Luca Ariano, Demeures de mémoire

L’art de la traduction change rapidement ces jours-ci sous l’immixtion délibérée de mots étrangers dans les textes. Comme il est loin, le temps de la guerre froide où en cours de langues étrangères il était interdit aux potaches de finir une phrase par un mot d’une autre langue, signe d’ignorance et de pollution. Au siècle dernier, on avait oublié que les langues s’acceptent depuis toujours, affirmant la fluidité des frontières culturelles.

Le mot « sucre » n’a-t-il pas fait le tour du monde sous une multitude de versions qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, confirmant une nouvelle réalité dans des espaces culturels où elle n’existait pas ? À cette tendance linguistique universalisante est venue s’en ajouter son contraire, soit sauvetage de mots du terroir, dialectes et expressions familières ; leur singularité de clan, de village, ou de région les a cachés au nom d’un classicisme national dont la contrainte fut dénoncée dès les années 1930 par Ramuz, Giono, et Mistral. Aujourd’hui, devant la disparition croissante des langues et dialectes, la revalorisation de ces mots rares bat son plein, en contrepoint et en complément de la mondialisation linguistique.

Luca Ariano souscrit à cette double tendance. Ses poèmes qui se situent en Emilie-Romagne et en Lombardie, sans oublier le Piémont, Rome, et la Marche, saupoudrent ses poèmes de mots anglais (smile, low-cost) et de mots du terroir (fiulin, enfant, à Pavie, arzdora, ménagère en Emilie-Romagne, et fontanarri, infiltrations d’eau sur la partie extérieure d’une digue lors des crues). Marilyne Bertoncini, dans sa traduction, a choisi la fidélité. Elle a laissé les mots anglais et les mots italiens du terroir dans le texte, en italiques ; les mots anglais n’ont pas reçu de commentaire, tandis que les mots du terroir ont reçu des notes explicatives en bas de page. Qu’on ne s’y trompe pas : ces notes rapides sont étayées par une solide connaissance du sujet, comme le montre la note sur Pasolini, le « corsaire » de la p. 25 et le « professeur de la p. 57. Elle nous donne, avec ce mini-séminaire de traduction, une vraie rencontre avec les personnages et les situations des poèmes dans un contexte vivant. De plus, en laissant aux poèmes leur double dimension universelle et locale, elle a préservé la juxtaposition de l’ancien et du moderne qui caractérise la poésie de Luca Ariano.

Luca Ariano. Demeures de mémoire. Poèmes choisis et traduits de l’italien par Marilyne Bertoncini. Postface de Raphaël Monticelli. Editions Douro, 2025. 64 p. ISBN 9782384064670. 16 euros.

En effet, Demeures de mémoire est dominé par le thème du passage. Même Parme a un saint de passage, Saint Ilario. À pied, en vélo, ou en Vespa, dans le présent et dans ses souvenirs, le poète traverse les villages, arpente les ruelles urbaines et va de chaine montagneuse en plaine fluviale, parfois dans des raccourcis saisissants : « Plus personne ne se souvient du cours du fleuve, / enseveli après une éruption / ou peut-être sous des mains avides de ciment » (15). Ces trajets de Petit Poucet dans les régions de la plaine du Pô se parsèment de nombreuses allusions et références locales qui font ricochet : ainsi le Dolcetto, vin de la célèbre région vinicole de Montferrat évoque Umberto Eco, le chanteur Vinicio, la ville de Hanovre, la chanson Ma l’amore no, un film de Mario Mattoli. Ces indices et effleurements, ces prénoms, ces noms de rue, seraient amputés sans les notes en fin de page, un peu comme si Luca Ariano jouait à cache-cache avec le lecteur. Toujours dans la lignée universelle/locale, certains poèmes utilisent des citations de poètes européens comme clés de méthode poétique (« Transaction » p. 19, « Calendrier julien » p. 26) ou comme avertissements pour un avenir plutôt sombre (« Contrat à durée indéterminée » p. 45, et « Nuovi contratti » p. 53). Les menaces pesant sur l’avenir sont symbolisées par les nombreuses allusions à des « coups de feu » et à des assassinats célèbres (Pier Paolo Pasolini, Aldo Moro). Tout cela forme une intertextualité multiple dont les contrepoints montrent la nécessité de « demeures de mémoire » intangibles capables de nous ancrer tout en nous désamarrant.

Le passage du tu au il dans les poèmes a retenu l’attention des critiques. Par contre ils parlent peu d’« elle, » l’Aimée anonyme aux multiple identités qui apparaît souvent. Plutôt qu’une perte d’identité, ces deux effacements permettent au narrateur de composer une fresque qui rappelle celle de La Montagne de l’âme par Gao Xingjian. Au cours de ses pérégrinations à travers la Chine, Gao Xingjian note ce qu’il voit quand il marche : un défilé rapide d’images entrevues, une sorte de toile de fond impressionniste, constituée de multiples réseaux tissés dans le quotidien et nourris par les affleurements du passé. Pour Luca Ariano, c’est une symphonie urbaine et rurale, un portrait de rues et de routes qui se forme sous l’impulsion des sensations du poète, le « brouillon non écrit des misères provinciales » (p. 46). C’est infiniment plus que le « courant de conscience » en vogue au siècle dernier, » c’est  un foisonnement sensuel et savoureux, nostalgique et exubérant. C’est celui du poète et celui du passé collectif populaire auquel ont appartenu ses parents et grands-parents, c’est aussi celui des opprimés de tout bord, dont il joue pour mieux faire ressortir le mouvement de la vie : « Ces matins à la maison – sans école / avec la fièvre, ils sentaient le lait / et le miel, la terre du jardin rapportée / à la maison sous les pantoufles. »

Présentation de l’auteur

Luca Ariano

Nato a Mortara (PV) nel 1979, Luca Ariano vive ora a Parma. Ha pubblicato la raccolta di poesie Bagliori crepuscolari nel buionel 1999. Numerose sue poesie sono apparse su riviste, blog e siti letterari su internet. Collabora con le riviste «Atelier», «Racna» ed è redattore de «Le Voci della Luna». Nel 2005 è uscita una sua plaquettene La coda della galassia(Fara) e la sua seconda raccolta di poesie Bitume d’intorno, con la prefazione di Gian Ruggero Manzoni, per le Edizioni del Bradipo di Lugo di Romagna. Con Enrico Cerquiglini ha curato per Campanotto l’antologia Vicino alle nubi sulla montagna crollata(2008). Nel 2009 una parte della sua plaquette Contratto a termineè stata pubblicata ne La borsa del viandantecurata da Chiara De Luca (Fara). Sempre nel 2009 ha curato con Luca Paci l’antologia Pro/Testo(Fara). Nel 2010 per le edizioni Farepoesia di Pavia è uscita la plaquette Contratto a terminecon una nota di Francesco Marotta. Nel 2011 con Marco Baj per Officine Ultranovecento ha pubblicato il libro d’artista Tracce nel Fango. Sempre nel 2011 con Ultranovecento all’interno del cofanetto Mappeper un altroveha pubblicato Tempi sospesi - Temps suspesos(4 poesie di Luca Ariano, traduzione in catalano di Imma Puig Cuyàs e 1 Fotolitografia da originale pastelli su carta di Gabriella Di Bona) e 5 gradi prima del ritorno con Martino NeriNel 2012 per le Edizioni d’If è uscito il poemetto I Resistenti, scritto con Carmine De Falco, tra i vincitori del Premio Russo – Mazzacurati. Nel 2014 per Prospero Editore ha pubblicato l’e-book La Renault di Aldo Morocon una prefazione di Guido Mattia Gallerani. Nel 2015 per Dot.com.Press-Le Voci della Luna ha dato alle stampe Ero altrove con una postfazione di Salvatore Ritrovato e note di Ivan Fedeli e Lorenzo Mari, finalista al Premio Gozzano 2015. Nel 2016 presso la Collana Versante Ripido / LaRecherche.it è uscito l’e-book di Bitume d’intornocon una nota di Enea Roversi. Sue poesie sono tradotte in francese, spagnolo e rumeno.

 

 

 

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