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Marc Alyn, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre, extraits

Paroles de T'ang

 

Le sommeil-confiait-il-est un lieu traversier
qu'empruntent nos géniteurs immémoriaux
nomades du clair-obscur
sujets à des absences
affublés d'oripeaux de pourpre rapiécés
porteurs de baluchons
que gonfle un passé rauque.

 

Les hors-venus des neiges morfondues
franchissaient d'une voltige les remparts
et l'eau serrée des douves
sur des radeaux de branchages.

Je parlerai encore-décrétait-il-
des espaces gordiens à l'intérieur de l'homme
où le désert s'unit aux vergers aux sépulcres : 
région de poussière et de suie
ultime retranchement de l'esprit en partance
au-dessous du niveau de la mort.

 

 

∗∗∗∗

 

 

La vie, songe éveillé, s'achevait par un sommeil
sans rêves ni rivages, au seuil des steppes, où croît
la solitude parmi chardons et ronces : barbelés du
règne végétal. Quand surgissaient, d'un vol acéré,
les oies sauvages dont l'aile nous frôlait hardiment
au passage, nous faisions halte sur les hauts pla
teaux de schiste noir afin de saluer les revenants
de nos vies à venir aux bras chargés d'icônes et de 
coquelicots. Un soleil flambant neuf nous guidait
vers les cimes. De l'autre côté de l'horizon s'éla
borait, dans des cuves gorgées de grappes écrasées,
la fermentation heureuse.

 

 

∗∗∗∗

 

L'au-delà ressemblait comme deux gouttes d'eau
à ces ombres chinoises
dont les doigts de l'aïeul peuplaient le papier
    peint
à la lueur échevelée
d'une lampe d'argile :
coq de bruyère errant dans le brouillard
chevreau de lait lapé par les ténèbres...

Á la fin
le loup dévorait la lumière.
Chacun demeurait seul
les mains sur ses genoux.

 

 

∗∗∗∗

 

Alchimiste inversé
sosie du Pendu des tarots
il restituait au brasier
l'or potable des chrysopées
à l'issue du Grand-OEuvre.

De son pinceau giclait
point-trait du morse des abîmes
flèche visant le coeur de la planète
au-delà des myriades d'années
et son oeil de huppe sagace
détectait les trésors dans le limon des fleuves.

Sisyphe de l'immatériel
nouveau-né du néant
agile gondolier
il édifiait des mausolées à la gloire de l'oubli
puis offusquait la nuit
d'un clignement de cils.

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

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