On ne peut logique­ment abor­der l’œuvre de Charles Baude­laire sous l’angle de la « dés­espérance » ou de « l’exhalation émo­tion­nelle », même si la ten­ta­tion est grande de trou­ver en lui, la parole détournée de la Rédemp­tion. Nulle rédemp­tion (le Dieu de Baude­laire est avant tout vengeur, guer­ri­er, et jus­tici­er) , et nul rachat ! (La vengeance jamais ne rachète les fautes). Le poète ne l’a d’ailleurs jamais sug­géré ni évo­qué claire­ment dans son œuvre  poé­tique y com­pris dans sa prose détonante. 

Aus­si bien qu’Il n’y a pas for­cé­ment de sen­ti­men­tal­isme out­ranci­er dans cette œuvre là en rai­son de sa très grande com­plex­ité provenant de ses nom­breuses sources d’inspiration qui valent aus­si pour ses nom­breuses con­tra­dic­tions. A ce titre, Il n’est pas con­sid­éré comme un poète roman­tique.   Poète de la moder­nité certes ! Mais égale­ment celui de l’anti-modernité. Quelle ressem­blance ou analo­gie à établir entre les poètes latins de l’antiquité (Vir­gile, Ovide, Horace, Cat­ulle, Lucrèce, mais aus­si grecs, Sap­pho, Sopho­cle, Eschyle etc.  ) Et un Joseph de Maistre ? Dont il a pu dire qu’il était son maitre entre autres, (on songe aus­si évidem­ment à Théophile Gau­ti­er, Pétrus Borel et Aloy­sius Bertrand) …… Aucune cela va de soi.  (Il oppose l’urbain à l’exotique, il oppose le chré­tien au païen, le mod­erne à l’antique) Et cepen­dant que Baude­laire fin latin­iste était aus­si un lecteur con­va­in­cu de Robe­spierre, même s’il s’est tou­jours tenu à l’écart du poli­tique. (Relire cepen­dant le Reniement de Saint-Pierre) Et si l’on peut par­ler d’une ten­ta­tive de sub­li­ma­tion dans son œuvre, et plus par­ti­c­ulière­ment les Fleurs du mal, (le beau  dépasse la seule forme, ni pré­ciosité, ni néo pagan­isme) ; n’y voyons pas là une recherche implicite de la transcendance.
On y ver­ra toute­fois et inverse­ment « la trace de Satan », « le plus savant et le plus beau des anges », mais comme un dou­ble jeu jubi­la­toire : « Échap­per aux enfers, comme aus­si bien les raviv­er au gré du temps ».

Seul moyen pour le poète de surseoir à son Mal, son ennui et sa mélan­col­ie, pour ne pas dire sa dépres­sion. Il n’en demeure pas moins le Maitre (maitre de son imag­i­na­tion, maitre de ses mots, maitre de son exis­tence et de son des­tin et bien évidem­ment de son infor­tune). Les Fleurs du mal, mon­trent d’ailleurs à cet égard, qu’il existe plusieurs portes d’entrée pour « assoir sa douleur » (Dans les flammes ?) comme aus­si bien la domin­er (car­ac­tère probant de l’élévation) alors que ces portes se refer­ment aus­si vite qu’elles se sont ouvertes par sou­veraine et sal­va­trice néces­sité, afin de ne pas faire croire au lecteur dor­mant, qu’il puisse obtenir quelques clés aus­si facile­ment. Aus­si l’homme exalté, con­quis, peut-il trou­ver sans aucun doute quelques faits inno­vants ayant plus trait aux goûts de l’époque, qu’à la servi­tude du poète lui-même, (son improb­a­ble Dandysme) aus­si bien que le lecteur « dés­espéré » trou­vera-t-il dans Baude­laire quelques motifs à son trou­ble jour­nalier, sans jamais toute­fois pou­voir le résoudre et encore moins le dépass­er. Ain­si l’approche et la com­préhen­sion de l’œuvre pour­raient s’arrêter, là, la matéri­al­ité ter­restre étant une véri­ta­ble enclume. Et soyons cer­tain aus­si, que la métaphore ne rend pas la vérité explicite – si bien que le sens orig­inel (le péché ?)  demeure tou­jours un peu caché, ou du-moins ombrageux. (« Tin­té d’une douce brume »). Ain­si est-ce tout là le génie de Baude­laire : appren­dre à trans-for­mer le temps ; du dici­ble à l’indicible, du con­nu à l’inconnu, du fini à l’infini et de la terre au ciel ; mais sans jamais y adhér­er pleine­ment. 

Ain­si et pour pour­suiv­re, lire Baude­laire, c’est pou­voir à un moment don­né s’acheminer vers une « impos­si­ble lumière », (la clarté n’est jamais tout-à-fait ce qu’elle désigne), mais vers un chemin épars (éparpil­lé ?) où la voix par­fois s’élève sans jamais vrai­ment délivr­er d’écho (tel le Cygne qui ne peut s’échapper ou bien encore les femmes damnées vouées aux pires tour­ments). La délivrance n’est pas acces­si­ble chez Baude­laire, alors qu’elle le con­traint entière­ment dans son corps malade. Stig­mate, d’une biogra­phie pesante et dis­per­sée, (père voué à dieu, et qui le répudie) comme on répudie une femme infidèle. Mais dont le poète se sera soulagé en invo­quant ses Mus­es.  (sa mère tout par­ti­c­ulière­ment) Froideur (impuis­sance ?) d’un temps révolu (déchu), le poète trou­ve à la fois son ancrage de manière à la fois Réal­iste et fic­tion­nelle, où la han­tise pré­vaut sur le fond (les tré­fonds de l’âme cor­rompue) sup­posant que le Mal alors est bien présent, et que jamais la Beauté, ne puisse se mon­tr­er sous ses véri­ta­bles attraits. A moins qu’une Révéla­tion (le rêve ?) subite­ment ne se « fasse jour ». Pour­tant ne rien atten­dre, surtout ne rien atten­dre d’un tel accès (excès) sauf si l’Esprit ne s’y perde, en témoignant d’une grande fugac­ité d’intention. Le poète lui, sait que tout est vain, y com­pris dans son imag­i­na­tion soli­taire, on est loin des « Illu­mi­na­tions » Rim­bal­di­ennes, « O les énormes avenues du pays saint, les ter­rass­es du Tem­ple ! «. Pour Baude­laire le pays n’est pas for­cé­ment saint, pour­ra-t-on dire tout au plus qu’il est étour­dis­sant, pas tout-à-fait intem­porel, (sauf peut-être dans les fumées vaporeuses des cabarets, et aux sen­teurs mul­ti­ples, hal­lu­cinogènes), c’est pour cela d’ailleurs et à cause de cela, qu’il n’existe pas vrai­ment d’échappatoire cohérente, dans sa vision du monde, qu’il aime et qu’il n’aime pas, mais dans lequel il se fond, avec une justesse inouïe, à tel point que ses descrip­tions du monde jour­nalier déga­gent une cer­taine odeur, fuse t — elle pas­sagère et lunaire. Il en restera toute­fois une trace ! Mais quelle trace ? Car de fait le poète ne s’immisce pas pleine­ment dans les joutes quo­ti­di­ennes, il ne fait que fleureter avec elles, « Un éclair… puis la nuit ! – fugi­tive beauté /Dont le regard m’a fait soudaine­ment renaitre/ Ne te ver­rais-je plus dans l’éternité ? » (A une pas­sante). Mais quelle éter­nité qui ne soit d’ores et déjà sol­idaire de la mort ? Ô Limbes !

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Jean-Luc Favre-Reymond

Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002