décline à sa manière la façon d’être tout. Son ouvrage, Aphonismes, paru chez l’éditeur (artisanal) Venus d’ailleurs, nous indique, à la fin de la fin, sur cette quatrième de couverture qui est proprement une bouteille d’encre jetée à la mer, que l’aphorisme, velu comme un turc, pérore à la tribune / l’aphonisme branle du chef au bras d’un faune eunuque il chante.

Sa façon d’être tout. Foin des péroraisons, de la rhétorique, de cet art des dominants qu’est l’aphorisme qui se prétend porteur de vérités profondes. Il n’y a pas de vérités profondes, telle est la réponse. Tristan Felix, poète, clown déjanté, photographe, conteuse en langues obscures et imaginaires (combien de langues ne sont pas nées qui auraient dû naître, belles et porteuses d’un seul mot décliné à l’infini : paix), poète et donc tout, ne pérore pas.

Sa façon d’être tout. Elle branle du chef pour aider un son à sortir. L’exercice est difficile, la voix sort, éraillée, une voix de tête. L’eunuque, dont elle rappelle l’image, est cet être parfait dans un monde imparfait. Elle le chante, et agace, et porte le faux au sublime pour approcher le vrai.

 

Tristan Felix, Aphonismes, éditions Venus d'Ailleurs, 201796 p., 10 €


 

Quatre-vingt-seize aphonismes ponctués d’autant de dessins, à moins qu’il ne s’agisse de dessins appuyés d’aphonismes. Le premier d’entre eux, J’habite derrière chez moi, est un paon gracieux. Ce texte pose l’ensemble : derrière l’égo doit se cacher une vérité. Mais quelle est-elle ? L’homme guerroie / la queue emplit de Dieu / il ensemence la mort / auréolé de glaire. L’important, ici, n’est pas de constater que l’homme ensemence la mort, ça, on le sait ; non, l’important, c’est la « glaire » en place de gloire. Il y a du Cioran dans Felix.

Aphonismes ne cache pas non plus son goût pour la répétition en guise de rafale mortelle avant l’heure. Le J’habite derrière chez moi est répété plus loin, comme pour redire, plus loin redire que, décidemment, notre habitat est étrange à l’étranger de nous-même que nous sommes : J’ai fait trente-six fois le tour de ma maison / sans en retrouver l’huis // derrière, mon lit porte en creux le trace / de ce que je fus. Seule la trace subsiste ; mais elle ne dit rien d’une vérité de l’être qu’on soupçonne gîter dans le corps, le cœur et l’âme. Elle se contente, comme toute trace, d’être belle à celui qui regarde, une œuvre d’art. Une vérité jamais connue, qui ne le sera jamais, jamais. Mais évoquée, oui, dans la glaire porteuse de vie (de rêve plutôt). Tristan refuse de la chercher. S’il y a une vérité, elle est dans le manque de vérité.

Pour illustrer cette démarche, Tristan Felix se pare des habits de clown. Qu’une femme se déguise en clown, non, qu’un clown porte une femme, l’enfante dans la justesse de son art (au sens de l’art du Juste), sa glaire, pour lui dire, à elle : Compte les bêtes : il n’en restera jamais assez pour les tuer toutes // mais compte sur toi, tu es de trop, voilà la clef d’Aphonismes.

Pour être plus précis encore, lisons : La pensée du monde rend aphone // tant mieux : plus personne n’entend le monde. Personne ne peut entendre un monde impossible à penser.

Cet ouvrage ouvragé de dessins dessine une ligne de fuite surréaliste réduite à néant. Poursuivi par le doute / Il s’enfuit à l’intérieur du cercle // ou la somme du dehors et du dedans // égal zéro. Pointé.

 




Editions Tinbad : l’horizon d’un futur poétique

La Mythologie personnelle de Christophe Esnault

Le sujet de ce livre, et son enjeu, sont énoncés dès l’avant lecture. En manière de propos liminaire, le lecteur a donc un horizon d’attente qui se dessine, d’autant que certains connaissant Christophe Esmault savent que ce dernier ne s’y laissera pas saisir et échappera à tout conventionnalisme…Ainsi peut-on lire, en manière de préambule, dès la troisième page et avant même le sommaire : 

 

Choisir quatre des cinq questions posées à des écrivains par André Breton, parfois avec Paul Eluard, dans une série d’enquêtes surréalistes publiées dans trois revues : Littérature (1919), La Révolution surréaliste (1925) et Minotaure. Répondre en incluant quarante huit textes visuels. Ce textes est un hommage à la dramaturge anglaise Sarah Kane et à son sublime 4-48 Psychose (L’Arche, 2001).

Puis viennent les questions, sur la page suivante, rangées dans l’ordres des chapitres regroupés dans la table des matières : Pourquoi écrivez-vous ? , Le suicide est-il une solution ? , Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? , Quelle a été la rencontre capitale dans votre vie ?

 

Christophe Esnault, Mythologie personnelle, Editions Tinbad, 2016, 87 pages, 13 € 50.

Les réponses apportées par Christophe Esnault situent le texte entre un genre fréquemment pratiqué, l'essai, et lui-même, tant on ne peut le catégoriser. Dépourvu de tout lyrisme, l’énonciateur narrateur poète (difficile de choisir une instance narrative) évoque des bribes de son passé, mais toujours avec l’objectif de soutenir une réflexion sur l’être et le non être. Dans une prose dont la phrase est concise et construite avec un lexique d’une justesse redoutable, l’auteur oscille entre ces deux axiomes dans une posture nietzschéenne qui construit le discours d’une quête dans le même temps que celui de son aboutissement : la réconciliation entre soi et le néant.

Et puis il y a cette évocation superbe de l’amour souhaité et vécu comme une transcendance, sans illusion, mais dans la conscience que là encore est une des voies possibles vers un satori salvateur :  le baiser qui efface tous les autres, celle qui permet à la rencontre de gommer les précédentes.

Enfin, afin d’honorer la dernière contrainte « répondre en incluant quarante huit textes visuels » Christophe Esnault conclue ses quatre chapitres avec des aphorismes inscrits dans des encadrés. Textes visuels variant la taille et le caractère de la typographie, dont on peut s’interroger sur la pertinence esthétique, si ce n'était le nom de l'auteur, dont on peut aisément pressentir un pied de nez au spatialisme ou à toute autre forme de poésie visuelle, lecture ironique soutenue par la qualité conceptuelle des aphorismes, que l'on peut aussi lire comme des apophtegmes grinçants ou humoristiques…Ces séries de quelques pages s’égrainent de manière aléatoire, et répondent à la problématique du chapitre.

Voici donc un livre qui explore les tréfonds d’un inconscient dans le même temps qu’il énonce des questions essentielles. Les réponses, chacun peut et doit les chercher, peut-être pas les trouver, car l’enjeu est la raison même d’exister. Et le surréalisme, à qui Christophe Esnault emprunte les questions, ne sert plus de support à une création formelle. Il est dans cette Mythologie personnelle devenu métaphore de l’existence même, et c’est ce que l’auteur tente de questionner, non pas pour tenter d’y trouver du sens mais, peut-être, comme les existentialistes, pour accepter l’absurdité de toute chose et, alors, commencer à vivre.

 

 

 

 

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l'Observatoire du vivant (triptyque) de Tristan Félix

Tistan Félix nous offre une fois de plus avec Observatoire des extrémités du vivant (triptyque) des textes dont il est permis d’affirmer qu’elle porte en germe un renouveau grâce à une parole puissamment poétique. L’auteure nous offre une série de poèmes qui se déploient au rythme d’un espace scriptural qui devient le support d’un jeu avec l’occupation de la page. 

Accompagnés de photos dont elle est l’auteure, la poète évoque la gravité de la vie, et parfois même la superfluité de nos postures sociales, de nos constructions mentales et de nos représentations.Les clichés, qui offrent des images de créatures et de fœtus monstrueux dans des bocaux, ou bien d’un chat noir pour la dernière série de poèmes, deviennent supports d’une évocation burlesque et grave de la vie. Trippes, chair et os, peau et tout ce qui convoque la monstruosité de corps évoqués dans des champs lexicaux déployés au fil des pages, deviennent le support métaphorique qui permet d'exprimer des problématiques comme la différence et la place de l’individu dans une société normative. Sujets de prédilection me direz-vous, oui, mais il n’y a jamais de redondances entre un recueil et un autre, et la poète aime à explorer formes et champs lexicaux qui, à chaque nouveau livre, lui permettent de défricher une route inédite : celle de la création.

 

Rester chez moi ?
vous plaisantez
il n’y a plus d eplace que pour pas moi

A chaque tour sur moi-même
je bute contre l’œil des autres
qui lissent la peau de l’or
la peau de l’ordre
la peau de la mort

Vite, une fée !
j’ai trois vœux à brailler
avant qu’on me scelle à jamais

dîner d’un abricot
embrasser la cuisse d’un géant
être moustique pour l’hirondelle avant l’orage

 

 

Photographie de Tristan Félix

C’est toujours l’envers du décor qui est rendu perceptible, grâce à un jeu subtil avec les potentialités du langage : Tristan Félix produit des textes dont le forme libre lui permet de déployer un imaginaire fécond et puissamment évocateur. Entre poèmes versifiés et poèmes en prose, la syntaxe y est moins bousculée que l’appel à des champs lexicaux inédits et producteurs d’images.

Le lien entre textes et images est subtil, et l’étrangeté pourrait être ce qui crée un pont sémantique entre ces deux polarités d’expression. Les clichés crus et impressionnants de Tristan Félix déploient leur envergure et révèlent le poème. Ils permettent une mise en abîme du texte, qui apparaît lorsqu’après une première lecture le récepteur y revient. Soulignant toute l’incongruité que l'auteure tente de restituer et ouvrant les interprétations à un univers supplémentaire, celui d’un imaginaire fantasque et décalé, comme celui de la poète.

 

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Avec ces deux auteurs, Les Editions Tinbad nous offrent de bien belles pages, au sens esthétique du terme, les ouvrages de la collection sont d’une très belle facture, ainsi que pour l’amplitude des textes qu’elles portent.

 

Tristan Félix, Observatoire de l’extrêmité du vivant (tryptique), Editions Tinbad, Paris, 2017, 166 pages, 20 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 




Tristan Felix, Augures (extraits inédits)

à la vie, imprévisible 

 

 

 

En sous-titre de chaque poème,
une concrétion littérale des poèmes eux-mêmes, en italiques.

 

L’augure est l’alibi du poème 
son identité transfuge
Gwen Dhu
L’Albatroce

 

 

 

elle tenta la figure de l’oiseau
percutant le ciel

perdant tout d’elle
par morceaux
à genoux dans le vide
où tournoyaient des ailes

sans corps

(civid)

 

 

pris d’un doute
le vigile crève l'alvéole noire
d'un coup d'ergot, tac

 

qui demeurerait en sa larve
à touiller un sang d’encre ?

aussitôt elle s’envole, hilare
vers une cime d’air
avec sa mort acrobatique

(meurhil)

 

 

la pulpe d’horizon
une fois seule

s’ouvre à chair

aux hébétudes aussi
des berges où court un demi-chien
vêtu-vif

combien de bris de vie qui courent
ras la tranche
à demi vêtus-vifs !

(ubris)

 

 

flanque ta voix dehors

claque entre les pavés
où le sabot gelé trébuche
ton écho d’insomnie

quand ta viande ne pourra plus arquer
te viendra une mouche
brailler tes humeurs frelatées

des gueules de fleurs
figent en suc mortel
la sueur de la nuit

flanque ta voix dehors

(guehors)

 

 

elle est tu
d’une maison tout en paille

sous la grand’nuit d’été à respirer
trois fois les bois huants

prête à brûler quand midi
brandira la sentence

légère adossée contre un semblant
elle est têtue

(fédoss)

 

 

sans appui que l’air
la marche d’un cheval de biais

qu’en foraine idylle on surprendra
l’âme pincée

alors ne pas
dégringoler de l’arçon

revenir à tâtons
au point ferré d’oubli

(dydoubl)

 

 

dans l’antre aux aurochs

si cru de son corps
que dedans le roc
se griffe et récidive
en dix doigts écarlates

l’os pariétal cogne
se fêle et se brise
qu’il sache dedans lui
qui l’a orné de cornes

lui l’aurochs   le chantre

(rocorn)

 

 

au nœud des terres meubles
j’enfonce inexorablement

et loque à loque ruisselantes
défilent les Absentes  les Inouïs
et les Proies de la soif

que ralentisse la mort
couchée dans notre loup !

le bleu des écorces au crépuscule
quitte les bois et hisse aux cimes
une lumière prochaine

être loin de soi
où nuiter !

(rupucim)

 

 

 

revenue du pont suspendu
où l’insecte blanc se lançait dans l’éclair

e d’une poudre d’enfant
à la lisière de son incandescent suaire

un clown vague en sa grime

un vagabond assis par la stupeur

(nefansu)

 

 

— pourquoi tuer cet oiseau si petit ?

— il chantait dans les dunes, il frôlait de ses ailes l’écru du sable

— il n’avait pas le droit d’identifier ton désir de le savoir vivant ?

— son chant n’avait presque plus d’air, ses ailes que l’ombre pour agiter sa fin

— un oiseau t’a tué et tu ne sauras où il t’a échoué

— j’aurai donc dormi tant et tant

— à tire d’aile

(ombaile)

 

 

de ses yeux l’enfant-carbon tire
une colle noire

pâte à souiller les genoux
sculpter l’informe

il passe la nuit au bloc de sa falaise

et tout tombe au fond de soi
enraciné par les cheveux

(olloc)

 

 

on a froid vert
contre la pierre d’église

les fougères tiennent leurs crosses

et les vents de prière
paissent à mi - mots

la tiédeur de nos assassinats

(piross)

 

 

poisse et mouise en besace
tout luit hors du visible champ défécatoire

comment dire pétunia, courroux, mica

courir écervelée là-bas
brouiller sa forme
se perdre au mot

desserrer l’étreinte des joies feintes ?

(poinia)

 

 

un quart d’assise
un demi-ponton
un revers d’équilibre
cent fois la ligne de flottaison
moins la coque

la reine abyssale n’a pas quitté son roc
ni sa robe ôtée   elle pense dessous

invisible soit-elle
morte peut-être

notre hésitation juste
dans l’axe du corps défait un mystère

(ortyst)

 

 

Face
l’empreinte acéphale d’un lézard

Pile
la crête d’un roi

l’Idiot retrouvera une écaille de sa tête
entre ses doigts frotteurs d’écus

il en mourra de rire

(fadio)

 

 

entre les œillères brûlantes
sa tête cogne à sa carcasse

remorque de phrases d’abattoir
qui sonnent à cloche-fêlée

un âne blanc, hi ! la carriole pleine de têtes, han !
traverse la place à grand fracas

« cherche poète à main nue
pour taire un peu tout ça »

(pharriol)