Esther Tellermann, Choix de poèmes, Annie Dana, Tremblement des jours
L’exigence poétique d’Esther Tellermann
Esther Tellermann est la maîtresse en poésie d’un imaginaire particulier. Il mêle les éléments de la psyché personnelle de la créatrice à divers symboles en un long poème qui n’a plus rien à voir avec un brouet dispendieux qui ramènerait le texte à une autofiction. Se pénètre un monde labyrinthique et gnomique fait d’un langage abrupt et sans concession. Ce long poème réunit le chant et ses fractions au sein d’une voix intérieure qui semble toujours sur le point de se casser. La poétesse évite tous les effets là où l’ésotérisme donne à l’intimité une face nouvelle. A travers elle Esther Tellermann ouvre des interrogations là où elle feint d’offrir que des états de constatation.
Dans cette « anthologie » chronologique, elle se nourrit de l’instant de l’écriture fondé sur un passé présent et collectif. Elle lorgne vers un incessant avenir dans lequel la question de l’identité reste une énigme. Cet advenir demeure avant tout spirituel : l’âge venant la poétesse trouve une sagesse et un pardon. Les échanges de l’altérité pousse à un nouvel accord. Le corps, la terre n’y sont pas oubliés, mais les deux deviennent en connexions avec un monde de la « differance » (comme écrivait Derrida).
Sortant du contexte de la quotidienneté ses livres dans sa propension onirique deviennent une variété de spéculation. Ils permettent de retrouver l’être profond voué à un non-savoir et une attente perpétuelle. La poésie est une manière de casser l’attente, elle se revendique comme action et propédeutique : « écoutez / ce qui vibre / et gagne / altère / la race / rallie / la horde / dérobe la / réponse / et nous / suspend / à l’air". Preuve que cette action n’est pas simple et que le lieu de poème demeure une incitation au retour à soi dans l’appel à l’autre comme complément de son identité.

Esther Tellermann, Choix de poèmes, Editions Unes 2025. 120 pages, 13 €.
Ce choix de poèmes par Esther Tellermann défend une poésie qui n’a rien de routinière ou d’arbitrairement « imageante ». Et ce livre impressionne par sa rigueur et sa richesse gnomique. Sa force parle au plus profond au sein même d’un onirisme doux. La poétesse ne se refuse pas aux éruptions de l’affect mais ne s’y limite pas. Existe une distorsion capitale : l'œuvre s'arrache à une forme d'émotion
Diverses organisations se relayent et s'opposent au sein de ce livre. Des séries de variations et d’adjonctions dérangent les repères cérébraux. La forme est intériorisée au moment même où elle gicle de manière "physique". Elle dément l'ordre des choses mais aussi le chaos, l'organise pour lui donner un sens. En résumé , Esther Tellermann sait que le monde ne s’adapte pas au poème pas plus que ce dernier se laisse couler dans les choses vues. La créatrice ne cherche jamais à rassurer par une simple harmonie. Son esthétique et éthique répand une poétique habitée inédite. Et une telle créatrice métamorphose tout ce qu’elle saisit.
∗∗∗
Annie Dana et la force qui va
Annie Dana est de celles qui tirent les rideaux mais non les grossières ficelles. Son monde se réconforte dans une étrangeté qui le sépare de celui qu’on nomme vraisemblable ou réalité. Elle gratte les données, revient vers l’enfance où « innocence et cruauté sont inséparables » mais nous rappellent «qu’il faut grandir / Dans la violence écarlate / Pour savoir enfin renoncer ».
Une telle poétesse fondée sur son expérience et sa quête initiatique affronte des falaises, lancent ses échos mais sans qu’elles ou ils débaroulent sur elle. De l’existence, Annie Dana déplie des raisons : en véritable poétesse dont le sens ne tourne jamais tel un moulin et pour rien.
A sa manière Annie elle ne redoute pas le tonnerre. Elle ouvre son univers sans se préoccuper du reste. Il faut y entrer non sur la pointe des pieds pour ne rien déranger. En conséquence un tel travail poétique réveille non les morts mais les vivants. Elle se donne du courage mais aussi aux astres sans forcément dégrafer son corsage.
Sa silhouette peut traversent en robe légère l’été avant que tout sombre dans la grisaille sous un dédale nocturne où certains corps sont meurtris. Mais nul n’en saura plus. Reste la source du premier vertige. Seule l’eau en connait les secrets. Les enfants étaient ce qu’ils étaient mais ont-ils déjà tout vu, tout entendu, tout subi maintenant ? Et est-il terminé de tous les contes de fées ?
Comment savoir désormais qui est qui ? Qui voit ? Qui est là ? Où sont les autres ? Un diable a fait l’affaire peut-être. Mais la créatrice s’en soucie. Et ses mots le démasquent. Elle déplie encore son secret par déboîtement mais pas de sornettes.

Annie Dana, Tremblement des jours, coll. Ficelle & Plis Urgents, Editions Vincent Rougier, 2025, 48 p., 13 €.
Existe là un monde tellurique. Les ombres rebondissent. On croît pouvoir leur donner des ordres. Mais si les fantômes ne changent pas une telle femme se prend en main, elle aise au besoin les autres pour leur indiquer où aller.
Une telle poésie insurgée habite non seulement le monde mais le cosmos. Si l’angoisse nourrit sa douve, la semence du ciel devient une haie vive. Parfois une poupée y joue. Le doigt d'une fée y décrit son cercle.