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Patricia CASTEX MENIER & Werner LAMBERSY, Al-Andalus

Le "Journal d’automne" de Patricia Castex Menier nous offre un véritable voyage, nous ouvre « une perspective d’estuaire » que le lecteur découvre au fil des pages, traversé par l’onde poétique, « l’or mouvant des reflets, bien plus léger que celui des autels en majesté ».

Toute une synesthésie palpite dans la saveur des mots goûtés au pays de la lumière : les heures et des verres tintent dans une « rumeur aux terrasses », « le paon de l’Alcazar » nous la joue modeste pour laisser sa roue se faire le motif total du pays (« C’est le pays entier qui fait la roue : il n’est pas donné à n’importe qui de se nommer lumière »), « quelques coplas » pincent la corde de nos cœurs aussi vibrants qu’une guitare, un « moucharabié » nous rappelle à claire-voie quelques-uns de ses « contes du désespoir », … le récit d’une humanité ondoyante et chaleureusement vivante dans les rues andalouses déroule ici le road-movie de sa vie fervente et éclatante.

Depuis le bord du fleuve les rives remuent la vie, mouvante derrière ses murailles, « les vagues cogn(ant) la coque de la ville-bateau » bâtie par l’Histoire (« l’Atlantique, ce dernier envahisseur » ; « (…) la place au soleil (…). Au centre, si l’on se le rappelle, le noyau de la nuit de l’Inquisition, là où on brûlait les corps, les âmes, et la libre pensée »).

Patricia Castex-Menier & Werner Lambresy, Al-Andalus, éd. du Cygne, 2019, 44 p., 10 €.

 

La vie lestée par le nuancier des saveurs qui infiltrent invisiblement mais sensuellement son âme voyageuse (« Churros et orangeade », « une journée au goût de citronnade », …) ; la vie habitée par « le muezzin », « l’azulejos du ciel », « l’infini, à la fois le semblable et le changeant ». La poète Patricia Castex Menier fait sa place au soleil comme au mystère tout en clair-obscur de la force et de la beauté du poème (« L’infini (…). Colonnes et arcades, le poème qui viendrait, qu’on souhaiterait pour survivre à l’émotion, n’ose même pas y toucher »). Elle tire à fleur d’interlignes - des profondeurs de la mémoire du pays andalou jusqu’à la surface miroitante du poème - ce que l’humanité conserve en ses entrailles, en ses croyances, en ses certitudes, doutes et espoirs : « Ici comme ailleurs, du fracas, des batailles. On l’oublie trop aisément, bercé par l’élégance des formes. Un répit, c’est si facile la lumière, avant que la mémoire l’engloutisse, rapide, tel le soleil du couchant, ce plongeur de fond ». Davantage, elle tire par les haleurs du poème (« chevaux nez au vent, puis montures mâchant le mors ») l’onde oubliée recouverte par les vagues coruscantes ou frénétiques des précipités du fleuve quotidien qui nous traverse et qui cependant continue de porter des alluvions invisibles mais significatives du passé bâtisseur/éclaireur de nos chemins présents. N’est-ce pas le rôle du poète, de faire resurgir à la surface du réel ce que nous oublions vite faute d’y consacrer du temps, de la réflexion, de laisser Orphée se retourner vers le pays des ombres et du songe pour mieux regarder par la suite devant lui un avenir plus ensoleillé, à hauteur d’hommes / d’humanité ?

 

Dans  une  bibliothèque  on peut classer aussi les livres selon
leur   même   dimension,  leur   même   hauteur.  Comme   ici,
naguère, quand se côtoyaient la Torah, le Coran et l’Évangile.
 

 

De ce "Journal d’automne" perpétuel nous pourrions écrire ce que la poète Patricia Castex Menier écrit à propos de l’une de ses journées, perçue entre ses interstices, saisie dans ses instants d’éternité :

 

Une  journée  au  goût  de  citronnade,  une nuit  aussi
ténue qu’un noyau d’olive, un éveil dans la senteur des
choses qui demeurent à nos côtés comme si le jasmin
était une fleur d’automne
 

 

Dans ses "Mémoires épisodiques", le poète Werner Lambersy avance dans le labyrinthe exotique de l’ailleurs andalou, se voulant « le passant tranquille » d’un monde (trop) bruyant, piéton émerveillé de la « troisième rive » (cf. l’exergue inaugural de ce livre récit-voyage réalisé en octobre 2018 en terre de Séville, Cordoue, Jerez de la Frontera, Cadix : « Là où le livre invente la troisième rive » Jacqueline Saint-Jean). L’émotion ne baisse pas la garde, phare intarissable de la vigie du poète voué à l’édifiant étonnement, sans cesse reconduit : « (…) j’ai tremblé d’émotion / À cause Des hommes devant la calligraphie / D’Inoue Et les colonnades de la mosquée de Cordoue ». Le poète écrit bien « à cause de », non « grâce à ». Autre temps, autre(s) émotion(s) -l’actualité tragique tamisera toujours le filtre du regard clairvoyant (voire visionnaire) du Poète-Voyant. Face aux tumultes actuels du monde ravagé par la violence et ses ramifications de termites, le poète s’interroge sur la possibilité même d’un passage « tranquille » dans la traversée du labyrinthe existentiel, nuance son émerveillement premier.

 

Comment savoir avec ces palmiers
Dans le
Jardins à quelle saison et même en
En quelle année
Ou siècle on est le passant tranquille 

 

 

Être « en » et « à » (comme « à quel saint se vouer ») ne signale pas même posture qu’être « dans » (une année / une saison) : le choix des prépositions est pesé par le poète, renvoyant à une instabilité / une insécurité d’être aujourd’hui, ici, dans la quiétude relative du Métier de vivre (Cesare Pavese). Aux figures et motifs architecturaux andalous correspondent « l’architexte » d’un jeu de l’ombre et de la lumière tel qu’il s’exécute sournoisement en ce 21e siècle où les obscurantismes envahissent peu à peu de nouveau notre Histoire. La tranquillité est peut-être dans l’intervalle de ce « pas espagnol suspendu Des chevaux », dans l’entre-deux trouble parfois poreux du combat et du divertissement où l’homme-cheval-destrier parfois abandonné à la haine se double de son avatar paradant sous les œillères / le masque d’imposture ou d’insouciance de la complaisance. Car il en est ainsi de l’œuvre viscéralement / foncièrement poétique de Werner Lambersy : sa portée résonne immanquablement, de la mire des contingences visées avec leur immédiateté attractive jusqu’au mille de la cible métaphysique.

Dans le « remue-ménage » de la ville, que ce soit « (…) le long du large/Guadalquivir » ou « la surexcitation de Séville », le poète s’exécute à « bouger » :

 

On m’interpelle à chaque coin
De rue pour
Des tickets des billets d’entrée<
Des plans
Ou des prospectus en couleurs

Jamais
Une chaise libre très longtemps
(…)
Je n’avais pas
D’excuses la vie passe trop vite !
Et je traîne…,

 

écrit le poète après s’être comme apostrophé lui-même précédemment : « Je n’avais pas / D’excuses j’étais venu pour / Bouger ! ». Les enjambements figurent la cadence soutenue des villes andalouses ici traversées, si remuantes que le poète se demande

 

C’était comment
Avant
La foule des visiteurs
C’était comment
Avant
L’ouverture des portes
(…) »,

 

avant l’afflux du tourisme de masse (« L’univers plie et replie/Le papier glacé/De l’agence de voyage »), avant l’advenue d’une ère frénétique infiltrée par « la vie numérique »… L’amour laisse entendre son air romantique

 

C’était comment
Quand
On entendait encore le
Jet d’eau
Des fontaines s’épuiser
Par amour
(…)
Quand on n’était que
Que nous deux
Dans les secrets
De l’azur et les noces
De l’ombre
 »

 

La voix poétique si singulière de Werner Lambersy, touchant l’âme des êtres et des choses universelle, s’entend tout au long de ce voyage auquel le poète nous invite par « mémoires périodiques » comme les intermittences d’un phare retentissent en nos traversées trébuchantes ou clinquantes, le temps d’écouter bruire le murmure du monde où « verser de la lumière / Aux azulejos » de nos cœurs s’épand dans le cours des jours et des instants recueillis plus clairement qu’aux frontières circonscrites des agitations convenues ou des habitudes.

Aucune nostalgie ne point pour arrêter le poète, puisque le passé se projette dans un présent ouvert vers l’avenir tel « le temps andalou » rythmé avec « le talon flamenco ». Le poète opiniâtrement avance, continue de se laisser surprendre / reprendre par le temps des baisers (« qui n’apaisent pas / La faim »), par le temps espéré d’un « continent perdu » à retrouver.

Présentation de l’auteur

Patricia Castex-Menier

Particia Catsex-Menier est née à Paris en 1956, où elle réside et enseigne toujours. Entre vie familiale et professionnelle, elle mène un itinéraire d'écriture volé au
temps qu'elle consacre à la poésie et à l'édition.

Poésie
Au Dé Bleu, Chaillé-sous-les Ormeaux
Flandre, I975.
Les heures à Finialette, 1983.

A Plein Chant, Bassac
Il n'y a pas d'art poétique, 1976.

Chez Thierry Bouchard, St Jean de Losne
Lacunaire, 1981.

Aux Editions de Vallongues, Billière
Lignes de Crète, 1987.

Au Théâtre Vesper, Paris
Tablas, 1989.

A La bartavelle, Charlieu
A ton nom d'archange, 1997.

Chez Cheyne éditeur, Le Chambon-sur-Lignon
Questions de lieu, 1985.
Chemin d'Eveil, 1988.
Infiniment demeure, 1992.
Ce que me dit l'ensevelie, 2001.
Bouge tranquille, 2004.
X fois la nuit, 2006.

Aux éditions Ficelle, Soligny la Trappe
Achill Island, moutons et cetera, 2006

En Belgique
Chez Henry Fagne, Bruxelles
Lies, 1976.
Aux éditions Les Eperonniers, Bruxelles
La bien venue, 1991.

En Inde
Chez P.Lal, Writers Workshop, Calcutta
La roue à aubes, 1983.

Livres d'artistes, tirage limité
Chez Alain Guinhut, Cholet
Trésor du monde, 1976.
Cérémonial, 1979.
A L'étable des matières, C. Dorrière, Caen
Entre Nerfs, 1982.
Chez B.G Lafabrie, Paris
Claires- voies, 1990.
A Céphéides, Sarah Wiame, Paris
Entrepas, 2006
Maria Desmée, collection « Les révélés »
Interstices, 2007

Roman
Aux éditions La Dragonne, Nancy
L'éloignée, 2001.

Théâtre, pièce pour enfants
Aux éditions Ficelle, Soligny la Trappe
Le Roi Berdagot, 2005.

Entretiens
Aux éditions Parole d'aubes, Grigny
Avec Pierre Dhainaut, A travers les commencements, 1999.

Présence en anthologies
La vraie jeune poésie, La Pibole, Paris, 198O.
Panorama de la poésie française contemporaine, Moebius, Triptique, Montréal, 1991.
Poèmes de femmes des origines à nos jours, Régine Deforges, Le Cherche Midi, Paris, 1993.
Das Fest des Lebens, Poètes français contemporains, (éd. bilingue français-allemand) R.Fischer, Verlag im Wald, I993..
Mars Poetica, Poètes croates et français, (éd.bilingue), Skud, Zagreb et Le Temps des cerises, Paris, 2003.
La poésie française contemporaine, J.Orizet, Le Cherche Midi, Paris, 2004.

Participations
Printemps des poètes, Paris, 2002 ; Paris et Zagreb, 2003 ; Paris, 2004.
Semaine de la poésie, Clermont Ferrand, 2005.
Lectures sous l'arbre, Le Chambon-sur-Lignon, 2001, 2005, 2007.
Colloque Pierre Dhainaut, La passion du précaire, sous la direction de Jean-Yves Masson et Aude Préta de Beaufort, Université Paris-Sorbonne, Avril 2007.

En revues
(textes personnels ou articles critiques sur les parutions)
Le journal des poètes, A l'index, Autre Sud, Les hommes sans épaules, Le matricule des anges, Lieux d'être...

Poèmes choisis

Autres lectures

Patricia CASTEX MENIER & Werner LAMBERSY, Al-Andalus

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Présentation de l’auteur

Werner Lambersy

Werner Lambersy est un poète belge né à Anvers le 16 novembre 1941. Il vit à Paris. Auteur d'une quarantaine de recueils, il est une voix majeure de la littérature francophone. 

 

  • Bibliographie 
  • Caerulea, 1967
  • À cogne-mots, 1968
  • Haute Tension, 1969
  • Temps festif, 1970
  • Silenciaire, 1971
  • Moments dièses, 1972
  • Groupes de résonances, 1973
  • Protocole d'une rencontre, 1975
  • Maîtres et Maisons de thé, 1979
  • Le Déplacement du fou, 1982
  • Paysage avec homme nu dans la neige, 1982
  • Géographies et Mobiliers, 1985
  • Komboloï, suivi de Chand-Mala, 1985
  • Noces noires, 1987
  • L'Arche et la cloche, 1988
  • Un goût de champignon après la pluie, 1988
  • Architecture nuit, 1992
  • L'écume de mer est souterraine, 1993
  • Le Nom imprononçable du suave, 1993
  • Anvers ou les anges pervers, 1994
  • Front de taille. Édition originale, (avec des encres de Robert Clévier), 1995
  • Étés (avec Henry Bauchau), 1997
  • 12 poèmes ventriloques, 1998
  • La Légende du poème, 1998
  • Errénité, 1999
  • Dites trente-trois, c'est un poème, 2000
  • Ecce homo (jeu-parti) (avec Otto Ganz), 2002
  • À feu ouverts, avec des encres de Claire Dumonteil, Fédérations des œuvres laïques de l'Ardèche, 2004
  • Rubis sur l'ongle, éditions Hermaphrodite, 2005
  • Le Roi Berdagot : farce en sept tableaux, Rougier, 2005
  • L'Invention du passé : 1971-1977, Le Taillis pré, 2005
  • Coïmbra, Dumerchez, 2005
  • Achill Island note book, éditions Rhubarbe 2006
  • Parfums d'apocalypse, éditions l'Amourier, 2006
  • La Toilette du mort, suivi de Ezra Loomis Pound, L'Âge d'Homme, 2006
  • Corridors secrets, avec des dessins de Didier Serplet, 2007
  • Quelque chose qui lui parlait tambours, avec des estampes de Yves Picquet, éditions Double Cloche, 2009
  • Jacques Zabor, illustrations de Tudor Banus et Otto Ganz, éditions le Moulin de l'étoile, 2008
  • Impromptu de la piscine des amiraux, éditions La Porte, 2008
  • Te spectem, avec des peintures de Richard Bréchet, éditions Tipaza, 2009
  • La Percée du jour, avec des photographies de Yves Picquet, éditions Double Cloche, 2009
  • Érosion du silence, avec des photographies de Jean-Pol Stercq, éditions Rhubarbe, 2009
  • Devant la porte, avec des photographies de Claude Allart, éditions du Cygne, 2009
  • Pluies noires, avec des gravures de Christine Gendre-Bergère, M. Brenner, 2010
  • Conversation à l'intérieur d'un mur, 2011
  • Un concert d'Archie Shepp, éditions La Porte, 2011
  • À l'ombre du Bonsaï, 2012 - L'Âne qui butine
  • Quelques petites choses à murmurer à l'oreille des mourants, éditions La Porte, 2012
  • Le Cahier romain, éditions du Cygne, 2012
  • Pina Bausch, illustrations de Amathéü & Ganz, éditions du Cygne, 2013
  • Opsimath : la nuit, Rougier, 2013
  • L'Assèchement du Zuiderzee, éditions Rhubarbe, 2013
  • Le Mangeur de nèfles : haïkus libres, Pippa, 2014
  • Déluges et autres péripéties, éditions La Porte, 2014
  • Dernières nouvelles d'Ulysse, 2015
  • Escaut ! Salut: suite zwanzique et folkloresque, 2015 - Opium Éditions
  • In angulo cum libro, Al Manar, 2015, avec Diane de Bournazel
  • Dernières nouvelles d'Ulysse : avis de recherche, Rougier, 2015
  • Un requiem allemand 1986, éditions Caractères, 2015
  • La Perte du temps suivi de On ne peut pas dépenser des centimes, Castor Astral, 2015 - Prix Mallarmé et prix Théophile-Gautier
  • La Dent tombée de montagne, Dumerchez, 2015
  • Anvers ou Les anges pervers, récit, Espace Nord, 2015
  • Epitapheïon, éditions La Porte, 2016
  • D'un bol comme image du monde, avec illustrations de Lee Ye Ji et Thai Le Dinh, Pippa, 2016
  • Vie et mort du sentiment étrange d'être dieu, éditions La Porte, 2017
  • Le Sous-marin de papier, avec des illustrations de Aude Léonard, Møtus, 2017
  • Lettres à un vieux poète, éditions Caractères, 2017
  • Hommage à Calder, éditions Rhubarbe, 2017
  • La Chute de la grande roue, suivi de Les grillons chantent la nuit ; de En dehors et autour ; et de Paresseux Dimanches, Le Castor Astral, 2017
  • Ball-trap, illustrations Laurence Skivée, 2017 - L'Âne qui butine
  • Bureau des solitudes, éditions La Porte, 2018
  • Maîtres et maisons de thé, éditions Rhubarbe, 2019
  • La Musique à bouche, illustrations de Philippe Bouret, éditions du Petit Véhicule, coll. « l'Or du temps » no 150, 2019
  • Le grand poème, éditions Caractères, 2019
  • L'Agendada, éditions Rougier, 2019
  • Brainxit, avec des photographies des sculptures de Wanda Mihuleac, éditions Transignum, 2019.Les Convoyeurs attendent, journal sauvage, éditions Rhubarbe, 20
  • Le festin de vivre, 2020 - L'Âne qui butine
  • Devant la porte, avec des photographies de Claude Allart, éditions du Cygne, 2009
  • Pluies noires, avec des gravures de Christine Gendre-Bergère, M. Brenner, 2010
  • Conversation à l'intérieur d'un mur, 2011
  • Un concert d'Archie Shepp, éditions La Porte, 2011
  • À l'ombre du Bonsaï, 2012 - L'Âne qui butine
  • Quelques petites choses à murmurer à l'oreille des mourants, éditions La Porte, 2012
  • Le Cahier romain, éditions du Cygne, 2012
  • Pina Bausch, illustrations de Amathéü & Ganz, éditions du Cygne, 2013
  • Opsimath : la nuit, Rougier, 2013
  • L'Assèchement du Zuiderzee, éditions Rhubarbe, 2013
  • Le Mangeur de nèfles : haïkus libres, Pippa, 2014
  • Déluges et autres péripéties, éditions La Porte, 2014
  • Dernières nouvelles d'Ulysse, 2015
  • Escaut ! Salut: suite zwanzique et folkloresque, 2015 - Opium Éditions
  • In angulo cum libro, Al Manar, 2015, avec Diane de Bournazel
  • Dernières nouvelles d'Ulysse : avis de recherche, Rougier, 2015
  • Un requiem allemand 1986, éditions Caractères, 2015
  • La Perte du temps suivi de On ne peut pas dépenser des centimes, Castor Astral, 2015 - Prix Mallarmé et prix Théophile-Gautier
  • La Dent tombée de montagne, Dumerchez, 2015
  • Anvers ou Les anges pervers, récit, Espace Nord, 2015
  • Epitapheïon, éditions La Porte, 2016
  • D'un bol comme image du monde, avec illustrations de Lee Ye Ji et Thai Le Dinh, Pippa, 2016
  • Vie et mort du sentiment étrange d'être dieu, éditions La Porte, 2017
  • Le Sous-marin de papier, avec des illustrations de Aude Léonard, Møtus, 2017
  • Lettres à un vieux poète, éditions Caractères, 2017
  • Hommage à Calder, éditions Rhubarbe, 2017
  • La Chute de la grande roue, suivi de Les grillons chantent la nuit ; de En dehors et autour ; et de Paresseux Dimanches, Le Castor Astral, 2017
  • Ball-trap, illustrations Laurence Skivée, 2017 - L'Âne qui butine
  • Bureau des solitudes, éditions La Porte, 2018
  • Maîtres et maisons de thé, éditions Rhubarbe, 2019
  • La Musique à bouche, illustrations de Philippe Bouret, éditions du Petit Véhicule, coll. « l'Or du temps » no 150, 2019
  • Le grand poème, éditions Caractères, 2019
  • L'Agendada, éditions Rougier, 2019
  • Brainxit, avec des photographies des sculptures de Wanda Mihuleac, éditions Transignum, 2019.
  • Les Convoyeurs attendent, journal sauvage, éditions Rhubarbe, 2020

        Autres lectures

        Le mangeur de nèfles (Haïkus libres) de Werner Lambersy

        La nèfle, appelée parfois cul de chien, s’accommode assez bien, dit-on, dans les recettes, d’une cuisine prétendument « sauvage » qui convient parfaitement à Lambersy. Car cela fait près de cinquante ans que cet enchanteur [...]

        Patricia CASTEX MENIER & Werner LAMBERSY, Al-Andalus

        Le "Journal d’automne" de Patricia Castex Menier nous offre un véritable voyage, nous ouvre « une perspective d’estuaire » que le lecteur découvre au fil des pages, traversé par l’onde poétique, « l’or mouvant des reflets, [...]




        Le mangeur de nèfles (Haïkus libres) de Werner Lambersy

        La nèfle, appelée parfois cul de chien, s’accommode assez bien, dit-on, dans les recettes, d’une cuisine prétendument « sauvage » qui convient parfaitement à Lambersy. Car cela fait près de cinquante ans que cet enchanteur promène sa caresse griffue sur la langue et donne, dans des formes et des formats extrêmement variés l’une des œuvres poétiques françaises les plus importantes d’aujourd’hui. Une œuvre dispersée, apparemment éparpillée, mais que rassemble paradoxalement l’esprit d’un nomadisme d’une rare densité.

        Werner entonne depuis toujours, en même temps que la mélopée des voyageurs, la valse nostalgique d’un ailleurs ou d’un autrefois. Seule la sensualité, toujours présente chez lui, rend proche ce qui s’est écarté. Mais sa douceur écorche, ici et là. Car ce qui tombe sous le charme, risquerait bien d’assoupir le lecteur paresseux ou trop fervent.

        Pour le coup, il ne faut guère aller bien loin pour dénicher les nèfles que le poète donne à croquer. Mangeur / de nèfles dorées / en sandales dans un sous-bois de pin.

        On voit le paysage et la lecture de ces libres haïkus ne dépaysera pas. Sauf que, même irréguliers, même écrits en français, ces petites choses poétiques peuvent retentir longuement dans le silence du corps : Lanternes / dans la nuit chaude,/ quand mes amis seront-ils de retour – et voilà comment un grand poète peut faire ployer en douze mots seulement ce que René Char appelait « Toute la fatalité de l’univers »…

        Fatalité ? On la comprend dans Les Feuillets d’Hypnos, mais elle convient mal au Mangeur de nèfles. Car ces haïkus français (bien plus fidèles dans leur liberté formelle aux haïkus japonais, dont la métrique échappe à notre langue), ces haïkus, si ils ploient dans l’attente des éloignés et dans une certaine forme de chagrin, voire de dénonciation sociale (Fin du marché / des vieux se courbent, /  en deux, ils fouillent les cageots), ces haïkus sont d’abord des petits cris poussés dans le silence, pour réveiller le gout de vivre :

                    Érection
                    du matin, pour rien
                    un peu comme hisser les couleurs

        Ils sont, comme toute poésie, plantés dans la conscience. Ne dormez pas. Crachez la mort. Il reste quelque chose à vivre.




        Werner Lambersy, PINA BAUSCH

         

        « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus »     Pina  Bausch

         

        Pina Bausch
        Danse avec les yeux
        Elle regarde

        Même les yeux clos
        Elle voit

        On sent l’appui léger
        De son regard

        On sait que c’est là
        Que commence
        La danse

        On comprend :
        Le bleu n’est pas une
        Couleur froide

        Qui brûle
        Sans brûlure ni cendre

        La mer
        N’est la mer que sous
        La vague

        Le reste
        Bruits d’écume
        Sur des gestes de noyé

        Le ciel et la mer
        Sont de même couleur

        L’horizon
        N’a jamais de frontière

        Pas plus que la mort ne
        Sépare l’âme et
        Le corps

        L’âme et la chair
        Dansent sous l’unique
        Paupière  

        Pina Bausch
        Commence où se retire
        Le regard

        On comprend
        Qu’elle veut se joindre
        A l’universelle

        Cécité 
        Pour commencer
        Où tâtonne le Sensible

        Comme danse
        L’éphémère sans poids
        Ni attaches

        Indifférente
        Au côté du vent
        Qui emporte son désir

        Mais jamais à la claire
        Lumière où elle
        Mourra

        Comme l’aigle de face
        Quand le soleil
        Aveugle 

        Pina Bausch
        Danse d’abord avec la
        Paume

        La carte muette
        Des lignes à ciel ouvert

        L’élégant cou de cygne
        De son poignet à
        La renverse

        Le roseau d’un geste
        Sur l’ombre courbe
        De l’horizon

        Avec ses doigts
        Le long de l’amiante
        Echevelée

        D’éruptions solaires
        Cherchant 
        Les aurores boréales

        Et l’étoile filante
        Du désordre d’aimer

        Avec l’ombre
        Du catalpa à l’empan
        Large de sa main

        La longue
        Palme blanche du bras
        Ramenée  

        Sur sa poitrine osseuse
        Et nue de bréchet
        Neigeux

        Sur les pétales
        D’un souffle accastillé
        De magnolias 

        Qu’emporte la brume
        Blême et l’haleine
        Sous le poids

        De la rosée du silence

        Et la charge 
        Des beautés qu’on ne
        Peut retenir

        Pina Bausch danse avec
        Son buste

        Lettrine 
        Portail  d’église
        Clé de voûte des ogives

        Du chœur
        Où elle entraîne et nous
        Et sa troupe

        Café Müller
        Où les chaises du monde
        Sont bousculées

        Car qui est-elle
        Qui marche ainsi au bord
        Du vide

        Car qui est-elle
        Qui déshabille la solitude
        Du désir

        Car qui est-elle
        Qui danse ce que nous
        L’homme

        Et la femme
        Avons de plus fragile et
        Qui fait fuir

        Et revenir
        Et trembler devenir fou
        Et connaître

        Parce que toucher déjà
        Est de l’amour  
        Et danser

        Un exorcisme
        Et l’envoûtement
        Pour n’être pas dissous

        Se perdre
        Après l’apocalypse
        De la pudique approche

        Ce dernier soleil il périra
        Disent l’inca
        Gomara puis Montaigne

        Lévi-Strauss :
        On a dépassé le point de
        Non retour

        Sixième destruction
        Du monde bleu mais pas
        De la vie

        Pina Bausch
        Danse la panique divine
        Du corps

        Comme un temple 
        Quand tremble la roche
        Qui le fonde

        Comme un couple
        Sous l’orgasme agoniste
        De la foudre

        Pina Bausch
        Danse avec un bassin de
        Chair où bougent

        Se nouent
        Virent réapparaissent
        Se montrent les brelans

        Sous la glauque
        Profondeur interdite des
        Bancs de poissons

        Du désir
        Et les monstres inédits
        De la solitude

        A l’amère ressemblance 
        Des grands fonds
        De corail mort

        Avec l’espace aux astres 
        Eteints

        Pina Bausch
        Peut danser un tableau

        Que les cimaises
        De la beauté tiennent
        Accroché au ciel

        Tant il est vrai
        Tout bouge on ne sait
        Pas où mettre

        Les pieds
        Lancer dans l’espace
        Son corps

        Faire face aux murs
        Qui cernent l’air

        Au poids qui pèse sur
        Les surfaces de
        La peau

        Au temps qui s’use en
        Durant

        Pina Bausch
        Peut danser immobile
        Et montrer

        Ce qui danse
        Et constitue la matière
        Des poupées russes de
        L’univers

        La marche contenue
        Dans la chute

        Et les bonds
        Les sauts de cabri du
        Désir

        Qui ne
        Peut rester tel sans
        Retomber

        Dans l’ordre violent

        Dans la posture
        Où Pina Bausch attend
        Le passage

        Des comètes de l’amour

        L’obstiné goutte à goutte
        De la beauté

        Qui percera l’acier le plus
        Dur de l’âme