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Étienne Faure, 3 croquis de Vaché, interprète des tranchées

  Quel trou-quel trou-quel trou ! 

Vaché, Lettre à A. Breton, 1916.
Lettres de guerre

 

Souvent caressant les troncs des futaies, revient la 
fibreuse énergie mêlée d’écorce, sève et liber,
dès 1916 éclatée d’obus, rendue déchiquetée
à la désertion des ciels de toute idée
végétale, animale, terre détruite où Jacques
Vaché avance, traducteur des tranchées,
à rire tout en réserve et radicalité, disant
c’est compliqué, nous sommes piqués, les (h)êtres
(h)umains passés de forêt à trépas en quelques nuits
ou jours, on ne voit pas, tout s’équivaut sous les racines,
les restes de fûts grêlés d’éclats qui dans vingt ans
reverdiront entre deux fémurs remontés des 
profondeurs de la terre –de profundis, futaille, mitraille, 
maintenant chaque essence d’arbre a ses feuilles,
égare les scrutateurs d’horizon naguère bleu,
arbre à foudre, à justice, foudre de guerre,
fagus orangé, pare-feu de l’automne
qui jaunit sitôt noir, point de mire des yeux.

(les) hêtres umains

 

Jaune pâle puis jaune paille, le soleil entre 
par n'importe quel œil dans nos vies, 
hors saison poudroie puis console de l'ordinaire
lueur à même le sol d'antan, traverse
nos séjours sur terre en pleine heure creuse 
d'hiver puis d'été -le front n'avançait pas, nous étions
inhumés sur notre lieu littéral d'enterrement,
littéralement 
portant dans la main le cœur des Flanders Fields,
coquelicots puis bleuets enfouis avec
nos grades et nos unités, nous étions
couchés dans l'herbe, amoureux de la bourrache
bleue du même ciel craquant où l'on rend la justice à 
huis-clos puis ouvertement éclatant,
à nous sentir déjà pousser de l'herbe dans le dos
un été sur un pré légèrement pentu, au regret
de l’avoir échappé belle pour rien,
comment dit-on ça en anglais.

un été en Somme

 

Et puis finir sans plus aucun futur, averti
de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout,
beau pêle-mêle des choses à venir en cet hôtel
résolument de France et de farce où chantèrent les
oiseaux fluets à la voix de stentor,
Vaché devenu mentor à son corps défendant,
riant, écrivant, ultime umore, avec de si belles 
mains à solitaire
 une ixième lettre à André Breton
le 19 décembre 1918 : Les belles choses 
que nous allons pouvoir faire –MAINTENANT !
interprète des tranchées, des cadavres
exquis avant l’heure, en croquis et dessins signés
Tristan Hylar ou Harry James, souvenirs remués
avec la boue sans âge de la jeunesse,
les ennuis et les pensées recluses, lui rentré de
lugubre mémoire, étable à cochon, umour noir
du néant, vide d’idées, enregistreur inconscient
secrètement passé par les larmes –pof –
et tout est maintenant All right.

croquis de Vaché, interprète des tranchées

Présentation de l’auteur

Etienne Faure

Etienne Faure, né en 1960, vit et travaille à Paris. Dernières publications : Vol en V, Gallimard, 2022 ; Et puis prendre l’air, poèmes en prose, Gallimard, 2020 ; Tête en bas, poèmes, Gallimard, 2018, prix Max Jacob 2019 ; Ciné-plage, Champ Vallon, 2015.
La revue Phoenix lui a consacré un dossier d’invité (numéro 27) ainsi que Contre-allées (n°43). Rédaction de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe, la Revue des revues, Phoenix. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

Bibliographie

Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007
Vues prenables, Champ Vallon, 2009
Horizon du sol, Champ Vallon 2011
La vie bon train, Champ Vallon 2013
Ciné-plage, Champ Vallon 2015
Tête en bas, Gallimard 2018
– Et puis prendre l'air, poèmes en prose, Gallimard, 2020.
– Vol en V, Gallimard, 2022.

en revues

La NRF : n° 462-463, 488, 512, 551, 577, 582
Conférence : n° 8, 16, 22, 27, 34
Théodore Balmoral : n° 31, 34, 35, 39-40,44, 48, 52-53, 61,62/63, 68
Le Mâche Laurier : n° 12, 15, 22, 24
Pleine Marge : n° 15, 28
Rehauts : n° 4, 7, 12, 15, 18, 23, 27, 31, 35
Europe : n° 955-956, 1015-1016
Contre-Allées : n° 29-30
* (Astérisque) : n°1 et 3
Les Carnets d’Eucharis (papier et électronique)
Phoenix : n°21, 27
TO AENTPO : n° 201-202 (parution en grec de textes extraits de Légèrement frôlée)

Nombreux entretiens et publications de notes critiques dans Poezibao, Europe, Phoenix, La revue des revues, le Cahier Critique de Poésie. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

en revues électroniques
Sur Zone n°19, Poezibao ; Secousse n° 18, remue.net, Sitaudis, Les Carnets d’Eucharis.

Sur Etienne Faure :
Poète invité du numéro 27 de la revue Phoenix (décembre 2017) : dossier coordonné par François Bordes et Myrto Gondicas, contributions critiques de Jean-Claude Pinson, Stéphane Bouquet, Gilles Ortlieb, Jean-Pierre Chevais, François Bordes, Myrto Gondicas.

Plusieurs entretiens avec Tristan Hordé publiés dans Poezibao, Littérature de partout, Les carnets d’Eucharis, remue-net.

Quelques contributions :
- Contribution au colloque de Cerisy « Jude Stéfan : le festoyant français » septembre 2012 : L’enfance dans les textes de Jude Stéfan : la grande absente ?
- Publication de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe et La revue des revues.

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