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Avec Michel Baglin pour Brassens

à Jackie, Hélène et Serge Baglin

 

C’est d’abord une rencontre lors du Printemps de Durcet, je ne sais plus en quelle année exactement mais pas avant 2010. Avant cela j’avais lu Michel et il m’avait même chroniqué mais il fallait cette rencontre dans ce lieu magique qu’est Durcet (« village en poésie » qu’on ferait mieux d’appeler "capitale de la poésie" ) pour le connaître vraiment.

Une amitié coup de foudre et je sais trop que ces amitiés-là au contraire des coups de foudre amoureux sont le plus souvent durables. Le dieu de l’amitié, au contraire de Cupidon, qui s’en fout certains jours, ne tire pas ses flèches au hasard.

Et dès la première fois, entre autre chose, peut-être parce que j’avais dû entonner lors de la soirée du samedi une ou deux chansons du maître avec ma plus fidèle fiancée (cette guitare dont je gratte le ventre maladroitement mais le plus amoureusement possible) nous avons évoqué Brassens et alors est né déjà ce projet d’un livre sur lui. Deux idées ont vu le jour ensuite : un dialogue où l’on se renverrait des chansons commentées (je pensais par exemple au Blason que je trouve sublime) et un livre sur « la morale libertaire » de Brassens tant il nous semblait que ce point n’avait pas toujours été bien compris. Et notre vision de la chose était convergente.

Nous en reparlons à Camps-la-source invités tous deux au festival par l’amie Colette Gibelin au printemps 2017. Mais là encore l’étincelle n’est pas là. Bien sûr avec la distance Toulouse-Rouen ce n’était pas facile de se lancer… La suite nous prouvera le contraire.

La suite, ou plutôt le vrai début, c’est à Sète en 2017. Je viens aux « Voix vives » pour la première fois, invité par l’amie Colette qui a loué un appartement. L’un des passe-temps favoris de Michel là-bas, en dépit d’un agenda très chargé, c’était d’organiser des repas pour faire se rencontrer ses amis : Michel était un amoureux de la vie, de la relation humaine et de l’amitié tout simplement. Et lors du premier repas où je fus convié, nous nous mîmes tous deux à entonner a capella moult couplets et un jeune couple magnifique vint même rejoindre la table de vieux rieurs qui s’égosillaient pour chanter avec nous. Cela donna l’idée à un certain Jacques André que je ne connaissais jusqu’alors que de nom de nous lancer ce défi : « Et si vous m’écriviez un « Je suis… Georges Brassens » les gars ! La soirée était vraiment magique ! Jacques nous annonça que c’était pour dans deux ans et que tout serait précisé l’année suivante. Mais je me dois de dire que dès septembre 2017 je reçus de Michel le premier jet du chapitre 1 du livre. Il avait été journaliste pendant trente ans et un journaliste ça ne traine pas comme un petit poète besogneux. Je dus le retenir un peu pour qu’on ne présente pas le tapuscrit un an avant la date limite.

Nous nous sommes donc retrouvés l’année suivante à Sète pour de nouvelles agapes et le vrai lancement du projet avec notre bel éditeur. Ce fut le début d’une magnifique aventure. Et la confirmation d’une vraie amitié. Jacques nous avait dit que l’écriture à quatre mains c’était compliqué et… parfois conflictuel. Il n’en fut rien. Nous alternions les chapitres et chacun corrigeait l’autre un peu ou beaucoup. Je me dois de dire qu’il m’a plus corrigé que je ne l’ai fait. Mais mes corrections ou suggestions étaient aussitôt acceptées avec cette humilité qui caractérisait, entre autre qualité, Michel. Et il en fut de même de mon côté tant j’avais confiance en sa sureté de jugement et de plume. Cela nous permettait aussi des discussions passionnantes dont notre éditeur était le témoin privilégié, quelque peu admiratif de notre complicité. Nous nous sommes enrichis mutuellement sur la connaissance de notre maître et nous échangions aussi sur tout ce qui tournait autour du projet de livre ainsi pour une demande de préface, ce toujours sous le regard attentif de Jacques.

Une belle aventure d’écriture mais surtout une expérience humaine rare. Le fait est que Brassens c’était un univers où nous nous retrouvions entièrement Michel et moi et où nous allions, dans les passages plutôt consacrés au idées du bonhomme, au plus profond de nous-mêmes : nous avions tant hérité de lui. C’était une langue commune, une culture qui permettaient un dialogue intense. Je ne peux bien sûr donner un avis objectif sur ce que nous avons fait ensemble . Les écritures de Michel en tout cas me semblaient d’une extrême justesse. J’avais vraiment l’impression de lire Brassens lui-même. Et puis ce livre n’a pas vocation à être un chef d’œuvre ou un ouvrage de référence sur le maître. Des ouvrages de référence il y en a des tas sur Georges Brassens. Réaction de la fille de Gibraltar, impasse Florimont quand je lui ai dit que je préparais un livre sur Brassens avec un ami : "Encore un" ! Il s’agit plutôt simplement d’un livre de vulgarisation au sens noble du terme, il s’agit d’une porte d’entrée que peut franchir même un collégien. C’est là du reste le but de la collection. Et la bio à la première personne vous prend le lecteur par la main et par le cœur.

Et puis un matin de janvier je crois Michel me téléphone. Nous avons terminé l’essentiel du tapuscrit. Il m’annonce sa maladie. Il est très lucide devant sa gravité mais il veut se battre. Il me passe entièrement le relais pour ce qui suit : épreuves, corrections, ajouts etc. Il doit d’abord subir une lourde opération, puis c’est la chimio dont les médecins ne lui ont pas caché les effets redoutables. L’opération sera longue et difficile. Mais Michel passe le cap. L’ami Pierre Maubé qui est en contact avec Hélène, la fille de Michel et Jackie, son épouse, m’informe du mieux qu’il peut.

Michel me téléphone une fois bien passé l’opération. Il affronte courageusement mais me dit qu’il est très diminué par la chimio. Il me confirme qu’il ne peut plus suivre le travail (mais il a tant donné déjà ! ) et me renouvelle sa confiance.

 

Je continuais de le mettre en copie de mes échanges avec Jacques et il répondit une fois qu’il approuvait toutes mes corrections. Puis ce fut le silence ou presque jusqu’au 17 juin. Il venait de recevoir ses exemplaires d’auteur et me dit sa satisfaction devant le livre. Il m’annonçait qu’il rentrait le lendemain à l’hôpital pour une nouvelle chimio, Les médecins eux-mêmes avaient avoué l’échec de la première. C’était donc une chimio de la dernière chance : « Soit j’obtiens un répit, soit… on connait la suite ». Il avait du mal à parler, ne retrouvait plus l’adresse et le téléphone de Jacques qu’il avait pourtant… Tout devenait très difficile.

Suivirent trois semaines d’inquiétude et de silence. Comme depuis le début je ne voulais pas trop écrire directement à Michel afin de préserver son repos je n’avais aucune nouvelle. L’ami Pierre Maubé n’avait cette fois pas plus d’informations que moi et ce fut Marie Rouanet qui m’annonça au téléphone le vendredi précédant le décès que Michel avait été mis dans le comas et qu’il ne s’en réveillerait pas. Le lundi suivant j’apprenais que Michel était parti rejoindre le paradis des poètes et..... des mécréants.

Notre aventure commune semblait s’arrêter là et Michel avait écrit avec Je suis… Georges Brassens l’un de ses derniers ouvrages sinon le dernier. Alors que je savais que cela se terminerait ainsi la douleur était là, cruelle.

Jacques et moi nous nous sommes demandés si nous pouvions, dans ces conditions, continuer la promotion du livre. Nous avons eu envie d’arrêter. Par décence et respect et douleur. En même temps nous étions conscients que Michel nous aurait engueulés de faire cela s’il avait pu.

Le lundi 15 juillet à Seilh après la cérémonie quand je lui ai dit au revoir, Jackie m’a fait promettre de porter le livre. Je ne pouvais pas refuser car je savais que désormais Michel vivrait avec les mots qu’il avait publiés. Bien sûr en priorité ses superbes poèmes, ses romans, son théâtre, d’autres livres comme ses Lettres d’un athée à un ami croyant que j’ai chroniquées et qui posent des questions essentielles aujourd’huiMais je sais aussi, par sa fougue d’écriture sur ce livre où il a tant donné, combien il lui tenait à cœur. A parcourir un peu l’ouvrage aujourd’hui j’entends la voix de Michel dans celle de Brassens et je relis aussi tous nos échanges si complices.

Hommage à Michel Baglin, Festival Voix vives 2019, images et montage : Thibault Grasset - ITC Production

Je sais combien Michel était proche de Brassens par son exigence, sa générosité, son goût pour le rire, son indépendance, sa fidélité, son sens de l’amitié, sa passion de la liberté et de la justice, sa passion pour la poésie… C’est une part importante de Michel, un peu d’une flamme qui n’est pas près de s’éteindre.

Merci Michel ! C’était si bon de te savoir ici. C’est si beau ce que tu nous as laissé pour mieux habiter le monde.

Présentation de l’auteur

Michel Baglin

Michel Baglin, né en 1950 dans la région parisienne, vit depuis ses onze ans à Toulouse. Après la fac et de nombreux « petits boulots », il devient journaliste. Guy Chambelland édite son premier recueil en 1974. Depuis, il a publié plus d’une vingtaine de romans, essais, recueils de poèmes et de nouvelles. Il est notamment l’auteur de Les Mains nues (L’Âge d’Homme), L’Obscur vertige des vivants (Le Dé bleu), Entre les lignes (La Table Ronde), L’Alcool des vents (Le Cherche Midi), Les Chants du regard, poèmes sur 40 photographies de Jean Dieuzaide (Privat), La Balade de l’escargot (Pascal Galodé) et De chair et de mots (Le Castor Astral).

Il a reçu le prix Max-Pol Fouchet en 1988. Critique pour divers journaux et revues et fondateur de la revue Texture, il anime aujourd’hui le site littéraire revue-texture.fr

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