Marc Alyn, L’Etat naissant

Par |2021-10-06T13:06:35+02:00 6 octobre 2021|Catégories : Marc Alyn|

L’Etat nais­sant, comme une évi­dence ou une contradiction ?

Qui ne con­nait pas Marc Alyn, dans le petit monde par­fois trop cloi­son­né de la poésie française con­tem­po­raine. Né en 1937 à Reims, de son vrai nom Alain-Marc Fécherolle, il est d’une éton­nante pré­coc­ité, et créé à l’âge de 17 ans, la revue, Terre de feu, dans laque­lle il pub­lie son pre­mier recueil de poésie en 1956, « Lib­erté de voir ». En 1957,  il reçoit le pres­tigieux Prix Max Jacob pour son ouvrage « Le Temps des autres ».

Lau­réat de nom­breux prix lit­téraires impor­tants, depuis,  dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1984, et le Goncourt de la poésie pour l’ensemble de l’œuvre en 2007, il est con­sid­éré à juste titre comme l’un des poètes majeurs de sa généra­tion  sur­plom­bant très large­ment cer­tains de ses aînés par la qual­ité et la pro­fondeur de son inspi­ra­tion ; comme en témoigne encore son dernier recueil inti­t­ulé mod­este­ment « L’ETAT NAISSANT »*, (peut-on imag­in­er un clin d’œil à Baude­laire, sans out­repass­er une for­mu­la­tion stricte­ment per­son­nelle ?) paru tout récem­ment chez l’éditeur PHI dont la répu­ta­tion n’est plus à faire dans l’hexagone – Recueil que je qual­i­fierais volon­tiers de « pépite d’or » au sein de la pro­duc­tion poé­tique du moment. Comme quoi nul besoin de courir après un grand édi­teur parisien pour faire val­oir un tal­ent unanime­ment recon­nu. D’emblée et dès les pre­mières pages, Marc Alyn nous plonge dans son univers récur­rent (d’œuvre en œuvre) dans un reg­istre sin­guli­er qui jux­ta­pose les con­traires, mais dont les soubasse­ments par­fois issus de l’étrangeté, bien que tou­jours adroite­ment maitrisés, inven­to­ri­ent toutes sortes de « spir­i­tu­al­ité (s) » dont les accès ciblés sont autant d’ouvertures pos­si­bles à un monde qui néces­saire­ment nous échappe, per­du entre, « ombre et lumière », « ordre et désor­dre », « con­scient et incon­scient », « matéri­al­ité et immatéri­al­ité dénudées ».  Aus­si bien que :

Marc Alyn, L’ETAT NAISSANT, édtions PHI, 107 pages, 15 euros, dans une ver­sion plus anci­enne est paru pour la pre­mière fois en 2000, aux édi­tions l’Harmattan.

 

 

La mort présente dès le pre­mier soupir
appa­rais­sait sous des traits empruntés
de Diane nyc­ta­lope.  (P.6)

 

Fig­ure de la féminité chas­ser­esse, comme aus­si bien éprou­vante et déli­cate, et dont le choix n’a rien d’anodin, plongée « corps et âme » dans l’indistinct ‑ce qui voit la nuit- où « les pas s’effacent légers » comme pour con­jur­er les craintes dis­cor­dantes d’une antéri­or­ité iné­galée, mais subite­ment pas­sagère, où la mort survit à elle-même, sans se déclarer.

 Et comme si écrire alors pour le poète haute­ment inspiré n’avait de sens qu’en ver­tu d’une âcre inter­ro­ga­tion, ou bien que le pas­sage de l’Espace au tem­porel et du tem­porel à l’alpha (comme un chemin inverse), soit sim­ple­ment ce cri de l’enfermement ou de la dépen­dance du MOI, à ce qui lui fait défaut. La chair ?

 

Dès l’alpha d’exister : le cri, l’incise initiatique
le pas­sage de l’Espace à l’espace
et de l’intemporel à la durée. 

 

L’Alpha ? Le cri ? Puis plus loin :

 

Le chef d’œuvre de l’existant con­sis­tait à devenir
sans cess­er de rêver
la sub­stance même de son rêve.
Dieu se créait puis s’annulait en son secret.  (P.11)

 

Et voilà que Dieu (ce) Dieu, mais quel Dieu au juste – sur­git de nulle part pour « manger l’arbre de sa créa­tion » — ou bien que le rêve amputé de ses mul­ti­ples « dons de SOI » s’en remet­tait à l’intuition de l’animal ; ici dénom­mé le chat. Et soudain l’alchimie qui opère :

 

Le sacré s’était réfugié dans des poèmes
qui se lisaient entre eux
et pas­saient le message
à des peu­ples absents, veufs du sur­na­turel.  (P.51)

 

Un « Sur-naturel », qui cepen­dant ne révèle pas son Nom, et qui est d’ailleurs une con­stante sig­ni­fica­tive dans l’œuvre du poète mys­tique. L’incidence de l’au-delà – sur la con­science – qui représente dans le même temps ses accès et ses excès cir­con­stan­ciés, dans le poème – avec en arrière-plan l’idée, l’idée non dis­simulée de mes­sages attenants à… Sont-ils clar­i­fiés pour autant, au regard des peu­ples absents ? Le veu­vage devient alors fatal­ité, bien plus que com­plai­sance du Dieu  maintes fois Invo­qué pour finale­ment dis­paraitre, où ?

 

red­oute de ren­con­tr­er l’Autre qui est toi-même
et que la nuit a libéré.  (P.64)

 

L’Autre en effet n’est pas l’absent, c’est un fait con­venu ! L’Autre MOI, par­faite­ment iden­ti­fi­able et intel­li­gi­ble, qui jon­gle avec ses pro­pres fig­ures tem­porelles ou atem­porelles… Con­tem­pla­tives ?  C’est selon… l’Autre encore qui ini­tie et par­fois mal­gré lui la sourde inter­ro­ga­tion (frag­ile) où les métaphores changent de peau, en désig­nant de nou­veaux ter­mes d’achoppement, qui con­sis­tent prin­ci­pale­ment à trou­ver une res­pi­ra­tion plus adéquate, dans l’écart qu’elles génèrent.

 

Fatigué de dur­er par­mi les pyromanes
Nous choi­sis­sons d’habiter la dis­tance, l’altitude, l’écart,
Les volup­tés à tirage con­fi­den­tiel… (P.65)

 

L’écart en somme entre ce qui est et ce qu’il y  parait :

 

La trans­gres­sion fut notre loi
et l’interdit notre brévi­aire. » (P.65)

 

L’auteur invit­erait-il volon­taire­ment ou involon­taire­ment à une sorte de rébel­lion prop­ice « au chemin de garde », « sans cesse péné­trant dans le vif du sujet ». Or «  c’est en désha­bil­lant le nu lui-même », que le poème, ou bien l’écrit mag­ique revient – à l’endroit – inter­peller sur le sens même de la quête.

La loi dans un tel cas, peut d’ailleurs paraître arti­fi­cielle, mais pas for­cé­ment néga­tive. Elle est un cadre par­fois sub­til qui évite bien des décon­v­enues, même si là encore la trans­gres­sion n’a rien de fac­tice en se posi­tion­nant sur la base, d’une cer­taine forme de détresse, ou plus juste­ment d’attente.

 

Ce n’était pas vrai­ment le jardin des supplices :
nul ne souf­frait à temps complet.
Sans cesse la vic­time rem­bobi­nait sa faute
pour jouir ou jouer aux billes avec le bourreau
        son com­plice. (P.73)

 

Il y a donc  -bien là – l’incidence d’une rémis­sion pas­sagère. Le sup­pli­cié cop­ule avec le bour­reau dans une sorte de jeu con­sen­ti qui n’a rien de sor­dide cepen­dant, pourvu que la faute, elle, puisse soudaine­ment s’effacer (momen­tané­ment) sans pour autant renier sa prove­nance et sa cause. Une faute peut-être assuré­ment par­don­née. Pas oubliée certes, car une faute com­mise con­sid­ère l’obligation de la répa­ra­tion du tort fait : A l’Autre ou à Soi-même ;  et le bour­reau n’agit quant à lui que sous ordre…. Nulle gra­tu­ité dans le châ­ti­ment encou­ru.  Ce n’est pas une affaire de fatal­ité, mais de droit. Celui de con­sen­tir adroite­ment au par­don, sans vaine pré­ten­tion à réin­ter­préter la loi qui con­tin­ue de s’exercer sans entrav­es d’aucune sorte, pourvu que le bour­reau ne se con­tente pas de jouer aux billes,  en appli­quant (envers et con­tre tout) la sen­tence req­uise, sachant que :

 

L’éternité n’était que le pro­logue, le lever de rideau
           avant la tragédie.
Tout débouchait sur le Com­mence­ment . (P.107)

 

Fin de partie……..

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Cham­pagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (édi­tions Seghers). Aupar­a­vant, il avait fondé une revue lit­téraire, Terre de feu, et pub­lié un pre­mier ouvrage, Lib­erté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cru­els diver­tisse­ments (1957) seront salués par André Pieyre de Man­di­ar­gues, tan­dis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et par­tir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne arti­cles et chroniques aux jour­naux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro lit­téraire par­al­lèle­ment à des essais cri­tiques sur François Mau­ri­ac, Les Poètes du XVIe siè­cle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la col­lec­tion Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Che­did, Bernard Noël, Lorand Gas­par, pub­liant ou réédi­tant des œuvres de poètes illus­tres : Jules Romains, Norge, Robert Gof­fin, Luc Béri­mont. Sa créa­tion per­son­nelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplace­ment et de deux recueils : Nuit majeure et Infi­ni au-delà, qui reçoit le Prix Apol­li­naire en 1973. 

A par­tir de 1964, il s’éloigne volon­taire­ment de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des gar­rigues, il accom­plit de nom­breux voy­ages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux antholo­gies, et étudie les vers trag­iques de Kosov­el), à Venise, puis au Liban où il ren­con­tr­era la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples mar­qués par la guerre à Bey­routh, naî­tra sa trilo­gie poé­tique Les Alpha­bets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laque­lle com­prend : Byb­los, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn con­naî­tra de douloureux prob­lèmes de san­té (can­cer du lar­ynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Con­traint de sub­stituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entre­prend alors une œuvre où la prose pré­domine, sans per­dre pour autant les pou­voirs du poème. Le Pié­ton de Venise (plusieurs fois réédité en for­mat de poche), Paris point du jour, Approches de l’art mod­erne inau­gurent une série d’essais fondés sur la pen­sée mag­ique irriguée par l’humour :  Mon­sieur le chat (Prix Trente Mil­lions d’amis), Venise, démons et mer­veilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les apho­rismes, Le Silen­ti­aire, Le Dieu de sable et Le Cen­tre de grav­ité. En 2018, parais­sent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un fau­con qui plonge (Pierre-Guil­laume de Roux).   

 

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Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002
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