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Jean-Albert Guénégan, Gardien de phare

 

Drôles de rapports
à la pointe de Pern.

L’océan ne veut rien épouser
tout façonner,
aucune union, pas d’aveu
même pas l’île à qui parler.
C’est un jour à tout noircir
duel sous la boucail.*
Les mouettes à bout de course
font de mauvais rêves
en interrogeant leurs ailleurs,
c’est la démence qui s’en revient.
Des maisons en marge du monde
rient à peine.
Au phare du Créach
je ne sens la vie
qu’à l’odeur du tabac de pipe,
là, on ne fait pas l’amour
et pourtant… C’est de noces qu’il s’agit !
Ici la terre et la mer s’obligent
plus qu’elles ne s’aiment,
l’écume sous leur robe d’amants
ne scelle ni un destin ni un pacte
mais une fin
et le Finistère
aux doigts de pierre se découpe
se maudit encore,
tourmente ses violences
et cogne.
C’est à devenir pierre aussi,
gardien, homme de rien, écorcherait
sa vie jusqu’au sang,
rempart ultime
contre une démesure
qui ne prête que l’oreille.

 

Je suis homme hors du temps.

Sans ciel et sans terre
je rumine l’impasse des vents,
invente le soulèvement de l’océan.
Gardien de phare
de la tour de Bélem* à la Pointe-au-Père*
je ne me soumets pas
aux nuits querelleuses
ignorées des jours
ô légère musique des songes.
Homme clandestin du large
bâton du Finistère
mêlé au carcan du néant
qui se signe,
il faut être de pierre
et non chanteur d’opérette
pour résister à tout,
à la mer toilettée de mort.
Naître à quoi
quand elle se moque de la vie
et répand ses sangs
avant de boire ses légendes.
Renaître de quoi
quand l’immensité
à l’abordage de mes fièvres
s’installe à ma table,
qu’elle dit
mon heure va être dernière.
D’un œil de chien battu
d’une oreille à ne plus vieillir au pays,
par le raccourci de la terre à la lune
à tâtons je monte
avec le tournis des clins d’œil
vers la lumière des vertiges.

 

Autant de marches
que de jours dans l’année,
je pense que finalement
la mer va tout engloutir.
Phare, poupée câline mais vierge
je me fais tout petit,
phallus de ma pâle muse,
phare Eiffel de mes angoisses
mettant un point sur les i
de mes cahiers d’écolier
serait de ma parenté.

 

Homme de solitude,

suis à l’écoute de mes insomnies
quand elles usent mes draps
en veulent aux vents,
se cognent aux bougies
aux pulsations des nuits
à l’arc-en-ciel immolant mon silence
et qu’au matin chacun pour soi
et Dieu pour qui veut,
saoulé de tics, talqué d’embruns,
boxé mis à terre ko
je bande ma solitude
au Golgotha de mon église.
Si loin sur l’horizon jamais apprivoisé
si haut et plus près des huées des cieux
chapelle pour sécher mes peurs,
me voici la main sur le cœur
mis en croix
et ivre d’eau
à la rencontre des courants…

 

 

Homme des hauteurs,
inaccessible, insaisissable,

je n’aime que par le souvenir.
Là-bas, se trouvent femme
tape-à-l’œil de mon amour
amis et mon enfance.
Toujours cette vaste plaine
m’assigne à résidence,
m’impose
l’océan le tête-à-tête
d’avec mon divorce de tout,
l’océan qui dessoûle ma mélancolie
l’océan mes bouteilles
océan delirium tremens de mes oublis
l’océan le mors à la houle,
l’océan le gros dos
de mon mal de terre,
mon sort qui torée l’océan
l’océan le brûle-gueule de mes prisons
l’océan trop et pas assez de paroles mais
que le vent soit avec moi !
Qu’il me rougisse
du vin de mes pensées
de mes peurs d’être le fils le père
et un cache-nez autour.
Qu’il dépucelle les îles !
Océan, bain de mer
de ma renaissance
béquille pour mon trèfle à quatre feuilles,
l’océan ma philosophie qui tourne en rond
ô terminus de mes cent pas.
Dans mes jumelles l’océan
la virginité de sa rage,
mon petit vélo qui roule
encore plus fou sans lumière
sur le plafond du gouffre noir.
L’océan les hasards de l’âme
l’océan, banco pour la belle étoile !
l’océan au chant du coq
océan me voici intermittent de la vie
je ne passerai pas la nuit

océan chant du cygne de mon voyage
laisse-moi écrire des vers, océan
baromètre de ma plume,
océan des lugubres rumeurs
l’océan de mes balafres d’écume
l’océan de mes yeux en rut,
l’océan apothéose
chef d’orchestre des embruns
sueur de mon bas de laine
sautes d’humeur de mes tempêtes
l’envers de mon atlantique
l’océan, cabaret de mon ivresse,
lupanar !
l’océan ses charnelles dents
mordant la citadelle,
Créach, Kéréon,
La Vieille, Les Pierres Noires
Le Four, Armen
l’enfer des enfers
vos noms jaillis des messes des grands fonds.
Les baisers tatoués d’ici
ne se rencontrent pas à terre
et je tiens debout
à la limite de l’humain
sans savoir que je suis immortel.

 

* terme ouessantin signifiant « la brume »
* Tour fortifiée sur le Tage à Lisbonne
* Le phare de la Pointe-au-Père est situé dans
la région du Bas-Saint-Laurent au Québec.

Présentation de l’auteur

Jean-Albert Guénégan

Jean-Albert Guénégan, poète né à Morlaix, a publié :
  • Sans adresse, l'automne en 2012
  • Trois espaces de liberté en 2011
  • Conversations à voux rompues avec Jean-Claude Tardif, édités par Editinter.

Auteur également de livres d'artiste, Matins en 2012 avec Michel Remaud et des récits autobiographiques comme Dimitri et les livres en 2008. Anime des soirées poésie notamment en médiathèques et centres culturels.

Jean-Albert Guénégan

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