« Plaisir de lecture »

C’est un pari auda­cieux, voire haute­ment risqué que nous pro­pose les édi­tions CARACTERES, sous la houlette de sa direc­trice Nicole Gdalia, égale­ment poétesse et uni­ver­si­taire. Doc­teure en Sci­ences de l’art et des reli­gions, elle a été notam­ment respon­s­able de la chaire UNESCO, pour le dia­logue inter­cul­turel. — dans le cadre du 71èmeanniver­saire de la fon­da­tion des édi­tions Car­ac­tères par Bruno Durocher. Une mai­son d’édition dis­crète implan­tée au 7, rue de l’Arbalète dans le cinquième arrondisse­ment de Paris, mais qui a fait ses preuves depuis quelques décen­nies,  grâce à son impor­tant cat­a­logue dans le domaine étranger. 

Une antholo­gie de la poésie mon­di­ale, en deux vol­umes, sous un lux­ueux cof­fret, qui ne tardera pas, soyons-en cer­tains, à devenir « col­lec­tor ». 372 auteurs répar­tis sur  96 pays avec d’étonnantes sur­pris­es. Un tra­vail titanesque réal­isé en col­lab­o­ra­tion avec Sylvestre Clanci­er et Jean Por­tante, et avec le con­cours la Région Ile de France. Un graphisme par­ti­c­ulière­ment sin­guli­er et soigné, il faut le soulign­er, avec de nom­breuses illus­tra­tions couleurs et des pho­togra­phies d’auteurs.

Per­dur­er la mémoire de son fondateur…

Occa­sion aus­si de ren­dre hom­mage à son fon­da­teur le poète Bruno Durocher ou Bro­nis­law Kamin­s­ki, né à Cra­covie (Pologne) en 1919.  Sa mère médecin le con­fie très tôt pour sa sco­lar­ité, à l’institution des frères Piaristes, ou Ordre des frères des écoles pies, fondé au VIIème siè­cle par Saint José de Calasanz, où il se révèle être un élève par­ti­c­ulière­ment bril­lant et pré­coce avec un fort attrait pour le mys­ti­cisme, une qual­ité rare d’ailleurs qui ne le quit­tera jamais et  qui de fait ne sera jamais con­testée par la suite. Vers la fin de sa vie, on le qual­i­fiera même de « Prophète », un qual­i­fi­catif réputé insond­able car « non révélé » au com­mun des mor­tels (non pris, non-dit, non communicable).

Ain­si, très jeune ado­les­cent, il se révolte con­tre les injus­tices sociales, con­tre la vie lit­téraire figée, con­tre tous les aspects con­ven­tion­nels de la société, en déclarant ouverte­ment sa lib­erté de parole et de ton.

Antholo­gie de la poésie mon­di­ale, (sous la direc­tion de Nicole Gdalia, Jean Por­tante, Sylvestre Clanci­er). Pack en 2 vol­umes A‑L ; M‑Z, 55 euros, édi­tions Caractères.

A l’âge de 17 ans, il pub­lie un pre­mier recueil de poèmes qui fera date et qui lui vaut le surnom fort envi­able de « Rim­baud Polon­ais », de quoi bien débuter dans le monde des let­tres. Mal­heureuse­ment au cours de l’été 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et le poète n’échappera pas à l’arrestation. On l’enregistre comme jeune intel­lectuel. Il est ensuite interné suc­ces­sive­ment aux camps de Struthof et Sach­sen­hausen.  Il passera ensuite cinq longues années dans le camp de Mau­thausen endurant le froid, la mal­nu­tri­tion dans des con­di­tions hygiéniques épou­vanta­bles et inhu­maines. Il survit néan­moins par mir­a­cle. Lorsqu’il est enfin libéré en 1945. Il est alors con­duit à Paris par la Croix-Rouge française où une nou­velle vie va pou­voir enfin com­mencer mal­gré la dis­pari­tion de toute sa famille. Il rêve alors de fra­ter­nité et de langue uni­verselle. Il apprend l’Espéranto, se con­sacre à la lec­ture et à l’écriture avec une fougue inhab­ituelle. Le poète mal­gré les souf­frances n’a pas per­du de son désir de vivre en mon­trant au monde, que la dig­nité retrou­vée est por­teuse de tous les espoirs. Mais il faut con­tin­uer à se bat­tre enfin de pou­voir se regarder en face dans un miroir sans rou­gir « d’être ce que l’on est ». Et il est clair que le poète, lui, le rescapé des camps de la mort, n’a pas à rou­gir d’avoir ain­si survécu à l’infamie trou­blante des hommes sans cerveau. Pour­tant et para­doxale­ment il ne leur voue aucune haine man­i­feste. L’Homme aurait-il par­don­né à ses bour­reaux ? Là encore c’est tout un mys­tère !  Et c’est au cours de cette péri­ode qu’il fonde avec quelques amis poètes, Jean Fol­lain, Jean Tardieu, André Frè­naud, la Revue Car­ac­tères qui pub­liera les plus grands noms de l’époque, puis les édi­tions Car­ac­tères qui à leur tour révéleront de jeunes tal­ents. Il fait d’ailleurs l’acquisition de sa pro­pre imprimerie arti­sanale qui finit par devenir célèbre avec le temps.  Pour ceux qui ont eu la chance de le con­naitre, on se sou­vient d’un per­son­nage effacé der­rière son petit bureau, à peine éclairé presque en con­tre-jour.  Un homme au regard lumineux, aimant, mais por­tant les stig­mates d’une souf­france encore présente. Un homme à la parole qua­si silen­cieuse, sou­vent douce et mesurée, par­lant rarement de lui mais plus facile­ment de l’AUTRE. Et très à l’écoute des jeunes poètes de son temps, il s’amusait par­fois d’ailleurs d’écouter ces jeunes « trublions » utopistes et impa­tients voulant refaire le monde à leur manière, non sans quelque naïveté toute­fois, mais cer­taine­ment sincère…. Après sa dis­pari­tion Nicole Gdalia repren­dra le flam­beau avec l’enthousiasme qu’on lui con­nait, ne par­le-t-elle pas d’ailleurs elle-même, sou­vent de Fra­ter­nité. Ain­si « Le Prophète » ne dis­paraitra-t-il pas….

 

« Quand le silence fut sur les cen­dres de mon monde j’ai tâté mon corps sans croire qu’il existe car il était com­posé des os et de la peau comme un squelette habil­lé d’un drap »

« Langue de mon pays natal végé­tait en moi comme une mau­vaise racine comme un sou­venir qui reve­nait à la réalité »

A l’image de l’homme

Edi­tions Car­ac­tères 1975–1976

Des choix judi­cieux et éclairants …

Les antholo­gies de poésie font actuelle­ment légion, mais admet­tons-le toutes n’ont pas le même attrait et la même voca­tion. Sou­vent thé­ma­tiques et répon­dant le plus sou­vent à une ligne édi­to­ri­ale bien définie, per­me­t­tant de met­tre en valeur des auteurs de tout bord, et c’est tant mieux, elles n’en demeurent pas moins éphémères, voire vite oubliées, mal­adroite­ment rangées dans les rayons des rares librairies qui les accueil­lent. De même que le choix des auteurs pro­posés s’avère sou­vent aléa­toire et très ciblé, chaque édi­teur ayant ses petites préférences lit­téraires, ce qui somme toute sem­ble assez logique. Certes l’on retrou­ve cer­tains d’entre eux dans de nom­breuses pub­li­ca­tions avec une belle vis­i­bil­ité à force de patience et de temps. Mais leur nom­bre demeure fort lim­ité, sorte de loterie implaca­ble pro­pre à génér­er des frus­tra­tions et des rancœurs chez » les oubliés de l’histoire lit­téraire », mais il est assez rare qu’une grande œuvre passe inaperçue.

Une poésie qui se veut bien vivante et au-delà des fron­tières !

Qui per­met au lecteur de se faire une idée assez pré­cise de la pro­duc­tion poé­tique et lit­téraire d’une péri­ode don­née. Et c’est tout le mérite de cette antholo­gie où l’on côtoie inlass­able­ment des poètes dis­parus, mais qui ont mar­qué leur temps, Antonin Artaud, Claude Ave­line, jacques Bens, Luc Béri­mont, Michel Butor, Jean Cas­sou, Georges Emmanuel Clanci­er, Juli­ette Dar­le, Pierre Emmanuel, Isidore Isou, Pierre-Jean Jou­ve, Jean Laugi­er, Joyce Man­sour,  Bernard Noel, Jean  Rous­selot, Ray­mond Que­neau, et tant d’autres encore que  nous ne nous las­sons pas de lire ou relire ; et les vivants , Jacques Alyn, Jacques Ancet, Ben Vau­ti­er,  Sylvestre, Clanci­er, Michel Deguy, , Jacques Jou­et, Nel­ly Kaplan, Nohad Salameh„ Vénus Khoury- Gha­ta etc… Et puis bien sûr des poètes de tous les con­ti­nents pour n’en citer que quelques-uns.  Fred­eri­co Gar­cia Lor­ca, (Espagne), Edouard Glis­sant (Mar­tinique), Vahé Godel, (Suisse), Ossip Man­del­stam, (Russie), Edouard Mau­nick (Île Mau­rice), Paula Mee­han, (Irlande), Czes­law Milosz (Pologne), Géo Norge (Bel­gique), Erza Pound (Etats-Unis)  Bejan Ratour (Turquie), Yan­nis Rit­sos (Grèce) etc…

En clair une pub­li­ca­tion rare qui tombe à pic, dans une péri­ode dés­abusée, où cha­cun se regarde en chien de faïence, sans trop savoir quelle direc­tion pren­dre faute de mar­queurs probants — où les rap­ports humains appa­rais­sent par­fois dis­lo­qués, voire mor­tifères, où la parole et les mots ne sem­blent plus avoir de réelle impor­tance ‑où l’on con­fond la fragilité du sable et du vent, avec la force du gran­it et du fer, mul­ti­pli­ant les con­fu­sions du genre humain. La poésie s’affirme alors, comme le meilleur rem­part de notre lib­erté. Mer­ci à toi Nicole, et nous n’en atten­dions pas moins de toi, pour ce rap­pel pour le moins salutaire…

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Jean-Luc Favre-Reymond

Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002