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Marc Alyn, L’Etat naissant

L’Etat naissant, comme une évidence ou une contradiction ?

Qui ne connait pas Marc Alyn, dans le petit monde parfois trop cloisonné de la poésie française contemporaine. Né en 1937 à Reims, de son vrai nom Alain-Marc Fécherolle, il est d’une étonnante précocité, et créé à l’âge de 17 ans, la revue, Terre de feu, dans laquelle il publie son premier recueil de poésie en 1956, « Liberté de voir ». En 1957,  il reçoit le prestigieux Prix Max Jacob pour son ouvrage « Le Temps des autres ».

Lauréat de nombreux prix littéraires importants, depuis,  dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1984, et le Goncourt de la poésie pour l’ensemble de l’œuvre en 2007, il est considéré à juste titre comme l’un des poètes majeurs de sa génération  surplombant très largement certains de ses aînés par la qualité et la profondeur de son inspiration ; comme en témoigne encore son dernier recueil intitulé modestement « L’ETAT NAISSANT »*, (peut-on imaginer un clin d’œil à Baudelaire, sans outrepasser une formulation strictement personnelle ?) paru tout récemment chez l’éditeur PHI dont la réputation n’est plus à faire dans l’hexagone – Recueil que je qualifierais volontiers de « pépite d’or » au sein de la production poétique du moment. Comme quoi nul besoin de courir après un grand éditeur parisien pour faire valoir un talent unanimement reconnu. D’emblée et dès les premières pages, Marc Alyn nous plonge dans son univers récurrent (d’œuvre en œuvre) dans un registre singulier qui juxtapose les contraires, mais dont les soubassements parfois issus de l’étrangeté, bien que toujours adroitement maitrisés, inventorient toutes sortes de « spiritualité (s) » dont les accès ciblés sont autant d’ouvertures possibles à un monde qui nécessairement nous échappe, perdu entre, « ombre et lumière », « ordre et désordre », « conscient et inconscient », « matérialité et immatérialité dénudées ».  Aussi bien que :

Marc Alyn, L’ETAT NAISSANT, édtions PHI, 107 pages, 15 euros, dans une version plus ancienne est paru pour la première fois en 2000, aux éditions l’Harmattan.

 

 

La mort présente dès le premier soupir
apparaissait sous des traits empruntés
de Diane nyctalope.  (P.6)

 

Figure de la féminité chasseresse, comme aussi bien éprouvante et délicate, et dont le choix n’a rien d’anodin, plongée « corps et âme » dans l’indistinct -ce qui voit la nuit- où « les pas s’effacent légers » comme pour conjurer les craintes discordantes d’une antériorité inégalée, mais subitement passagère, où la mort survit à elle-même, sans se déclarer.

 Et comme si écrire alors pour le poète hautement inspiré n’avait de sens qu’en vertu d’une âcre interrogation, ou bien que le passage de l’Espace au temporel et du temporel à l’alpha (comme un chemin inverse), soit simplement ce cri de l’enfermement ou de la dépendance du MOI, à ce qui lui fait défaut. La chair ?

 

Dès l’alpha d’exister : le cri, l’incise initiatique
le passage de l’Espace à l’espace
et de l’intemporel à la durée. 

 

L’Alpha ? Le cri ? Puis plus loin :

 

Le chef d’œuvre de l’existant consistait à devenir
sans cesser de rêver
la substance même de son rêve.
Dieu se créait puis s’annulait en son secret.  (P.11)

 

Et voilà que Dieu (ce) Dieu, mais quel Dieu au juste – surgit de nulle part pour « manger l’arbre de sa création » - ou bien que le rêve amputé de ses multiples « dons de SOI » s’en remettait à l’intuition de l’animal ; ici dénommé le chat. Et soudain l’alchimie qui opère :

 

Le sacré s’était réfugié dans des poèmes
qui se lisaient entre eux
et passaient le message
à des peuples absents, veufs du surnaturel.  (P.51)

 

Un « Sur-naturel », qui cependant ne révèle pas son Nom, et qui est d’ailleurs une constante significative dans l’œuvre du poète mystique. L’incidence de l’au-delà – sur la conscience – qui représente dans le même temps ses accès et ses excès circonstanciés, dans le poème – avec en arrière-plan l’idée, l’idée non dissimulée de messages attenants à… Sont-ils clarifiés pour autant, au regard des peuples absents ? Le veuvage devient alors fatalité, bien plus que complaisance du Dieu  maintes fois Invoqué pour finalement disparaitre, où ?

 

redoute de rencontrer l’Autre qui est toi-même
et que la nuit a libéré.  (P.64)

 

L’Autre en effet n’est pas l’absent, c’est un fait convenu ! L’Autre MOI, parfaitement identifiable et intelligible, qui jongle avec ses propres figures temporelles ou atemporelles… Contemplatives ?  C’est selon… l’Autre encore qui initie et parfois malgré lui la sourde interrogation (fragile) où les métaphores changent de peau, en désignant de nouveaux termes d’achoppement, qui consistent principalement à trouver une respiration plus adéquate, dans l’écart qu’elles génèrent.

 

Fatigué de durer parmi les pyromanes
Nous choisissons d’habiter la distance, l’altitude, l’écart,
Les voluptés à tirage confidentiel… (P.65)

 

L’écart en somme entre ce qui est et ce qu’il y  parait :

 

La transgression fut notre loi
et l’interdit notre bréviaire. » (P.65)

 

L’auteur inviterait-il volontairement ou involontairement à une sorte de rébellion propice « au chemin de garde », « sans cesse pénétrant dans le vif du sujet ». Or «  c’est en déshabillant le nu lui-même », que le poème, ou bien l’écrit magique revient – à l’endroit – interpeller sur le sens même de la quête.

La loi dans un tel cas, peut d’ailleurs paraître artificielle, mais pas forcément négative. Elle est un cadre parfois subtil qui évite bien des déconvenues, même si là encore la transgression n’a rien de factice en se positionnant sur la base, d’une certaine forme de détresse, ou plus justement d’attente.

 

Ce n’était pas vraiment le jardin des supplices :
nul ne souffrait à temps complet.
Sans cesse la victime rembobinait sa faute
pour jouir ou jouer aux billes avec le bourreau
        son complice. (P.73)

 

Il y a donc  -bien là – l’incidence d’une rémission passagère. Le supplicié copule avec le bourreau dans une sorte de jeu consenti qui n’a rien de sordide cependant, pourvu que la faute, elle, puisse soudainement s’effacer (momentanément) sans pour autant renier sa provenance et sa cause. Une faute peut-être assurément pardonnée. Pas oubliée certes, car une faute commise considère l’obligation de la réparation du tort fait : A l’Autre ou à Soi-même ;  et le bourreau n’agit quant à lui que sous ordre…. Nulle gratuité dans le châtiment encouru.  Ce n’est pas une affaire de fatalité, mais de droit. Celui de consentir adroitement au pardon, sans vaine prétention à réinterpréter la loi qui continue de s’exercer sans entraves d’aucune sorte, pourvu que le bourreau ne se contente pas de jouer aux billes,  en appliquant (envers et contre tout) la sentence requise, sachant que :

 

L’éternité n’était que le prologue, le lever de rideau
           avant la tragédie.
Tout débouchait sur le Commencement . (P.107)

 

Fin de partie……..

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

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