Dès l’aube des temps, le corps fascine les artistes…  Ain­si depuis la décou­verte des grottes de Chau­vet (33 500 ans avant notre ère), de Las­caux (21 000 – 25 000 ans), Chau­vet (33 500 ans), Chabot (20 000 ans) avec ses mil­liers de pein­tures, gravures, regroupées sous l’appellation art par­ié­tal ou rupestre, dess­inées ou gravées à même la roche – le corps au gré des épo­ques et des modes n’a cessé d’être un réser­voir inépuis­able pour l’imaginaire humain. Au Moyen âge, à la Renais­sance, (La Vénus de Bot­ti­cel­li, La Belle jar­dinière de Raphaël ou bien encore l’Hérodote de Michel-Ange),  au XVI­I­Ième siè­cle ( Jean Hon­oré Frag­o­nard, Johan Hein­rich Fûssli, Eti­enne Fal­con­net, Donat Non­note), puis au XIXè, ( Edouard Manet, Paul Cézanne, Auguste Rodin) et au XXè (Fer­nand Léger, Pablo Picas­so,  Edward Hop­per,  Balthus) ;  ses mul­ti­ples représen­ta­tions n’ont cessé d’évoluer, avec sou­vent pour per­spec­tive, et sans guère d’apriori, « sa mise en valeur », qu’elle soit de nature  fig­u­ra­tive ou abstraite. 

Aus­si, se re-présen­ter le corps, con­firme une mod­éli­sa­tion de son exis­tant non seule­ment de manière organique (fait de chair et de sang), mais égale­ment apologique – corps tran­scen­dant – (Le Christ mort au tombeau, Hans Hol­bein Le Jeune). Or cette for­mu­la­tion est d’une cer­taine manière source d’ambigüités. Pourquoi le corps fascine t‑il autant les artistes, et dans quelle mesure lui échappe t‑il ? Car en effet la seule moti­va­tion de re-pro­duire, même si elle part d’une bonne et juste inten­tion, n’est jamais et dans de nom­breux cas, que la repro­duc­tion à l’identique du – Même- féminin ou mas­culin. Le corps sujet du MOI, est aus­si son con­traire (son siège) agis­sant comme une con­di­tion sous-jacente à l’acte de créa­tion, comme si la seule représen­ta­tion « cor­porelle » suff­i­sait à réduire la dis­tance entre le Réel et l’irréel, la vérité et le beau, le fac­tice et le laid, le représentable et l’irreprésentable, chaque trait représen­tant une part de con­nu ou d’inconnu. Comme en témoignent par exem­ple à tra­vers les siè­cles les nom­breuses représen­ta­tions du cou­ple sin­guli­er d’Adam et Eve (Albrecht Dür­er, Lucas Cranach l’ancien, Jan Bruegel), corps orig­inelle­ment pur, pro­tégés dans le Jardin d’Eden, et soudain entachés du péché, corps souil­lés par la ten­ta­tion (le délit). 

Mylène Besson est présente à la Bien­nale de Cachan du 11 mai au 1er juil­let 2023.

Dès lors la nudité devient taboue, inter­dite au regard de l’Autre (la déchéance et le déni) ; le corps ren­tre alors dans une longue péri­ode d’agonie, en reni­ant ce qu’il EST, pour laiss­er place et logique­ment à la fig­ure du Mar­tyr (Gabriel François Doyen, Hen­ri Dau­mi­er). Corps lacéré, tor­turé, souf­frant en somme, pour finale­ment être élevé (la grâce) et tran­scendé, l’un ne pou­vant sym­bol­ique­ment fonc­tion­ner sans l’autre. Or cette jux­ta­po­si­tion des con­traires qui n’a rien d’anodin, peut égale­ment induire en erreur le sujet regar­dant, « Ce qu’il voit face à lui », est-il bien « ce qui se mon­tre « (dans tout son état) ou bien n’est-ce pas là, comme une fatal­ité, une défor­ma­tion de son esprit, une hal­lu­ci­na­tion en somme de la con­science en devenir, qui ne laisse guère de place à la sub­li­ma­tion, ou bien encore, la sub­li­ma­tion, appelle-t-elle de nou­veaux paramètres de lec­ture, (à l’endroit comme à l’envers) sus­cep­ti­bles d’engager l’admiration, aus­si bien que le rejet mais pro­duisant et après coup : le ravisse­ment intérieur. L’œil voit bien ce qu’il veut voir, sans aucun fil­tre, se libérant de ses entrav­es, et ce jusqu’à l’extase pos­si­ble, (la Pié­ta de Van Gogh,) qui attribue à l’œuvre un puis­sant ascendant…

Au cœur du sujet : Le sujet lui-même…

Saluée par de nom­breux écrivains et poètes de renom (Bernard Noël, Michel Butor, Arra­bal, Pierre Bourgeade, Annie Ernaux entre autres) avec lesquelles elle a sou­vent eu de fructueuses col­lab­o­ra­tions « livresques », Mylène Besson pour­suit depuis presque un demi-siè­cle une œuvre sin­gulière et puis­sante entière­ment vouée au Corps et en sa sub­tile mise en scène hors des sen­tiers bat­tus, ne se sou­ciant guère des règles du marché, et des ten­dances acquis­es de l’art con­tem­po­rain. Œuvre intè­gre et inté­grale, dépas­sant les modes, sans jamais renier ses pro­pres aspi­ra­tions et ses con­tin­gences orig­inelles (orig­i­naires). Œuvre prin­ci­pale­ment fig­u­ra­tive qui jus­ti­fie sa rai­son d’être – ETRE comme socle éprou­vé de l’intime con­vic­tion, réser­voir atyp­ique de l’originalité tem­porelle se mesurant à l’ordre du vivant ; rarement à son désor­dre occa­sion­nel, qui pour­rait laiss­er croire en amont que l’artiste ne maîtrise pas ses trou­bles en les refoulant. Le corps inté­gral : c’est dans ce sens (et dans cette direc­tion) que l’expression pic­turale prend tout son sens, en resti­tu­ant dans un temps dif­féré aus­si bien que présent, sa lib­erté, et ses con­traintes d’être au Monde. Cepen­dant que le Réel, (ce que l’on voit ou croit voir) est une indi­ca­tion sup­plé­men­taire, à la croisée des chemins – le décryptage de l’œuvre, dans ce qu’elle recèle d’étrangeté et de sens caché. Toute œuvre digne de ce nom, ne se laisse jamais com­plète­ment pos­sédée, et même si le mys­tère n’est pas tou­jours présent, le retrait qu’elle opère, la néces­saire dis­tan­ci­a­tion, est aus­si le gage d’une pos­si­ble pléni­tude qui définit son « cadre » — « Qui est là devant vous, avec assez d’apparence pour nous faire croire à sa soudaine venue ? Ce que l’on recon­naît tout de suite n’a pas encore été touché par le regard qui attend que quelque chose émerge de la forme ». Ain­si s’exprime Bernard Noël à pro­pos de l’artiste. Ain­si l’apparence que le poète sig­ni­fie, con­tin­gente à sa soudaine venue, inter­roge et presque logique­ment (qui n’est pas une pirou­ette), la re-sem­blance. Ce qui sem­ble ou ressem­ble n’est pas un sim­ple fait (la réal­ité pic­turale), mais plutôt son envers, comme dans la série des Fusains (2004) qui non seule­ment d’occuper l’espace, mais quel espace au juste ? Sus­cep­ti­bles là encore d’éveiller les sens (le sens). Il n’est pas cer­tain cepen­dant que l’artiste ait voulu sat­is­faire à la ver­tu, qui con­siste à libér­er ses pul­sions en lais­sant intact ses émo­tions, à moins qu’il ne s’agisse d’une ver­tu sac­ri­fi­cielle où les corps étreints, étouf­fants par­fois, définis­sent plus pré­cisé­ment un « espace clos », dans lequel chaque corps s’aligne, et s’allonge, sans jamais vouloir se dévoiler….

Le corps Miroir et le corps Mystère….

Autrement sym­bol­ique de l’œuvre en cours, cette for­mi­da­ble ful­gu­rance à déjouer les pièges qu’elle a elle-même con­sciem­ment ou incon­sciem­ment posés. Et il y a de fait une sourde pesan­teur dans l’œuvre de Mylène Besson, dif­fi­cile­ment dis­cern­able. « L’attrait de la fig­ure et de ce qu’elle peut revendi­quer de sens au-delà de sa forme physique est toute­fois pondéré par l’inclusion de détails incon­grus au regard des usages ». (Patrick Longuet). Tel sem­ble le piège en effet qui n’est pas for­cé­ment niché dans le détail incon­gru, car ici le détail n’est qu’une parade, un arti­fice – mais au-delà (ou en-deçà) des usages, l’œuvre se développe libre­ment. Et de ce point de vue Mylène Besson, n’a cure des usages, elle les défie même, con­tre toute apparence académique. L’enjeu se situe ailleurs, mon­tr­er plus que démon­tr­er, que le corps existe, pour ce qu’il EST, et non pour ce qu’on sup­pose qu’il soit. Et c’est toute la force intérieure de cette artiste peu con­ven­tion­nelle, et qui n’aime guère se pli­er aux faciles con­ve­nances. Pour Mylène Besson, l’au-delà cher au cri­tique, se traduit égale­ment par l’En-soi, en dépit des con­jonc­tures. Ain­si d’épouser le réel à con­di­tion qu’il s’immisce dans un ailleurs à décou­vrir et où le corps, les corps, se meu­vent sans inutile expli­ca­tion, sans pour autant tomber dans la « mar­que de fab­rique » qui relève sou­vent de l’imposture. Mieux vaut priv­ilégi­er l’authenticité, quitte à provo­quer l’infortune : Alors l’Epoux, le ten­dre aimé, à son tour, ne veut pas dis­paraître, car il a déjà dis­paru, même s’il revient sans cesse comme un fan­tôme bien­veil­lant, dont l’artiste seule face à elle-même s’est finale­ment accou­tumée. Le deuil s’exprime tou­jours en fil­igrane. L’artiste peint le corps dis­paru – nu – Elle lui exprime sa grat­i­tude d’être « tou­jours là ». On com­prend alors que pour Mylène Besson, il n’y a pas de désen­chante­ment, le sou­venir est bien ancré, il lui sub­siste… Ô mys­tère du dépassement.

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Jean-Luc Favre-Reymond

Jean-Luc Favre-Rey­mond est né le 19 octo­bre 1963 en Savoie. Il pub­lie son pre­mier recueil de poésie à l’âge de 18 ans à compte d’auteur, qui sera salué par Jean Guirec, Michel Décaudin, et Jean Rous­selot qui devien­dra naturelle­ment son par­rain lit­téraire auprès de la Société des Gens de Let­tres de France. Il com­mence dès 1981, à pub­li­er dans de nom­breuses revues de qual­ité, Coup de soleil, Paroles d’Aube, Artère etc. Il est alors dis­tin­gué à deux repris­es par l’Académie du Disque de Poésie, fondée par le poète Paul Cha­baneix. Il ren­con­tre égale­ment à cette époque, le cou­turi­er Pierre Cardin, grâce à une série de poèmes pub­liés dans la revue Artère, con­sacrés au sculp­teur Carlisky, qui mar­quera pro­fondé­ment sa car­rière. Il se fait aus­si con­naître par la valeur de ses engage­ments, notam­ment auprès de l’Observatoire de l’Extrémisme dirigé par le jour­nal­iste Jean-Philippe Moinet. Bruno Durocher, édi­tions Car­ac­tères devient son pre­mier édi­teur en 1991, chez lequel il pub­lie cinq recueils de poésie, salués par André du Bouchet, Claude Roy, Chris­t­ian Bobin, Jacque­line Ris­set, Bernard Noël, Robert Mal­let etc. Ancien col­lab­o­ra­teur du Cen­tre de Recherche Imag­i­naire et Créa­tion de l’université de Savoie (1987–1999) sous la direc­tion du pro­fesseur Jean Bur­gos où il dirige un ate­lier de recherche sur la poésie con­tem­po­raine. En 1997, il fonde la col­lec­tion les Let­tres du Temps, chez l’éditeur Jean-Pierre Huguet implan­té dans la Loire dans laque­lle il pub­lie entre autres, Jean Orizet, Robert André, Sylvestre Clanci­er, Jacques Ancet, Claude Mourthé etc. En 1998, pub­li­ca­tion d’un ouvrage inti­t­ulé « L’Espace Livresque » chez Jean-Pierre Huguet qui est désor­mais son édi­teur offi­ciel, qui sera unanime­ment salué par les plus grands poètes et uni­ver­si­taires con­tem­po­rains et qui donne encore lieu à de nom­breuses études uni­ver­si­taires en rai­son de sa nova­tion. Il a entretenu une cor­re­spon­dance avec Anna Marly, créa­trice et inter­prète du « Chants des par­ti­sans » qui lui a rétrocédé les droits de repro­duc­tion et de pub­li­ca­tion pour la France de son unique ouvrage inti­t­ulé « Mes­si­dor » Tré­sori­er hon­o­raire du PEN CLUB français. Col­lab­o­ra­teur ponctuel dans de nom­breux jour­naux et mag­a­zines, avec des cen­taines d’articles et d’émissions radio­phoniques. Actuelle­ment mem­bre du Con­seil Nation­al de l’Education Européenne (AEDE/France), Secré­taire général du Grand Prix de la Radiod­if­fu­sion Française. Chercheur Asso­cié auprès du Cen­tre d’Etudes Supérieures de la Lit­téra­ture. Col­lab­o­ra­teur de cab­i­net au Con­seil Départe­men­tal de la Savoie. Auteur à ce jour de plus d’une trentaine d’ouvrages. Traduit en huit langues. Prix Inter­na­tion­al pour la Paix 2002